Actualités :: Quand la RTB célèbre la Turquie aux premières secondes du nouvel (...)

J’ai été amené à constater que la télévision nationale du Burkina Faso n’est pas entrée de la meilleure des façons en 2021. Est-ce spécial pour cette année que notre vitrine et porte-voix se soit laissée déconsidérée ? Je n’ai pas la réponse. Lisez plutôt !

Dans la nuit du 31 décembre 2020 au 1er janvier 2021 nous avons été choqués par les images de la RTB. Je passe le réveillon du nouvel an avec ma tendre mère. Son téléviseur est habituellement sur National Geographic Wild. Ce soir il est connecté sur la Radiodiffusion Télévision du Burkina (RTB). Comme dans la plupart des télévisions publiques généralistes du monde, il y a une émission spéciale de fin d’année. « Bye bye 2020 ». L’émission est subitement interrompue pour rediffuser le message présidentiel que je n’avais pas écouté. Après l’hymne national de fin, c’est un film qui prend le relais : « Le dernier Seigneur des Balkans ».

Cela m’intrigua mais je ne changeai pas de chaîne. Ma mère dans son sofa fait face au téléviseur. Entre temps elle s’était assoupie. Je pris mon téléphone pour réagir à quelques messages que je recevais car il était déjà le 1er janvier 2021 ailleurs. J’étais occupé à cet exercice quand j’ai été alerté du passage au nouvel an par les détonations de pétards. Je réveille alors ma mère en l’appelant et en lui disant qu’il était minuit. Dès qu’elle a redressé la tête, après quelques clignements d’yeux, toujours face à la TV elle déclare : « Voici ce que je déteste à la télé ! »

Je me retourne subitement je vois une scène d’érotisme explicite qui peut gêner surtout quand on est avec sa mère à 00:00 le jour de l’an. Je réponds par « Vraiment ! Bonne année Maman ! » Pendant qu’elle me formulait à son tour des vœux, je jetai un coup d’œil vers l’écran mural. La même scène se poursuivait et l’heure sous le logo de RTB 00:00. Une colère m’assaillit. Le 1er janvier 2021 à 00:00 c’est ce que la télé nationale montre. Incroyable. Il faut une preuve. « Excusez-moi Maman ! » Je me baissai vers la table pour ramasser mon téléphone pour faire des clichés.

Entre temps ma mère avait quitté la pièce me laissant songeur. Je ramassai la télécommande pour faire ce que j’aurais dû faire dès la fin du message présidentiel et de la non-reprise du Bye Bye. Avant, je fis deux derniers clichés qui célèbrent bien l’art vestimentaire turque.

Je laisserai la partie morale aux moralistes. Pas non plus l’intention de demander des excuses pour le moment familial perturbé. Mais tout de même, en tant que citoyen, je me permets de questionner le jugement des responsables de la RTB. Quel est le sens et le rôle d’une télé nationale dans notre contexte où notre cohésion nationale est ébranlée de l’intérieur comme de l’extérieur ? Pouvons-nous imaginer une télé turque ou autre diffuser à 00:00 du nouvel an un film qui traite du Burkina ou d’un autre pays africain ? Nous sommes entrés en 2021 en célébrant la bravoure de la Turquie d’antan. Une façon de souligner la pertinence de ces conquêtes d’aujourd’hui ?

M. Erdogan devrait décorer la RTB car la télé nationale de Turquie n’a certainement pas fait mieux. A-t-on un seul instant pensé à nos concitoyens qui sont à l’intérieur du pays où les options de divertissements sont limitées ? Que l’on ne me parle pas d’absence de ressources dans ce cas de la RTB ! Pourquoi n’avoir pas alors diffusé un film burkinabè déjà disponible ? Pourquoi pas un classique comme Buud-yam de Gaston Kaboré qui fait une majestueuse carte postale du pays dans sa diversité ? Bref, c’est une honte.

Cet épisode du réveillon ne fut d’ailleurs pas ma seule mésaventure télévisuelle en cette fin d’année 2020. J’ai été intrigué lorsque je me suis rendu deux fois dans une banque publique à Ouagadougou. Celle-ci diffusait en continu dans sa salle d’attente le programme d’une chaîne européenne. A chacune des fois, une émission dans laquelle des experts donnent des astuces pour séduire une femme... Cette matière étant probablement une ‘science universelle’, sa pertinence ne fait aucun doute dans une banque qui a vocation à financer le développement de l’agriculture du pays... je dis à haute voix que ce téléviseur aurait dû diffuser des images ou des reportages sur le potentiel agricole, les projets innovants dans le domaine, les produits financiers, … Bref, des sujets qui se rapportent plus à la raison d’être de cette banque et au développement du pays dans tous les domaines. Mes voisins acquiescèrent et firent des commentaires dans le même sens.

Quelques jours plus tard, soit le 31 décembre, lors d’une attente de 7 heures dans une salle à l’aéroport de Ouagadougou pour faire le test COVID-19, c’est la même chaîne de télévision qui est diffusée tout le temps. Je demande à mon voisin de circonstance, s’il n’eut pas été plus pertinent de diffuser des images du pays ? « Si, me dit-il, même si on a besoin de savoir ce qui se passe dans le monde ! » Tout est dit, notre formation nous a rendus plus universalistes que tout autre citoyen de n’importe quel continent. Être au courant de ce qui se passe ailleurs est tellement devenu important pour nous que cela frise l’obsession. C’est peut-être pour cela la Radiodiffusion télévision du Burkina (RTB) a décidé de sévir dans la soirée. Dans un pays qui vit une insurrection armée et dont la cohésion est à rude épreuve, ne peut-on pas profiter de cette soirée pour montrer quelque chose de rassembleur, de national ?

D’ailleurs, les terroristes et leurs alliés clament aussi qu’ils luttent contre l’occidentalisation de leurs sociétés. Ce n’est pas un refus des produits de la science et des technologies que promeut l’Occident. Il s’agit de ce qu’ils considèrent comme des dépravations de leurs mœurs. Une bonne partie de la population silencieuse et encore pacifique redoute également cela. Le nom « Boko haram » est tout un programme. Les analystes tendent à minimiser ce facteur des mœurs qui alimente aussi la violence. Les extrémistes légitiment cette violence en disant refuser des éléments culturels qu’ils désapprouvent. Quelques courageux penseurs comme Laurent BADO et Kemi SEBA le disent également. Le référentiel étranger comme norme indiscutable ne fait pas l’unanimité et il ne faut pas donner des arguments aux adversaires de notre mode de vie.

Un ami africain me dit qu’il n’est pas rare de trouver dans un service public dans nos pays bien aimés que les postes de télévision diffusent des émissions de chaines étrangères et hors africaines supposées internationales. Nous nous comportons comme si la communication était anodine et innocente dans ce monde où nous autres pays africains apparaissons comme des proies qui attisent la voracité des prédateurs de tout genre. Ce n’est pas vrai qu’un seul responsable digne de ce nom croit à l’innocence de ces « médias monde » ni celle de ces versions Afrique des journaux, radios et télévisions non africains. Si cet extraterrestre existe qu’il sache que ces médias, y compris les versions en langues africaines de certaines émissions n’ont d’autres but que d’occuper les mentalités et de les inoculer de toute sorte d’idées et de pensées dont elles ignorent les tenants et les aboutissants.

L’actualité internationale oui mais vue à travers des prismes qui reflètent des agendas pas toujours cachés. C’est cette vision subjective du monde que l’on promeut. Pourquoi les gouvernements français, allemand et anglais dépensent-ils respectivement 70 millions d’euros par an pour France 24, 200 millions d’euros pour Deutsche Welle et 600 millions d’euros pour BBC World ? Bien sûr, pour que les lettrés africains, autrefois appelés les évolués, puissent avoir accès à l’actualité internationale. Mais ce n’est pas ce que Jean-Pierre Raffarin avait dit à la création de France 24 : « Voulue par le Président de la République, la nouvelle chaîne […] favorisera l’expression d’une vision française plus que jamais nécessaire dans le monde d’aujourd’hui. »

Un député pourrait-il demander au gouvernement de justifier pourquoi on utilise des deniers publics pour payer pour des chaînes étrangères ? Même les hôtels devront faire l’effort de diffuser les chaînes nationales dans leurs halls et autre lobby. Libres aux clients de voir ce qu’ils veulent dans leurs chambres. Bien sûr que chez soi chacun peut regarder ce qu’il veut.

Mais de grâce que les maigres ressources du brave peuple ne contribuent pas à son propre égarement. On ne pourra pas se contenter d’un point de vu étriqué d’un ministre de la Culture qui résume la création artistique à un gagne-pain. Nombreux sont les Burkinabè qui attendent de voir les œuvres nationales : films, séries, documentaires, musiques centrées sur le développement. Et plus les productions nationales auront de l’audience, plus ils gagneront en visibilité, financement, améliorations, compétivité !

La domination du monde implique de grandes batailles culturelles et les investissements dans ce domaine sont immenses. Les batailles sont en cours. Nos attitudes amènent parfois à se demander dans quel monde vivons-nous et si nous n’avons pas perdu jusqu’à notre instinct de conservation !

Patinnema

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