Actualités :: Burkina Faso : C’est le moment de réussir à construire la cohésion sociale ou (...)

L’auteur de cette tribune, Elhadji Boubacar, apporte sa contribution au débat actuel sur la réconciliation nationale et la cohésion sociale. Pour lui, les Burkinabè sont sur une pente et ils doivent tout faire pour se parler sérieusement afin de mieux refonder la société. Une urgence, car le temps joue contre eux et même sérieusement, argumente-t-il.

Au Burkina Faso, le terrorisme est une nouvelle épreuve venue s’ajouter aux problèmes qui existaient déjà, contribuant ainsi dans son développement, à l’aggravation de la fracture sociale et de la misère économique chez de milliers de ménages. C’est dans ce contexte que la question identitaire qui était en hibernation, éclos avec l’inédit et l’inqualifiable drame de Yirgou, jusque-là hélas resté impuni. Les concepts de stigmatisation et de repli identitaire prennent alors place dans les cœurs, les esprits et les discours officiels. Ils animent les débats un peu partout à travers le pays. Les ‘‘vieux’’ dossiers de crimes politiques, sortis des placards pendant la transition, ont côtoyé tout au long du premier mandat du président Roch Marc Christian KABORE, le procès du putsch manqué de septembre 2015.

Une chose est certaine : depuis plusieurs décennies, la problématique du vivre-ensemble se pose au Burkina Faso. Le président KABORE a donc été bien inspiré en s’intéressant à la question. Mais le sujet est délicat et sensible. Les Burkinabè ne la perçoivent pas et ne l’abordent pas de la même manière, sous les mêmes angles. Biens de gens pensent qu’il est plus judicieux, pertinent et cohérent de rechercher la cohésion sociale que d’évoquer la réconciliation parce qu’il est moins question de réconciliation que de cohésion sociale entre les Burkinabè. Nous souhaitons mêler notre voix à celles de tous ceux qui se proposent d’apporter leur modeste contribution dans cette quête généralisée de paix.

La plus grande préoccupation des Burkinabè de nos jours doit être la cohésion sociale. L’exercice est difficile mais il devient un impératif dès lors que notre survie en tant qu’individu mais aussi en tant qu’Etat en dépend. Pour le réussir, il est important d’identifier les sources de menace de notre vivre-ensemble afin d’apporter des réponses adéquates. De notre point de vue, trois domaines doivent retenir l’attention des Burkinabè, pour créer les conditions d’une réconciliation et une cohésion sociale véritables : la justice, l’administration et notre système politique.

La justice avant tout parce que l’injustice est source de frustration avec toutes ses conséquences. Chez les travailleurs du public par exemple, la disparité des traitements des emplois est porteuse de menaces sérieuses non seulement contre leur rendement mais aussi à la stabilité du pays. C’est l’une des causes majeures des mouvements sociaux qui ont fortement sapé le premier mandat du président Roch KABORE. La cohésion sociale tient à une certaine équité aussi bien dans le traitement des travailleurs du public que dans la rétribution des richesses du pays. Il n’y a pas plus déstabilisateur d’une société que le sentiment d’injustice.

En zone rurale, des conflits surtout liés à la terre, aux mariages et à bien d’autres différents conduisent devant les tribunaux ou leurs services auxiliaires. Des inimitiés naissent parfois de la gestion de ces différents. Si nous ne créons pas les conditions d’une véritable cohésion sociale en zone rurale à travers une justice équitable, nous pouvons mettre une croix sur la stabilité de notre pays et sur la lutte contre l’extrémisme violent. Le sentiment d’abandon est profondément encré et longtemps dans les zones les plus écumées par les groupes armés. Ce ne sont même pas les services sociaux de base seuls qui ont manqué dans ces zones. C’est presque tout ce qui peut garantir et contribuer à la paix et au bien-être des populations qui a fait défaut pendant des décennies dans les régions du sahel et de l’est.

Jusque-là, ce sont quelques jeunes ruraux paysans, si l’on en croit à toutes ces vidéos des groupes armés qui circulent, qui menacent l’unité et la stabilité de notre pays. Longtemps privées d’instruction, de santé, d’eau potable, de protection, de voies de communication acceptables, les régions du sahel et de l’est ne pouvaient qu’être des portes d’entrée faciles et des terreaux fertiles pour des fléaux comme celui qui frappe désormais tout le pays. Il est utile donc de prendre en compte ces réalités dans la perspective d’une réelle et non feinte cohésion sociale. Des débats sérieux doivent être menés dans chaque commune dans ce sens. Des engagements forts et un plan clair de réparation de cette injustice sont à étudier/envisager. De notre point de vue.

Le deuxième domaine à considérer pour une cohésion sociale porteuse d’avenir est l’administration parce que partout au Burkina Faso, les rapports qu’elle entretient avec les communautés sont difficiles. Il n’est pas aisé de contester de nos jours l’idée selon laquelle les administrations publiques en zone rurale en particulier, sont mal perçues. Les régions du Sahel et de l’Est furent (le sont encore) des régions où les fonctionnaires ont le plus fait la pluie et le beau/bon temps. Dans ces régions, nous disait il y a un peu plus de dix ans un jeune instituteur, si tu es fonctionnaire et ‘‘tu n’as pas peur de Dieu’’, tu n’as pas deux ans pour te faire des millions.

Nous lui avions dit à l’époque qu’il faut alors craindre le pire car il y a trois raisons fondamentales qui peuvent décider un homme à vous en vouloir ou à vous combattre : lorsque vous êtes une menace pour sa vie/sa sérénité ou celle de ses proches, quand vous le spolier et enfin quand vous tenez à l’empêcher de vivre et d’exprimer sa foi. Comment nous comportons-nous dans les services publics partout au Burkina Faso ? En ville comme en campagne ? Où et de quel service public est-on satisfait de nos jours ? Les différentes agressions (inadmissibles certes) de travailleurs dans leurs lieux de services ces dernières années même à Ouagadougou, illustrent bien la situation et suggèrent à certains acteurs de l’administration, la nécessité de descendre de leur piédestal pour servir en toute loyauté les communautés. Un serviteur de l’Etat ne devrait pas faire peur ou constituer de quelque manière que ce soit une menace/crainte pour ses ‘‘clients’’.

Cette haine inouïe des groupes armés contre tous les symboles de l’Etat pourrait quelque part tirer ses sources de la manière de servir de biens d’agents publics. Si nous voulons créer les conditions idoines pour vivre ensemble, il devient incontournable d’interroger notre administration pour améliorer ses rapports avec les citoyens.

Le troisième domaine à revoir de fond en comble est notre système politique. Loin de nous l’intention de suggérer l’abandon du système démocratique mais il nous semble légitime de revoir notre façon de l’envisager et de le mettre en œuvre. Ce système tel que nous le pratiquons a fortement contribué à nous diviser, à nous opposer, à créer des inimitiés profondes entre nous. Il a contribué énormément à déstructurer nos sociétés, à détruire certains de nos repères. Dans toutes nos sociétés, la chefferie traditionnelle par exemple est (était) une institution qui joue (jouait ?) un rôle majeur dans les rapports humains. Elle a (avait ?) son mécanisme de gestion des conflits, sa démarche de réconciliation, sa façon d’impulser la solidarité.

Le leader coutumier ou traditionnel a déjà un rôle politique, une fonction sociale acceptée de tous ou presque. Aujourd’hui, par notre refus de légiférer pour leur donner un statut leur permettant de vivre dignement et utilement, nous les avons transformés en concurrents, en rivaux de leurs propres administrés. Faisant ainsi disparaitre un pilier et un repère majeur de nos sociétés. Il y a donc lieu de revoir cet aspect pour éviter que nos vraies valeurs et nos repères disparaissent.

Inspirons-nous des pays qui ont fait cette option. Un chef traditionnel ou un guide spirituel ne peut pas chercher un mandat électif sans diviser sa communauté.
Aussi, il y a lieu de définir des critères pour tous les mandats électifs. Ce ne serait pas de l’exclusion. Loin de là. Il est difficile de comprendre notre approche actuelle.

Il est vrai que c’est plus ou moins la même pratique un peu partout en Afrique. Mais il est important de songer à définir le profil de ceux qui veulent jouer un rôle précis dans la société. On connait les tâches que doit mener un enseignant, un agent de santé, un gendarme, un magistrat. On connait les compétences requises pour chaque fonction et on recrute les gens en conséquence. Tant que nous n’allons pas appliquer ce principe pour les mandats électifs, nous ne ferons que renforcer les inimitiés au sein des populations. Tant que nous n’allons pas définir des critères pour permettre aux populations de faire des choix éclairés, la politique et les élections seront une source de division et d’inimitiés.

Disons pour conclure que les crimes de sang et les crimes économiques que l’on cite relève de la justice. Il suffit de les juger correctement pour évoluer vers le pardon. Notre grand problème actuellement c’est la cohésion entre les communautés et au sein des communautés. Nous suggérons au ministre en charge du dossier de l’envisager entre autres sous les angles ci-dessus relevés. C’est un grand chantier qui nécessite du temps et des assises nationales. Les débats doivent être menés d’abord par village, puis par commune, province et région avant le niveau national. Dans tous les cas, nous sommes sur une pente et nous devons tout faire pour nous parler sérieusement afin de mieux refonder notre société. Et le temps joue contre nous. Sérieusement.

Elhadji BOUBACAR
IEPD à Dori
Tél : 70 10 05 50
Mail : boubacar.elhadji@yahoo.fr

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