Actualités :: Burkina : « On ne peut être continuellement dépendant des autres, il faut (...)

Elections du 22 novembre 2020, bilan du quinquennat écoulé de Roch Kaboré et enjeux du mandat à venir, commémoration du 60e anniversaire de l’indépendance, question du foncier…, sont entre autres questions abordées dans cet entretien avec El Hadj Harouna Gouem. Membre du bureau politique national du MPP (Mouvement du peuple pour le progrès, parti au pouvoir), il a été l’un des responsables provinciaux de campagne de son parti dans le Boulgou. M. Gouem, sans faux-fuyant sur ces questions d’intérêt.

Lefaso.net : En tant qu’un des responsables de votre parti dans le secteur informel, comment avez-vous vécu la campagne dans le cadre du scrutin du 22 novembre 2020 ?

Harouna Gouem : J’ai effectivement été de la direction provinciale de la campagne du Boulgou, chargé de la mobilisation des marchés et yaars, du secteur informel, des ouvriers et des personnes vivant avec un handicap. En tant que membre du Bureau politique national (BPN) du parti également, j’ai un peu mesuré la tâche sur le terrain et je rends grâce à Dieu pour cette issue pour l’ensemble des Burkinabè. Disons qu’on a frôlé de près une crise post-électorale, au regard des analyses et des positions de certains acteurs politiques à un moment donné.

Quand les gens analysent par exemple, en disant que le CDP a un candidat (le parti n’ayant pas pu prendre part à la présidentielle de2015, ndlr) et que le MPP ne peut pas gagner « un coup K.O. », ce sont des analyses ; ce n’est pas reposé sur des faits et sur l’organisation même des élections. Pour cela, je félicite les gens (opposition, ndlr) qui sont revenus à de meilleurs sentiments et qui ont accepté les résultats tels que proclamés par la CENI. Cette élection grandit le Burkina Faso ; il y a eu un bel état d’esprit, une bonne ambiance, si fait qu’on peut dire que la campagne électorale a été un moment très intéressant. Ça a été un moment d’arguments contre arguments. Le président ayant un bilan appréciable à défendre, je crois que le MPP ne pouvait que passer.

C’est vrai que votre mot d’ordre était le « un coup K.O. ». Mais n’aviez-vous pas douté à un moment donné, vous qui aviez en charge une localité qualifiée de fief du chef de file de l’opposition ?

Pas du tout, je n’ai jamais douté ; puisqu’avant cela, j’étais dans les structures du parti dans le Kadiogo. Même sur le terrain, en réalité, nos adversaires ont été agréablement surpris des résultats qu’ils ont engrangés. Ils ne s’entendaient pas à ces résultats, même dans le fief du chef de file de l’opposition.

Dans ma commune, Boussouma (la famille du chef de file y a quitté, il y a seulement une décennie, il y a même une partie qui y réside toujours), le bilan du président plaidait en faveur de sa réélection. Au niveau de la commune de Boussouma, on est passé de 6% en 2015 à 22% en 2020 pour le candidat du MPP. Au niveau provincial, on est passé de 22 à 38%. On a donc enregistré un progrès, parce qu’on a mis en avant les potentialités de nos leaders et on a tenu un langage de vérité.

Justement, quelle a été la stratégie de campagne ?

Il fallait forcément aller dans ce sens (le langage de vérité, ndlr) ; puisque, hormis le côté sécuritaire, le bilan du président est inattaquable (sur tous les plans : infrastructures, éducation…). C’est seulement le côté sécuritaire, mais là aussi, les gens comprennent. C’est même au regard de cela qu’au Sahel, au Nord, au Centre-Nord, à l’Est, les gens ont massivement voté pour le président. Les gens ont compris que ce n’est pas sa faute, il travaille dur pour qu’il y ait la paix. Au regard de tout cela, on ne pouvait pas douter du coup K.O.

Êtes-vous satisfait du quinquennat finissant du président du Faso, en matière d’action envers le secteur informel et des opérateurs économiques ?

Très satisfait, parce que des centaines de milliers de personnes ont bénéficié de financements de différents fonds. Ça n’a jamais été ainsi auparavant. En cinq ans, l’argent qui est injecté dans le secteur informel est très important, je n’ai pas le montant exact, mais je sais que c’est énorme. Qui parle d’économie parle également d’infrastructures pour faciliter la mobilité et de ce point de vue, il n’y a rien à reprocher au programme du président dans ce sens (beaucoup de voies ont été construites). Ce qui facilite le commerce. De ce point de vue, on est vraiment satisfait.

Pour le mandat qui va démarrer, que souhaiteriez-vous de plus pour votre secteur ?

Il faut consolider les acquis. Le bilan de son quinquennat finissant étant fait, le président lui-même a parlé de consolidation des acquis et surtout progresser dans le sens de l’autonomisation des jeunes et des femmes. En aucun cas, le gouvernement ne peut employer tout le monde. Donc, il faut créer les conditions d’auto-emploi, c’est la meilleure façon de lutter contre le chômage et je crois qu’on est bien parti pour cela, même si des gens continuent de s’aligner pour concours, que ce soit des gens qui ont laissé des activités pour venir s’aligner.

Comme il l’a dit dans son programme, il faut réformer les Fonds, unifier d’autres pour que l’impact soit vraiment conséquent. Mais l’un dans l’autre, la meilleure façon de financer, c’est partir de la base. Des gens qu’on a financés sans garantie. Des associations qu’on a financées sur la base de leur récépissé. C’est cette manière de financer qui lutte contre le chômage. Quant aux grandes entreprises qui veulent les financements, il y a naturellement les garanties et l’Etat les accompagnera certainement dans ce sens. Il y a un minimum à assurer quand le montant a atteint un certain niveau.

Même sans garantie, les associations arrivent à obtenir des financements et je crois que c’est déjà bien, c’est une manière d’apprendre aussi aux gens à s’unir pour travailler. Quand on va individuellement, c’est difficile de devenir grand, mais quand les gens s’unissent pour travailler, dans la confiance, avec un minimum de financement, ça va très vite. Les femmes qui arrivent à s’unir, qui ont des groupements et arrivent à créer de petites industries, c’est très bien pour le pays, pour le développement de l’économie.

Cette année, le Burkina a commémoré le 60e anniversaire de son accession à l’indépendance à Banfora, dans un contexte également de demande de report par certains ressortissants de la région. Vous avez été sur place, quel commentaire pouvez-vous en faire ?

Ce qui m’a plu à Banfora, ce n’est pas l’aspect festif, c’est l’aspect commémoratif de la mémoire de nos devanciers. Quand les gens partent pour célébrer l’indépendance, on pense d’abord à ceux qui ont lutté pour cela. Les détails, je crois qu’il faut s’en passer pour ne pas donner l’impression à l’ennemi qu’il a vaincu. Il fallait donc s’affirmer (en maintenant la date, ndlr), je pense que c’est aussi cela la lutte contre l’adversité. Cela nous rend moralement forts. Je me dis que les uns et les autres ont des raisons de parler, mais une fois que c’est passé, il faut désormais regarder l’intérêt général du pays et ne pas tirer.

Alors, parlant d’indépendance, même si elle n’est pas achevée, il y a quand même des jalons qui sont posés, que nous devons travailler à parfaire. C’est à nous de faire le minimum d’effort pour amener le Burkina Faso à être totalement indépendant. Mais cela ne peut se faire sans le travail ; pour ne pas dépendre des autres, il faut qu’on travaille sérieusement. Si vous êtes financièrement posés, vous avez votre indépendance. Regardez, même pour les élections, ce sont des financements extérieurs.

C’est difficile donc d’être totalement indépendant dans ces conditions. Mais célébrer l’indépendance, se rappeler la mémoire de ceux qui ont travaillé pour avancer, c’est important. Mais on ne peut pas se satisfaire de cela, à notre tour de travailler pour encore avancer. Quand vous prenez un pays comme l’Éthiopie, il y a 30, 40 ans, c’était honteux de s’appeler Ethiopien ; mais aujourd’hui, c’est une fierté d’être Ethiopien. Donc, c’est le travail qui fait l’homme, c’est le travail qui fait un peuple. On ne peut être continuellement dépendant des autres et croire qu’on peut être indépendant.

A l’occasion de son discours de veille de commémoration, le président du Faso a invité les Burkinabè à un changement de mentalité. Quel commentaire avez-vous sur cet appel ?

Je partage entièrement cet appel, parce que pour construire un pays, il faut de la responsabilité, l’esprit citoyen. On ne peut pas se développer dans l’incivisme, il faut prendre conscience qu’on appartient à une même nation pour laquelle on doit travailler. Quand on parle de responsabilité, c’est à tous les niveaux. Ça commence même par l’éducation familiale ; quand ça quitte la famille ça rentre dans le village puis...tout le pays. Économiquement, ça appelle qu’on se mette sérieusement au travail.

Comment projetez-vous le prochain quinquennat du président ?

Je crois qu’il sera meilleur en termes de sécurité et par rapport aux mouvements sociaux. Il y aura moins de problèmes ; je le souhaite et je l’espère. Je crois qu’il en sera ainsi, au vu des efforts dans la lutte contre l’insécurité et dans le dialogue social. Il y a des acquis qu’il faut consolider. On aura peut-être les débats, mais autour des questions de la réconciliation nationale et de l’adoption de la nouvelle Constitution.

Effectivement, le président du Faso a inscrit la réconciliation nationale au rang des priorités. Comment s’y prendre sur cette question ?

En la matière, il faut certainement des assises nationales pour définir ce que nous voulons. Est-ce que nous voulons une réconciliation qui garantit l’impunité, si c’est cela, ça sera difficile que les gens puissent se pardonner. Il faut de la sincérité, on ne peut pas dire aux gens de se réconcilier sans que la personne dise ce qu’elle a fait. On ne peut pas demander non plus à une personne de demander pardon si elle ne reconnaît pas ce qu’elle a fait. Donc, il faut que les gens s’asseyent pour définir tout cela. Quand vous voyez des gens qui ont été brûlés vifs, vous comprenez que pour se pardonner sans passer par la justice, c’est difficile.

Quelle période considérer ? D’aucuns pensent qu’il faut remonter à 1960 !

Ce n’est pas nécessaire. Si on recule beaucoup, ça va être difficile à gérer. Mais si on prend à partir de la RDP (Révolution démocratique et populaire), c’est facile à gérer parce que la plupart des acteurs sont toujours vivants.

Ne serait-ce que symbolique…, n’y a-t-il pas lieu de voir aussi lointain quand on sait que ce sont des descendants qui souffrent de disparitions ?

Oui, c’est vrai. Mais ce qui fait le plus mal, ce sont les meurtres qui ont pratiquement commencé avec la Révolution. Et ce qui est difficilement pardonnable, ce sont les meurtres, les assassinats. Il faut donc créer les conditions pour la vérité avant d’arriver au pardon. On peut trouver des réparations et autres solutions pour apaiser les cœurs.

Il y en a qui pensent qu’il faut aller avec la justice transitionnelle, plutôt que la justice classique qui, selon eux, ne peut pas résoudre le problème.

Cela est vrai. Je pense qu’il faut revoir la justice que nous pratiquons aujourd’hui, il faut faire en sorte qu’elle s’adapte à nos réalités. La justice classique, ce sont de longues procédures, c’est permettre à des gens de transformer la vérité en de la contre-vérité, etc. C’est compliqué. Mais l’un dans l’autre, il faut trouver les moyens de se pardonner en passant par la vérité. Il n’y a personne qui ne peut pardonner, si elle sait ce qui s’est passé et que le fautif reconnaît ses erreurs. Le Burkinabè pardonne, mais il faut passer par des voies normales. On demande aux gens de reconnaître qu’ils ont fait des erreurs et demander pardon. Cela fait grandir les intéressés.

Des élections se sont achevées, mais d’autres s’annoncent sous peu : les municipales. Quand on considère son impact (parce qu’elles touchent les populations à la base) et qu’on se réfère à la violence en 2015 auxquels on ajoute les reproches faites à la CENI dans l’organisation des élections du 22 novembre 2020, on peut se demander comment faire pour éviter une crise à cette échéance ?

Aux municipales passées, les affrontements ont été internes aux partis politiques. C’est pour dire donc que c’est aux partis politiques de discipliner leurs militants. Il n’y a pas de parti sans textes, il faut donc discipliner ses militants par rapport à cela. Les gens s’inscrivent ou se font élire sous la bannière d’un parti X et pour des questions d’intérêt, partent coaliser avec un parti Y ou Z pour trahir tout un groupe ; c’est indécent.

Je n’ai pas grand-chose à reprocher à la CENI, c’est aux partis de discipliner en leur sein pour que les choses aillent mieux pour le Burkina Faso. Comme vous le dites bien, c’est une échéance qui intéresse beaucoup les populations parce que c’est la gestion locale et qui dit gestion locale parle d’implication des populations locales. C’est cela la décentralisation ; ce n’est pas transformer les mairies en boutiques des maires.

On sait que les lotissements étaient beaucoup attendus par les populations sous ce mandat et à certains endroits, ça a même suscité des tensions. On a également suivi un litige sur la question dans votre commune, quelle est la situation qu’on peut faire aujourd’hui ?

En réalité, on ne peut pas savoir ce qui se passe à la mairie, même si l’information est un droit pour les populations. Quand les choses ne sont pas très claires, c’est difficile. On a fait un premier recensement, qui n’a pas été à la hauteur, avec d’énormes irrégularités ; ça a été annulé. On a repris, mais les mêmes irrégularités réapparaissent avec des tickets qui sont au-delà même des parcelles dégagées et que des gens qui ne sont pas propriétaires terriens possèdent. C’est une affaire qui est devant le tribunal et nous sommes confiants que le droit sera dit à ce niveau. On n’avait pas le choix, quand vous dénoncez des pratiques qui ne prennent pas fin, on ne peut que saisir les tribunaux.

Qu’est-ce qu’il faut faire pour minimiser les tensions autour des questions de lotissements et partant, du foncier de façon générale ?

En réalité, la politique foncière au Burkina doit être revue et l’accaparement des habitats doit cesser. Vous avez des gens qui peuvent s’accaparer des centaines de parcelles, sans être des sociétés immobilières (c’est-à-dire ce n’est pas leur activité), alors que d’autres cherchent seulement une seule pour y vivre. Je crois qu’il faut de la rigueur dans la gestion de ce domaine.

Quand des lotissements arrivent également, des maires, au lieu de le faire sainement, cherchent à s’en accaparer. Même s’il est dit que dans les lotissements, on ne peut pas posséder plus d’une parcelle, les gens trouvent les moyens de vendre des parcelles avant même des attributions (on vend à des gens qui n’ont pas d’intérêt dans la zone, qui déposent ces parcelles pour faire de la spéculation). Quand des gens ont la possibilité, ils s’accaparent les parcelles pour le revendre après. Ce sont des manières indécentes qu’il faut combattre. Il faut rapidement régler la question, parce qu’au finish, on n’aura pas de terres cultivables au Burkina. On fait des habitations étalées sur des superficies. Les conflits et tensions autour de ces questions sont très récurrentes et il faut forcement revoir les choses.

Dans certains pays, il y a des zones réservées à l’agriculture, si vous venez y construire, on vient détruire. Il faut trouver des politiques pour rationaliser les zones d’habitation. Voyez-vous, quelqu’un peut avoir une parcelle et construire seulement la moitié et le reste-là, c’est un espace qui est-là, personne d’autre ne construit et les enfants qui grandissent, chacun cherche sa parcelle. Il y a plein de cours comme cela à Ouaga. Donc, il faut revoir de façon générale, la matière foncière pour amoindrir les problèmes.

Entretien réalisée par O.H.L
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