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Ibrahim Boubacar Keïta : Le président qui se voulait « mieux que De Gaulle, mieux que Mitterrand » (2)

Publié le dimanche 23 août 2020 à 08h30min

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 Ibrahim Boubacar Keïta : Le président qui se voulait « mieux que De Gaulle, mieux que Mitterrand » (2)

Il avait été candidat à la présidentielle de 2002. Il ne sera pas qualifié pour le second tour remporté par Amadou Toumani Touré (ATT). Il remettra le couvert en 2007. Mais ATT l’emportera dès le premier tour. Dès 2011, il entrera en campagne pour la présidentielle de 2012. C’était compter sans la « guerre » déclenchée par le MNLA puis le coup d’Etat militaire contre ATT. Il lui faudra attendre le 11 août 2013 pour être, enfin, élu à la présidence de la République du Mali. Sept ans plus tard (18 août 2020), presque jour pour jour, le voilà à son tour par terre !

Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), au lendemain du déclenchement de la « guerre » par le MNLA (17 janvier 2012) mais avant le coup d’Etat militaire (22 mars 2012), avait jugé qu’il « est plus que jamais nécessaire de mettre en œuvre un grand dialogue national associant toutes les composantes communautaires du Nord-Mali, les forces politiques et chefferies traditionnelles, l’administration locale et centrale, des experts et représentants de la société civile ». Il ajoutait : « C’est la raison pour laquelle j’ai proposé l’organisation d’assises nationales du Nord. Elles nous permettront de nous comprendre, de redéfinir les contours de l’Etat pour mieux l’adapter aux besoins des populations et faire en sorte que chacun participe à sa gouvernance » (Jeune Afrique du 5-11 février 2012).

Malgré tout en campagne, dans un contexte totalement différent de celui qui prévalait en 2011, IBK aura été incontestablement l’homme qui visait l’échéance présidentielle avec le plus de certitudes. Il savait que ce serait, pour la première fois depuis vingt ans, la première élection ouverte : pas de sortant, pas de dauphin. Il s’y était donc préparé de bonne heure. Quand il sera avéré que la présidentielle 2012 devrait être reportée aux calendes grecques à la suite de la « guerre » au Nord-Mali puis du coup d’Etat d’Amadou Haya Sanogo, il se retirera prudemment de la première ligne, savourant secrètement, mais sans ostentation, la chute du régime d’ATT.
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La « fureur guerrière » lui « fait peur » ; il n’aimait pas, non plus, « les irréductibles barbus des mouvements islamisant », pas plus que les « autres, plus tièdes, mais non moins dangereux, des néophytes d’autant plus zélés ». L’intervention militaire, alors, lui « semble inéluctable », « un processus » ayant été « enclenché ». Il ne voyait « pas de quoi on peut discuter » avec le Mujao qui avait entamé « une nouvelles croisade radicale au nom de l’islam et fricote avec le narcotrafic ». Ansar Dine voulait appliquer la charia et « ça, ce n’est pas négociable ». Il comprenait qu’il y avait « un seuil à partir duquel plus rien ne sera négociable en raison des excès commis ». Il comptera sur l’Algérie qui a « assez d’influence » sur Ansar Dine pour « l’amener à composer ». Il doutait que les troupes de la Cédéao soient entraînées aux « techniques de lutte » mises en œuvre par les groupes armés du Nord-Mali mais voyait dans « l’engagement très ferme de la France » un « très bon signe ». Si « l’armée malienne a été humiliée », il ne doutait pas qu’elle pourrait se réarmer « dans tous les sens du terme, matériellement et moralement ». Quant à la tenue d’élections qui, seules « procurent la légitimité pour fonder une autorité », il fallait « y parvenir le plus vite possible ». Restait à savoir « comment ».

Ces propos de IBK, publiés dans Le Monde du 3 novembre 2012, faisaient totalement l’impasse sur le MNLA, d’autant plus l’ennemi absolu que IBK était alors considéré comme étant proche du capitaine Sanogo. Ce ne sera qu’à la suite de l’intervention française, le vendredi 11 janvier 2013, qu’il prendra ses distances avec la junte dont, dira-t-il, « il ne faut pas exagérer l’importance ». Avant que Sanogo ne soit officiellement installé comme président du Comité militaire de suivi des réformes des forces de défense et de sécurité, le jeudi 14 février 2013, IBK dira au quotidien Le Figaro : « Si certains caressent le souhait de faire jouer un rôle de chef d’Etat au capitaine Sanogo, je dis carrément que ce ne serait pas son intérêt ni dans celui du Mali ». Il ajoutait au sujet des prochaines échéances : « La France est seul juge de son calendrier [au Mali] et je comprends ses contraintes. J’espère simplement qu’avant de partir nos amis français auront eu le temps de faire ce qu’il faut pour que tout soit remis en ordre ». Dans ce même entretien avec Le Figaro (11 février 2013), il disait au sujet du MNLA : « Pour la paix au Mali, je serais prêt à discuter avec n’importe qui de sincère. Mais le MNLA, quoi qu’il en dise, est toujours indépendantiste. Ce n’est pas tolérable. Et quand on parle d’autonomie, il faut faire attention aux mots. Autonomie par rapport à qui ? Et pour gérer quoi ? Les Touareg sont une minorité dans le Nord […] Il n’y a jamais eu de volonté d’éliminer les Touareg. Ils ne sont pas les Indiens du Mali et Iyad Ag Ghaly n’est par Geronimo ».

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Interrogé par Africa 24 à la veille du premier tour de la présidentielle 2013 (auquel participeront 27 candidats) et questionné pour savoir ce qu’il pensait de ses adversaires, IBK aura cette réplique gaullienne : « Je suis moi. Je ne me compare à personne d’autre ». Sauf, bien sûr, à Charles De Gaulle : « Comme lui, dira-t-il, je suis un homme face à son peuple ». IBK se voulait un « homme d’expérience », un « patriote ardent », un « Malien intègre », en « fusion totale avec le peuple », un homme « sans aucune fortune ». C’est Alassane D. Ouattara, président de la République de Côte d’Ivoire, président en exercice de la Cédéao, qui dira sur RTI ce qu’il fallait dire alors : « Le prochain candidat malien sera à nouveau un président de transition ». Malheureusement, « le prochain candidat » quel qu’il soit pense toujours pouvoir être un président à part entière.
Sans surprise, IBK sera proclamé vainqueur du deuxième tour de la présidentielle, le dimanche 11 août 2013, avec plus de 77,6 % des voix contre moins de 22,4 % pour son challenger, Soumaïla Cissé. François Hollande, président de la République française et ami de IBK, qualifiera cette victoire de « ample ». Le mercredi 4 septembre 2013, IBK sera investi dans sa fonction de président de la République du Mali. Le jeudi 19 septembre 2013, alors que Bamako était devenue la capitale de l’Afrique, au stade du 26-Mars, face à une trentaine de chefs d’Etat et de gouvernement venus saluer sa victoire (dont Hollande lui-même), IBK rappellera que s’il a été comparé à Charles De Gaulle, François Mitterrand et même Edgar Faure (président du Conseil sous la IVè République !), « mieux que De Gaulle, mieux que Mitterrand, mieux que Faure, je suis moi-même ».

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La fin de l’année 2013 ne sera pas des plus faciles. IBK pensait être le président d’un pays « normal », il va vite se rendre compte que c’était loin d’être le cas. Et quand il l’oubliera, le Nord-Mali et la communauté internationale vont le lui rappeler. Le mardi 1er octobre 2013, alors qu’il séjournait à Paris, de retour des Etats-Unis, IBK devra rentrer précipitamment à Bamako à la suite d’incidents graves à Tombouctou. Le jeudi 5 décembre 2013, il dénoncera dans Le Monde la collusion entre la France et le MNLA et va basculer du côté d’Alger, remettant ainsi en question la médiation menée jusqu’alors par Ouagadougou. Jean-Yves Le Drian, ministre français de la Défense, ne tardera pas à déplorer que le processus de réconciliation « n’avance pas assez vite » entre Bamako et Kidal.

Dans son premier discours de Nouvel An, IBK n’aura pas manqué de souligner qu’il avait trouvé un « Mali à genoux » : « Etat vermoulu depuis plus d’une décennie » ; « autorité considérablement affaiblie » ; « mauvaise gouvernance » ; « caisses vides » ; « forces de défense et de sécurité plus à la hauteur » ; « tissu social lardé, déchiré, abimé »… Un diagnostic qui laissait entendre qu’il ne fallait pas attendre de miracles. « Les chantiers sont longs et fastidieux, et il faut un certain temps pour changer le quotidien ». IBK se voulait un « président fier », « fier de son peuple », « fier de son pays libéré qui renoue avec l’espoir ». Il s’agissait donc d’effacer l’humiliation « subie au cours des deux années passées ». Le premier mandat de IBK ne permettra pas effectivement de réaliser des miracles ni d’effacer l’humiliation. Bien au contraire. La situation sécuritaire ne cessera de se détériorer, malgré la présence militaire massive française, et le Mali restera, dans les faits, coupé en deux : le Sud « utile », le Nord « rebelle ».

Réélu au deuxième tour de la présidentielle 2018, face cette fois encore à Soumaïla Cissé, IBK sera confronté à une situation politique et sociale dégradée, y compris dans son fief de Bamako. Le 18 août 2020, ce sera fini. « Il a crevé comme un pneu qui passe sur un clou », avait écrit Léon Trotsky, dans La Révolution permanente, au sujet du régime du général espagnol Miguel Primo de Rivera, arrivé au pouvoir en 1923 à la suite d’un pronunciamiento et contraint de démissionner en 1930, sous la pression de ceux qui l’avaient porté au pouvoir sept ans plus tôt. Le régime de IBK vient de « crever comme un pneu qui passe sur un clou ». Pas de quoi réjouir le Mali, l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique.

Jean-Pierre Béjot

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Vos commentaires

  • Le 23 août 2020 à 11:59, par Mogo En réponse à : Ibrahim Boubacar Keïta : Le président qui se voulait « mieux que De Gaulle, mieux que Mitterrand » (2)

    Ainsi fini le parcours de tout président dictateur et corrompu. Il n’a pas su écouter la voix de son peuple. On se souvient qu’après que Blaise Compaoré soit chassé du pouvoir, IBK est venu danser à Ouaga pour célébrer ce départ. L’histoire tourne et va bientôt se répéter dans un pays de la sous-région (Togo, RCI ou Guinée, à qui le tour ??). Dictateurs de tout bord, vous n’échappez pas à la volonté du peuple

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