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Essai  : « Tampiiri », une insulte suprême chez les Mossé (1ère partie)

18 juin 2020, 10:03, par Mechtilde Guirma

Absolument Mr Sinon en effet dans le plateau centrale, comme vous le précisez, pour évitez les ambiguïtés, tout enfant hors mariage qui a une filiation devient ipso facto, dans nos traditions, légitime. En fait le tampiiri c’est celui qui n’a pas de nom de géniteur. Prenons l’exemple de la période coloniale. Il y eut énormément des enfants de concubines (servantes), que leurs géniteurs ont abandonnés avant de quitter nos pays après les indépendances. Les parents de ces concubines se sont rendus compte que sur les semblants d’actes de naissance (seul héritage que les généreux géniteurs ont laissé à leurs progénitures africaines), il n’y avait seulement que la mention : « Né de père inconnu ». Il était donc difficile d’appliquer à ces enfants un nom de famille quelconque. Pour parer à cette situation et pour permettre à ces enfants d’aller à l’école, les parents des mamans de ces enfants leur ont donné purement et simplement leurs propres noms. En effet plus tard quand ces enfants ont grandi et sont devenus des gens d’avenir, ce fut à ce moment que ces « blancs » ont accouru pour les reconnaître. Mais la plupart d’entre eux ont carrément refusé et ont gardé les noms de familles de leurs mères et se sont intégrés dans la société africaine. Ce qui rejoint l’étude de Mr. Sinon comme quoi dans les traditions africaines, l’adoption existe bel et bien. En effet cela montre combien, la femme est très importante dans les sociétés traditionnelles africaines. Une simple faute d’adultère ne permettait ni ne donnait droit au mari, de foutre en l’air sa famille. D’ailleurs le doyen de la famille était là et y veillait. Donc un enfant qui n’a pas de père (géniteur ou d’adoption), est classé dans la catégorie de l’esclave, puisqu’on ne savait pas à quel clan ni à quelle ethnie le rattacher. En un mot c’était un enfant sans repères et de tels enfants n’étaient pas fiables. C’est pourquoi dans les traditions, mossé en l’occurrence, les esclaves finissaient par recevoir le nom de leur maître et s’intègraient parfaitement dans la société tout comme d’ailleurs la société romaine dans l’antiquité. Ce cas de figure s’appliquait aussi dans le mogho à certains groupes qui avaient fui la persécution des leurs et sont venus demander la protection des rois mossé. S’il se trouvait que leur nom était sujet à ambiguïté, c’est-à-dire dont la connotation introduisait une mauvaise définition ou interprétation en moré, le roi leur donnait son propre nom et s’occupait de leur bien-être et de leurs enfants.
Ceci dit, je voudrai évoquer au passage la question du yaglem-tiiga dont parle l’internaute n° 10. Dans mes investigations pour mon mémoire en Sciences Politiques, je me suis aussi intéressée à ce mot. C’est alors qu’on m’a dit, qu’il y avait une confusion de genre et de nature concernant ce mot et qu’il fallait extrêmement être prudent pour ne pas verser dans des erreurs obscurantistes. D’abord yaglem-tiiga mot à mot veut dire : « accroché à l’arbre ». Il s’applique à un individu qui a commis une faute grave et non à toute sa progéniture pour une simple raison, d’après l’explication de mes tantes et ma mère : c’est que dans la tradition moagha, on ne peut pas mettre la faute du père (si grave soit-elle) sur ses enfants et vice-versa. Parce que leurs kinkirsi sont différents. La faute vient donc du mauvais génie (kinkirga) qui a incarné l’un d’eux lors de leur conception. Ne dit-on pas souvent chez les Mossé : « tel homme est bien, mais son fils est un kikirwêga ». Et vice-versa. En effet on ne devrait pas oublier que l’enfant doit son éducation à la société toute entière et la déviance est individuelle et non collective. D’ailleurs le meilleur héritage qu’un homme laisse à son enfant, c’est que ce dernier fasse mieux que lui et il y veillera de près une fois rejoint les ancêtres autour de l’Esprit de Dieu. Bref dans le plateau central moagha, le yaglem tiiga n’a pas sa place au sein de la terre qui garde le corps des ancêtres. Il peut alors devenir un fantôme errant qui cause encore beaucoup plus de mal aux humains que de son vivant. Pour cela, il y a des précautions à prendre quant à l’attribution des prénoms des enfants. Mais ce qui est encore plus important, c’est quand il s’agit du roi. En cas de faute jugée grave, on lui présente la ciguë (comme Socrate) ou le cas échéant une flèche empoisonnée dont il devait se piquer le talon d’Achille. Et s’il refuse on l’abattait et nuitamment allait accrocher son cadavre à la lisière d’un village voisins et ces derniers à leur tour chercheront à s’en débarrasser et ainsi de suite jusqu’à la dislocation totale. Mais ce que la génération des intellectuels n’a pas compris au départ, c’est l’importance du forgeron dans les sociétés Mossé. Ce sont eux premiers, qui font et défont les rois. En revanche ils sont craints par ces derniers. Les forgerons pour garder leurs privilèges, se défendent d’épouser les princes et les princesses pour ne pas tomber sous leur coupe et se voir interdire leurs pratiques. Entre autre privilège, il y a le fait que dans le cas des figures des fautes graves, ils refusent de fournir le matériel aratoire et autres instruments pour creuser les tombes, le cadavre n’a d’autre sépulcre que les cimes des arbres. En revanche les rois ne les aiment pas beaucoup. Dans les grandes querelles familiales, il arrive que pour parer à l’exil, des princes aillent s’enrôler dans l’ordre des forgerons et ensuite se mettre au service du roi. Ce que ce dernier ne peut plus refuser. Mais le roi a beaucoup d’opportunité aussi pour se faire pardonner afin de ne pas arriver aux cas extrêmes qui restent rares. Au nom du burkindi, il reconnaît sa faute et fait réparation par sa conduite son bon exemple et ses enseignements. Au Yatenga, à la fête des ancêtres, il est permis à tout un chacun de venir s’exprimer tour à tour, son mécontentement au roi assis entouré de son peuple. Ce qui lui permet de prendre de bonnes résolutions.
Je voudrais terminer si le web me permet encore ces lignes, une petite anecdote : Un jour pendant le cours de théologie où le professeur nous expliquait ce que le Christ entendait par sa glorification quand la croix se lève je le paraphrase : « Avant que la croix devienne pour nous chrétiens un objet de fierté ou même de parure, sachez qu’au temps du Christ ce n’était pas le cas. Dans les régions à l’époque des cadavres étaient accrochés aux arbres. C’était la mort la plus ignominieuse infligée aux criminels de l’époque et le Christ a été considéré comme l’un d’eux. Les Romains au départ attachaient les cadavres aux arbres. Mais ce fut avec l’évolution qu’il ont remplacé les arbres par les croix ». Et il ajoute que quand on posait la question aux premiers chrétiens : « Et votre Dieu là il est mort comment ? ». S’ils répondaient qu’Il est mort sur la croix, les gens hurlaient :« youyouyouyou » et fuiyaient. C’est pourquoi les premiers chrétiens avaient pour signe le « poisson » en souvenir de ce que Le Christ disait à ses apôtres : « Je ferai de vous des pêcheurs d’Hommes ».


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