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Côte d’Ivoire : Rackets en zone rebelle

Publié le jeudi 29 septembre 2005 à 08h28min

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Emprunter les voies desservant toute la zone occupée par les Forces nouvelles n’est pas toujours chose aisée. Le séjour dans la région et notre randonnée sur le terrain nous ont permis de voir et même de vivre le calvaire des habitués et des usagers des principales routes menant aux différents villes et villages. Une expérience à partager...

Dimanche 18 septembre. Il est temps de reprendre le chemin afin de rejoindre le plus vite possible notre destination : Bouaké. Solo Ninja, le chef de sécurité de Ouangolo, qui doit aller se ravitailler en essence à Férkessedougou nous propose ses services : " Nous vous déposerons à Ferké où vous pourrez avoir facilement un véhicule en partance pour Bouaké. Cela vous facilitera la tâche et vous gagnerez plus en temps". Une proposition que nous n’avons pas refusée. Vers 14 h, nous embarquons dans le véhicule, accompagnés de ses deux gardes du corps vêtus de treillis et armés de kalachnikovs. Solo Ninja qui est au volant du véhicule nous présente au passage quelques services qui continuent de fonctionner dans la ville.

Et il nous suggère de nous agripper car la voie n’est pas bonne et le temps presse. Comparativement à la veille, au premier barrage, il n’ y aura pas d’arrêt : reconnaissant le véhicule du " Chef", les militaires et les volontaires qui y ont pris position débarrassent la voie des barbelés et s’approchent pour saluer leur supérieur et plaisanter durant quelque temps avec lui. Quelques instants plus tard, le Chef de sécurité de Ouangolo déclarera : " Ils sont toujours comme ça. Ils ne passent nous voir au bureau que quand il y a un problème de partage de sous. Les groupes se relayent toutes les semaines et les éléments de chaque groupe se partagent une partie de leur gain." Et de préciser qu’il parle de frais de route.

Des nids de poule

Après le passage du véhicule, les barbelés reprennent leur position initiale. Une quinzaine de minutes plus tard, nous apercevons un autre barrage devant nous. Celui-ci n’est pas occupé par des militaires, mais plutôt par les chasseurs traditionnels plus connus sous le nom "dozo". En lieu et place de barbelés comme barrière, ces derniers ont fait usage d’une corde tendue dans le sens de la largeur de la route. Comme au niveau du premier barrage, les maîtres des lieux firent vite de débarrasser les lieux. Notre chauffeur du jour remua la tête et grommella des mots entre ses dents.

La principale voie menant à Bouaké n’a plus rien d’une voie bitumée. Elle est parsemée de nids de poule et autres trous béants, conséquences des multitudes d’ opérations de ravitaillement des troupes et des multiples va-et-vient de camions maliens et burkinabè. Les véhicules sont quelquefois obligés de circuler sur le côté gauche afin de pouvoir éviter ces obstacles qui retardent leur avancée. Les Forces nouvelles ont mis en oeuvre un système afin de réparer les routes : des volontaires sont chargés de fermer les nids de poule avec du ciment. Mais cela semble être en deçà des attentes.

A Ferké, nous avons fait une pause afin de prendre langue avec le commandant du secteur, l’Adjudant Faustin N’dri Yao, militaire de carrière et un de ceux qui ont participé au combat pour la reprise de la ville de Man par les Forces nouvelles. Opportunité saisie par ce dernier pour faire savoir que " Tout roule comme sur des roulettes à Ferké".

La randonnée avec Solo Ninja et ses gardes du corps a pris fin au niveau du dernier barrage situé à la sortie de la ville où nous avons été confiés aux militaires et volontaires (civils). Leur mission était de nous trouver de la place dans un véhicule en partance pour Bouaké.

Le racket, une pratique en vogue

Mais dès que le "Chef" tourna le dos, ils s’abandonnèrent à leur occupation favorite : contrôler les pièces de tout véhicule qui se présente au barrage, vérifier que les chauffeurs se sont acquittés des frais de route (estimés à environ 700 000 F CFA par convoi), entrer en possession des frais devant revenir à leur poste et se faire le maximum de "jetons" possible avec les usagers de la voie. Les chauffeurs de véhicule les rejoignent sous le hangar qui leur sert de bureau afin de verser les frais de route.

Après, l’autorisation leur est donnée de traverser le barrage. La plupart des convois de camions sont escortés par des militaires issus des Forces nouvelles.
Nous attendons durant plus d’une heure. Après quelques tentatives vaines pour nous faire conduire à Bouaké, les responsables du barrage finissent par nous oublier. Nous ne devrons notre salut qu’à l’arrivée d’un véhicule de marque "Dyna" bondé de passagers.

Le chauffeur, après s’être acquitté des frais de route, fait savoir qu’il a pour destination Bouaké. Nous entrons dans le véhicule sans avoir au préalable " marchandé" les frais de transport. Il fallait dénicher des places : le véhicule de 18 places (la capacité autorisée) transportait au total 22 passagers. L’apprenti, lui, avait tout gentiment rejoint les bagages posés au-dessus de la voiture.

Mais à peine nous sommes-nous assis, qu’une bagarre éclate à l’extérieur du véhicule. Un jeune homme qui demande son dû au chauffeur du véhicule pour lui avoir fourni deux passagers, le photographe et moi. "Encore un de ceux qui vivent sur le dos des gens. Ils ne font rien comme boulot, mais sont toujours prêts à profiter des autres", fit savoir une femme. Quelques minutes plus tard, il est satisfait. Le chauffeur de notre véhicule venait de lui offrir la somme de 200 F CFA. Et le véhicule s’ébranla vers Bouaké, "la rebelle". A chaque barrage, les passagers sont pratiquement sommés de verser chacun la somme de 100 F CFA ou moins. Ceux qui n’ont rien sont obligés de négocier.

" Pas de rackets". Ce sont les calicots placardés au niveau de nombreux barrages. Mais cela semble ne pas être apprécié par les volontaires gérant les barrages.
Selon certains responsables des FN, il existerait aussi sur les voies un lot de faux barrages placés à dessein.

Après de multiples arrêts aux barrières installées aux entrées et sorties des différents villages traversés et à quelques kilomètres de Katiola (ville située à une centaine de kilomètres de Bouaké), nous sommes arrêtés in extremis : un groupe de Dozos qui effectuaient un voyage dans un camion venait d’essuyer des tirs de braqueurs. Notre véhicule s’immobilise, le temps de permettre aux soldats postés au barrage et aux Dozos de "contre-attaquer". Trois quarts d’heure plus tard, l’autorisation nous est donnée de continuer notre voyage.

A l’entrée de Bouaké, les passagers de tout véhicule, à l’arrivée comme au départ, sont obligés de passer au "Corridor nord", un poste de contrôle, pour la présentation des documents et les fouilles. Au niveau de ce poste comportant de nombreux couloirs, les documents officiels ou autres laissez-passer n’ont aucune valeur : la présentation des documents d’identité donne lieu au versement de la somme de 200 F CFA. Au niveau de la fouille, c’est le même procédé, 200 F CFA à verser.

Afin de faciliter la tâche à leurs passagers et de gagner du temps, certains chauffeurs, comme celui qui nous a raménés au Burkina, préconisent que chaque passager remette la somme de 500 F CFA à l’apprenti. Ce dernier est chargé de verser une somme forfaitaire à chaque barrage pour le compte des occupants du véhicule.

Alain DABILOUGOU ( Envoyé spécial )

Le Pays

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