Actualités :: Pas de libido pour les pauvres ?

Tantôt c’est une malheureuse vidéo qui fait le buzz sur les réseaux sociaux et qui met en vedette nul autre que Monsieur le Président du Faso lui-même, en train d’insinuer que le chômage des diplômés est dû au fait que ceux-ci trient les emplois. Ils se permettent ce type de confort grâce (et visiblement à regret) à la solidarité communautaire qui existe (hélas ?) encore chez nous. Et d’illustrer son propos par l’exemple en Inde, d’un docteur en Informatique qui lui a ciré les chaussures…

Une autre fois, c’est Madame la Ministre en charge de l’Action sociale qui s’en prend aux maîtres coraniques. Sur le même sujet, c’est encore Madame la Ministre qui fait des confidences à un animateur de radio sans scrupule et dont les audio se retrouvent dans les réseaux sociaux, avec des termes qui ne sont pas de son rang. Elle y menace des musulmans relativement au décès d’un élève coranique… C’est toujours Madame la Ministre qui donne des leçons selon ce que M. Sayouba Traoré, Journaliste-écrivain a rapporté dans un article sur Lefaso.net. Il estime exprimer la vérité. Une vérité qui viendrait en appui à celle de Madame la Ministre. Il y a comme une volonté de choquer. J’aimerais profiter de cette série de vérités pour proposer une série de questions qui pourraient aller au-delà du message de M. Traoré et pourraient aussi… choquer.

A qui est destinée la vérité dont il est question ? Il serait fort surprenant qu’un seul lecteur de M. Traoré ait besoin d’attendre de lire un article pour se résoudre à planifier sa famille. A qui s’adresse donc le message de M. Traoré ? Je parie qu’aucun parent de ces enfants victimes de trafic ne lira, ni ne pourra lire ce que sieur Traoré a écrit. Alors on parle de quoi... ? Car au fond, bien sûr que Mme la Ministre et M. Traoré nieront cela, mais la maxime de ce type de propos revient à dire que seuls les instruits, nantis ou fortunés ont le droit de procréer. Choquant n’est-ce pas ?

Eh bien ça ne l’est pas plus que de voir l’Etat s’inviter inopportunément dans les draps des citoyens. N’est-ce-pas trop facile d’accuser les autres, surtout les plus vulnérables ? Que ceux qui ont encore leurs parents vivants, essaient de savoir si leur propre conception avait été planifiée et programmée ? Mieux, ceux qui sont instruits, les hommes, combien d’entre nous ont programmé, crayon à la main, le jour de l’ovulation de leur conjointe pour faire un enfant ? Personnellement je suis à 1 programmation sur 4 enfants. Là encore, le calcul a été fait par la future mère. Bravo à tous ceux qui ont mieux fait !

Mais soyons honnêtes avec nous-mêmes. Combien d’entre nous avons subi ou prévoyons de subir une vasectomie pour limiter les naissances ? Que mes sœurs et tantes m’excusent ; qui a demandé la ligature de ses trompes après 2 ou 3 maternités ? "Quand on fait des enfants, c’est qu’on peut s’en occuper". Vraiment ? Qui a jamais consulté son compte bancaire ou fait une revue de son patrimoine avant d’aller au lit ? Les analphabètes et les pauvres n’ont-ils pas le droit de faire l’amour comme tout le monde ? Parce que tu ne comprends rien à la fécondation, parce que tu ne possèdes pas grand-chose, la libido, tu n’y as pas droit. Trop luxueux pour toi. Mais au nom de quelle éthique ? Qui croit qu’ils le font uniquement ou toujours avec le seul but de faire des bébés ? La pauvreté matérielle et la misère intellectuelle sont-elles des réalités ou non dans ce pays ?

Soyons clairs. Il faut une éducation adaptée à l’époque pour tous les enfants du Faso. Il faut lutter contre les trafics et tous les traitements qui mettent en péril les droits de chacun et surtout ceux des enfants. Le propos ici n’est pas dire qu’il ne faut pas que l’Etat agisse. Loin s’en faut. L’action doit cependant être plus soucieuse de toutes les victimes sous peine d’avoir peu ou pas d’effet escompté.

N’avons-nous pas connu dans nos écoles des enfants de cadres, d’intellectuels, de personnalités publiques qui étaient simplement nuls à l’école ? Certains derniers de la classe alors qu’ils avaient été renvoyés des écoles plus huppées ? Ils vont quand même s’en sortir dans la vie. En tout cas ils finissent par avoir les sésames qu’il faut. N’avons-nous pas connu aussi des élèves brillants, enfants de pauvres qui ont dû quitter l’école sans aucune qualification ? Défaut de paiement de scolarité.

J’ai toujours en mémoire, cette fille qui était la première de ma classe et qui n’est pas revenue à la rentrée suivante car étant tombée enceinte avant ou pendant les vacances scolaires… Pendant ce temps, combien d’élèves de parents instruits ont pu avorter et poursuivre tranquillement leurs scolarisations ? Le souvenir de cette camarade de classe est douloureux car il me rappelle qu’il y a de la chance dans l’histoire de plusieurs d’entre nous. N’eût-il pas fallu que l’on naisse dans une autre famille pour que les choses se passèrent autrement pour nous ? Plus intelligents et plus vaillants que nous sont restés en chemin à cause de la pauvreté matérielle ou intellectuelle de leur environnement familial. Qui ignore cela ?

Une fois de plus à qui est destinée cette soi-disant vérité ? Il n’y a-t-il pas là des propos trop faciles sur des sujets très complexes Quel est le profil sociologique des enfants des écoles coraniques ou victimes de trafic ? Feint-on d’oublier que le pays réel est majoritairement rural, illettré et très pauvre ? Même sans instruction, Oumarou Kanazoé, Salif Ouédraogo, dit « Salif Déeré » et bien d’autres richissimes de ce pays ont fait l’école coranique. Qui peut citer un seul de leurs enfants qui soit allé dans ces écoles ? Qui envoie son enfant à l’école coranique de nos jours ? A-t-on d’ailleurs fait la preuve que dans l’absolu ceux qui sortent de ces écoles coraniques sont de moins bons citoyens que les autres des écoles conventionnelles ? Qui sont les parents des diplômés qui profitent de la nourriture de leurs oncles et qui trient les emplois à Ouaga ? Qui sont les parents des enfants qui sont envoyés aux études en Occident, qui sont diplômés ou non et dont certains s’adonnent à la consommation de stupéfiants et/ou à la prostitution ? Celle-ci est une digression. ?

Ne finirions-nous pas par y voir une sorte d’entre soi qui donne l’impression que certaines classes sociales se mettent en hauteur pour regarder une certaine couche de la société qui se trouve être la plus vulnérable ? Je suis très tenté par l’affirmative quand je me remémore la déclaration du Président de la Commission de la CEDEAO, Marcel de SOUZA en 2017 : « Notre cousin qui est au village, […] lorsqu’il revient du champ […] il va dire […] Je n’ai pas d’autres loisirs que d’attraper ma femme. […] Lorsqu’il n’y en a pas de politiques de loisir, créer des salles de spectacles, la télévision, football, awalé, … pour occuper les hommes ; sinon ils n’ont que leurs femmes, puis ça produit des enfants et ça nous crée des dégâts ! » Le prototype parfait de l’élite africaine dégénérée. Apte à tomber dans les lieux communs assortis de déclarations gratuites sans jamais nous brandir la moindre étude sérieuse à l’appui. Combien de fois un rural fait l’amour par semaine comparé à un citadin ? Même question de l’instruit par rapport à l’illettré. Du fortuné par rapport au pauvre. Qui lui a dit que l’ennui ou la promiscuité stimulent le désir sexuel ? …

Et si on cessait de stigmatiser les plus vulnérables d’entre nous ? Il y a comme quelque chose de malsain qui consiste à s’acharner encore et toujours sur les plus vulnérables. Le contrôle des naissances est fonctionnel seulement là où il y a une large scolarisation, une éducation sexuelle généralisée, avec des méthodes et des ressources contraceptives accessibles et les avortements autorisés. Avons-nous cet arsenal au Burkina ? Tout ceci peut être mis en place en une génération ! Je connais une dame qui a 2 filles. Elle-même est l’ainée d’une fratrie de 14. Je connais un monsieur qui a un fils unique. Lui-même est le benjamin de sa mère. Il est le 19e enfant et le fruit de la 21e grossesse. Aujourd’hui leur pays mise sur l’immigration pour maintenir sa vitalité économique dans un futur proche.

Qui dit que c’est simple ? Personne bien sûr ! N’est-ce pas une raison pour questionner aussi les causes et ne pas toujours pointer les effets qui se trouvent souvent à être les actes de désespoir des victimes ? Cherchons donc les solutions pour notre peuple avec lui tel qu’il est et pas comme il aurait pu être selon nos fantasmes. Essayons d’accompagner sans stigmatiser ceux qui sont déjà dans des difficultés structurelles.

Peut-être que ce n’est pas l’intention, mais le résultat est là. Il y a une montée de rancœur dans certaines communautés musulmanes notamment qu’il ne serait pas sage d’ignorer. Faisons un peu plus attention dans la parole publique car à force, « Trop de marchandage rend le marchand lucide ! » dit-on en mooré. En attendant peut-être devrions-nous, surtout les autorités, à défaut d’une compassion ou d’une affection explicite du peuple tel qu’il est, faire preuve de retenu ou d’un simple respect ? Cela ne sera-t-il pas plus digne ?

Patinnema

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