Actualités :: Appel de Gaoua sur la qualité de l’enseignement au Burkina Faso : (...)

Le 17 octobre 1986, à Gaoua, une ville située dans la région du Sud-Ouest du Burkina Faso, le président Thomas SANKARA lançait un appel sur la qualité de l’enseignement, un appel adressé aux enseignants, aux élèves, à leurs parents et à l’ensemble des militants de la Révolution. Dans son discours, il a posé un diagnostic de la situation de l’enseignement, situé les responsabilités face à la « dégradation continue et dangereuse » de cet enseignement et invité toutes les parties prenantes du système éducatif à une prise de conscience que l’éducation est le socle du développement participatif et durable. Trente-quatre ans plus tard, quoique des progrès substantiels aient été accomplis, l’école burkinabè cherche toujours sa voie et l’on se demande si des similitudes de situation ne subsistent pas toujours.

La rentrée scolaire a toujours été, pour les autorités du Burkina Faso, l’occasion de rappeler aux acteurs de l’éducation ses enjeux et défis. Pour le président Sankara,
« Une chose est au moins sûre : la rentrée scolaire ne laisse personne indifférent au Burkina Faso, même si les intérêts qu’elle charrie ou engage sont forcément divergents, parfois même antagoniques. Il y a les intérêts du commerçant de fourniture scolaires ou ceux du commerçant promoteur, il y a les intérêts du fondateur d’école, il y a les intérêts des parents – hélas encore formulés au niveau individuel et isolé – et bien sûr l’intérêt de l’Etat, gestionnaire de la société globale ».

Avec une population en majorité illettrée, le Burkina Faso mise sur son système éducatif pour former des citoyens responsables de son développement. Dans cette quête, des difficultés de tous ordre s’imposent aux gouvernants. De l’accueil à l’entrée de l’école à la sortie du système éducatif, elles jalonnent tout le processus. Au cours de son appel de Gaoua, le Président Thomas SANKARA évoquait la récurrence de ces difficultés :

« De nombreuses difficultés nous assaillent aujourd’hui encore, difficultés matérielles et morales qui ont abusé d’une certaine démission des uns et des autres pour s’imposer en phénomène cyclique ».
I- L’enfant au centre de la qualitative de l’enseignement
De la déclaration universelle des Droits de l’Homme à la déclaration de Jomtien en passant par celle de Salamanque et de Dakar, l’enfant et la qualité de son éducation sont inscrit dans les agenda de la communauté internationale. Au Burkina Faso, les différentes lois d’orientation de l’éducation placent l’apprenant au centre des actions. Pour le Président Sankara,

« Le lieu géométrique, le centre commun des préoccupations de l’Etat et des parents est et devrait être l’enfant, chacun d’entre nous ayant vérifié ou pouvant comprendre cette vérité historique selon laquelle ‘‘l’enfant est le père de l’homme’’ c’est-à-dire l’avenir de la société ».

Accompagner les parents d’élèves par le plafonnement des frais de scolarité, le rehaussement du taux de scolarité et un budget conséquent , tout en misant sur la qualité, ont été des actions fortes et justifiées du Conseil National de la Révolution (CNR) pour le Président,

« Comment ne pas comprendre que toute indifférence ou complaisance vis-à-vis de ce problème est un crime collectif, les enfants étant notre propre avenir. Comment ne pas comprendre que sans un sursaut de rectification nous courons à notre ruine, car si l’école ne produit pas la vraie société burkinabè, elle produira la société des hommes non dignes, non intègres. » Thomas Sankara, discours sur la qualité de l’enseignement.

Malgré les efforts, les résultats restaient mitigés et l’impression de régresser est constatée et exprimé par le Président Sankara :
« (…)point n’est besoin d’être un expert pour reconnaître le taux élevé de déperdition d’une classe à une autre, et surtout pour fustiger et répudier la mauvaise qualité des rares produits finis ou semi-finis de notre école (…). Par exemple, nous observons avec beaucoup d’amertume aujourd’hui qu’un élève qui termine le cours moyen sait à peine lire et comprendre un texte. Il est même établi que si cet élève en fin de « cours moyen » quitte l’école pendant deux ou trois années, il redevient un analphabète complet, alors que théoriquement tout élève qui a fréquenté l’école jusqu’au ‘‘ cours élémentaire’’ est censé être définitivement alphabétisé.

Sur la base de cette constatation, si nous comparons les deux termes ou pôles contradictoires de notre action actuelle en matière d’éducation, accroissement continu des dépenses d’une part baisse vertigineuse du niveau des élèves, nous ne pouvons alors éviter de nous demander si nous ne sommes pas en train de financer l’analphabétisme en croyant de bonne foi le combattre. »

II- Les causes de la baisse de qualité de l’enseignement en 1986
Trois causes avaient été diagnostiquée par le Président Sankara :
« – Primo : la non-définition d’une méthode correcte, ce qui dans notre cas signifie la réforme de l’école ;

– Secundo : le manque de moyens importants, c’est-à-dire des enseignants, des infrastructures et un environnement pédagogique idoine ;
– Tertio : l’absence de conscience responsable chez tous les acteurs de l’éducation, c’est-à-dire les parents d’élèves, les enseignants et les élèves. »

La troisième cause a particulièrement retenu l’attention du Président Sankara. Pour lui, la prise de conscience collective était un impératif à la qualité de l’éducation :
« J’ai choisi de limiter mon propos à cette dernière cause, à savoir : la conscience des hommes. L’homme est la machine la plus complexe la plus performante du monde, qui dispose d’un centre pluridimensionnel autonome et personnel de commandement, de conception, de stimulation et de régulation qui s’appelle la conscience.

L’homme, c’est aussi le génie le plus apte à l’organisation. C’est pourquoi, malgré des moyens pédagogiques insignifiants et une définition non achevée du type d’école, la qualité des hommes, conséquence de leur degré de conscience, peut être un palliatif autorisant des résultats forts brillants. A l’inverse, abondance de moyens et affinement de la théorie éducative sans cependant des hommes consciencieux ne sont que ruine de la société. Je ne vous parlerai donc que de l’homme, c’est-à-dire de chacun de nous ».

De l’ouverture de la première école primaire par l’église catholique en 1900 à Koupèla à 1986, une grande réforme a été conduite : celle de 1974 qui visait entre autre la valorisation du patrimoine culturel et linguistique. Elle a pris fin en 1984 avec l’avènement du Conseil National de la Révolution qui tenait à donner une nouvelle vision de l’éducation au service du peuple. Après la Révolution, d’autres réformes ont été menées dont celle de 1996.

Le manque de moyens humains, matériels et financiers pour mener les réformes du système éducatif burkinabè et atteindre les objectifs sont toujours limités. Eduquer ses enfants est un devoir régalien des gouvernants. Or, assurer la qualité de l’enseignement pour tous est très exigeant en ressources. D’où la contribution du secteur privé, actuellement très dynamique et diversifié au Burkina Faso. Un secteur libre cependant qui, malgré les contrôles initiés par les ministères en charge de l’enseignement depuis 2018, n’arrivent pas à impulser la professionnalisation du secteur.

II- Des causes toujours d’actualité en 2020

L’actuelle vision de la qualité de l’enseignement du Président Rock Kaboré vise l’éducation pour tous sans distinction avec des accents sur l’éducation inclusive et la formation aux sciences et technologies. La construction des lycées scientifiques et la culture de l’excellence scolaire participent de cette vision réaffirmée au cours de son discours à l’occasion de la journée de l’excellence scolaire de 2019 :

« Ma conviction est établie de longue date que pour toutes les sociétés qui aspirent au progrès, l’éducation doit être la voie royale de promotion du mérite, de la culture du travail bien fait et de la saine émulation. J’y crois fortement et c’est pour cette raison que depuis mon accession à la magistrature suprême, je travaille avec la communauté éducative nationale et tous les Burkinabè, à poser les bases d’une nouvelle école burkinabè de qualité, qui serait la locomotive de notre développement.

C’est dans ce sens que je me suis engagé pour une éducation de qualité pour tous, et j’ai entrepris de développer les filières des sciences, des technologies et l’enseignement professionnel, afin de former une masse critique de compétences dans la production et la transformation des richesses, des biens et des services. Cette journée permet à la Nation de célébrer les meilleurs de ses élèves, de montrer à tous les citoyens que notre Ecole peut et doit être la fabrique de l’excellence, car plus que jamais, notre pays a besoin de filles et de fils bien formés, capables de le développer et de le positionner dans le cercle des nations fortes en Afrique et dans le monde. »

Pour atteindre les objectifs de la qualité de l’enseignement à travers la qualité des sortants du système éducatif, l’Homme est au centre des actions :
« (…) nous verrons que l’Homme sera la clé universelle à nos interrogations. Parce que les moyens dépendent des hommes et la réforme si nécessaire ne sera que l’œuvre des hommes.

Mais le chemin de l’école nouvelle passe par la transformation de nos mentalités et de nos comportements. Ce qui exige de nous une véritable croisade contre la démission collective qu’a été notre ponce-pilatisme lorsqu’il s’est agi de réfléchir et de proposer une réforme de notre école après avoir décrié la présente ». (Thomas Sankara, 1986).

Malheureusement, faisant face aux problèmes sécuritaires qui ont obligé la fermeture de centaines de structures scolaires ; à la pandémie de la maladie à coronavirus et aux revendications sociales, l’insuffisance de moyens humains, matériels et financiers est une réalité du gouvernement burkinabè aujourd’hui. Relever donc le défi de la qualité de l’enseignement s’avère problématique sans une contribution conséquente de tous les acteurs.

L’engagement des parties prenantes de l’éducation a favorisé la mise en œuvre de solutions palliatives pour la continuité de l’éducation, notamment l’implication des techniques d’information et communication pour l’éducation (TICE) par le Ministère de l’éducation nationale et de la promotion des langues nationales, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, mais aussi celui de la jeunesse et de la formation professionnelle, pour assurer la continuité de l’enseignement pendant la pandémie. L’autre défi reste la cohésion sociale gage de paix et de développement.

Dr Aoua Carole CONGO, Institut des sciences des sociétés / CNRST Carole_bac@yahoo.com

Bibliographie

COMPAORE, R.A. M. (1995), L’école en Haute-Volta : une analyse de l’évolution de l’enseignement primaire de 1947 à 1970, Thèse de Doctorat, Paris
KYELEM, M. (2013),, « La réforme du système éducatif et la démocratisation de l’éducation au Burkina Faso », Éthique publique [Online], vol. 11, n° 1 | 2009, Online since 06 August 2014, connection on 21 October 2020. URL : http://journals.openedition.org/ethiquepublique/1324 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ethiquepublique.1324

SANOU, F. (2013), , « Pour une vision prospective de l’éducation en Afrique. Le système éducatif burkinabè à l’horizon 2025. Étude nationale prospective “Burkina 2025 ” », Connaissances pour le développement, 2006, p 81-108, disponible dans internet : < http://www.rgcb.org/IMG/pdf/chap4-2.pdf >, consulté en le 16 octobre 2020.

SAVADOGO B. (2013), Analyse critique des politiques éducatives et de développement du Burkina Faso de 1960 à 2012, perspectives ante et post 2015, NORRAG ; https://www.norrag.org/fileadmin/Post-2015/Case_Study_Post-2015_BF_FINAL.pdf

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