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Burkina : L’ambassadeur Mélégué Traoré, l’assassinat de Thomas Sankara et la réaction du président soviétique, Gorbatchev

25 février 2020, 11:24, par LOS

"Avez-vous d’autres détails sur cette affaire étonnante ?

L’autre chose qui m’a aussi marqué, c’est qu’après le 15 octobre, c’est moi qui ai été annoncé officiellement à Michaël Gorbatchev, l’assassinat de Thomas Sankara. Sa réponse m’a laissé interloqué. Vous savez, avec toutes les grandes puissances, qu’elles soient communistes ou capitalistes, quand on est un petit pays, c’est pareil, vous ne pesez pas lourd. C’était avant une réception au Kremlin. Gorbatchev m’a tout juste répondu que c’était un problème interne ; pas un mot de plus ; ni de regret, ni de compassion ; rien !
Je me le suis tenu pour dit.

C’est toute sa réaction, quand bien même le Burkina Faso était un pays révolutionnaire ?

Oui. Je vais vous le dire, c’est nous qui proclamions ici au Burkina que nous étions révolutionnaires. Dans les pays socialistes à l’Est, les dirigeants avaient une autre opinion sur la révolution burkinabè. Je m’en suis très rapidement rendu compte dans mes rapports avec les autorités soviétiques. C’était pareil avec Eric Oneker à Berlin-Est, Barcikoysky à Varsovie, Théodore Jouvkov à Sofia à Budapest, et partout ailleurs dans les pays communistes.

Alors que tout le monde croyait au Burkina que les Soviétiques supportaient beaucoup la Révolution burkinabè, qu’ils étaient avec nous, nos dirigeants se trompaient. En réalité, les Soviétiques n’ont jamais cru en la Révolution burkinabè, la RDP (Révolution démocratique et populaire). Dans la doctrine soviétique, depuis Lénine à partir des années 1917, une Révolution dirigée par des militaires n’en est pas une. Le Kremlin avait du respect pour la révolution chinoise qui avec Mao Tsé-Toung, était issue d’une insurrection paysanne. Celle de l’URSS avait comme base le prolétariat industriel.

Les dirigeants à Moscou ont toujours considéré que chez nous, le CNR était un régime militaire progressiste à l’africaine, favorable aux pays de l’Est, aux pays communistes et à l’Union soviétique. Mais ils ne l’ont jamais considérée comme une vraie révolution. Evidemment, ici notre gouvernement et les CDR (Comités de défense de la révolution) ne savaient pas cela. Mais comment le leur dire à l’époque sans avoir des problèmes ? Un an avant, le président Thomas Sankara avait été en visite officielle en Union soviétique avec une délégation forte de 50 membres, et l’évènement avait eu un grand retentissement. Il avait été reçu avec tous les honneurs possibles par Gorbatchev, le secrétaire général du parti communiste de l’URSS et par Andrei Gromiko, le président du Présidium du Soviet suprême de l’URSS, le chef de l’Etat.

Vous savez, alors que j’étais Chargé d’Affaires à Washington, j’avais développé des rapports avec les groupes et les partis d’orientation socialiste ou d’extrême gauche. Jusqu’aujourd’hui, il y en a aux Etats-Unis une cinquantaine. C’est surprenant, mais ils avaient la même appréciation que les Soviétiques sur notre révolution. Ils admiraient et louaient Thomas Sankara pour son nationalisme et ses critiques acerbes à l’encontre les Occidentaux. Ils admiraient ça, parce que cette politique était contre les Occidentaux. Mais pratiquement, tous m’avaient régulièrement tenu le même langage que j’ai plus tard entendu à Moscou. Pour ces Américains, la plupart d’extrême gauche, qui attendaient le grand soir du capitalisme en décrépitude, et l’avènement du grand matin du socialisme triomphant, une vraie révolution, surtout tropicale, ne pouvait être conduite par des militaires.

Quel a été l’impact du 15 octobre sur la vie diplomatique du Burkina, notamment les ambassadeurs ?

Jean Marc Palm Domba, aujourd’hui président du Haut-conseil du dialogue social, pourrait mieux répondre à cette question que moi, car il a été le premier ministre des Affaires étrangères sous le Front populaire. Le gouvernement avait, m’a-t-on dit, classé les ambassadeurs à l’extérieur en trois groupes. D’abord ceux pour lesquels il n’avait pas de doute, c’est-à-dire les ambassadeurs que la Révolution classait au départ parmi les réactionnaires et qui avaient échappé aux rappels en 1984. Ces ambassadeurs-là devaient être contents de la fin de la Révolution, style Sankara.

A l’autre extrême, ceux que le gouvernement estimait être des diplomates proches de Sankara ou à tendance sankariste. J’étais dans ce groupe, surtout que j’étais très lié à feu Michel Tapsoba, l’ancien président de la CENI, qui était mon logeur quand je venais au pays, qu’on avait arrêté après le 15 octobre. Et entre ces deux groupes, il y avait une masse d’ambassadeurs dont on ne connaissait pas exactement la position. Ceux qui étaient tièdes, sans agressivité sous Sankara, n’ont pas été touchés paradoxalement et cela se comprend.

Parmi ceux qui étaient entre les deux groupes, nombreux, sont restés en place même si quelques-uns ont été rappelés. Ceux qui étaient considérés comme étant de gauche, tendance sankariste, comme moi ou Sankara Mousbila à Tripoli ou Sanogo Bassirou à Alger, ont été pratiquement tous rappelés. Vincent Ouédraogo, notre ambassadeur à Cuba avait fui avec les Fonds de l’ambassade après avoir rendu les véhicules de la mission. La réalité est que n’eut été mes critiques sur les commandos de Pô, je n’aurais probablement pas été rappelé".
Mélégué, en ta qualité de representant du PF dans ce pays l’as-tu déjà parlé de ce que les russes pensaient de notre révolution ? Donc si tu n’avais crtiqué les commandos tu serais resté ? Comment qualifie t’on une telle atittude ? Oportunisme


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