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Veille informationnelle dans le secteur de la santé : Radiographie d’un système de santé malade

Publié le vendredi 27 mars 2020 à 20h11min

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Veille informationnelle dans le secteur de la santé : Radiographie d’un système de santé malade

Le Réseau Accès aux Médicament Essentiels (RAME) en collaboration avec d’autres organisations de la société civile burkinabè ont mis en place la plateforme Démocratie Sanitaire et Implication Citoyenne (DES-ICI). Cette plateforme est un produit du projet « Renforcement de l’implication de la société civile dans le suivi et la gouvernance des politiques de renforcement des systèmes de santé au Burkina Faso, en Guinée et au Niger » financé par BACKUP Santé et porté par le RAME. La plateforme placée sous la coordination du Conseil National des Organisations de la Société Civile (CNOSC) vise le suivi général des politiques publiques en matière de santé. Dans cette perspective, un volet de la veille citoyenne est dédié à la veille informationnelle. Cela consiste à faire une synthèse périodique des informations sanitaires à partir des rapports d’organisations de la société civile et des publications de la presse d’investigation. Le présent article est une revue des informations sanitaires recensées dans trois journaux d’investigation burkinabè, L’Evénement, Mutations et le Reporter. Des articles qui donnent à voir et à comprendre des dysfonctionnements qui détériorent la qualité des services de santé au Burkina Faso.

Le tabagisme est un problème de santé publique. Dans L’édition de L’Evénement N°393 de mars 2019, on apprend que sept millions de personnes meurent chaque année dans le monde de maladies dues à la cigarette, selon l’OMS qui estime que le nombre de fumeurs atteint soixante-dix-sept millions en Afrique.

Au Burkina Faso, c’est plus de quatre milles (4 000) personnes qui meurent par an du fait du tabagisme selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). En vue de réduire la consommation du tabac et ses conséquences néfastes, les autorités nationales à travers le ministère du commerce ont décidé que « Pour compter du 1er juillet 2019, la commercialisation de tous les conditionnements de tabacs ne portant pas les nouveaux marquages sanitaires est interdite sur toute l’étendue du territoire national ».

Cette décision s’inscrivait dans la mise en œuvre de la loi n°040-2010/AN du 25 novembre 2010 portant lutte contre le tabac au Burkina Faso et ensemble de ses textes d’application qui avait prescrit les changements sur les emballages de cigarettes. Pendant près d’une décennie, les acteurs de la lutte contre le tabagisme s’étaient butés à la résistance des fabricants et des entreposeurs des produits du tabac.

Alors que cette décision connait à présent une application effective, on s’interroge déjà sur son impact réel dans un pays où la consommation de la cigarette fait plus de dégâts chez les fumeurs moins nantis lesquelles achètent la cigarette au bâtonnet plutôt que par paquet.

Un système de santé inefficace face aux AVC

Le journal L’Evénement a fait une immersion dans l’univers des victimes des accidents cardio-vasculaires (AVC). Le journal a qualifié le mal de « gros tueur négligé dans les hôpitaux ». Selon le journal, ce mal est « officiellement de loin le plus gros tueur dans les services de neurologie ». Les AVC seraient au top niveau des dispendieuses évacuations sanitaires hors du Burkina et malgré les « signaux d’alarme, les services pour leur prise en charge souffrent terriblement de manque de moyens adéquats, voire de négligence coupable » selon le journal L’Evénement.

L’article explique qu’il existe des insuffisances et de grosses failles dans la prise en charge des AVC. Cela commence par les plateaux techniques très limités. Pour tout le Burkina Faso, il existe quatre services de neurologies. Le premier et le plus grand est celui du Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo (CHU-YO à Ouagadougou). Le deuxième est au Centre hospitalier universitaire Sourou Sanou (CHU-SS à Bobo Dioulasso). Le troisième est à Tengandogo (ex hôpital Blaise Compaoré à Ouagadougou). Le quatrième et dernier est au Centre hospitalier universitaire de Bogodogo à Ouagadougou.

On constate que des quatre services, trois sont dans la capitale à Ouagadougou, un à Bobo-Dioulasso, ce qui voudrait dire qu’aucune des 11 autres régions du pays ne dispose d’un service de neurologie donc capable de prendre en charge une AVC. Le Professeur Kaboré qui a fait ce décompte ajoute que « tous ces services totalisent moins de 100 lits pour plus de 18 millions de Burkinabè ».

Les neurologues mêmes sont au nombre de 11 pour tout le pays dont 4 à Bobo-Dioulasso, 6 à Ouagadougou et un neurologue qui officie à Ouahigouya. Le Professeur en conclut que « Ce n’est pas bon...nous sommes loin des normes de l’OMS ». Le Professeur déplore les conditions dans lesquelles les personnes victimes d’AVC sont transportées à l’hôpital, sans pompier ou SAMU qui devraient permettre au patient de bénéficier des premiers soins au cours de son transfert même vers l’hôpital.

Faute de ces moyens, relate le journal « ce sont les ambulances ordinaires non médicalisées qui sont utilisées dans le meilleur des cas, ou au pire, les patients sont transportés par des moyens de bord qui aggravent leur situation ». Le Professeur Kaboré confie qu’il lui arrive souvent « de recevoir des malades dont une partie du corps est paralysée et ils arrivent à son service avec de graves brûlures parce qu’ils ont été transportés à motocyclette et le pied trainant est brûlé sans que le patient ne s’en rende compte ».

Arrivé à l’hôpital, « des patients meurent beaucoup ou leurs cas s’aggravent par défaut de scanner » confient les Pr en neurologie. Au moment du reportage réalisé en avril 2019, le Professeur confiait au journal « On n’a pas de scanner [à l’hôpital Yalgado].

Le scanner est en panne depuis plus d’une semaine ». Le témoignage d’un accompagnant de malade du nom de Alassane en dit long sur les dysfonctionnements liés à la prise en charge des AVC «  … Je suis venu avec mon père malade à Bogodogo. D’abord on a trainé aux urgences, après on nous envoie en neuro. On m’a demandé d’aller faire une radio de sa tête. J’ai demandé une ambulance que je n’ai pas eue. J’étais obligé de le pousser malgré son état à l’aide d’un lit avec des roulettes sur des cailloux pour aller jusqu’à l’ancien CSPS, derrière l’hôpital Bogodogo. Dès que je suis arrivé, quand le radiologue a vu le patient, il a dit que l’état du malade ne lui permettait pas de faire la radio… C’est à mon retour qu’on nous a prescrit le scanner. Je suis allé à l’hôpital Saint Camille, ils m’ont demandé de payer d’abord et faire venir le patient le lendemain. La nuit il est décédé  ».

Et les dysfonctionnements matériels ne sont pas la seule barrière à des soins de santé appropriés pour les victimes d’AVC. Il faut compter aussi avec les barrières financières. Combien coûte la prise en charge d’un AVC au Burkina Faso ? Sur la base des informations recueillies auprès des parents de patients, l’article nous apprend que le scanner coûte au moins 50.000FCFA ensuite il y a les séances de rééducation qui peuvent coûter entre 2000 et 5000F la séance pour une trentaine de séances au moins. A cela il faut ajouter le prix des produits pour soigner entre autres l’hypertension et la dépression. Au bas mot, la prise en charge d’un AVC commence à partir de 200.000FCFA. Tout cela fait dire au Pr Napon que « l’AVC est une maladie qui coûte chère au patient ».

Les grèves et les dysfonctionnements dans les centres hospitaliers

Un fait qui a marqué l’année 2019 dans le secteur de la santé, ce sont les grèves du personnel de santé. Plusieurs journées de grèves totales ou partielles ont été organisées par les syndicats de la santé et cela a affecté l’accès des populations aux soins de santé. En Octobre 2019, L’Evénement N°407 a traité du sujet sous le titre « Crise dans le secteur de la santé, les larmes silencieuses des malades de Yalgado ».

L’article explique comment six mois de grèves ont affecté la qualité des soins notamment par le fait que les agents de santé ne posaient plus certains actes médicaux mais aussi du fait de la rupture d’approvisionnement des consommables médicaux. A travers ces dysfonctionnements, l’article raconte la détresse des usagers du plus grand centre hospitalier du Burkina, le CHUYO.

L’article débute par cet extrait « Debout, Abdoulaye a les yeux fixés sur la porte d’entrée de la salle de réanimation de la maternité du Centre Hospitalier Universitaire Yalgado Ouédraogo. Il est 14h15 mn ce mercredi 2 Octobre 2019 au sein du plus grand hôpital du Burkina Faso. Soudain, deux gouttes de larmes coulent sur ses joues. Approché, il baisse la tête et se fond en pleurs. Au bout d’une dizaine de minutes, il reprend ses forces. « Ma femme est entre la vie et la mort », marmonne-t-il. Le doigt pointé vers la salle de réanimation, il poursuit : « Elle est dedans. Nous avons perdu le bébé lors de la césarienne. C’est elle-même qu’il faut sauver maintenant ».

Et sans détour, Il établit un lien entre ce qu’il vit et qu’il considère comme un « drame qui n’émeut personne » et la grève du Syndicat national des travailleurs de la santé humaine et animale (SYNTSHA) qui est à son sixième mois. « J’ai amené plusieurs fois ma femme en consultation. Les docteurs nous ont dit de repartir, qu’ils ne travaillent pas. La dernière fois que nous sommes venus, c’est vers fin septembre. Ils nous ont encore dit de repartir et de revenir en décembre ou carrément en janvier 2020 ».

Les grèves se sont succédées mot d’ordre après mot d’ordre, sur six mois selon le reporter qui en fait le décompté. Il eut d’abord l’« arrêt de travail des 17 et 18 avril 2019 sans service minimum » suivi d’une grève du 21 au 25 mai 2019. Un autre mot d’ordre a pris le relai à partir du 25 mai jusqu’au 3 juin incluant « le boycott des gardes et permanences ».

N’ayant toujours pas obtenu gain de cause, le Syndicat national des travailleurs de la santé humaine et animale (SYNTSHA) a décidé d’une nouvelle grève « pour compter du 7 juin 2019 à 00 heure au 1er septembre 2019 inclus et renouvelable par tacite reconduction ».

Au cours de cette grève, « les travailleurs vont s’abstenir de fournir les rapports statistiques et d’effectuer les tournées et missions. Durant cette même période, ils s’abstiendront de faire payer les actes qu’ils posent au profit des usagers ». L’opération caisse a été reconduit du 2 septembre au 27 novembre 2019. Tel est le tableau synoptique des grèves à Yalgado Ouédraogo à la date du reportage (octobre 2019). Ces grèves auraient eu pour conséquences des morts mais aussi des pertes financières pour l’hôpital du faite de l’« opération caisse vide ».

L’article fait échos du cri d’alarme de l’ordre des médecins du Burkina qui dans une déclaration publique écrivait : « A chaque fois, qu’il y a eu grève dans notre secteur, il y a eu souffrance et perte en vie humaine (…) Combien de nos citoyens perdront la vie au cours d’une grève dans le secteur de la santé ? Combien devront garder des séquelles incurables à cause d’une grève ? ». Un médecin qui a requis l’anonymat se confiait au journaliste « Des morts, il y a en a eu assez...c’est difficile d’en évaluer le nombre. Cela suppose qu’il faut établir la cause à effet et prouver que tel patient est décédé pour fait de grève ».

Le même médecin a pointé du doigt la rupture d’approvisionnement de l’hôpital en consommables médicaux. Si les agents de santé sont en grèves c’est parce qu’ils ne sont pas satisfaits de leurs conditions de travail. En jetant un coup d’œil sur leur plateforme revendicative (dont extrait est publié par le journal) on s’aperçoit que la revendication porte essentiellement sur « le respect concret du protocole d’accord gouvernement-SYNTSHA du 13 mars 2017 ». On remarque que certains points portent sur des mesures d’améliorations des services de santé en faveur des usagers.

Ce sont par exemple, la prise de mesures diligentes pour un fonctionnement optimum des formations sanitaires et vétérinaires du pays ; le relèvement des plateaux techniques (infrastructures, des équipements fonctionnels, des médicaments et du personnel en quantité et en qualité) ; l’arrêt des pannes de longues durées et récurrentes ainsi que d’équipements conduisant à des fermetures de services, des ruptures de consommables et de médicaments etc. Aussi, une bonne partie des revendications portent sur le statut des agents de santés, les traitements salariaux, indemnitaires et autres avantages.

Ces grèves ou mouvements d’humeur dans le secteur de la santé sont légions et se sont accrues depuis 2015. Au moment où la pandémie du COVID-19 atteignait le Burkina (les premiers cas déclarés ont été enregistrés le 09 mars 2020), le secteur de la santé connaissait encore un fonctionnement au ralenti en raison d’une grève générale décrétée par une coalition de syndicats des travailleurs de la fonction publique.

Les députés mettent le doigt sur les insuffisances du système sanitaire

Tout comme la presse et les OSC, des institutions républicaines s’intéressent aussi au bon fonctionnement de notre système de santé. En 2017, l’Assemblée nationale a mené des investigations sur l’évolution du système de santé sur la décennie 2006-2016. Le journal L’Evénement a consacré en février 2019, un article au rapport de cette enquête. Le rapport d’enquête révèle que notre système de santé se « distingue par des dysfonctionnements liés à des insuffisances structurelles et organisationnelles et par des procédures et pratiques peu orthodoxes ».

Le journal poursuit en citant toujours le rapport, « L’insuffisance qualitative et quantitative du plateau technique, conjuguée au non-respect de la déontologie médicale, conditionnent la mémoire collective des populations selon laquelle, certains centres de santé ne font pas siennes l’éthique médicale et s’orientent beaucoup plus vers l’affairisme et l’enrichissement illicite ».

De ce rapport, le journal fait un constat amer sur la mise en œuvre de la politique de gratuité des soins « L’espoir suscité au sein des populations par la mise en place récente de la mesure de gratuité des soins au profit des femmes enceintes et des enfants de 0 à 5 ans, entrée en vigueur depuis le 2 avril 2016, est marqué non seulement par un désenchantement lié particulièrement à la rupture fréquente de stocks de certains médicaments mais aussi leurs détournements par certains acteurs de la santé ».

Pour illustrer les dysfonctionnements, le journal s’est intéressé à trois aspects dans le rapport. D’abord de la formation des agents de santé et la disparité dans la répartition géographique des personnels de santé. A ce niveau le rapport a indexé le niveau de recrutements des Infirmiers diplômés d’Etat et des sages-femmes. A la date des enquêtes (2017), le Burkina Faso était le seul pays de la sous-région qui recrutait encore ce personnel de santé avec le niveau de BEPC alors qu’une directive de l’Organisation ouest africaine de la santé (OOAS) a relevé le niveau de recrutement au BAC.

Le constat fait par les parlementaires de cette non-conformité du Burkina est que beaucoup de ressortissants de la sous-région se rabattaient sur le Burkina pour se former en IDE, Sage-femme ou maïeuticiens d’Etat avec le niveau BEPC. L’enquête a révélé aussi que certains élèves sont inscrits alors qu’ils ne disposent d’aucun dossier donc ne sont pas connus officiellement dans les effectifs des écoles de formation. Autre dysfonctionnement sur la formation, c’est « la course au gain de la part de certains enseignants qui volent d’établissement en établissement cumulant ainsi des surcharges horaires au détriment de la qualité de la formation ».

Or, écrit le journal, « la qualité du système de santé c’est avant tout la qualité des acteurs du système, en premier lieu, ceux qui sont chargés d’administrer les soins de santé ». Pour ce qui est de la répartition du personnel, la commission d’enquête parlementaire a observé que « Ouagadougou et Bobo à elles seules concentrent plus de 50% des effectifs : 53,3% des médecins, 57,3% des sages-femmes ; 59% des pharmaciens ; 33 % des infirmiers toutes catégories confondues. Ainsi les dispositifs et les moyens ne sont pas déployés là où on en a le plus besoin ».

Ensuite le deuxième point qui a retenu l’attention du journal dans le rapport d’enquête, c’est la mise en œuvre de la gratuité des soins en rapport avec une crise qu’a connue la Centrale d’achat des médicaments essentiels génériques (CAMEG). Selon le rapport, la crise de la CAMEG a accentué la rupture des consommables médicaux dans les formations sanitaires et il en a résulté de multiples conséquences dommageables pour les populations.

Il est noté aussi « les indélicatesses de certains agents de santé qui soustraient des médicaments à leur propre profit ». Les députés ont noté avec regret que les personnes âgées sont les oubliées de la gratuité et de la subvention des soins alors que des textes existent et leur accordent des privilèges en matière de santé.

Enfin les députés ont dénoncé des « pratiques douteuses au sein de la société de gestion du matériel biomédical (SOGEMAB) ». Le journal a qualifié de « grosse arnaque la SOGEMAB » dont la mission était de doter les structures de santé d’équipements modernes à moindre coût pour leur permettre d’accomplir leurs missions. L’enquête a révélé des surfacturations des appareils à l’achat et en maintenance. C’est le cas par exemple, au CHU Charles De Gaules où « il a fallu payer 1 500 000 F pour faire remplacer quatre pièces qui coûtent au total 127 539 F et pour la maintenance de l’armoire des batteries, la facture s’élève à 500 000 F pour une pièce de 66 250F ».

Autre exemple, c’est « la commande d’un appareil de radiologie télécommandé numérisé direct qui a couté 401 110 799 HT alors que la facture pro forma pour un appareil de ce type dernière génération coûte, frais d’installation compris, 90 000 000FCFA » selon le rapport d’enquête repris par le journal. Et les parlementaires ont aussi jugé « opaque la gestion des fonds mis à la disposition de la SOGEMAB. Des 25 743 352 000 FCFA prêtés par la SONAPOSTE et la CARFO et placés dans un compte géré par la SOGEMAB, 586 009 091 FCFA sont portés manquants ».

Les contrôleurs d’Etat épinglent la gestion des hôpitaux

Le journal Mutations dans sa livraison du 15 avril 2019 a relaté la gestion peu orthodoxe du district sanitaire de Kossodo. 31 millions ont disparus sans laisser de traces dans cette formation sanitaire. Le journal s’était intéressé au rapport de l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption (ASCE/LC) qui avait mené des investigations dans le district. Le montant total des irrégularités s’élève à 31 183 104 Francs CFA. Il s’agit de dépenses irrégulières puisqu’étant effectuées directement sur la régie de recettes.

Ces recettes devraient être versées dans un compte trésor de l’hôpital et lorsqu’il y a une dépense, il y a une procédure rigoureuse de décaissement à suivre. C’est ce que prévoient les règles de comptabilité. Les enquêteurs ont aussi relevé une commande douteuse d’une valeur de 21 millions deux cent mille franc CFA pour l’achat de consommables, de produits d’urgence, de carburant, de vivres et de condiments pour l’alimentation des malades. Outre les dépenses irrégulières, un manquant de caisse injustifié de 21 685 850 franc CFA a été découvert dans ce district.

Enfin une autre pratique a consisté à échanger du matériel médical commandé contre de l’argent. « Les responsables du même hôpital ont contraint deux (02) fournisseurs à échanger une partie des livraisons de deux marchés contre de l’argent liquide au lieu de réceptionner les matériels en nature qui faisaient partie des livraisons desdits marchés dont le préjudice financier cumulé causé au district s’élève à un montant de 14 039 400 FCFA dont 8 184 000 FCFA en 2015 et 5 855 400 FCFA en 2014  ».

Des infrastructures sanitaires abandonnées en chantier

Boulmoantchangou, à l’Est du Burkina Faso, autre localité autre réalité. Si au District sanitaire de Kossodo, il est question de malversations, à Boulmoantchangou, village situé à 50km de Kantchari (commune dont relève le village), la construction de du CSPS est suspendue depuis plusieurs années apprend-t-on dans Mutations N°176 du 1er juillet 2019.

« Les travaux de construction de l’infrastructure ont débuté en 2012 mais malheureusement, ils seront interrompus quelques temps après. Les travaux sont restés inachevés et l’entreprise adjudicataire a déserté les lieux depuis 2013. Cela fait donc 6 ans que le chantier est en souffrance. Les bâtiments qui étaient en phase d’achèvement (travaux de finition) sont en ce moment dans un état de délabrement avancé. Et il est fort probable que l’infrastructure qui a déjà pris des allures de ruine avant son hypothétique finition ne résiste pas longtemps aux intempéries  ».

Les populations de ce village avaient placé beaucoup d’espoir dans la construction de ce CSPS. Ce centre de santé n’est pas le seul à être abandonné en chantier. Le journal a fait le même constat concernant le Centre médical de Kantchari. « Les travaux de construction du nouveau centre médical de Kantchari qui ont démarré en 2014 ne sont pas encore achevés et les travaux suspendus depuis plus de deux ans risquent de ne pas reprendre bientôt  ».

Cette situation n’est pas sans conséquences pour la commune avec ses 83.000 habitants. «  Les populations continuent de vivre le calvaire en parcourant de longues distances pour se soigner. Certains patients sont même obligés de se tourner vers les centres de santé du Niger, un pays voisin qui fait frontière avec la commune. Ceux qui font l’option de se rendre à Kantchari se préparent souvent à faire une navette de plus de 120 km » note le journal.

La suspension ou la non reprise de ces différents travaux se justifieraient par la situation sécuritaire. Le maire de Kantchari interrogé par le journal dit avoir attiré l’attention du ministre de la santé depuis juin 2018 sur la situation générale des CSPS de la commune mais sans obtenir de satisfaction. Enfin toujours dans le registre de l’offre d’infrastructures sanitaires, il y a l’hôpital de référence de Bassinko.

C’est un CHU dont la réception des travaux devrait intervenir en fin 2019. Le 4 juin 2018, la ministre des finances, Rosine Sorry Coulibaly lors de la signature de la convention de financement, avait donné rendez-vous aux populations en fin 2019 pour la remise des clés. Malheureusement jusqu’à ce jour, comme l’a constaté le journal Mutations dans son édition du 1er mars 2020, il n’existe même pas de première pierre symbolique de cet hôpital. L’idée de cet hôpital remonte à 2009 lorsque les inondations avaient endommagé près de 80% des équipements du CHU Yalgado.

Le projet du CHU de référence qui devrait comporter 500 lits a été évalué à 70,853 milliards de franc CFA et les autorités avaient déclaré le financement bouclé. A ce jour, le coordonnateur évoque l’étude d’impact environnemental et social qui est toujours en cours, pour justifier le retard de construction de l’hôpital. Si le Gouvernement avait respecté ses projections, l’hôpital serait prêt depuis décembre 2019 et cette infrastructure aurait pu être d’un secours inestimable en ces temps de pandémie de COVID-19 qui met à mal notre système sanitaire.

Ils facturent des actes médicaux gratuits

Dans un article réalisé par un consortium de médias dont Le journal Le Reporter, les journalistes dénoncent des cas de corruption et autres formes d’abus des agents de santé sur leurs patients. Une source confie aux enquêteurs, « le test de diagnostic du paludisme est normalement gratuit. Mais les agents les vendaient à 1.000 FCFA à cause de l’ignorance des patients, et le soir, à la descente, ils se partageaient cet argent ».

Des femmes ont témoigné que des agents de santé leur ont exigé de l’argent pour le placement ou le retrait des contraceptifs alors que ces actes sont normalement gratuits. L’article relate l’impuissance des patients et leurs accompagnants face à des pressions que peuvent exercer sur eux certains agents de santé.

Un usager du CMA de Yako témoigne « J’ai accompagné un tonton à l’hôpital, il devrait subir une intervention. Et là, l’agent de Santé nous a clairement dit qu’on avait deux cas : soit on paie 60.000 FCFA et en ce moment, il faut aller au guichet pour payer et on attend qu’on nous programme, soit, entre nous, on leur trouve 30.000 FCFA tout de suite et dès demain matin, ils programment l’intervention ». Le patient et son accompagnant, bien qu’étant conscient de la supercherie de l’agent de santé, n’ont pas résisté à cette proposition indécente.

L’accompagnant soutient que même s’ils décidaient d’aller payer les 60.000FCFA, il y a le fait qu’ils ne savent pas quel jour ils pourront bénéficier de l’intervention chirurgicale puisque cela doit se faire par programmation, le service étant très sollicité. Finalement « cet argent est allé directement dans la poche de l’agent de la section chirurgie  » regrette l’accompagnant du malade. Ce n’est pas la seule pratique répréhensible rencontrée dans ce CMA. Un autre usager a connu une mésaventure dans la formation sanitaire pour la prise en charge d’une appendicite.

Au contact avec le personnel soignant, un agent de santé a obligé le patient à acheter des produits sans ordonnance et sans reçu en retour. « L’agent est venu avec les produits, il a dit que ça coûtait 19.000 FCFA et j’ai payé » témoigne la victime qui n’a su que trop tard qu’il avait été abusé. En effet les produits achetés n’auraient même pas été utilisés pour ses soins car n’étant pas nécessaires. Les médicaments revendus ont été frauduleusement soustraite d’un lot de produits qui étaient destinée à une campagne. Cette escroquerie est parvenue aux oreilles du Médecin chef du district (MCD) et l’agent indélicat a été découvert mais l’affaire est restée sans suite.

Dans la même enquête journalistique, il est fait cas d’un ambulancier qui a exigé et reçu 2000FCFA sans justification d’un accompagnant de malade alors qu’il transférait un patient d’un CMA vers le CHU Yalgado Ouédraogo. Interrogé sur les pratiques de corruption dans la santé, le Pr Charlemagne Ouédraogo, président de l’Ordre national des médecins du Burkina a soutenu que les actes de corruption sont fréquents dans le secteur et que malheureusement, «  l’ampleur des conséquences de la corruption dans le secteur n’est pas véritablement mesurée », rapportent les journalistes.

Des agents de santé condamnés pour racket sur leurs patients

Un fait rarissime pour couronner ce tour d’horizon des dysfonctionnements dans le secteur de la santé. Comme on a pu le constater les dysfonctionnements sont criards dans le secteur de la santé et sont en partie dus au mauvais comportement du personnel de la santé. Ces comportements déplorables sont malheureusement le plus souvent entretenus par une impunité.

L’absence de sanctions entretient ces manquements. Mais au CHR de Dori, des agents de santé récidivistes ont fini par être inquiétés pour leur méconduite. Dans son numéro 179 du 15 août 2019, Mutations titrait « Rackets au CHR de Dori, deux agents de santé condamnés à 6 mois d’emprisonnement avec sursis pour concussion ».

Cet article fait suite à une enquête qui avait été réalisée et publiée par le journal le 15 juillet 2018. Cette enquête révélait des pratiques de racket des agents de santé sur leurs patients. L’article avait suscité une procédure disciplinaire engagée par les responsables du CHR et plus tard une saisine du juge. « Des agents avaient en effet érigé un système de racket dans lequel tout était mis en œuvre pour faire débourser des sommes d’argent indues aux malades ou à leurs accompagnants contre le service public médical pour lequel ces agents indélicats étaient recrutés et payés » écrivait le journal.

L’affaire a été jugée le 18 juillet 2019. « A l’issue de l’instruction en barre d’audience, le procureur du Faso a requis une peine d’emprisonnement de 12 mois assortie de sursis et une amende de 2 millions contre les agents Ido et Joachim Bourgou, et la relaxe pour l’agent Hama Dicko. Le Tribunal, après en avoir délibéré, a retenu les prévenus Ido et Bourgou dans les liens de la prévention, et en répression, les a condamnés à 6 mois d’emprisonnement avec sursis et une amende de 600 000 franc chacun ».

C’est un fait rare mais qui devrait rappeler à tout agent de santé, le risque qu’il encoure en enfreignant le code de déontologie. C’est aussi au prix des sanctions aussi bien du personnel que des responsables administratifs et même politique, qu’on peut remettre la responsabilité au cœur du système de santé et créer les conditions d’un meilleur accès des populations aux soins de santé de qualité.

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