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ONU : "A bas les droits de l’Homme !"

Publié le vendredi 30 septembre 2005 à 06h41min

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L’écrivain David Rieff fait ici une analyse des attitudes de l’Organisation des Nations Unies (ONU) sur les questions de droits de l’Homme dans le monde. Cette institution, dit-il, "est davantage une chaire tyrannique d’où sont promulgués de hauts idéaux sur les droits humains".

Les relations entre les Nations Unies et le Mouvement des droits de l’homme ont toujours été ambiguës. D’une part, l’idéologie des droits de l’homme - car c’est une idéologie, aussi sûrement que l’était le communisme ou que l’est aujourd’hui le néolibéralisme - est profondément légaliste, revendiquant sa légitimité par des traités et autres instruments nationaux et internationaux. Ceux-ci comprennent, en “premier parmi les égaux”, la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU de 1948. Le mouvement moderne de défense des droits de l’homme est né de l’ONU, et sous de nombreux aspects n’a jamais vraiment quitté le nid.

D’autre part, l’ONU est davantage une chaire tyrannique d’où sont promulgués de hauts idéaux sur les droits humains, l’égalité et la liberté personnelle et économique, qu’une étape sur le chemin d’un gouvernement mondial (qu’importe ce qu’imaginent certains conservateurs extrémistes aux États-Unis). Certes, en son noyau institutionnel, l’ONU est un corps intergouvernemental dont les fonctionnaires, du plus jeune employé au secrétaire général, travaillent au service des Etats-membres, et par-dessus tout, de ses Etats-membres puissants. La conséquence de cette profonde contradiction entre ambition et mandat est que l’ONU semble souvent entraver l’avancée des objectifs des droits de l’homme autant qu’elle les réalise.

Les sceptiques n’ont qu’à se remémorer la mauvaise grâce de chaque secrétaire général après l’autre, de U Thant à Kofi Annan, à recevoir - parfois même à permettre l’accès aux sites de l’ONU - des victimes des violations des droits de l’homme qui avaient la malchance d’être nées dans des pays puissants. Malgré l’ampleur de l’engagement intellectuel de l’ONU dans l’élargissement des droits humains, elle se garde bien de provoquer l’ire des Chinois ou des Russes en recevant des activistes du Tibet ou de Tchétchénie.

"Un pavillon de complaisance"

A vrai dire, aucun secrétaire général de l’ONU n’a autant honoré les idéaux du mouvement de défense des droits de l’homme, ou essayé, au moins par les mots, d’associer l’ONU et ces idéaux, que Kofi Annan. La rhétorique n’est évidemment pas la réalité, et les déclarations de l’ONU ont souvent semblé très éloignées de sa réalité quotidienne. Mais les mots ne sont pas sans conséquences, et il ne fait pas de doute que les droits de l’homme ont occupé une plus grande place dans les délibérations internationales au cours du mandat de Kofi Annan que jamais auparavant. En outre, la candidate nommée par Annan au poste de haut-commissaire des droits de l’homme, l’ancienne présidente irlandaise Mary Robinson, a joué un rôle dans l’adoption d’un programme de défense des droits de l’homme dans de nombreux pays, autrefois souvent considéré comme un pavillon de complaisance pour l’ingérence occidentale.

Les proches d’Annan affirment qu’il espérait bâtir sur ces succès au cours du récent sommet de l’ONU. En mars, il a écrit que “l’Organisation [doit] prendre la cause des droits de l’homme aussi sérieusement que celles de la sécurité et du développement.” Parmi ses propositions-clés figurait le remplacement de la Commission des droits de l’homme de l’ONU, largement discréditée - qui n’est pourvue d’aucun mécanisme permettant d’exclure même des violateurs notoires des droits de l’homme comme la Libye, Cuba, ou le Zimbabwe - par un nouveau Conseil des droits de l’homme, où de tels embarras ne seraient en théorie pas tolérés.

Il est généralement admis que ce sommet a été un échec. Annan lui-même l’a concédé dans son discours d’ouverture de la 60e Assemblée générale des Nations Unies.
Il existe de nombreuses raisons à cela. Il y a eu la décision de la onzième heure du gouvernement américain d’ajourner des centaines d’objections à la Déclaration finale du sommet, la réduisant ainsi à une série de platitudes au plus petit dénominateur commun. Il faut aussi compter avec le scepticisme des pays en voie de développement se demandant si une plus grande implication de l’ONU dans les droits de l’homme était vraiment ce que prétendait Annan ou s’il s’agissait seulement d’un pavillon de complaisance, voire pire encore, d’une justification légale d’une intervention militaire occidentale.

"Impérialisme agressif"

Les stratagèmes de John Bolton, diplomate farouchement anti-ONU récemment nommé ambassadeur à l’ONU par Bush, ont récemment fait l’objet, à juste titre, de beaucoup d’attention. Cependant, ce qui a eu tendance à se perdre lors de ces discussions sont les synergies malveillantes entre un Tiers-monde suspicieux que des interventions soi-disant humanitaires ne cachent qu’un retour au colonialisme, et une administration américaine partisane du désarmement unilatéral, gagnée au concept de guerre préventive contre des ennemis qu’elle assimile à des Etats violant les droits de l’homme.

Etant donné que l’administration Bush, comme le répètent avec insistance ses représentants, a placé l’instauration par la force si nécessaire de régimes démocratiques et tournés vers la défense des droits humains au cœur de la politique étrangère des Etats-Unis, ceux qui ne voient qu’impérialisme agressif dans les interventions américaines en Afghanistan et en Irak considèrent les droits de l’homme d’un angle plus sceptique. Dans un sens, l’ONU, Annan et les activistes des droits de l’homme qui ont sans doute été ses plus farouches partisans, sont pris entre deux feux.

Tout cela fait penser à l’un des derniers films du grand réalisateur espagnol Luis Buñuel. La séquence précédant le générique montre un groupe de guérilleros espagnols pendant l’insurrection contre Napoléon que l’on mène devant un mur où les attend un peloton d’exécution. En tête de ce peloton, un soldat français porte le drapeau tricolore. On peut y lire la grande devise “Liberté, Egalité, Fraternité.” Les guérilleros sont placés contre le mur, et au moment où les soldats épaulent leurs fusils, un insurgé s’écrie : “à bas la liberté !” Il semble que nous n’ayons pas beaucoup progressé depuis.

David Rieff est l’auteur de At the Point of a Gun : Democratic Dreams and Armed Intervention [à la pointe du fusil : rêves de démocratie et intervention armée] et de l’ouvrage A Bed for the Night : Humanitarianism in Crisis [Un lit pour la nuit : l’humanitaire en crise].

Le Pays

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