Santé : La vaccination, « une révolution de l’histoire de la santé humaine », au-delà des controverses qu’elle suscite
De plus en plus de personnes dans le monde contestent l’efficacité des vaccins, les jugeant même dangereux pour la santé. Les vaccins sont-ils réellement dangereux comme ils le prétendent ? Font-ils au contraire plus de bien que de mal ? Pourquoi alors tant de controverses ? Ce sont des interrogations sur lesquelles ont bien voulu se pencher Dr. Lassané Kaboré, Pharmacien, Epidémiologiste, spécialiste de la vaccination, consultant de santé publique et Dr. Moumini Niaoné, Médecin, spécialiste santé sociale, communautaire et comportementale, spécialiste certifié en éducation de santé, consultant de santé publique.
Qu’est-ce qu’un vaccin et quel est le principe de base de l’action d’un vaccin ?
Un vaccin est tout simplement un médicament utilisé à titre préventif. Il procure une immunité (protection) dite acquise différente de l’immunité dite naturelle que l’on acquiert en étant exposé à des agents pathogènes qui circulent dans la nature au cours de la vie.
Le système immunitaire est conçu pour s’attaquer aux organismes étrangers qui envahissent le corps humain, notamment les virus et les bactéries. Il est à même de reconnaitre certaines composantes des agents pathogènes appelées antigènes ; il produit alors des protéines appelées anticorps et un type de globule blanc appelé lymphocyte pour prendre en charge et détruire l’organisme envahisseur.
Lors de la première rencontre du système immunitaire avec un microbe, il se développe des lymphocytes dites à mémoire qui enregistrent en quelque sorte les caractéristiques majeures du germe en question. Cette memoire va permettre au système immunitaire de réagir rapidement et efficacement lors des rencontres ultérieures avec le même germe. C’est ce qui explique que pour certaines maladies comme la rougeole, si on est atteint et guéri, on développe une immunité a vie, si bien qu’on ne refera plus cette maladie. La nature (ou Dieu) a donc prévu le mécanisme par lequel notre organisme doit se défendre contre des agents infectieux potentiellement mortels.
La médecine humaine (et vétérinaire aussi) à travers la vaccination ne fait que copier ce mécanisme naturel de défense, tout en essayant d’innover. On inocule une partie d’un micro-organisme a une personne afin de la sensibiliser contre ce germe, de sorte a ce que son corps soit préparé à reconnaitre et combattre ce meme germe lors des contacts ultérieurs.
L’innovation tient du fait que la dose inoculée est suffisamment importante pour alerter et déclencher le système de défense immunitaire, mais trop faible pour provoquer une maladie. Pour utiliser une métaphore militaire, le système immunitaire peut être vu comme une armée avec ses soldats et ses armes. La vaccination serait alors un exercice de reconnaissance pour cette armée, lui permettant d’identifier et de mémoriser l’ennemi, de manière à pouvoir fabriquer les armes nécessaires et adaptées pour sa destruction lors des prochaines confrontations.
Les vaccins font-ils plus de bien que de mal ?
Absolument, les vaccins font beaucoup de bien et ont même changé le cours de l’histoire des hommes. Il y a certes quelques effets secondaires qui très rarement peuvent être graves, mais de règle générale se vacciner est un excellent choix pour la santé. La vaccination est l’une des interventions sanitaires les plus efficaces et les plus économiques. Elle a permis de réduire de 99 % à ce jour l’incidence mondiale de la poliomyélite, et de faire baisser de façon spectaculaire les maladies, les incapacités et les décès dus à la diphtérie, au tétanos, à la coqueluche, à la tuberculose. A la lumière des données scientifiques solides sur le nombre d’enfants qui meurent ou qui tombent malades selon qu’ils soient vaccinés ou pas, on peut dire sans risque de se tromper que les vaccins sont une des révolutions de l’histoire de la santé humaine.
Rappelons que pendant des siècles, les croyances dominantes dans les cultures humaines accordaient une origine surnaturelle aux maladies. Aussi, on pensait que les maladies telles que la tuberculose, la peste noire, la malaria, le choléra étaient causées par un gaz délétère (miasme) venant de la décomposition des matières organiques. La solution était d’éliminer la source du miasme ou de les remplacer par du parfum ou de bruler de l’encens. L’amélioration de la santé des populations après l’élimination des sources de miasmes ont été les débuts de l’ère hygiéniste.
De grands programmes d’assainissement ont permis de sauver des millions de vie. Cependant, certains scientifiques n’étaient pas convaincus par la théorie du miasme. L’anglais John Snow avec sa fameuse publication sur l’épidémie du choléra en 1849, puis le français Louis Pasteur avec sa publication sur la théorie du germe 1878 ont permis d’établir l’origine microbienne de certaines maladies, confirmant ainsi la théorie de transmission des maladies par contagion de l’Italien Girolamo Fracastoro (1546).
De la découverte historique de Pasteur naitra l’ère des vaccins qui a permis de sauver à ce jour des millions et des millions de vie. De nos jours, on estime que la vaccination permet de sauver 2.5 millions de vies chaque année. On pourrait en sauver davantage si plus de personnes avaient accès aux vaccins essentiels à travers le monde.
Pourquoi sont-ils de plus en plus controversés ?
Déjà il faut connaitre la notion de controverse fabriquée, ou fausse controverse, qui est une stratégie de manipulation utilisée par certains groupes de pression pour semer le doute dans l’esprit de l’opinion publique sur des sujets qui font pourtant l’objet d’un consensus scientifique. L’industrie du tabac (depuis les années 1950) par exemple, est très forte dans cette manipulation, vous avez dû voir la promotion de la nicotine au cours de cette pandémie de Covid19, pourtant c’est connu que la nicotine détruit.
Les controverses sont nées depuis les débuts de la variolisation, qui consistait à inoculer à une personne saine la variole venant d’une personne moyennement malade ou variolisée elle-même. Certains fervents défenseurs des libertés individuelles absolues, pensent que les obligations vaccinales sont une atteinte aux libertés individuelles ou une conspiration avec les grandes compagnies pharmaceutiques pour faire du profit. On trouve donc dans plusieurs pays occidentaux des associations antivaccins qui utilisent beaucoup les controverses fabriquées.
Certains évènements malheureux comme celui de Lübeck, en Allemagne, en 1932 avec 240 enfants vaccinés par voie orale contre le BCG dont 72 sont décédés plus tard de tuberculose. Même si les enquêtes ont montré plus tard que le vaccin était accidentellement contaminé, cela avait déjà consolidé les peurs chez la population et renforcer les méfiances des antivaccins. Des exemples foisonnent, et nous pouvons mentionner le vaccin contre le papilloma virus humain en prévention du cancer du col de l’utérus, l’échec d’un essai clinique pour un traitement anti méningitique au Nigéria.
L’un des cas les plus emblématiques est celui du Dr Andrew Wakefield, médecin anglais qui a publié un article en 1998 dans lequel il prétendait que le vaccin ROR (rougeole-oreillon-rubeole) causait de l’autisme chez les enfants vaccinés. Cet article a constitué du pain béni pour les conspirationnistes pour argumenter en défaveur de la vaccination, et de faire dire à certains conspirationnistes Africains que les occidentaux veulent exterminer les populations noires.
Par la suite, il s’est avérée que les allégations de Wakefield n’étaient ni réelles ni vérifiables, ce qui a conduit à la rétraction de son article et a sa radiation de l’ordre des médecins de son pays. Tout récemment, des auteurs danois examinant des données sur 657 461 enfants nés au Danemark entre 1999 et 2010 ont trouvé que le pourcentage d’enfants autistes était similaire entre les groupes d’enfants vaccinés et non vaccinés.
Il y a cependant des voix qui s’élèvent pour soutenir le caractère obligatoire des vaccins : « la coercition légale, dans la limite où elle est démontrée nécessaire à la protection de la santé publique du plus grand nombre, non seulement est nécessaire mais s’impose aux sociétés ».
Est-il conseillé de donner le même vaccin à tout le monde, sachant que les organismes sont différents ?
C’est la même chose que si on posait la question, pourquoi donne-t-on du paracétamol à tout le monde pour soulager une douleur ou un mal de tête. Même s’il peut y avoir de rares variations d’un individu à l’autre, tous les humains ont globalement le même système immunitaire lié au fait que nous avons les mêmes gènes, en dehors des cas de mutations par exemple. Cela veut dire que la majorité des humains répondront de la même manière à un vaccin.
Cependant, il faut noter que des facteurs comme l’âge peuvent affecter l’efficacité du système immunitaire. Par exemple, les vaccins polysaccharidiques qui sont généralement utilisés pour répondre aux épidémies de méningite dans les pays dits de la ceinture africaine de la méningite ne sont pas efficaces chez les enfants de moins de deux ans du fait de l’immaturité de leur système immunitaire, si bien qu’on ne les inclut pas dans la cible à vacciner. Les personnes âgées aussi du fait de l’affaiblissement de leur système immunitaire peuvent ne pas répondre à certains vaccins.
Mais ces situations sont généralement connues à l’avance grâce aux études cliniques menées avant la commercialisation des vaccins et seront indiquées dans la notice. Il faut tout de même noter que grâce a ce qu’on appelle l’immunité de groupe, on n’a pas nécessairement besoin de vacciner 100% de la population pour contrôler une maladie infectieuse. Il y a des seuils de couverture vaccinale qui sont définis et lorsqu’ils sont atteints, empêchent la circulation du germe dans la population, et permettent ainsi d’éviter qu’on ne tombe malade, qu’on soit vacciné ou pas. Par exemple, ce seuil est de 95% pour la rougeole, ce qui veut dire que nous devons faire en sorte qu’au moins 95% de nos enfants soit vaccinés et protégés contre cette maladie.
Est-ce que les vaccins contiennent des substances toxiques ?
Non, les vaccins ne contiennent pas de matières toxiques.
En plus de la composante principale qu’est l’antigène (fragment du micro-organisme contre lequel on veut immuniser), les vaccins contiennent également :
Des stabilisateurs comme le chlorure de magnésium ou le sulfate de magnésium afin de conférer au vaccin une stabilité contre les variations de températures et de pH
Des adjuvants pour stimuler la production d’anticorps et augmenter la réponse immunitaire. C’est le cas des sels d’aluminium.
Des antibiotiques (exemple néomycine) utilisés en quantités infimes (traces) pour prévenir des contaminations lors de la fabrication du vaccin
Des agents conservateurs dans les flacons multidoses pour inhiber la croissance microbienne. Le thiomersal et le formaldéhyde sont parmi les plus utilisés. Le thiomersal est utilisés depuis les années 1930 et fait l’objet d’une surveillance rigoureuse du fait qu’il contient de l’éthyle mercure. Les différentes analyses menées à ce jour n’indiquent pas une toxicité de cette substance suivant les doses utilisées dans les vaccins. Les doses de formaldéhyde utilisées dans les vaccins sont des centaines de fois inférieures aux doses toxiques connues chez l’homme ; par exemple, le vaccin pentavalent contient une concentration en formaldéhyde de moins de 0.02% par dose, soit 200 parties par million.
Les enfants non vaccinés se porteraient mieux que les enfants vaccinés, quelle est votre lecture de cette assertion ?
C’est peut-être une impression, mais il n’y a pas de données scientifiques pour étayer cette affirmation. Bien au contraire, les différentes études évaluant l’impact des vaccins montrent clairement qu’il y a une baisse substantielle de maladies et de décès chez les personnes vaccinées. Comme élaboré plus haut, même les personnes non vaccinées peuvent bénéficier de l’immunité dite de groupe si une masse critique d’enfants sont vaccinées. A titre d’exemple, une étude menée dans les districts sanitaires de Nouna, Orodara et Séguénéga (Kabore et al) a montré une baisse des hospitalisations pour pneumopathies de 34% dans les CMA de même nom, 5 ans après l’introduction du vaccin contre les infections à pneumocoques introduit au Burkina Faso en 2013. Ce résultat est significatif compte tenu de la fréquence des pneumonies chez les enfants, et se traduirait par plus de 10000 hospitalisations évitées chaque année sur le plan national, avec des avantages économiques évidents au-delà de la préservation de la santé et de la vie de ces enfants.
Autre exemple : Depuis l’avènement du vaccin conjugué contre le méningocoque A en 2010 au Burkina Faso, la méningite causée par ce germe a presque disparu, et le pays ne connait plus les grosses épidémies de méningites des années antérieures.
Auteurs :
Dr. Lassané Kaboré, Pharmacien, Epidémiologiste, spécialiste de la vaccination, consultant de santé publique.
Dr. Moumini Niaoné, Médecin, spécialiste santé sociale, communautaire et comportementale, spécialiste certifié en éducation de santé, consultant de santé publique.
Quelques références bibliographiques
Andrew Wakefield : https://fr.wikipedia.org/wiki/Andrew_Wakefield (consulté le 05/08/2020)
Kaboré L, Ouattara S, Sawadogo F, et al. Impact of 13-valent pneumococcal conjugate vaccine on the incidence of hospitalizations for all-cause pneumonia among children aged less than 5 years in Burkina Faso : An interrupted time-series analysis. Int J Infect Dis. 2020 ;96:31-38. doi:10.1016/j.ijid.2020.03.051
Trotter CL, Lingani C, Fernandez K, Cooper LV, Bita A, Tevi-Benissan C, et al. Impact of MenAfriVac in nine countries of the African meningitis belt, 2010–15 : an analysis of surveillance data. The Lancet Infectious Diseases. 2017 Aug 1 ;17(8):867–72.
World Health Organization. Vaccine safety basics. Leaning manual, 2013. Disponible sur : https://www.who.int/vaccine_safety/initiative/tech_support/Vaccine-safety-E-course-manual.pdf?ua=1