Actualités :: Burkina Faso : Réflexions et impressions face au coup d’Etat du (...)

David Sawadogo partage avec les internautes une réflexion qui lui a été inspirée par le coup d’État du 24 janvier 2022 qui a porté le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration au pouvoir

- Le retour des coups d’Etat en Afrique : une bonne chose ?

Disons-le d’entrée le jeu : le coup d’Etat, l’usurpation du pouvoir par la force et la violence n’est pas, contrairement à ce qui est communément admis, ici et là, une pratique coutumière des traditions de gouvernement des sociétés africaines anciennes. C’est une coutume très récente si on jette un regard rétrospectif sur la longue histoire de l’Afrique. Très précisément, le coup d’Etat est contemporain aux Etats modernes africains issus des décolonisations. A l’échelle de l’histoire multimillénaire africaine, cela ne représente même pas une seconde.

Autrement dit, c’est une pratique du pouvoir qui n’occuperait même pas une demi-ligne dans le livre qui se consacrerait aux modes historiques de gouvernement en Afrique. Par conséquent, tous ceux qui disent, aujourd’hui, qu’il ne faut pas combattre la spirale des coups d’Etat au nom de la démocratie et l’état de droit, en pensant que ce mode de prise de pouvoir correspondrait plus au type de pouvoir propre à l’Afrique, se trompent lourdement. Ces pratiques sont plus importées que l’état de droit et la démocratie, si cela veut dire le pouvoir par et pour le peuple et un exercice du pouvoir qui respecte scrupuleusement des règles et les souhaits des populations. L’Afrique n’est pas exempte, historiquement parlant, de pratiques démocratiques et on peut facilement le démontrer. Mais ce n’est pas l’objet du présent écrit.

En effet, à la faveur du coup d’Etat népotique tchadienne du mois d’Avril 2021, adoubé par le néocolonialisme français (Emmanuel Macron), ce qui devait arriver, arriva : nous assistons à une loi des séries putschistes qui s’abat sur l’Afrique. Une vague de « kalachnikov love » qui sévit contre l’autocrate Alpha Condé en Guinée, balaya la transition au Soudan, emporta IBK et son successeur de la transition au Mali. Vient ensuite le tour de Roch Kaboré au Faso, le 24 janvier 2022, au prétexte qu’il était incapable d’en finir avec les djihadistes.

Le 1er février 2022 dernier, c’était autour de la Guinée Bissau de subir une tentative de putsch qui, heureusement, pour le présent Umar Sissoco Embalo, a échoué. On imagine des « pas beaux du tout » en train de fourbir leurs armes au Niger, au Bénin, en Côte d’Ivoire, du Nord au Sud et d’Est en Ouest de l’Afrique. Le coup d’Etat redevient tendance. On se croirait revenu aux années 70-80 où toute l’Afrique subsaharienne était dirigée soit par des potentats claniques ou des bidasses ventripotents.

A suivre les réseaux sociaux investis par les Africains du continent ou de l’étranger, à suivre la presse africaine, dans le cas du Burkina, le très utile lefaso.net, on se rend compte que l’Afrique est toujours sensible aux pouvoir d’exception, aux coups d’Etat. Quand je parle de pouvoir d’exception cela inclut le fait de se fier à des milices étrangères, voir à des cartels malfaisants pour la sécurité de l’Afrique. C’est ce qu’il faut voir dans le fait qu’en Centrafrique et au Mali, et peut-être dans d’autres pays à venir, l’on compte sur les paramilitaires russes Wagner pour venir à bout des groupes djihadistes du Sahel. Beaucoup d’intellectuels, prétendument patriotes maliens, burkinabè, africains ne tarissent pas de louanges sur les Russes et leur Wagner. On dénonce ainsi le néocolonialisme français de Barkhane au même moment qu’on tombe dans les bras des Russes, aujourd’hui, comme on est tombé, hier, dans les bras des Chinois pour les investissements économiques. On sait aujourd’hui que la Chine est en train d’acheter littéralement le continent : ses terres, ses forêts ses minerais, ses quelques industries !

Qu’on se le mette en tête une fois pour toute : les Etats sont des monstres froids qui n’ont pas d’amis mais uniquement des intérêts. Je paraphrase ici le Général De Gaulle. C’est pourquoi tous ces sachants et pseudos intellectuel qui voient en l’irruption des miliciens Wagner dans les théâtres africains une voie de salut pour les Africains se trompent totalement. Au demeurant, je dis à tous ceux qui croient qu’un changement de tutelle ferait l’affaire, qu’ils ont tout faux. Car, l’esclave ne se libère pas, s’il se contente de changer de maître ou bien la couleur ou le métal de ses chaînes.

- Le coup d’Etat peut-il être, sinon légal, légitime

Décidément, l’Afrique n’est pas à des tripatouillages juridiques près. Le 7 février dernier, Monsieur Kwesi Debrsèoyir Christophe DABIRE, un des militants intellectuels de l’insurrection populaire, en 2014, dans un article intitulé : Légalisons plutôt les coups d’Etat en Afrique, tentait de faire le diagnostic du putsch du LCL Damiba et de se faire le porte-parole de tous ceux qui vomissaient le régime civil de M. Roch Kaboré et espèrent en ce coup d’Etat la mitraillette magique à même d’en finir avec les massacres « djihadistes » de ces dernières années.

Soulignons en passant que de soutien populaire à ce coup d’Etat il n’en rien été, même si les nouveaux maîtres de Ouaga s’en prévalent. Ce « processus de refondation de notre Nation, appelée par le peuple » dit en effet le LCL DAMIBA dans son discours à la Nation du 27 janvier dernier. Quelques centaines de personnes qui sortent dire vive le MPSR, on a vu peuple plus enthousiaste au lendemain d’un putsch. D’aucuns pourraient nous rétorquer qu’il n’y a pas eu de manifestations contre les putschistes. Certes, en cette matière, le silence est loin de signifier adhésion. Les gens, fatigués des précédents régimes sont juste dans l’expectative. On observe et attend les premières actions du nouveau régime d’exception. Même ceux, d’habitude prompts à écrire sur l’actualité politique burkinabè, attendent de voir le sens du vent ou tout au moins l’annonce des couleurs du nouveau pouvoir.

« Légalisons plutôt les coups d’Etat en Afrique » disait l’un ceux habitués à analyser les affaires politiques telles qu’elles vont au Burkina. C’était le 7 février ! Chiche ! lui ont répondu les « sages » du Conseil constitutionnel burkinabè, trois jours plus tard, en adoubant au passage LCL Damiba du titre de PF, illégalement et anticonstitutionnellement diraient, à juste titre, les juristes et autres constitutionnalistes. C’est, par exemple, l’avis tranché du Pr Abdoulaye Soma, quand il qualifie cette décision du Conseil Constitutionnel, que l’on peut penser contrainte, de « catastrophe constitutionnelle », ce 10 février 2022.

D’aucuns, sans aucune connaissance de la chose juridique et constitutionnelle, ont raillé sa position au nom de la real politique et par anti-occidentalisme ambiant, mais le professeur est bien dans le vrai. Dans la constitution, le titre de président est conféré au chef de l’Etat par l’élection au suffrage universel et non par la force de la baïonnette ou de la mitraille. La force ne fait pas loi, c’est un adage qui fait foi en Afrique comme dans toute autre partie du monde. Où le MPSR tire-t-il, en effet, sa légitimité sinon par la force des armes ? Et le fait que M. Damiba ait pu prêter serment, ce 16 février, ne change rien à l’affaire. Le LCL Damiba aurait-il pu imposer son diktat aux burkinabè s’il n’avait pas les armes pointées sur eux ? Aurait-il pu convoquer comme il l’a fait, il y a quelques jours, les politiciens, à Kosyam, les tutoyant et les humiliant, au passage, un brin malicieux, s’il n’était pas ainsi le maître des armes ? Mais suffit-il d’avoir les armes pour être légitime à gouverner le pays ? Non, bien sûr !

- De l’insociable sociabilité de l’homme et de la difficulté de trouver un maître juste et équitable, au Burkina comme ailleurs dans le monde

Il faut qu’on disserte un peu sur la nécessité par laquelle les groupes humains ont été amenés à s’en remettre aux lois, au droit, pour leur organisation politique. Ce n’est pas par pur plaisir de produire des règles et des constitutions. Cela a été le fruit d’une évolution historique et juridique. L’homme est un être sociable, mas, doublé, selon Emmanuel Kant, d’une insociabilité tout aussi évidente. Autant sommes-nous prompts à faire société et à contracter avec les autres, autant il sourd, dans nos intentions profondes, la secrète volonté de bénéficier exclusivement du contrat associatif qui nous lie aux autres. C’est pourquoi le besoin d’un garant s’est tout de suite posé aux accords entre groupes humains.

Certains philosophes traduisent cela par le fait que chaque être humain ait besoin d’un maître, d’un superviseur pour respecter les règles et les engagements qu’il prend vis-à-vis de ses congénères. Le maître, lui-même, aura ainsi besoin d’un autre superviseur au-dessus de lui. Bref, on se trouve tout de suite dans l’aporie. Aucun maître humain particulier n’est jamais assez bon pour ne servir que l’intérêt général, surtout si les siens propres doivent souffrir, à moins d’y être contraint en quelque sorte. Cela est valable pour les petits groupes mais aussi pour les grands groupes comme les sociétés et les Etats. Cela fait que le fait de trouver un bon maître, un bon souverain, un bon roi, un bon chef d’Etat ne résout pas la question de l’autorité légitime et de l’abus de pouvoir. C’est pourquoi, les premiers gouvernements humains tiraient leur « légitimité » de la pure force guerrière, de la violence des chefs de guerre et de la terreur qu’ils faisaient régner. Les hommes ont fini par se détacher de l’autocratie, du pouvoir absolu d’un seul ou d’un groupe, parce qu’ils se sont rendus, à la manière d’Emmanuel Kant, penseur allemand des Lumières, qu’aucun homme, ni femme, ne peut s’empêcher d’abuser du pouvoir si celui-ci dépend uniquement de sa volonté et en dehors de principes objectifs.

C’est pourquoi, il faut rechercher une porte de sortie qui sauve à la fois les hommes de l’abus de pouvoir mais aussi de l’arbitraire des dépositaires ponctuels de la fonction de gouvernement. C’est parce que toute relation juridique est impossible et impensable dans l’état de nature, donc hors de l’état civil, que la raison a ordonné, à l’homme, la sortie de l’état de nature pour s’allier à ses semblables, à travers des lois de liberté au sein de l’Etat. Il faut que l’espace du vivre ensemble et les principes qui le gouvernent relèvent de la préoccupation de tous, de la Res publica, la chose publique ou la république.

En ce sens, une République digne de ce nom n’est pas gouvernée par une volonté particulière, mais par l’accord de volontés de tous, d’une volonté souveraine parce que populaire, contractuelle au sens juridique du terme. Car le seul maître objectif en qui l’homme peut compter c’est le Droit. Le républicanisme, disait, à juste titre, Kant, est l’unique mode de gouvernement qui sied aux être libres, à un peuple libre, aux hommes intègres ajouterais-je. Il résulte de l’analyse historique des institutions politiques de l’Histoire que trois formes de souveraineté ont existé et cela suivant les incarnations humaines du pouvoir, à savoir soit un seule, c’est l’autocratie, soit un groupe (noblesses par exemple), c’est l’aristocratie, soit enfin le gouvernement de tous, la démocratie.

A ces formes de souveraineté, il faut adjoindre ce que Kant appelle le mode de gouvernement ou la forme de régime, à savoir le mode constitutionnel suivant lequel un peuple est gouverné. La forme de gouvernement se décline, essentiellement, sous deux modes, sans exceptions : elle est soit républicaine, soit despotique. Qu’on soit en Occident, en Asie, en Océanie… ou en Afrique, ne change rien. Cette distinction kantienne entre les formes et les modes de gouvernement est d’autant plus importante qu’elle nous permet de déterminer la meilleure constitution. Le républicanisme étant le seul mode de gouvernement qui soit à même de garantir, au mieux, la meilleure administration des hommes ; en ce sens que la constitution qui le sous-tend est clairement et rationnellement établie et bien définie, à l’avance ; donnant ainsi l’avantage d’imposer à tout souverain la conduite à suivre et à respecter quant à la façon de gouverner. Le républicanisme est ce système politique qui consacre le règne du droit et conforme la loi aux exigences de la justice universelle.

Admettez qu’on en est loin actuellement, au Burkina Faso du MPSR, même si, on ne sait pour quelles raisons les gardiens de la constitution de la IVe République ont décidé d’abdiquer de leur rôle sacré de garant du texte fondamentale pour se faire les obligés des putschistes actuels.

- Le coup d’Etat peut-il être salutaire pour le Burkina et l’Afrique ?

Qu’on ne se trompe pas sur mon intention. Je ne dis pas qu’un coup d’Etat ne peut pas être salutaire pour un pays. Un coup d’Etat contre un dictateur sanguinaire qui torture et massacre son peuple ne me semble aucunement une mauvaise chose. Mais l’exception ne peut devenir une règle générale en la matière. D’autant plus que les statistiques plaident pour que nous fassions preuve d’une prudence de Sioux. Car quelques coups d’état patriotiques et salutaires ne peuvent suffire à cacher la forêt des désastres causés par les coups d’Etat en Afrique. Même si parfois un coup d’Etat peut être salutaire, dans ses intentions à priori, il faut tout même savoir raison garder face à ces velléités putschistes sur le continent.

L’élémentaire précaution voudrait au moins qu’on attende de juger ces prétendus sauveurs des peuples à leurs actes. Dans tous les cas, si le coup d’Etat pouvait être à coup sûr bénéfique à un pays, l’Afrique serait, sans conteste, le continent le plus prospère de notre époque. Or, vous voyez bien qu’il n’en est rien. Bien au contraire ! Que la confiscation du pouvoir vienne de militaires ou de civils ne changent rien à l’affaire. La quasi-totalité des Etats de l’Afrique occidentale a connu au moins trois coups d’Etats depuis les indépendances, mais aucun n’a décollé vraiment, ni économiquement ni institutionnellement et politiquement.

S’agissant du cas spécifique du Burina, on compte 6 coups d’Etat effectifs, dont l’actuel, depuis l’Indépendance en 1960. En laissant de côté les tentatives de coups d’Etat. Tout observateur avisé de la chose putschiste peut se rendre compte qu’en termes de justifications, les précédents coups d’Etat étaient à peu près clairs, même si on ne les cautionne pas pour autant.

Le 4 janvier 1966, Sangoulé Lamizana a été appelé, à la suite d’une insurrection syndicale et populaire, à endosser le rôle de chef d’Etat parce qu’il était le militaire le plus ancien dans le grade le plus élevé. C’était net et clair. Le coup d’Etat contre le même Lamizana, par le CMPRN (Comité militaire de redressement pour le progrès national) du Colonel Saye Zerbo, du 25 novembre 1980, énonçait également clairement ses objectifs suivant son sigle.

Quant au Conseil du Salut du Peuple (CSP) qui porta, par défaut, le Commandant Jean-Baptiste Ouédraogo au pouvoir au détriment de Saye Zerbo, en novembre 1982, son objectif programmatique est on ne peut plus clair : rien de moins que le salut du peuple.

Le CNR du Capitaine Thomas Sankara, lui, ambitionnait de transformer la Haute-Volta par l’action révolutionnaire. Pour le CNR et son président, il s’agissait de rompre avec tout ce qui a précédé en termes de gouvernement et de pratiques politiques. Ce qui s’est traduit par les changements de drapeau, d’hymne et de devise, mais aussi le changement pur et simple du nom du pays en 1984.

Enfin, le 15 octobre 1987, même si le Front Populaire du Capitaine Blaise Compaoré a connu des flottements et des hésitations, eu égard au caractère tragique et sanguinaire de son avènement, dès que Blaise Compaoré a vu que la voie du pouvoir lui était largement ouverte, et dès qu’il est sorti de son sommeil léthargique, les putschistes ont vite annoncé la couleur et leur objectif : à savoir dans un élan pseudo populaire, rectifier la Révolution que le Capitaine Thomas Sankara aurait, selon eux, déviée de sa trajectoire.

Ils le traitèrent de renégat pour salir son nom, invitant le peuple à le vomir et à les suivre. L’expérience a montré que pendant presque trente ans de pouvoir, sans partage, M. Compaoré n’a, non seulement, pas rectifié la Révolution, mais l’a trahie largement, pour finir de l’enterrer purement et simplement. Subséquemment, la preuve a été faite également que non seulement le peuple burkinabè et la jeunesse africaine n’ont pas vomi Sankara mais l’ont porté plus que jamais dans leur cœur.

Venons-en maintenant au MPSR ! J’ai eu du mal comme beaucoup, dans les premières heures de ce coup d’Etat, à en appréhender les objectifs et les causes annonciatrices. Cela n’apparaît ni dans le sigle ni dans la proclamation initiale à la télévision. Jusque-là, les coups d’Etat nous ont habitués à des conseils (3 fois au moins) et à un front. Le putsch du 24 janvier dernier a accouché d’un mouvement dont on ne sait pas vraiment s’il est militaire, politique ou militant. Bien que la deuxième lettre du sigle soit patriotique et nous parle mieux, peuple plusieurs fois révolutionnaire que nous sommes, on n’y aperçoit pas la vision transformatrice comme lors de l’avènement du CNR. Mieux, c’est juste un mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration.

D’emblée la question qui vient à l’esprit c’est que veut-on restaurer et que veut-on sauvegarder ? Fort heureusement, 96 longues heures après l’avènement du MPSR, son président, le LCL Damiba, nous a donné un début de réponse : il s’agirait de « la restauration de l’intégrité de notre Burkina Faso » et « la sauvegarde des acquis de notre peuple chèrement acquis ». Quels acquis spécifiquement a-t-on envie de demander ? Acquis engrangés à quelles périodes de notre histoire ? Ceux de la Révolution ? Ceux sous le Front populaire, de l’ODT/MT et du CDP de Blaise Compaoré ? Ceux plus anciens remontant aux Indépendances ? Bref, je suis au regret de dire, qu’en mon esprit, un flou demeure quant aux raisons et aux objectifs politiques de ce coup d’Etat. Ces deux objectifs suffisent-il pour justifier qu’on confisque le pouvoir du Président Kaboré, élu et réélu lors d’élections non contestées ?

La sauvegarde de l’intégrité territoriale, grignotée par les « djihadistes » ne suffit pas non plus pour justifier la confiscation d’un pouvoir à un président qui venait d’être réélu par la majorité des électeurs. Je mets d’ailleurs entre guillemets le mot « djihadiste », juste pour m’étonner, au passage, que la plupart des attentats, des massacres, des tueries, des destructions de villages, de biens, quotidiennement perpétrés, depuis presqu’une décennie, soient peu ou prou revendiqués par leurs auteurs. En général, les djihadistes signent leurs crimes et horreurs. C’est la preuve habituelle de leur cruauté et de leur indignité, d’ailleurs. Peut-être que d’autres commanditaires, tapis dans l’ombre, avaient partie liée à ces barbares pour faire pourrir la situation, avec pour dessein de revenir au pouvoir. Il n’y a pas de preuves, mais on ne peut s’empêcher de se poser la question.

Le flou de ses débuts du MPSR se renforce dans mon esprit encore lorsque, à travers un Google Form, le comité créé par le MPSR invite M. et Mme Toulemonde à lui fournir des idées pour gouverner, en quelque sorte. C’en est même embarrassant. Il transpire même de ces premiers pas et mesures une évidente impréparation. C’est comme si c’était juste une grande mutinerie qui a mal tourné. A moins que ce théâtre visible ne soit l’apanage d’un ou plusieurs marionnettistes qui se montreront au lever des rideaux. Même si ce sera l’avenir qui nous dira cela, nous donnera raison ou tort. Même si le LCL Damiba nous a rassuré lors de sa première adresse à la Nations : « notre engagement n’a aucunement pour but de rétablir un ordre quelconque », a-t-il dit.

Dans le cas contraire, je ne doute pas que la jeunesse et le peuple burkinabè veuillent à la fois sauvegarder leur dignité et leur liberté chèrement acquises. Car pour les individus comme pour les peuples, la soumission est d’abord une construction mentale où l’on s’accepte en prisonnier ou se résigne d’abord à l’idée carcérale, avant que la soumission et l’enferment physique ne nous accaparent. Mais il y a une différence dans l’architecture de ces structures mentales carcérales suivant le parcours et l’histoire que ces individus ou peuples ont avec la liberté.

Chez les peuples, comme le nôtre, qui ont goûté un tant soit peu à la liberté, ces différentes structures mentales emprisonnantes comportent, en filigrane, des ouvertures possibles, des trappes souterraines, des fenêtres et des portes qu’il suffit d’actionner en cas de besoin. Alors que chez les peuples qui ont, trop longtemps ou toujours, vécu dans la soumission et l’infantilisation, ces ouvertures, en filigrane, sont encore imperceptibles. Les premiers peuples sont prompts à utiliser les clés historiques et politiques que sont la rébellion, la révolte et la révolution pour s’émanciper à nouveau ; les seconds tendent à s’adapter aux jougs de leurs dominateurs en attendant une éventuelle rédemption venant de l’extérieur, laissant se perpétuer pour ainsi dire la domination. Comme dit l’adage : « tant que le crapaud n’est pas encore tombé dans de l’eau chaude, il ne sait pas qu’il y a deux sortes d’eau ».

En d’autres termes, les peules qui n’ont pas encore fait l’expérience de la liberté face à leurs despotes ne savent pas encore qu’on peut vivre libre. Ils peuvent toutefois l’apprendre ! Le peuple burkinabè, lui, a déjà fait cette expérience, à maintes reprises, dans son histoire. C’est un des acquis qu’il faut bien évidemment préserver et, j’ose le dire, un régime d’exception conduit par un groupe armé, soit-il notre armée, qui impose son diktat unilatéralement, est en soi une remise en cause et une menace pour cette liberté inaliénable de notre peuple.

- En guise de proposition et de participation à la réflexion pour l’avenir et la transition à venir

Si le patriotisme brandi par le LCL Damiba et le MPSR visait clairement à renouer avec le passé précolonial, les valeurs anciennes de l’Afrique et du Burkina, où toute vie était sacrée, où on ne peut tuer des êtres humains, les enterrer à la sauvette ou les boucaner purement et simplement, comme ce fût le cas, pendant trente ans, sous Blaise Compaoré et ses acolytes, tout Burkinabè applaudirait. Si la restauration signifiait faire appel aux valeurs africaines et du burkindlum de la concertation, que symbolise à souhait l’arbre à palabres, qui ont permis à des sociétés multi-ethniques de cohabiter et de commercer dans l’espace géographique qu’occupe aujourd’hui le Burkina, et qu’occupaient les royautés anciennes, alors oui à la restauration.

Si restaurer veut dire oser rompre avec la facilité avec laquelle nos élites ont adopté, dans les années 60, les langues et les us du colon, dans l’illusion de construire des nations africaines libres et fières de leur histoire et cultures, je dirais mille fois oui. Si restaurer, pouvait vouloir dire, reprendre l’effort fait sous la Révolution de faire émerger des langues nationales et d’enseignement de base, tel le moré, le bamana et le fulfuldé, avec pour dessein à terme d’africaniser nos administrations et notre école et notre histoire, alors oui à la restauration. Car comme, l’avait si bien dit, Audré Lorde, la poétesse et féministe africaine-américaine, « on ne détruit pas la maison du maître avec les outils du maître ». C’est ce que nous avons malheureusement essayé de faire depuis les Indépendances : édifier notre émancipation avec les instruments de la domination. Et je ne parle pas de la démocratie, qui est un bien commun à tous les êtres libres, mais des langues coloniales, comme langues de l’enseignement et de l’administration.

Si l’objet de la sauvegarde était l’élan patriotique issu de la Révolution démocratique et populaire du 4 août 1983, qui a su mobiliser les populations, toutes les générations de notre peuple en vue d’inventer un meilleur avenir possible pour les générations présentes et la postérité, élan qui a conduit à la naissance du Burkina Faso, tout un symbole de la renaissance, en lieu et place de la Haute-Volta, qu’il faut reconnaître n’avait aucun sens pour ses habitants, mille fois oui à la sauvegarde. Car, si aujourd’hui, on est là tergiverser sur quelle voie prendre pour notre peuple, on oublie qu’à la veille de la Révolution du 4 août 1983, un rapport de l’agronome français, René Dumont, qui a sillonné le sahel voltaïque pendant plusieurs mois, était arrivé à cette conclusion on ne peut plus radicale : « La Haute-Volta n’est pas un pays en voie de développement, mais Etat en voie de disparition ».

L’on comprend après coup que l’une des premières décisions du président du CNR ce fut d’expulser cet oiseau de mauvais augure du territoire national fraîchement libéré. Et on peut reconnaître, comme l’acquis principal de la Révolution, le fait que le Burkinabè, qui a pris la place du Voltaïque, ait recommencé à croire en lui et à accroitre son estime de soi ; que ce nouveau peuple ait retrouvé confiance en lui et s’est attelé à façonner son avenir. Alors même qu’entre les années 70 et 80, le Voltaïque était résigné à son sort et beaucoup avaient honte de se dire Voltaïques.

A contrario, après la Révolution, à l’étranger notamment, il n’était pas rare que des Africains d’autres pays, Ivoiriens, Nigériens, Togolais ou Congolais se revendiquent du Burkina et de Sankara. C’est ce peuple ragaillardi qui a pleuré son leader charismatique, en 1987, mais a continué à lutter, vaille que vaille, pour que justice lui soit rendue, qui a lutté farouchement contre l’assassinat de Norbert Zongo, provoquant, un moment, la fuite de Blaise Compaoré de la capitale pour se réfugier dans son village natal à Ziniaré. C’est ce peuple réhabilité qui a fini, à force de ténacité, par le chasser du pouvoir, en 2014, quand ce dernier a souhaité modifier l’article 37 de la constitution pour rester éternellement au pouvoir.

Les trente ans d’embrigadement de ce pouvoir, pourtant l’un des plus féroces qu’a connu le Burkina, voire même l’Afrique, n’avait pas entamé son potentiel de lutte et d’action révolutionnaire. Potentiel qui lui a permis également de déjouer le coup d’Etat des généraux félons en 2015. Oui, cela seul peut justifier la volonté de sauvegarde. Ce Burkina combattant a aussi réussi à instaurer, suite à l’insurrection et après une transition honorable et d’initiative endogène, une vie démocratique enviable par maints peuples du monde et d’Afrique, pendant 8 ans ; cela aussi est un élan et un acquis à préserver précieusement. Car bien qu’imparfaite, la démocratie est préférable à l’arbitraire, à la privation de la liberté.

Du reste, si j’avais été le LCL Damiba, et que mon but essentiel était, comme la proclamation du MPSR l’indique, de servir la Nation Burkinabè en reconquérant l’intégrité de son territoire, tout d’abord, et de sauvegarder les acquis engrangés de hautes luttes ces dernières décennies, mais aussi avec un souci de légalité et de respect des textes juridiques, à commencer par la loi fondamentale, il m’eut suffi de consacrer le dauphin constitutionnel à la présidence du Faso (respect de la forme), et de me faire nommer à la primature (le fond et la réalité du pouvoir, même d’exception) pour transformer le pays, mobiliser la population pour libérer les parties du territoire sous occupation. C’est du reste l’attelage qui a plus ou moins fonctionné lors de la transition post insurrection, en 2014, entre le Président de la Transition, M. Kafando et le premier ministre militaire, M. Zida.

Je me permets de m’inscrire en faux, ici, contre la comparaison faite avec un brin d’amertume à la fois et de mauvaise foi, par Damiss, dans une publication récente sur Lefaso.net. L’avènement du MPSR découle d’un coup d’Etat classique alors que l‘insurrection populaire contre Blaise Compaoré, en 2014, est une éruption révolutionnaire du peuple, à mains nues contre un pouvoir surarmée et cruelle. Dit autrement, le premier est une prise du pouvoir d’Etat par la force des armes contre un régime civil, alors que la seconde est authentiquement un événement inaugural d’un ordre nouveau ; d’où la pertinence de cette déclaration qu’on a souvent entendue pendant et après l’insurrection : « rien ne sera plus comme avant ». La preuve, la constitution de la IIIe république n’a pas été suspendue ou sauvegardée mais remplacée par une nouvelle. Et pour cause.

PS : J’ai remarqué, qu’il y a quelque chose d’essentiel qui a échappé à la plupart des observateurs de la chose politique burkinabè lors du discours à la nation de LCL Damiba. C’est la fin de sa déclaration. Après l’habituel « Dieu bénisse le Burkina Faso », on a eu droit, non pas à « Unité, Progrès, Justice », mais à un « La patrie ou la mort, nous vaincrons ». J’en tire la conclusion que l’objet et le sujet de la sauvegarde ce sont les acquis de la Révolution. Dans l’intention, tout au moins, cela me semble encourageant. Même si aux dernières nouvelles on apprend que « le MPSR ne s’inscrit pas dans une logique révolutionnaire » mais de revenir « aux fondamentaux » dont on ignore à peu près tout, pour le moment.

David Sawadogo

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