Actualités :: Tribune : Pourquoi l’Amérique doit diriger de nouveau ?

Le philosophe Mamadou Djibo Baanè-Badikiranè, s’interroge, dans la tribune qui suit, sur le nouveau leadership américain voulu par le président Joe Biden.

La pandémie a reconfiguré nos perceptions et vécus socio-économiques. Il n’est pas inutile de constater que l’emmurement des enfants du monde rime avec leur soif du retour à la normalité, synonyme de paix ouverte d’aller et venir. Comme si, de normalité, il y en avait dans ce monde globalisé au forceps par le néolibéralisme triomphant avec l’idée que notre poursuite du bonheur se confond avec l’approche transactionnelle ponctuelle, décousue, et dramatiquement destructrice de notre avenir en commun, nos lieux de mémoire et le climat.

Et comme si cette sinistrose ne suffisait pas, le nouveau leadership américain, dans son suprême enjeu de répondre affirmativement à la question fondatrice de « Pourquoi l’Amérique doit diriger à nouveau le monde », le président Joe Biden, à la Conférence de Munich sur la Sécurité, rompt décisivement avec cette approche transactionnelle de l’ancienne administration.

Il opte pour une autre de type systémique avec ses multiples induits sur les relations internationales, la stabilité mondiale et l’avenir de la paix armée dont les Nations -Unies sont le garant. Systémique dans l’exacte mesure où, désormais, cette approche Biden se veut cohérente, consistante et continue voire contigüe au statut américain, acquis et autopromu, de garant de l’Ordre libéral international que la chute du Mur de Berlin et la sortie de cette ruine économique mondiale de 2008 lui ont conféré.

Pour un esprit progressiste et panafricaniste, je dois dire qu’il s’agit là, d’un tournant pivotal vertueux, voire d’une singularité refondatrice de la mission de galvanisation de la démocratie libérale et de ses forces adjuvantes que sont le multilatéralisme, la confrontation directe avec les poussées populistes et autoritaires, çà et là.

Paix armée ambiante

Optimiste et galvanisé mais désormais dirigé par un chef, le président Biden, le monde libéral devrait pouvoir faire prévaloir la démocratie sur les poussées populistes et autoritaires ; ces tornades fugaces, pense-t-on. Comment sortir par l’éthique dans les relations internationales et l’engagement constructif que confère le leadership de prépondérance au service des droits humains ? Cette question vaut son pesant d’or pour le nouveau leadership américain.

Le président Mandela nous a enseigné, lui le symbole de l’imprenable dignité humaine, que les droits de la personne sont supérieurs à la souveraineté des Etats. Il suit de là que toute tentative de quelque acteur étatique que ce soit, de soumettre lesdits droits à la raison d’Etat et à sa souveraineté, aboutit à l’hypostase despotique de ladite entité.

La règle de l’autorité ne peut supplanter celle de l’Etat de droit démocratique. Sortir de cet emmurement en raison de la saison covidique ne le sera en toute confiance que si ce nouveau leadership ne se satisfasse pas du gel des tensions internationales comme si, la paix elle-même l’était. D’ailleurs la pax liberalis kantienne de 1795 et la sécurité collective sont-elles la Paix ? Mais surtout qu’au détour de ce redimensionnement voulu exemplaire, l’on ne ruine les mécanismes diplomatiques en route, péniblement, pour servir la paix armée ambiante. Puisqu’après tout, nous vivons dans un régime de mesures de confiance réciproque et fragmentée, préfigure, peut-être, de la paix ouverte que les Mandenka, par exemple, affectionnent tant depuis la proclamation du Serment du Mandé de 1235. L’Afrique et la mémoire ont le long cours.

Pourquoi l’Amérique doit diriger à nouveau le monde ? Ce monde post- trumpien. La réponse du président Biden est sans équivoque. Parce qu’il y va de la restauration du leadership américain, synonyme d’exemplarité morale et aussi de pragmatisme économique, soucieux de relever le défi que constituent ses compétiteurs stratégiques, la Fédération de Russie et la République Populaire de Chine pour le statut de Superpuissance de l’innovation. Diriger le monde y coïncide au 21e siècle. Restaurer l’autorité et l’exemplarité américaines revient donc à incarner de façon unique et univoque ce statut non « seulement par l’exemple de notre puissance, mais aussi par la puissance de notre exemple », proclame le président Biden.

Prudence du serpent, flamboyance de la colombe

Philosophe, je rappelle que Kant a déjà consigné qu’il n’existe pas d’école de l’exemple. Somme toute, puisque le pragmatisme est le grand courant philosophique né aux Etats-Unis, concédons que la vérité nait de la réalité. Loisible alors de rompre la fausse dichotomie entre droits humains et intérêts économiques et traiter les sujets induits par la course au statut de superpuissance de l’innovation entre les Etats-Unis et la Chine.

Si le président Biden veut produire le ReNew Deal et l’héritage social-démocrate de Franklin Roosevelt, il apert qu’il doit impulser une réindustrialisation de l’Amérique, délivrer le salaire minimum à 15 dollars de l’heure, et engager une poussée de la syndicalisation dans le secteur privé. Il vient de donner un coup de pouce aux salariés d’un entrepôt d’Amazon pour la syndicalisation et, en toile de fond, le capitalisme de redistribution et la réduction des inégalités, donc disponible pour gagner la compétition épique.

Le développement harmonieux, concept cher au président Xi Jinping n’est pas incompatible avec la redistribution sociale en Amérique. Les 2000 milliards de dollars de Biden pour rebooster l’économie, vise incidemment à lutter contre le virus mais sûrement à redistribuer la richesse. Sommes-nous, alors, avec l’Administration Biden, à un virage social-démocrate aux Etats-Unis ? Trop tôt.

Il est aussi probable que toute mobilisation pour la démocratie libérale qui évite les interventions militaires dans les zones d’influences autres, apaisera les tensions internationales entre la Russie et les Etats-Unis. Mieux, suscitera un environnement d’entente cordiale sur les différences sans se faire la guerre, générera plus de succès pour le réengagement pour le multilatéralisme (Accord de Paris, Unesco etc.) Est-ce la fin de la guéguerre froide et ses artefacts ?

Les indicateurs ont enregistré des escarmouches verbales entre les président Biden et Poutine relativement aux « ingérences » dans le processus électoral américain. La prudence du serpent vaut plus que la flamboyance de la colombe, disent les kantiens. Ma conviction est que les élans pacigènes ne sont pas venus de la diplomatie de l’exemplarité et de la force de l’exemplarité. Et en face, la réplique de la partie russe semble duale, immédiate et taquine tandis que les Nord-Coréens promettent des insomnies aux alliés Américains, Japonais, Coréens du Sud pendant que les autres amis, Australie, Canada, Inde et USA signalent leur solidarité dans ce rituel pavlovien. Sont-ce des faucons ou alliés autour des valeurs et intérêts géopolitiques de l’Indo-Pacifique ?

Les Européens attendent, ces partenaires historiques des Etats-Unis. Veulent-ils d’abord entendre le train qui siffle comme Anthony Richard en 1962 ? Quant à nous, filles et fils d’Afrique, nous avons des droits comme citoyens cosmopolites raisonnables. Parce qu’on ne dispose pas de moyens déraisonnables, les Weltbürger sans être des citoyens de cet Etat républicain universel. Ce vain idéal est de légitime ambition. Et la paix doit compter avec nous car, disait mon professeur, feu Pierre Laberge, les droits sont des normes ; cette idée du droit, c’est aussi l’Idée même de la paix, car, si la guerre est décision par la victoire, la paix, c’est la décision par la sentence. La philosophie de l’histoire et celle du droit se croisent-elles sans se rencontrer ?

Oui, l’Amérique doit diriger de nouveau parce que la paix est une sédimentation des lieux essentiels de la raison humaine et alors, la paix sera notre commune raison par les raisonnables du républicanisme. Cette hirondelle qui caresse du regard la tornade éventrée du monde par ces raisonnables. Ils ne renoncent pas à ceci pour obtenir telle concession mais plutôt de braves vainqueurs qui prêtent la paix aux vaincus du destin malveillant. Je sais que les vainqueurs sont mauvais prêteurs de paix.

Mamadou Djibo Baanè-Badikiranè
Philosophe

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