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Croisade anticorruption : des erreurs de stratégie

Publié le jeudi 22 septembre 2005 à 07h34min

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Pour la présente livraison, le REN-LAC vous propose un extrait d’un article
paru dans Finances et Développement, une revue du FMI. Le REN-LAC ne
partage pas tous les points de vue exprimés dans ce document, mais son
contenu, pour lui, paraît intéressant pour le public burkinabè.

« Les statistiques sur la corruption sont souvent peu fiables, mais les
données disponibles laissent penser que celle-ci occupe une place
importante dans l’activité économique. Au Kenya, les dépenses publiques « 
douteuses » décelées par le Contrôleur et Auditeur général en 1997
représentaient 7,6% du PIB.

En Lettonie, d’après une récente enquête de la
Banque mondiale, plus de 40% des ménages et entreprises admettent que la
corruption est une chose normale et aide à résoudre bien des problèmes.
En Tanzanie, selon les données d’une enquête sur les prestations de
services, les pots de vin versés aux fonctionnaires de police, aux employés
des tribunaux et à ceux des services fiscaux et de bureau du cadastre
représentent 62% des dépenses publiques officielles dans les secteurs
respectifs. Aux Philippines, la Commission d’audit estime que 4 milliards de
dollars sont détournés tous les ans par la corruption dans le secteur public.

Il ressort par ailleurs d’une étude faite en 2004 par la Banque sur les
ramifications de la corruption dans le secteur des services, qu’une
amélioration d’un écart type de l’indice de corruption du Guide international
du risque par pays donne lieu à une baisse de 29% du taux de mortalité
infantile, à une augmentation de 52% de la satisfaction chez les bénéficiaires
de soins de santé publique et à un accroissement de 30-60% de la
satisfaction du public devant l’amélioration des routes. Les études montrent
aussi que la corruption nuit à la croissance, compromet la formation de
capital, réduit l’efficacité de l’aide au développement et accroît l’inégalité des
revenus et la pauvreté.
Il n’est donc pas surprenant qu’il y ait dans le monde entier un mouvement
grandissant à l’encontre de la corruption, mouvement qui a causé la chute de
certains leaders nationaux.

De plus, nombre de gouvernements et organismes de développement ont
consacré, ces dernières années, des ressources et efforts considérables à la
lutte contre la corruption. En dépit de cela, on ne sait pas encore très bien si
l’incidence de la corruption a sensiblement baissé, surtout dans les pays où
celle-ci est très vive. Le présent article attribue le manque de progrès notable
au fait que beaucoup de programmes sont tout simplement des remèdes « de
bonne femme » ou des recettes « passe-partout » et offrent peu de chances
de succès. Pour être efficaces, les programmes doivent déterminer le type de
corruption à cibler et s’attaquer aux causes sous-jacentes, propres au pays,
d’une gouvernance dysfonctionnelle.

Les nombreux visages de la corruption

La corruption dans le secteur public est l’un des symptômes d’une
gouvernance déficiente au niveau national. Par « gouvernance » nous
entendons les coutumes et institutions par lesquelles le pouvoir s’exerce
dans un pays, notamment le processus par lequel les gouvernements sont
choisis, surveillés et remplacés, la capacité du gouvernement d’élaborer et
d’appliquer des politiques saines et le respect des citoyens et de l’Etat pour
les institutions qui régissent leurs interactions économiques et sociales. Il n’ y
a pas une mais plusieurs formes de corruption, dont les trois principales sont
les suivantes :

Petite corruption administrative ou bureaucratique

Dans bien des cas, il s’agit de transactions isolées de la part de
fonctionnaires qui abusent de leur pouvoir, par exemple en demandant des
pots de vin, en détournant des fonds publics ou en accordant une faveur en
échange des gratifications. Ces actes relèvent de la petite corruption, même
si au bout du compte, les ressources publiques détournées atteignent un
niveau élevé.

Grande corruption

Il s’agit de vols ou usages abusifs de ressources publiques considérables
de la part d’agents de l’Etat, souvent membres de l’élite politique ou
administrative.

Capture de l’Etat/trafic d’influence

La collusion entre des entités du secteur privé et des fonctionnaires ou
politiciens pour leur bénéfice personnel et mutuel est ce que l’on entend par
capture de l’Etat. Autrement dit, le secteur privé « capture » l’appareil
législatif, exécutif et judiciaire d’un Etat à des fins personnelles. La capture de
l’Etat coexiste avec la forme de corruption traditionnelle, dans laquelle des
agents du secteur public exploitent le secteur privé, notamment en lui
soutirant des fonds, pour leur propre profit.

La corruption change de visage selon le pays, en conséquence, l’application
des mêmes politiques et instruments ( recettes passe - partout) à des pays
qui diffèrent grandement par la nature de la corruption et la qualité de la
gouvernance est une approche vouée à l’échec. Il faut connaître les
circonstances qui incitent les acteurs des secteurs public et privé à la
corruption ou qui s’y prêtent dans chaque pays.
Par ailleurs, si la corruption est un problème de gouvernance, et la
gouvernance le mode d’exercice du pouvoir de l’Etat , l’effort anticorruption
ne saurait être fructueux et durable sans une attitude résolue des dirigeants
et une internalisation poussée de l’action menée.

Quelles sont les facteurs de corruption ?

La corruption varie d’un pays à l’autre, mais des études de cas approfondies
dont les six récemment entreprises par la Banque mondiale ( Guatemala,
Kenya, Lettonie, Pakistan, Philippines et Tanzanie) ainsi que des analyses
économétriques de pays en développement, en transition et industrialisés ont
permis de déceler quelques grands facteurs de corruption. Les six études ont
porté sur les causes essentielles de la corruption et l’impact de l’action de la
Banque à l’encontre de la corruption dans chaque pays. Voici quelques unes
de ces causes :

· La légitimité de l’Etat en tant que défenseur de « l’intérêt public » est
contestée.

Dans les pays où la corruption est vive, le public n’adhère guère au principe
que le rôle de l’Etat est de dépasser les intérêts privés pour protéger, dans un
sens plus large, l’intérêt public. Le « clientélisme », attribution de privilèges
par des agents du secteur public à des groupes particuliers de clients
auxquels ils sont unis par des liens ethniques, géographiques ou autres
forme le paysage public et crée des conditions qui se prêtent à la corruption.
La démarcation entre le « public » et le « privé » s’estompe, de sorte que
l’usage abusif des fonctions publiques à des fins privées est pratique
courante.

· L’état de droit n’est pas un principe ancré

La corruption du secteur public est vive dans les pays où les entités
chargées de faire respecter la loi servent souvent des intérêts privés au lieu
de protéger l’intérêt public. L’un des signes courants de l’effondrement de
l’Etat de droit dans les pays où la corruption est forte est la violation par la
police des lois qu’elle est censée faire respecter ; tel est le cas, par exemple,
des agents de police qui accusent des automobilistes d’infractions routières
imaginaires pour leur soutirer de l’argent. De même, l’indépendance du
système judiciaire, pilier de l’Etat de droit, est d’ordinaire fortement
compromise dans ces pays-là.

· Les institutions de responsabilisations sont inefficaces.

Dans les sociétés où la corruption du secteur public est faible, les insittutions
de responsabilisation qui contrôlent les abus de pouvoir des agents de l’Etat
sont en général solides. Ces institutions sont soit créées par l’Etat lui-même
(par exemple les auditeurs généraux, l’appareil judiciaire ou législatif), soit
extérieures aux structures étatiques formelles (comme les médias et les
groupes de la société civile). La faiblesse de ces institutions est frappante
dans les pays où la corruption est forte.

· Les dirigeants nationaux n’ont guère la volonté de lutter contre la corruption.

Il y a la persistance d’une corruption généralisée dans le secteur public
lorsque les autorités ne sont pas résolues à s’y attaquer de façon énergique
ou en mesure de le faire. Dans les sociétés où elle est endémique, on peut
raisonnablement soupçonner qu’elle touche les plus hauts échelons
administratifs et que bien des hauts fonctionnaires ne seront pas motivés à
lutter contre elle.

Comment élaborer une stratégie

Que faire, dans ces conditions, pour combattre la corruption ? L’expérience
semble nettement indiquer que la réponse réside dans l’adoption d’une
approche indirecte et la détection des causes premières. Pour en
comprendre les raisons, prenons un modèle dans lequel les pays en
développement sont divisés en trois catégories _ pays où l’incidence de la
corruption est « élevée » , « moyenne » et « faible ». il y est en outre supposé
que, dans les pays où la corruption est « élevée » , la gouvernance est
médiocre, dans ceux où la corruption est « moyenne », la gouvernance est « 
assez bonne » et dans les pays où la corruption est « faible », la
gouvernance est « bonne ».

Il ressort de ce modèle que, la corruption étant en soi le symptôme d’un
problème de gouvernance fondamentale, plus son incidence est élevé, moins
la stratégie anticorruption doit être ciblée sur les pratiques de corruption, et
plus elle doit être centrée sur les grandes caractéristiques sous - jacentes du
cadre de la gouvernance. Par exemple, le soutien aux organismes
anticorruption et aux campagnes de sensibilisation risque d’être inefficace
dans un environnement où la corruption est endémique et le cadre de la
gouvernance déficient.

En fait, lorsque la gouvernance est médiocre, les
organismes anticorruption se prêtent à des usages abusifs dans des
confrontations politiques. Ces types d’interventions s’appliquent davantage
aux cas de « faible » corruption, où on peut plus ou moins partir du principe
que les éléments fondamentaux de la gouvernance sont raisonnablement
solides et que la corruption est un phénomène relativement marginal.

Lorsque la corruption est élevée (auquel cas la gouvernance est médiocre),
il est plus logique de se concentrer sur les forces à l’origine des
malversations dans le secteur public, par exemple, de faire régner l’Etat de
droit et de renforcer les institutions de responsabilisation. En effet, l’absence
d’institutions démocratiques (composantes-clé de la responsabilité) s’est
avérée l’un des déterminants les plus importants de la corruption.

L’adoption
par la Malaisie d’une « charte du client » (début des années 90) définissant
les normes des services et spécifiant le recours offert aux citoyens en cas de
non-observation de ces normes par les organismes publics a réorienté le
secteur public vers la prestation de services, et transformé la culture de la
gouvernance.

Dans les sociétés où le niveau de corruption se situe entre « élevé » et « 
faible », il vaut mieux opter pour des réformes qui supposent un minimum de
gouvernance, par exemple essayer de responsabiliser davantage les agents
de l’Etat, mettre le processus décisionnel plus à la portée des citoyens par la
décentralisation, simplifier les démarches administratives et réduire le
pouvoir discrétionnaire dans des tâches comme la délivrance des licences et
permis » .

Source : Le REN-LAC

Le Pays

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Vos commentaires

  • Le 26 septembre 2005 à 22:40 En réponse à : > Croisade anticorruption : des erreurs de stratégie

    Je me permet de relever ici d’autres failles du REN-LAC dans sa dénonciation de la corruption qui va droit au coeur des burkinabé en quête de Justice.

    En effet, c’est bien beau de publier des Entreprises, Institutions et/ou autres dans une classification que nous jugeons très clémente.

    Pendant qu’on classe la Gendarmerie en 2ème position sur la liste des Institution corrompues, on perde de vue, le tendem "Justice - OPJ". Il suffirait aujourd’hui que pour une affaire civile devant être traitée comme telle, vous vous sdressiez à un "Magistrat" généralement de Grande Instance avec soit des larmes de crocodile ou encore avec une petite "enveloppe", ordre est immédiatement donné aux OPJ de la Gendarmerie pour que des abus d’autorité soient commis au détriment de citoyens honnêtes avec une complicité tacite des Représentant du Ministère Public. je n’en dis pas plus.

    Ou encore, vous vous adressez à la Brigade de Recherche de la 3ème Région avec des arguments convaincants (suivez mon regard...) et vous êtes sûr de réussir votre coup.

    Ce n’est pas les éléments de cette brigade qui diront le contraire.

    Message à faire parvenir au REN-LAC

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