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Burkina : Quelle pertinence de construire une latrine à 180 000 Fcfa pour un ménage qui a moins de 150 000 Fcfa/an ?

7 mai 2021, 11:20, par Sidpawalemde Sebgo

On peut comprendre monsieur DDS, mais son analyse est largement incomplète et biaisée car il compare un revenu courant à un investissement.

C’est de la même manière que certains ne comprennent pas pourquoi certaines structures prennent en charge la santé de leur personnel alors qu’ils leur payent déjà un salaire. Pour comprendre, il faut se demander combien l’entreprise perd chaque fois qu’un employé s’absente parce que lui, sa femme ou son enfant est malade. Un fois le compte fait, le manager s’aperçoit que non seulement cela lui coûte la même chose que de leur payer les médicaments, mais que le gain en régularité et en efficacité lui fait gagner en productivité.

De la même manière, payer des latrines d’une durée de vie de 20 ans à 9 milliards en une fois peut faire économiser à l’état Burkinabè 9 milliards par an en frais de santé ! N’oublions pas que les maladies diarrhéiques sont après le paludisme le fléau principal de nos pays. Même si c’est moins, parler de "gaspillage improductif" et comparer aux revenus d’un ménage n’est pas pertinent.
Au même titre, les dépenses de l’état en éducation, divisés par le nombre de ménages, va montrer qu’on dépense plus par an et par ménage en éducation que ce que les ménages les plus pauvres gagnent. Faut-il pour autant renoncer à construire des écoles et à payer les enseignants ?
Le 8 Mars, Bala Sakandé a offert deux forages équipés au village de Bakpara. Cela représente plus de 300.000 Fcfa par ménage, toujours plus que votre 150.000 Fcfa "fétiche" de revenu annuel. Fallait-il laisser les villageois sans eau et leur payer un repas de fête à la place ou partager l’argent ?

D’un point de vue structurel, ce gain en hygiène a des effets positifs sur de nombreux aspects : La santé comme dit plus haut, l’agriculture et l’économie en général car les concernés sont en forme pour travailler ; l’émancipation de tous et surtout de la femme qui fait moins de distance à pied ; la sécurité car aller aux selles veut dire en milieu rural s’éloigner du village et souvent la nuit...

Du point de vue économique, c’est aussi bénéfique par ruissellement : Les entreprises adjudicatrices payent des impôts et des salaires ; les salaires se transforment en dépenses, en impôts et en épargne. Les dépenses alimentent la production, notamment agricole, la TVA, les industries, la scolarité. L’épargne finance l’économie.

C’est ce qu’on appelle un cercle vertueux, autrement plus efficace pour le développement que de donner à manger en une fois aux intéressés. Investir, ce n’est pas uniquement les écoles et les usines. Si les gens sont trop malades pour aller dans ces écoles et ces usines, où est le bénéfice ?

Investir dans l’hygiène, c’est investir dans le capital humain, au même titre que construire un hôpital ou une école. On ne voit pas de bénéfice financier, cela doit être subventionné, mais le bénéfice à terme est indiscutable et calculable. (Coût des jours de travail non perdus + économie en dépenses de santé sur la durée) - Coût de l’investissement = bénéfice de l’investissement.

L’approche "projet communautaire" proposée par l’auteur a ses propres inconvénients : Généralement cela ne ruisselle pas car c’est hors taxes. Ensuite les emplois de bénévoles et d’animateurs créés sont précaires et disparaissent avec le projet, soit quelques mois. Les structures construites par des non-professionnels sont souvent mal faits et non durables, voir dangereux. Dans ce cas, cela discréditera même l’idée de latrines modernes, car en cas d’incident personne n’osera plus y entrer de peur que ça s’écroule sur lui !
De nombreux vestiges de projets du même genre sont encore visibles un peu partout dans le pays pour qu’on se fasse des illusions sur le "succès" de cette "recette miracle".

N.B. : Non, financer une usine Brafaso pour qu’une minorité boive encore plus de bière ne va pas développer le Burkina. Pour quelques emplois crées et quelques impôts en plus, c’est des milliards d’heures non travaillées, des milliards pour soigner des maladies hépatiques, cardio-vasculaires et gastriques, sans compter les conséquences psychiatriques et la catastrophe sociale dans les familles induites par l’alcoolisme et ses conséquences !
Et accessoirement, prendre une bonne partie de l’eau, du maïs et du mil dont nous manquons pour le plaisir de quelques privilégiés.

Latrines est mieux...


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