Actualités :: Le ministre et l’évêque : La chose publique et la chose de Dieu au Burkina (...)

Deux ministères publics et religieux sont à la croisée des chemins et s’affrontent sur le terrain éthique au pays des hommes et des femmes intègres. Au-delà de la considération déplacée des propos, des opinions personnelles et les réactions qu’elles ont déclenchées, la question essentielle prédit l’ampleur d’une guerre sourde entre les traditions et la modernité, entre le politique et le religieux, entre la République et le Royaume de Dieu. Quels diagnostics explorer dans une cité burkinabè qui se veut celle des Hommes et celle de Dieu ?

Acte 1 : le Burkina Faso est un « Pays de croyants » : ce que cela implique.

Faut-il le rappeler, sans recourir à un leitmotiv, que les Burkinabè sont des croyants. Ce qui suppose qu’ils vivent au quotidien une existence résolument tournée vers des croyances religieuses diverses et variées. Au Burkina, religions traditionnelles africaines et religions dites « révélées » se côtoient souvent en bonne intelligence ; elles partagent également des « valeurs innées » qui vont du respect de la vie à l’adoration de Dieu seul, en passant par les commandements religieux qui encadrent leurs conceptions philosophiques et éthiques.

C’est un héritage commun des « Ancêtres » et des deux principales religions abrahamiques (christianisme et Islam).
Le Burkina Faso, c’est l’Afrique dans ses questions existentielles où la divinité (Dieu) tient une place non seulement importante, mais primordiale dans l’esprit des populations. Les questions sociétales sont régies par des normes traditionnelles que partage la majorité du peuple aussi bien dans les zones urbaines que dans les milieux ruraux. C’est pourquoi une spiritualité « défensive » et assumée se déploie dans les structures religieuses en phase avec leurs messages et, surtout, quand leurs présences garantissent le sens que les populations entendent donner à leur vie. C’est un fait.

Acte 2 : la naissance de l’ex-république de Haute-Volta aujourd’hui Burkina Faso a-t- elle inauguré l’occidentalisation de ce territoire ?

L’histoire de ce territoire ouest-africain a croisé celle des colons occidentaux au début des années 1900. Ainsi fut née la république de Haute-Volta en 1958 ; elle s’engagea désormais sur la reconnaissance officielle de son existence en signant des traités internationaux. La diplomatie sous-entend que les États-Nations s’engagent sur la scène mondiale par divers accords bilatéraux : politiques, financières, économiques, culturels et … sanitaires.

Depuis lors, des concepts nouveaux et venus de loin, ont aussi eu pignon sur rue dans le pays, inondant les villes et les campagnes du modernisme naissant, dans une contrée jadis administrée par des communautés organisées autour des autorités locales… et religieuses.

Ces traités politico-institutionnels signés au nom d’un peuple, selon des experts, ont parfois assujetti les pays africains dont le Burkina Faso, à ce qu’ils ont qualifié de « diktat » de l’Occident sur l’Afrique et partant du système des Nations-Unies sur la souveraineté des peuples africains . Parmi ces dénonciations figure l’épineuse question de la « Santé de la reproduction », une expression longtemps décriée tant dans sa terminologie que dans sa conception de la vie humaine du point de vue de la sexualité. Des questions ont jalonné cette incursion dans les cultures africaines : de quels droits un « système », quel qu’il soit, peut interférer dans l’organisation et dans les mœurs d’un pays, fût-il pauvre ? Cette problématique ne semble pas avoir eu de réponses satisfaisantes.

Acte 3 : la problématique de la « Santé de la reproduction » versus le concept de la « procréation ». Des terminologies conflictuelles.

Le système des Nations-Unies et sa conception en la matière évoquent officiellement la « santé reproductive » en ces termes : « Une bonne santé sexuelle et reproductive est un état de bien-être total sur le plan physique, mental et social, relativement à tous les aspects du système reproductif. Dans cet état, les personnes sont en mesure de profiter d’une vie sexuelle satisfaisante et sûre et ont la capacité de se reproduire et de décider si elles désirent le faire, quand et comment. ».

Cette vision est-elle le point de départ d’un litige infini quand un « système religieux » pense autrement et soutien qu’une population a besoin d’être davantage « éclairée » sur ses choix pour l’avenir ? « Les hommes de notre temps sont de plus en plus persuadés que la dignité et la vocation humaines demandent qu’à la lumière de leur intelligence ils découvrent les valeurs inscrites en leur nature, qu’ils les développent sans cesse et les réalisent dans leur vie en vue d’un progrès toujours plus grand. ».

Si la terminologie révèle un état d’esprit, pour les religieux, parler de « reproduction » (les humains se multiplient) semble bien différent de « procréation » (l’homme continue l’œuvre de la création) avec tout ce que cela implique comme lieux de discussions philosophiques et théologiques. L’esprit est-il dans la lettre ?

Acte 4 : les propos du ministre : la goutte d’eau et le lever du bouclier ecclésiastique.

Selon les propos médiatisés du ministre et le courrier de l’épiscopat, il n’y a pas lieu ici d’en faire une nomenclature , sinon que des questions, là encore, surgissent. Au nom de qui s’exprime le ministre (en rappel, est une autorité gouvernementale) : du Faso ? de son Ministère, du Fonds des Nations unies pour la population ? des Burkinabè ?

Qui parle quand l’Église catholique romaine s’exprime en Afrique ? Le Vatican, l’ensemble des chrétiens ? Les questions sont complexes et méritent des réflexions où chaque partie comprend l’autre dans sa vision de l’homme et du monde . De simples déclarations d’intention ne sauront gérer une crise latente et sujette à des rebondissements perpétuels. Les Burkinabè en sauront gré à l’État et aux religieux pour comprendre profondément les enjeux réels de cette sortie médiatique.

L’Église catholique romaine au Burkina Faso a rappelé qu’elle était dans son droit en alléguant son rôle culturel et social indéniable. Le ministre, et ce qui conviendrait d’appeler le gouvernement (l’homme parle au nom d’une entité qui lui a procuré ce mandat), soutient également l’application des programmes à une population qui l’a élu. Toutes les deux parties sont dans leur droit dans un constat des paradoxes où les prérogatives et les « Souverainetés » revendiquées induisent des intentions tacites qui demandent, tout autant, une clarification.

Acte 5 : les défis annoncés d’une polémique : les « Fils de la République » contre les « Enfants de Dieu ».

La république est souvent comprise comme une notion-clef de la théorie politique moderne. Elle s’oppose à la « res privata ». Ces deux acceptions révèlent au moins une chose : de qui les filles et les fils du Faso sont-ils les administrés ? Faut-il comprendre que l’État assume son devoir régalien (justice, ordre public, affaires étrangères, défense…) et les religions assurent la santé spirituelle de leurs fidèles ? De quel système les Burkinabè sont-ils redevables ? Des repères sont essentiels et ne sauraient faire défaut face aux interrogations pertinentes.

Cette affaire vient rappeler que le Burkina Faso, ses chefs coutumiers et religieux, à l’instar des autres pays africains, devront épurer leurs positions et leurs décisions, surtout dans les tensions aussi palpables que celles qui touchent l’éducation et la « santé sexuelle » de leurs Enfants communs.

Épilogue

Les Burkinabè sont-ils les Fils de la république ou les Enfants de Dieu ?
Le ministre paie-t-il les frais d’un système républicain soumis aux influences internes et/ou extérieures ? Les évêques catholiques romains, réagissent-ils sur un sujet qu’ils connaissent déjà, parce que leurs intérêts sont menacés de sanctions (fiscalités, impôts) ? Qui est le bourreau et qui est la victime dans cet accrochage qui illustre d’autres rixes dans un futur proche ou lointain ? Ces débats réactivent deux sujets essentiels : le « Bien commun » et la « laïcité ».

Le bien commun est interprété selon chaque partie avec des visions opposées. Qu’est-ce que le bien commun ? Qui est le dépositaire d’un tel héritage (humain, culturel, social…) ? En d’autres termes, à qui appartiennent les Burkinabè s’il faut le dire de manière triviale ? La laïcité est également jaugée suivant différentes écoles et ne cesse de faire débat .

Enfin, l’illustre Saint-Augustin dans « Les deux cités » pourrait s’inviter dans cette discussion. L’auteur est toujours d’actualité, tant son œuvre absorbe plusieurs thématiques qui concernent l’Afrique et le Burkina modernes actuels. L’idée se résume simplement à une question : de quelle cité le Faso est le théâtre et qu’entendent les Burkinabè quand ils prétendent édifier un État-Nation ?

En clair, la « République » et le « Royaume » sont condamnés à vivre en bonne intelligence dans un pays où l’origine de cette bataille rangée remonte loin dans le passé. Au cœur d’une controverse qui touche la vie, la sexualité et d’autres sujets connexes, s’annonce un autre front sensible : celui des identités, des croyances et des appartenances.

L’équilibre d’un peuple, déjà affaibli par des crises successives sur sa sécurité territoriale et son développement, est fragile. Une réponse œcuméniquement élargie réglerait-elle une partie du problème ? En tout état de cause, il requiert que les « Enfants » d’un même pays restent unis dans la responsabilité et dans la clairvoyance de tout ce qui représente leurs défis communs.

P. Nérée Zabsonré
Prêtre-journaliste
Membre Union de la Presse Francophone (UPF)

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