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Quand Joseph Ouédraogo parlait de liberté, de race, de religion, de communisme…

Publié le vendredi 3 juillet 2020 à 22h25min

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Quand Joseph Ouédraogo parlait de liberté, de race, de religion, de communisme…

Il fut l’un des trois rivaux célèbres du Rassemblement démocratique africain (R.D.A), face à Gérard Kango Ouédraogo et Issouf Joseph Konombo. Lui-même se définissait comme « le lépreux qui ne peut pas traire les vaches, mais qui sait renverser les calebasses ». Très influent dans le milieu syndical de l’époque, il a été de toutes les batailles politiques de son époque et a contribué significativement à la chute du Président Maurice Yaméogo, le 3 janvier 1966.

Lui, c’est Joseph Ouédraogo dit Jo Wéder ! Il fut comme beaucoup d’autres hommes politiques, interné sous le Conseil de salut du peuple (CSP) qui avait à sa tête, le Président Médecin-Commandant Jean-Baptiste Ouédraogo.

Au moment où la situation sécuritaire de notre pays se fait de plus en plus douloureuse, au moment où le communautarisme et les préjugés en tous genres mettent sournoisement à mal notre vivre ensemble, au moment où le tissu national est entrain de s’effilocher, cette lettre que « l’Homme de Saaba » (localité aux portes de Ouagadougou), avait adressé, de son exil de Ouahigouya, au Président du CSP, peut donner à réfléchir, sur les dangers multiples et multiformes qui guettent notre cher Faso.


Ouédraogo Joseph
Ancien Président de l’A.N de Haute-Volta
Interné Administratif à Dori

Dori, le 10 avril 1983

A Monsieur le Médecin Commandant
Jean-Baptiste Ouédraogo, Chef de l’Etat

Excellence,
Toute injustice commise contre un homme est une injustice contre la dignité de l’humanité entière car la dignité des hommes en tant que tels procède du même principe que vous devez connaître autant que moi, puisque vous en parlez à tout moment. Je voudrais en ce dimanche de captivité imméritée vous entretenir de deux problèmes.

Premièrement, je suis arrêté et interné soit disant pour avoir participé à une réunion de conspiration contre le C.S.P. Cette réunion d’après votre propre déclaration se serait tenue le 15 Mars 1983 de 13h à 15h chez mon ami Kaboré François à Tanghin-barrage à Ouagadougou.

Vous devez savoir maintenant que cette accusation est absolument fausse, dénuée de sens et même criminelle, puisqu’elle vous emmène à attenter à la liberté de vos semblables, à la dignité de vos frères de race et de religion. Cette ignoble accusation vous place face à face avec votre conscience car elle est une odieuse calomnie.

J’ai demandé en effet à être confronté et il n’en a rien été. J’ai demandé à connaître les noms des commerçants présents à la réunion et on n’en a pu citer aucun. Bref si vous n’avez pu apporter aucune preuve, c’est que tout ce que veut et tout ce que dit « le pouvoir » seul est vrai ! Votre vérité c’est que vous m’avez séparé de ma famille, séparé de mes amis et séparé de mes occupations professionnelles. Votre seule vérité, c’est que vous m’avez interné à Dori pour miner ma santé et faire le vide devant vous. Faites un examen de conscience et répondez-vous à vous-même : exigez de ceux qui vous ont induit en erreur des preuves et l’acceptation d’une confrontation car condamner un homme sans l’avoir entendu constitue une condamnation injuste et préméditée.

Je pouvais m’attendre à tout en Haute-Volta sauf d’être victime de mensonge surtout de votre part. Vous connaissez comme moi les chemins tortueux qu’empruntent ceux qui ne croient ni à Dieu ni au diable.
J’en viens donc au deuxième point de mon entretien. Je suis victime justement de ceux qui ne croient ni à Dieu ni au diable.

J’ai été arrêté ainsi que Frédéric Guirma pour avoir dénoncé le communisme athée qui fait sournoisement son entrée en Haute-Volta sous le couvert de gens qui se disent croyants et même chrétiens. Mais nous n’avons jamais écrit que le CSP était communiste !

Je suis interné pour avoir osé dire que je ne soutiendrai jamais le communisme. Mais Monsieur le Président, quel mal y a-t-il à être contre le communisme ? Vous êtes Chrétien, est-ce que les Musulmans vous ont interné ? Quand le précédent régime était CMRPN et que vous étiez CSP en puissance, est-ce que le CMRPN vous a interné ? Quand le RDA, le vrai, était au pouvoir est-ce qu’il avait interné les partisans du PAI ou de la LIPAD ? Et pourtant on les connaissait !

M’interner parce qu’anticommuniste, c’est violer ma conscience et je peux accepter difficilement de pareilles pratiques de la part de responsables qui ne parlent que de liberté de conscience, de justice et de démocratie. La liberté et la démocratie supposent la possibilité du choix et c’est le respect de ce choix qui constitue la justice au moins dans ces deux domaines.

J’ai exercé mes droits d’homme et mes droits de citoyen d’un pays proclamé surtout par vous, pays de liberté, de justice et de démocratie et c’est votre devoir de respecter mes choix tant que ces choix respectent les lois de mon pays que j’ai toujours loyalement servi.

Nous sommes tous des croyants, nous avons un maître commun, Dieu qui nous rendra tous un jugement équitable.
Veuillez agréer, Excellence tous mes sentiments respectueux.

Signé
Ouédraogo Joseph


Le Président Jean-Baptiste Ouédraogo, dans son livre « MA PART DE VERITE », (Presses Universitaires, juillet 2019, Ouagadougou), en page 78, confessera, pratiquement 37 ans plus tard :

« Les seuls actes répréhensibles, en matière de droits de l’homme, que nous ayons posés, à notre corps défendant d’ailleurs, ont été les arrestations et les interpellations arbitraires opérées en février et mars 1983, suite à des rapports erronés des services de renseignements mal informés par des indicateurs peu scrupuleux ou vindicatifs. Tel fut le cas de l’interpellation de Joseph Ouédraogo dit « Jo Weder » et de son compagnon François Ouédraogo. »

Comme quoi, le mensonge aura beau courir trente sept ans durant, la vérité le rattrape en un jour et sur une page !

Docteur Jean-Hubert Bazié

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Vos commentaires

  • Le 3 juillet 2020 à 20:06, par Yako En réponse à : Quand joseph Ouédraogo parlait de liberté, de race, de religion, de communisme…

    Peut-être on saura aussi un jour la vérité sur les auteurs du putsch des 30 et 31 octobre 2014. Seul bémol la plus part des principaux auteurs frôlent les 70 ans j’espère qu’on ne va pas devoir attendre 37 bandit ! Autrement 70+37=107 ans ils seraient déjà m...depuis

  • Le 4 juillet 2020 à 10:56, par Ka En réponse à : Quand joseph Ouédraogo parlait de liberté, de race, de religion, de communisme…

    Voilà un vrais responsable syndicale qui a su joué son rôle non seulement pour montrer que ce n’est pas exact de dire que les syndicats ont toujours fait et défait les régimes dans notre pays comme veulent nous faire comprendre les responsables syndicaux de nos jours en faisant chanter un régime mouta mouta : Comme un internaute de bonne foi le confirme, c’est une lecture erronée de la part de ces nouveaux responsables syndicaux, des politiciens aux petits pieds. ’’En 1966, quand une fraction dissidente du RDA avec Joseph Ouédraogo dit JO Weder à sa tête, réfugié dans la CATC (Confédération Africaine des Travailleurs Croyants) qui a mené la lutte avec le MLN clandestin, c’était pour empêcher la fraction dissidente du RDA de prendre le pouvoir que le MLN a fit lancer par les élèves "l’Armée au pouvoir". Et je remercie au Dr. Bazié de nous éclairer avec cette lettre qui nous dit beaucoup. Oui le mensonge dégrade la dignité de l’homme, il suppose dans celui qui l’emploie le dessein prémédité de vouloir tromper. De quel œil le menteur peut-il être regardé dans le monde par les gens sensé et raisonnables ?

  • Le 14 juillet 2020 à 12:16, par Le Pacifiste En réponse à : Quand Joseph Ouédraogo parlait de liberté, de race, de religion, de communisme…

    Hn très bon rappel historique.L’histoire nous enseigne d’où nous venons ; qui nous sommes ; où nous allons

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