Actualités :: La santé malade ou la fonction publique en crise ....?!

La crise de confiance entre le Ministre de la Santé et certains membres du personnel médical ne doit pas être traitée à la légère et être laissée aux seuls soins dudit ministère. Elle pose un problème majeur, un problème de société, celui du service public.

Quel service, quels objectifs, quelles méthodes, quels acteurs, quels enjeux, quels défis, quelles limites, quelle qualité ? Celui des obligations que les fonctionnaires ont de servir les institutions qui les emploient et payent leur salaire, celui de l’Etat qui recrute des compétences certifiées pour les mettre au service de la société dont les besoins doivent être identifiés, analysés, traités, anticipés et mis en perspective dans le cadre d’une politique plus préventive que curative à moyen terme.

A l’heure où s’aiguisent les longs couteaux pour croiser le fer entre concitoyens, il nous faut de toute urgence, procéder à une décélération du rythme de l’ire partisane, en sortant du régime des passions déchaînées par les récents développements intervenus du côté de Koudougou / Réo, par le bruit tonitruant que cela suscite ici et là, préparant inéluctablement une guerre fratricide des tranchées dont nous n’avons absolument pas besoin en ces temps incertains et insécures.

Permettez-moi de formuler quelques petites considérations personnelles autour desquelles il me semble important de faire converger les réflexions, les initiatives et les solutions liées à cette crise qui risque de connaître une flamblée dangereuse pour le bien-être des populations et pour la cohésion de la nation.

Question centrale :
Y-a-t-il, oui ou non, une programmation des heures/temps des présences du personnel de santé, dont les médecins, dans les hôpitaux publics comme il y a des programmations des temps de cours dans les universités publiques ? Chaque membre/composante du personnel médical est-il au courant de la programmation de leur contribution au fonctionnement optimal de l’institution ?

Essai de réponse :
Si oui, et surtout si la programmation est faite de manière intelligente, c’est-à-dire concertée entre tous les acteurs, alors on peut tirer les conséquences qui en découlent. S’il existe un dispositif de suivi-évaluation du calendrier des présences, on doit pouvoir être situé sur le respect par les uns et les autres de leurs devoirs et obligations de fonctionnaires. Et si des manquements sont constatés, enregistrés, alors un conseil de discipline interne ou externe à chaque structure devrait pouvoir traiter les causes et les conséquences des différents manquements avec les fautifs éventuels pour les entendre et trouver avec eux des solutions urgentes et durables.

C’est naturellement l’occasion d’entendre les acteurs se prononcer sur les conditions les meilleures, idéales, souhaitées pour bien remplir au mieux leurs obligations de service public. A cette condition, on se donne les moyens et le temps de définir de manière collaborative une approche systémique et diachronique de la santé au Burkina et d’implémenter une démarche participative pour l’atteinte des objectifs de l’Hôpital public.

Il appert ici que chacun de nous fonctionnaires, agents de l’Etat, payés par les impôts collectés par la puissance publique, a des devoirs vis-à-vis des institutions qui nous emploient et nous payent nos salaires. Nul ne peut être payé par l’Etat sans avoir en contrepartie des obligations professionnelles vis à vis du service public. Voilà une chose non négociable qui doit être entendue et faire l’objet d’un consensus éclairé pour des gens raisonnables.

Il n’est pas besoin de "demander" avec force supplications aux fonctionnaires de se "sacrifier" ou de se comporter en bons samaritains ou en Mère Teresa car l’Etat n’a pas besoin de martyrs, de saints, il a juste besoin de citoyens honnêtes, corrects et soucieux d’équité, il a besoin de justice dans ses rapports avec ses employés. Il suffit donc qu’ils remplissent strictement leurs obligations professionnelles avec promptitude, assiduité et correction consciencieuses...

Tout étant clair à propos des devoirs des agents de l’Etat, il s’impose de toute évidence une conséquence qui doit pouvoir être tirée logiquement : pour le reste, la société et l’Etat doivent comprendre que chacun de nous fonctionnaires (qu’on considère à tort ou à raison comme des privilégiés, des enfants gâtés de la République) a aussi des droits exigibles.

Je veux parler entre autres du droit à une vie "hors du travail, hors du lieu de travail", droit à une vie privée pendant laquelle il peut consacrer son temps de repos à lui-même, à ses soins (prendre soin de soi peut être l’occasion de restaurer et d’améliorer le service des autres et de la société, le souci de soi peut être le chemin du souci de la communauté), à sa famille, à ses loisirs, à son lopin de terre, à son jardin ou à sa formation continue qui aiguise son expertise professionnelle par exemple par la production et la diffusion de connaissances diverses dans le domaine de son choix afin de contribuer à l’éducation continue et au progrès de la société.

Oui, le savant ne doit pas se replier comme une fourmi sur les tâches ordinaires et mécaniques à accomplir dans la fourmilière, il peut devenir un intellectuel, un être capable de se soucier non seulement du présent, mais aussi et surtout de l’avenir de la société dans laquelle il vit, qu’il contribue à reproduire de manière créative pour que l’avenir soit toujours plus désirable que le passé et le présent.

Il appert ici que les employés de l’Etat ne sont pas et ne doivent pas être traités comme des esclaves ni de l’Etat ni de la société (l’esclavage est normalement terminé à l’exception notable de quelques survivances moyenâgeuses éparpillées ici et là dans le monde dont personne ne peut être fier), qu’ils ne sont pas et ne doivent pas être obligés de travailler 24 h sur 24, 7 jours sur 7 (ce ne sont pas des machines, des robots) et que donc l’Etat ne peut disposer d’eux entièrement à sa guise comme s’ils étaient ses biens, sa propriété (même les animaux que l’on contraint à travailler pour nous dans les champs où la force des muscles attend désespérément son remplacement par les machines ont droit à du repos pour refaire leurs forces).

A-t-on besoin de le rappeler que les hommes ne vivent pas seulement pour travailler, chacun de nous peut comprendre cette évidence éthique sans que ce ne soit considéré comme un appel à l’absentéisme, à la fainéantise, à la paresse, à l’oisiveté organisée.
Si et quand l’Etat souhaite pouvoir compter sur les fonctionnaires au-delà des limites du contrat professionnel qui les lie, il doit négocier et conclure sur la base du consentement des concernés, tout ce qui excède les obligations initialement convenues.

Tout ce qui se fait dans un Etat démocratique doit pouvoir se négocier, faire l’objet de concertations, d’entente entre gens raisonnables dans le cadre dynamique et réflexif du dialogue social ; c’est d’ailleurs ce qui distingue l’Etat démocratique d’une dictature où les gens sont des sujets corvéables à volonté et non des citoyens à part entière, capables de contribuer à tracer les grandes lignes du type de société dans laquelle ils veulent vivre et s’épanouir.

Naturellement l’Etat, face à certaines contraintes majeures de la demande sociale, et à défaut de compter sur l’esprit de sacrifice ou le bénévolat des citoyens, peut inciter par des primes occasionnelles tout travailleur qui le voudrait et le pourrait, à faire des extra, des heures supplémentaires dans son service.

Travailler plus pour gagner plus ! hum ! Il n’est pas sûr que ce leitmotiv chantée outrance n’engendre pas au finish des conséquences terribles et que l’incitation au "stakanovisme" ne soit pas finalement "contre-productive" tout aussi bien pour les individus que pour la communauté.

Chacun sait l’importance du repos, du sommeil, du loisir dans la qualité de vie .... on doit donc faire attention à ce que la boulimie financière à l’horizon des heures supplémentaires ne détruise pas finalement la qualité du service rendu à la société ... si des fonctionnaires sont exténués, pris dans l’engrenage d’une lassitude qui induit de la dépression, il n’est plus sûr qu’on puisse encore compter sur eux pour un service public de qualité.

L’Etat doit être d’ailleurs le premier à se soucier de la qualité du service offert dans les institutions publiques et c’est pour cela qu’il doit encourager la formation en quantité suffisante des compétences dont le service public a besoin pour son renouvellement générationnel afin qu’aucun fonctionnaire ne puisse se considérer comme indispensable au point de faire du chantage à la société (caprices des spécialistes ou experts), mais aussi pour qu’aucune famille n’aie un jour à poursuivre l’Etat en justice pour l’accuser d’exploitation éhontée ou de violation des droits élémentaires à une vie de qualité, si un fonctionnaire venait à mourir d’épuisement, de dépression sur les lieux de son travail ....

La France nous a montré ces dernières années des agents qui se suicidaient sur leur lieu de travail en raison de pressions terribles subies et d’une oppression aveuglante de la concurrence économique sur une société désormais insomniaque et obnubilée par le profit à outrance. Ne nous laissons pas séduire par le vertige du néant qui appelle tous les désespérés des sociétés occidentales.

Chacun doit le savoir, si le personnel médical va mal, la société ira encore moins bien qu’aujourd’hui ... Il y a des crises qui doivent être soignées au plus vite et avec une diligence médicale, au regard de leurs enjeux.

Prenons garde, soyons intelligents et humains, c’est possible ! Si, après le personnel médical, les enseignants eux aussi vont mal, ce sera encore pire et si par impossible le politique n’a pas la lucidité, la clairvoyance, le sens de la perspective et une approche humaniste de la gouvernance, alors le naufrage de nos sociétés déjà prises dans la spirale vertigineuse d’une vulnérabilité sans nom du fait de l’insécurité et de la covid 19 anxiogène, deviendra inéluctable, imparable, fatale.

Les humains ne travaillent pas pour « se tuer » à la tâche, pour mourir à la manière dont certains insectes se sacrifient pour leur reine et la reproduction de leur espèce. Non, les humains travaillent pour vivre, bien vivre, mieux vivre, devenir des êtres dignes, libres, capables de s’offrir du loisir, du silence, de la paix, du bonheur dans un environnement qu’ils ont contribué à embellir, à rendre agréable à vivre. En ce sens le travail ne saurait devenir meurtrier, le tueur silencieux dont parlent les médecins qui nous soignent malgré tout ce qu’on dit et sait des conditions difficiles des hôpitaux et même des conditions précaires de nos sociétés en développement....

Pour finir (mais peut-on finir sur un sujet social de cette ampleur ?), qu’il me soit permis de saluer quelques figures des vertus dont nous sommes capables i) les mots d’apaisement que l’on devrait prononcer et/ou entendre en grand nombre dans une société civilisée,
ii) les acteurs consciencieux qui pour la plupart sont de bonne volonté et ne demandent qu’à servir la promotion d’une santé durable des populations et la recherche infatigable d’un terrain de dialogue et d’entente et finalement
iii) la conscience élevée de nos responsabilités personnelles et communautaires face à des enjeux qui cristallisent notre désir commun d’oeuvrer à une société où le service impérieux de la communauté puisse reposer solidement sur le respect scrupuleux de la dignité de chaque personne.

Burkinabé, encore un effort !
Pour une philosophie de la santé, en avant !

Professeur Jacques NANEMA
Professeur titulaire de Philosophie
UJKZ / Burkina Faso

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