Actualités :: Sayouba Traoré aux présidents du Faso et de l’Assemblée nationale : « Il faut (...)

Je vous demande très respectueusement de bien vouloir accepter de lire ces quelques mots. C’est uniquement en ma qualité de citoyen burkinabè que je me permets de m’adresser à vous ce matin. D’ores et déjà, je sollicite votre compréhension. Je ne suis spécialiste en rien du tout. Toutefois, cela fait plus de 30 ans que j’arpente les villages et hameaux de nos pays. J’ai regardé exécuter les différentes phase du PNGT.

Dès le départ, je savais ce PNGT insuffisant à atteindre les objectifs. La preuve, la dégradation de l’environnement et des ressources naturelles s’est poursuivie. En certains endroits, cette dégradation s’est même accélérée. Comment je peux parler avec une telle assurance ? C’est parce que je fréquente les techniciens d’agriculture et les techniciens d’élevage, les différents producteurs, les ONG et les associations depuis de longues années.

Monsieur le Président du Faso,
Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale

Les manifestations de notre calvaire actuel ont commencé depuis les années 1970. Depuis cette date, la région du Sahel a souffert d’une sécheresse sévère et persistante. C’est-à-dire que ce n’est pas une année difficile en passant, et puis on va réparer les dégâts l’année suivante. Non ! C’est une accumulation d’années difficiles. Et une année difficile vient aggraver les effets néfastes de la précédente.

A ce niveau, le terme insécurité alimentaire est insuffisant pour décrire la situation. C’est bien simple, plus personne n’a de quoi manger et de quoi donner au bétail. Résultat : on s’en va. Quand la savane réputée plus accueillante est touchée par la sécheresse, il est inutile de s’attarder sur une région encore plus désolée comme le sahel. Les populations quittent donc ces zones arides vers les régions plus humides, au sud, et les grandes villes.

Monsieur le Président du Faso,
Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale

Le cadre de vie s’est rétréci, obligeant tout ce monde à vivre sur un périmètre étroit. Agriculteurs comme éleveurs, tous ensemble. Il est légitime que les agriculteurs se sentent envahis chez eux. Tout comme il est légitime que les éleveurs recherchent des moyens d’existence, là où ces ressources existent. Les jeunes et ceux qui ont encore de la force se sont investis dans l’orpaillage traditionnel. Déjà cette activité amplifie la détérioration du cadre de vie et la dégradation des ressources naturelles. On pouvait fermer un œil et se dire que ces gens ne disposent que de cette soupape de sécurité. Et voilà que des sociétés minières viennent leur enlever ce recours ultime. La terre elle-même devient une marchandise aux mains des sociétés immobilières.
Quand on lotit le champ d’un paysan ou quand on bâtit sur le pâturage d’un éleveur, on condamne ces concitoyens à une mort certaine.

Monsieur le Président du Faso,
Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale

Ce que je dis là, vous pouvez le vérifier par vous-mêmes sur le terrain. Cet enchaînement de crises est déjà difficile pour les populations. Mais les hommes ne veulent pas changer leurs habitudes. Avant, il y avait une forte mortalité infantile. Une femme fait dix enfants, dans l’espoir que les mâchoires de la mort vont épargner deux ou trois. Les gouvernements et leurs partenaires ont mis le paquet. Et la santé maternelle et infantile s’est améliorée. Une femme fait dix enfants, et se retrouve avec 9 sur les bras. Mais les hommes ont toujours refusé de tenir compte de cette nouvelle donne. Résultat : l’explosion démographique.

Les scientifiques appellent explosion démographique une augmentation très élevée et très rapide de la population. Une explosion démographique est généralement génératrice de pauvreté et de fragilité économique : les structures économiques et aussi sociales du pays n’ont pas le temps de s’adapter à la taille de la population. Comment cela se traduit en Afrique et plus spécifiquement au Sahel ? Les chiffres disent bien ce qu’ils veulent dire. La population de l’Afrique subsaharienne a été multipliée par près de 5 fois entre 1960 et 2020. Elle a dépassé le milliard en 2017. Elle représente dorénavant 14% de la population mondiale, contre 7% en 1960. En 1950, il y avait 227.794.000 d’Africains. En 1960 283.361.000. En 2020. 1.340.598.000.

Maintenant voyons quelques pays du Sahel. En 1960, la Mauritanie comptait 850.384 habitants. En 2020, la population de ce pays est passé à 4.525.696 habitants. Pour le Mali, on a 5.263.733 en 1960, contre 19.658.031 en 2019. De 3 millions d’habitants en 1960, la population du Niger est estimée à 20 millions d’habitants en 2018. Le Burkina Faso passe de 8.800.000 habitants en 1960 à 20.244.080 habitants en 2018.

Monsieur le Président du Faso,
Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale

Le cadre de vie a diminué. Les ressources naturelles ont fondu. Les plus anciens se rappellent de certains arbres qu’on ne voit plus aujourd’hui. De même, il y avait des fruits en vente au bord des chemins que l’on ne voit plus dans les paniers des femmes. La production de nourriture a diminué. Et le nombre des mangeurs autour de l’écuelle a augmenté. Pour répondre à cette nouvelle situation, on a tenté d’augmenter les productions agricoles et animales. Plus une surexploitation des ressources naturelles. Résultat ? Une dégradation des terres, qui n’en peuvent plus. Et un déboisement à marche forcée. Et enfin une consommation effrénée des ressources en eau. Surexploitation, ça veut dire qu’on consomme plus que ce que la nature peut donner. Et on ne laisse même pas à cette pauvre nature le temps de reconstituer ses forces.

Monsieur le Président du Faso,
Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale

Pourquoi je vous raconte ces choses ce matin ?
Je vous demande de mobiliser tout ce qui est mobilisable pour réparer la brousse. Réparer la brousse, on sait le faire. Des techniques existent. Le Burkina Faso dispose de techniciens de terrain à même de mettre cela en œuvre. Notre pays ne manque pas de main-d’œuvre. Le courage au travail du Burkinabè est proverbial. Voyez vous-mêmes, s’il vous plaît ! Est-ce que nous pouvons continuer avec des terres tellement appauvries que nous récoltons 300 kilogrammes de céréales à l’hectare ? Permettez-moi de préciser que dans d’autres zones du monde, on récolte 8 tonnes à l’hectare. Est-ce que nous pouvons continuer à pratiquer l’élevage avec trois mois de fourrage par an ? Est-ce que nous pouvons continuer à déboiser pour cuisiner, alors que la savane au sud elle-même est aujourd’hui menacée ?

Monsieur le Président du Faso,
Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale

Je vous demande très respectueusement de jeter un regard sur la carte. Nous avons tout foutu en l’air au nord. Aujourd’hui, nous grignotons la savane au sud. Pouvons-nous vraiment continuer ce processus mortifère ? L’insécurité au Sahel va prendre fin un jour. Je n’ai pas le moindre doute là-dessus. Nous vaincrons. Parce que nous avons raison. Parce que nous n’avons pas le choix. Mais tout esprit bien disposé voit bien que, tant que nous n’allons pas nous décider à réparer la brousse, cette libération sera vaine.

Monsieur le Président du Faso,
Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale

Pardonnez-moi d’avoir abusé de votre temps. Je vous le demande très respectueusement. De même, si un propos vous a heurté dans cet écrit, veuillez croire que c’est le fait d’une maladresse.

Votre compatriote et votre frère Sayouba Traoré
Journaliste, écrivain.

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