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Burkina : Faut-il perpétuer la mésestime comme mode de gouvernance ?

29 mars 2023, 07:37, par KPL

Le peuple est ondoyant

Votre principale force, ce sont les armes que vous détenez. Le reste c’est de l’illusion, croyez-moi. Les peuples sont très versatiles. Ils applaudissent quand vous arrivez au pouvoir et applaudissent quand vous en redescendez. Le peuple est ondoyant. Il n’y a pas longtemps, le Président Roch Marc Christian Kaboré était adulé et drainait une foule de partisans et de sympathisants. Où sont-ils aujourd’hui ? En dehors de quelques-uns qui osent encore défendre le bilan du pouvoir MPP, la plupart des militants et soutiens ont, soit retourné leur veste ou rasent les murs. Votre prédécesseur en exil au Togo Paul Henri Sandaogo Damiba a aussi quelques soutiens tenaces qui continuent de ruer dans les brancards, mais le gros lot, s’est muré dans un silence assourdissant ou a rejoint le MPSR 2 avec femmes, enfants et bagages.

Votre intention n’est pas de diviser les Burkinabè mais…

Par ailleurs, vous avez raison quand vous dénoncez les communications qui sont de nature à faire le jeu des terroristes. Mais plutôt que d’interpeller et de sensibiliser, vous tenez des propos susceptibles d’être mal interprétés et créer des désagréments au sein de la population. Vous avez un auditoire qui peut ne pas comprendre et s’adonner à des interprétations à même de mettre à rude épreuve le vivre-ensemble. Depuis votre discours de Kaya, des Burkinabè sont désignés comme des terroristes parce qu’accusés de faire des publications sur les attaques terroristes contre nos forces de défense et de sécurité. Cela peut entraîner des dérives. Or ce n’est ni votre souhait ni votre intention. Vous voulez simplement dire que tous les Burkinabè doivent s’unir face au terrorisme et éviter des attitudes qui non seulement minimisent les efforts de l’armée mais également contribuent à la communication des terroristes. Mais votre manière de faire n’est pas propice à mon sens.

Un chien a été qualifié de réactionnaire et abattu

Nous avons une justice qui fonctionne à plein régime malgré les moyens dérisoires pour une bonne administration de l’appareil judiciaire. Si vous estimez qu’il y a des compatriotes qui communiquent pour les terroristes, il vous appartient de saisir le Procureur à travers la Garde des sceaux. Seul le Procureur est compétent pour apprécier du point de vue de la loi et ordonner des poursuites. En dehors de ce cadre, vous risquez de dresser des Burkinabè contre d’autres Burkinabè, de soulever une partie des Burkinabè contre d’autres Burkinabè, de diviser le Burkina Faso en deux camps : les patriotes et les apatrides. L’histoire de l’humanité est remplie d’exemples sur des drames humains nés de cette conception des choses. Sous le Conseil national de la révolution (CNR) de Thomas Sankara, on a divisé les Burkinabè en deux catégories : les révolutionnaires et les réactionnaires. Autrement, les patriotes et les ennemis du Burkina Faso ou encore les insurgés et les non insurgés comme on l’a vu pendant l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014 et qui a contribué à fragiliser la cohésion sociale.

Un aîné m’a raconté une anecdote sous la Révolution : le chien de son voisin a été abattu par des CDR au motif qu’il a aboyé pendant qu’on chantait l’hymne national burkinabè. Il a été considéré comme un chien réactionnaire et traité comme tel : tué et jeté dans la marmite pour la soupe des CDR qui raffolent de la viande de chiens. Voyez-vous jusqu’où peuvent aller les dérives ? Même les animaux sont traqués.

Le chef est une poubelle et un homme de pardon

C’est pourquoi, il faut laisser le soin à la justice de s’occuper de la question des communications que vous mettez en cause. Nulle part dans votre discours de Kaya, en tout cas à ma connaissance, vous n’avez pris le soin de dire que la justice sera saisie. Cela donne l’impression que vous vous allez vous substituer au magistrat pour vous occuper de ceux qui sont accusés d’être les communicants des terroristes. Vous etes certes le premier magistrat du pays mais la loi ne vous donne aucun pouvoir de poursuite d’un citoyen Vous n’êtes ni procureur ni substitut du procureur. Par contre la Constitution, loi suprême du pays, vous donne le pouvoir de grâce et d’amnistie, c’est-à-dire le pouvoir de pardonner les comportements delictieux des vos compatriotes. Cela fait partie des valeurs de notre société : un chef est une poubelle, il supporte tout, il est un homme de pardon. Il appartient aux institutions de la République de sévir et en dernier ressort, vous jouez votre rôle de Père de la Nation qui peut décider de pardonner les errements des enfants de la République. Vous devez avoir un discours de rassemblement et non un discours qui va amener les Burkinabè à s’accuser mutuellement, à se détester, à se haïr et à se déchirer.

Personne ne doit faire le jeu des terroristes

Autant certaines communications, comme vous le dites, sont favorables aux groupes armés terroristes autant vos propos font le jeu des terroristes parce que l’un des objectifs des terroristes c’est justement de créer la division au sein de la société burkinabè, de dresser des Burkinabè contre des Burkinabè, de mettre en mal la cohésion sociale et d’entretenir le conflit permanent entre les filles et les fils du Burkina Faso. A ce propos, un proverbe dit le lézard ne pénètre que là où il y a des fissures. Ce n’est pas votre intention, loin de là mais nous sommes dans un contexte où la parole du chef pèse lourd, une mauvaise interprétation peut jeter l’huile sur le feu. Et c’est ce que nous commençons à vivre depuis votre discours de Kaya. Des noms sont cités, des menaces, injures et intimidations sont proférées à leur endroit.

Quand la pluie vous bat, il faut éviter de vous battre. C’est notre désunion qui favorise le terrorisme. C’est les frustrations et le manque de cohésion au sein de l’armée qui expliquent en partie nos difficultés dans la lutte contre le terrorisme. Quand il y a un péril en la demeure, nous devons nous unir ou œuvrer pour l’union sacrée des Burkinabè.

Autant je vous interpelle sur le poids et la portée de vos mots autant je lance un appel à tous les acteurs de la scène sociopolitique pour une communication responsable.

C’est le Procureur du Faso qui décide de l’opportunité des poursuites.

En tout état de cause, il appartient au Procureur du Faso seul, de décider de l’opportunité des poursuites. Autrement on tombe dans l’abus de pouvoir.

Le Burkina Faso n’a pas commencé par vous. Il y a eu des hommes et des femmes qui ont géré le pouvoir d’Etat avant vous et il y en aura après vous. En d’autres termes, les hommes passent. Seul Dieu est Eternel.

Je vous prie, Monsieur le Président de la Transition, Chef de l’Etat, de croire à l’assurance de ma très haute considération.

Adama Ouédraogo dit Damiss

Journaliste


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