Actualités :: Burkina : « Au-delà des mini réacteurs nucléaires modulaires, nous devons avoir (...)

Lorsque Dr Lassina Zerbo, alors Premier ministre, a proposé dans sa déclaration de politique générale que le Burkina explore la piste des mini réacteurs nucléaires modulaires comme solution au déficit énergétique, les réactions ont été variées. Pedant que certains alertaient sur les dangers à utiliser une telle technologie au Burkina, d’autres pointaient un manque de réalisme. Pour Dr Abdoul Karim Ganamé, spécialiste de l’inovation et de la haute technologie, le Burkina, tout comme les autres pays africains, devrait sérieusement étudier la question pour ne pas se laisser distancer à tous les coups par d’autres pays.

Quand dans sa déclaration de politique générale, Dr Lassina Zerbo a proposé d’explorer la piste des Mini Réacteurs Nucléaires Modulaires (SMR) dans sa recherche de solutions au problème de l’électricité au Burkina, des voix se sont élevées pour remettre en cause le manque de réalisme ou condamner l’utilisation de telles technologiques au Burkina. Certains ont insisté sur le côté vieillot du nucléaire, sa dangerosité, son coût, sa maitrise qui est difficile voire délicate, etc.
N’étant pas spécialiste du domaine du nucléaire, je donnerai mon avis sur cette proposition d’un point de vue purement « Technologie et Innovation », qui est mon expertise.

Contexte

L’énergie est le moteur du développement économique et social d’une population africaine qui, selon les Nations Unies, atteindra 2,4 milliards de personnes d’ici 2050, soit plus du double de la population actuelle. L’énergie favorise le développement individuel par l’amélioration des conditions d’éducation et de santé et permet le développement de l’activité économique par l’industrialisation et la modernisation des communications. Elle contribue également à l’amélioration de l’environnement économique en permettant une intervention publique plus efficace et un meilleur respect de l’environnement. Cependant, malgré un énorme potentiel en énergies fossiles et renouvelables, l’Afrique présente d’importants déficits énergétiques. Les ressources du continent sont sous-exploitées, ou exportées sous forme brute, ou gaspillées dans l’extraction ou le transport. De ce fait, l’approvisionnement disponible pour les populations est largement insuffisant et la consommation d’énergie repose essentiellement sur la biomasse.

Le besoin de trouver une solution définitive au problème de l’électricité
Le problème de l’électricité est connu depuis des dizaines d’années et les solutions mises en place tant au Burkina que dans les autres pays sub-sahariens n’ont jusque-là n’ont pas permis de régler le problème. Les vieilles centrales électriques sont peu efficaces et peu fiables, l’énergie solaire a encore besoin d’être plus performant pour être considéré comme une alternative viable, l’hydraulique n’est pas envisageable dans certains pays, etc.

Nous sommes donc à la croisée des chemins sur le plan de l’électricité et avons donc 2 choix : 1) continuer à faire ce que nous faisons depuis des dizaines d’années avec peu de résultat : installer/maintenir des centrales électriques peu performantes, croiser les doigts pour espérer que ces vieilles centrales électriques tiennent le coup, etc.) ou 2) prendre le problème à bras le corps, se retrousser les manches et chercher de vraies solutions de rupture.

Les pays Africains sont rendus à un niveau ou il faut trouver une solution au problème de l’électricité et aucune option ne doit être exclue. Toute solution prometteuse qui peut permettre de régler le problème doit être explorée.

Les SMR comme une alternative

L’énergie nucléaire était auparavant une option sophistiquée réservée au monde industrialisé. Mais, elle pourrait être une source d’énergie pour la plupart des pays africains. Un tiers des presque 30 pays du monde qui envisagent de passer au nucléaire sont ceux l’Afrique. L’Égypte, le Ghana, le Kenya, le Maroc, le Niger, le Nigéria et le Soudan se sont déjà engagés avec l’AIEA pour évaluer leur degré de compatibilité avec un programme nucléaire. L’Algérie, la Tunisie, l’Ouganda, la Zambie réfléchissent également à cette option. Le Rwanda vient de franchir le pas.

Avec l’avènement des nouvelles technologies, les petits réacteurs nucléaires modulaires pourraient changer la donne. Les Small Modular Reactors (SMR), ou réacteurs nucléaires modulaires, sont des centrales nucléaires de petite taille (entre 25 et 500 MW) fabriquées sous forme de modules, et en constante évolution. Cette technologie nucléaire permet une fabrication industrielle en série, moins coûteuse et moins chronophage que celle des centrales traditionnelles, et dont le dispositif est ensuite installé directement sur site. Plus facile à implémenter, cette solution pourrait remplacer les centrales électriques au fioul ou à charbon en réutilisant les infrastructures réseaux existantes.

Ne pas confondre la perception et la réalité

A première vue, les réticences évoquées sur les SMR se justifient au regard du passé du nucléaire. Ceci pourrait sembler même évident. Mais en matière de Technologie et Innovation il faut séparer la perception de la réalité. Seules les données réelles mesurables comptent : performance, efficacité, sécurité, etc. De plus, le nucléaire des années 1950 n’est surement pas celui de 2022 car le domaine a beaucoup évolué et l’Humanité a appris des erreurs du passé dans ce domaine. Les SMR sont en pleine croissance et c’est d’ailleurs du domaine d’avenir.

L’on retrouve aussi cette fausse perception dans le domaine du satellite. Les tout premiers satellites ont plus de 60 ans, tandis que les nanosatellites, plus petits et modulaires sont récents. Le secteur continue d’ailleurs d’évoluer constamment. Mais l’on continue d’entendre que les satellites coutent chers et ne sont pas à la portée des pays Africains, ce qui est faux. Le Burkina peut aujourd’hui lancer un satellite tandis qu’il y’a 10 ou 20 ans, cela aurait été impensable.

Les SMR sont un domaine en forte effervescence

Une course effrénée a lieu actuellement autour des SMR et les pays tels que le Canada, la France, la Russie, l’Argentine, les USA, la Chine, l’Angleterre prennent du leadership dans ce domaine. Il n’y aura pas de place de second, ceux qui seront les premiers auront un avantage compétitif qu’ils garderont sur les autres pendant longtemps. La règlementation, la certification sont au cœur de cette dynamique et l’on devrait donc s’attendre a des technologies SMR plus surs que les centrales nucléaires classiques.

A titre d’exemple, la première centrale SMR de la Chine a été déployée en 2021. C’est dire que les SMR sont encore récents.

La clé en matière d’Innovation : toujours faire partie du peloton de tête

Les promesses des SMR font rêver. Maintenant il faut apprivoiser le concept, tester les SMR et se faire sa propre opinion, afin de les adopter ou non. On pourrait être tenté d’attendre que d’autres les testent, les adoptent avant que nous les fassions. C’est ce que les pays sub-sahariens font depuis leurs indépendances. Ça peut sembler logique et brillant. Mais c’est une très mauvaise idée et cela explique en partie pourquoi nous sommes en retard sur plusieurs pays. Cet attentisme nous a fait rater la révolution industrielle, la révolution numérique et nous sommes sur le point de rater la révolution de l’Intelligence Artificielle et de la 5G.

En matière d’Innovation, il faut toujours faire partie du peloton de tête, car cela permet d’acquérir plus rapidement une expertise et devenir un acteur majeur du domaine. On peut ne pas fabriquer une technologie, mais devenir un acteur majeur parce qu’on l’a maitrisé très vite que les autres. C’est ce type de leadership que fait preuve le Rwanda depuis des années, avec les résultats que nous connaissons.
C’est dans cette même lancée que le Rwanda a mis en place le Rwanda Atomic Energy Board et veut faire l’étude de faisabilité des SMR avec l’appui de notre compatriote le Dr Lassina Zerbo. Son objectif est clair : devenir une puissance dans le domaine de l’énergie atomique.

C’est un tel leadership actif qu’on attend du Burkina et de tout pays Africain qui ne se contente pas de vouloir être émergent dans 20 ou 30 ans, mais veut vraiment se développer.

Que gagne le Burkina à entrer très tôt dans le domaine des SMR

Prendre rapidement une place dans le domaine des SMR va donner au Burkina un avantage compétitif en Afrique. Cela pourrait permettre de régler une fois pour toutes notre problème d’électricité au regard des fortes promesses du SMR. Le Burkina peut même devenir un fournisseur d’électricité aux autres pays de la région. Mais pour cela, il nous faut faire partie des premiers à maitriser cette technologie.
Le Rwanda ayant pris le leadership dans ce domaine sur le continent Africain avec l’appui de notre compatriote le Dr Lassina Zerbo, l’on pourrait envisager un modèle de co-leadership avec ce pays, ce qui pourrait non seulement réduire les couts des études de faisabilité, mais permettre d’accélérer la maitrise de cette technologie. Le timing semble bon et pour une fois, nous aurions pris du leadership dans un secteur technologique d’avenir.

Vers un état d’esprit orienté vers la Science, Technologie et l’Innovation
Devenir un acteur majeur en Science, Technologie et Innovation requiert un changement de mentalité (mindset) et de la vision. Les pays Africains devraient arrêter de construire ou considérer comme Innovations nationales des solutions qui existent ailleurs depuis 20 ou 30 ans sinon plus. Nous devons nous mesurer aux autres et prendre un avantage dans des secteurs clés pour l’Afrique et le Burkina en particulier, notamment la sécurité, l’agriculture, l’éducation et la santé. Pour cela, il faut de la vision et croire en nous. Si les autres sont capables de le faire, nous le pouvons aussi.

Pour rappel, nous (Africains) sommes encore les seuls au monde à creuser des puits à la pioche ou à cultiver avec une daba en espérant atteindre l’auto-suffisance alimentaire, malgré la croissance de la population. Cela n’a pas marché dans les années 1980 ou 2000, et cela ne marchera pas en 2020 ou 2030. Nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas innover.

Nous devons envisager des solutions de rupture en nous appuyant sur la science, la technologie et l’innovation qui constituent l’avenir de l’Afrique. C’est ce qui va permettre au continent de faire des bonds de géants et se développer plus rapidement. Les Mini Réacteurs Nucléaires Modulaires participent à cette dynamique.

Je salue donc la vision du Dr Lassina Zerbo de proposer l’exploration des SMR car il est rare d’entendre au Burkina des propositions de solution de rupture.
Les pays de l’Afrique de l’Ouest et le Burkina en particulier devraient s’inspirer du Rwanda en termes d’Innovation et de leadership technologique. Sinon dans quelques années nous aurons l’impression de n’être pas sur le même continent.

La période d’insécurité et d’instabilité que traverse le Burkina ne doit pas nous empêcher de parler de prospective et de Vision. Nous traversons une période difficile où il faut régler très vite les problèmes sécuritaires, revenir à un ordre constitutionnel mais aussi penser dès maintenant l’avenir, le long terme et en s’appuyant sur la Technologie et l’innovation pour accélérer la transformation de notre pays.

Dr Karim Ganame

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