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Chronique de la métamorphose du Burkina Faso de Blaise Compaoré (11)

Publié le jeudi 22 septembre 2005 à 07h38min

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Septembre-octobre 1993. Après un été encore une fois studieux (mais du côté de Sao Tomé en juillet et au Bénin en août, une île de l’Atlantique et un pays côtier, deux pôles majeurs du commerce des esclaves, deux pays "historiques" ; j’ai adoré l’un, que je ne connaissais pas, et l’autre que j’aimais déjà), je retrouve Ouaga.

Chaque séjour dans la capitale du Burkina Faso est l’occasion de découvrir de nouveaux lieux, de nouvelles personnalités et de constater l’incessante avancée de ce pays vers "autre chose". J’y rencontre Cissé Kader. Il avait tout juste vingt ans en 1987 quand la politique de "rectification" a été lancée par Blaise Compaoré.

L’école jusqu’à 14 ans, des petits jobs, un peu d’armée et, au lendemain de la Révolution, un passage par les CDR. Jusqu’au 15 octobre 1987 où la Révolution a dévoré ses révolutionnaires. "Nous étions méfiants, me dira-t-il. Blaise Compaoré faisait peur. Nous le trouvions, à cette époque, très méchant. Notre inquiétude était de savoir comment il allait gérer l’économie du pays. A la longue, on s’est rendu compte qu’il avait une politique différente de celle de son prédécesseur. Il était plutôt cool. Parfois on se posait même la question de savoir s’il était vraiment un militaire ! On avait l’impression d’avoir affaire à un cadre formé dans une école de science politique".

Je ne sais plus comment j’ai connu Cissé. Depuis 1992, j’avais fait du Pili-Pili, non loin de la cité de l’an IV-A, une de mes "cantines" du soir. On s’y croise sans doute puisque le Pili-Pili est, avec le Jimmy’s (le night-club qui lui est accolé), une des "affaires" de son copain, Stéphane Balkouma. J’ai eu l’occasion de travailler avec son père, pharmacien (+ labo d’analyses médicales) et, surtout, président de la Chambre de la commerce, d’industrie et d’artisanat.

Depuis quelques années, pour ne pas dire quelques mois, le monde de la nuit a explosé à Ouaga. Il n’y avait, au début de la "rectification", que La Tapoa (le night-club de l’hôtel Silmandé), le Why Not non loin de là, L ’Harmattan aussi et quelques "bals poussière ". L’argent, depuis, circule ; on ouvre des restaurants et des clubs. Du même coup, se développent prostitution et dealers.

Cissé dit être "vigilant". Il est plutôt content. "C’est la démocratie à fond la caisse, me confiera-t-il. C’est une très bonne chose, on laisse tout le monde libre. On peut crier à gauche comme à droite. Ni le président du Faso, ni son épouse, ne ripostent. La presse privée insulte le Président, les ministres, on dit que c’est un point de vue qu’ils donnent. Ici, on aime les gars directs avec les gens. Je suis très fier d’être Burkinabè en ce moment. Le peuple burkinabè est orgueilleux, cool, accueillant, honnête et travailleur".

On le constate, Cissé n’est pas vraiment branché politique. Plutôt musique et moto. Mais il aime bien le Premier ministre, Youssouf Ouédraogo ("on sent qu’il est compétent") ; il aime bien aussi Gilbert Diendjéré, tout juste promu alors chef d’état-major particulier du chef de l’Etat (il a été le tombeur de Zongo-Lingani ; on disait de lui, en 1993, qu’il était "l’ombre inséparable du chef de l’Etat"), "tu ne le vois pas en ville. Il ne fait pas de tapage. Avant quand un militaire pensait que tu le regardais de travers,
il te coffrait".

Avant de monter dans sa petite Toyota d’occasion, Cissé me dira encore quelques mots : "L’Etat a une politique qui responsabilise la jeunesse. Les jeunes sont conscients que s’ils travaillent, le Burkina Faso sera la Suisse de l’Afrique. Ce n’est pas le Président seul qui fait le Burkina Faso. On est tous concernés ". Aujourd’hui, Cissé approche de la quarantaine ; j’aimerais bien savoir ce qu’il est devenu !

J’ai rencontré Gérard Koala à Horizon FM où il était animateur d’une émission à destination des enfants. Père planton au secrétariat général du gouvernement, mère ménagère. Lui est surdoué. Il a 15 ans. Gérard était sensible a la détresse des enfants des villes mais pensait que le vrai problème se trouvait au niveau du village. "J’ai demandé à mon père, me dira-t-il, ce que c’était que la vie au village et les problèmes que l’on rencontrait là-bas. La mauvaise nourriture, l’absence d ’hygiène. Les difficultés viennent surtout du milieu familial. Ici, c’est très dur. Les enfants souffrent beaucoup et ne se trouvent pas bien ".

Gérard ne s’intéresse pas à la politique : "Elle ne sert pas à résoudre les problèmes" ; pas plus à l’aide humanitaire : "Elle est indispensable à l’homme, mais est-elle bien partagée ? ". Il aime bien Blaise Compaoré, "le
président de mon pays. Tu es né dans ce pays. Tu dois y vivre. Tu ne dois pas changer de pays. C’est bien d’être Burkinabè. Chacun doit aimer sa nationalité", mais aussi Thomas Sankara "qu’il n’a pas beaucoup connu" : "C’était un brave président, un président de créativité ".

Gérard n’était alors qu’un enfant même s’il était devenu, en 1993, "la voix des jeunes du Burkina Faso ", passant à la télé et auquel la presse consacrait quelques papiers. "J’aime développer moi-même ma propre réflexion. Jamais je ne discute de ces problèmes avec les adultes. Cependant, je souhaiterais pouvoir rencontrer des ministres. A la maison, j’ai le soutien de mon grand frère qui m’aide également. Mais ma préoccupation, c’est que mes idées ne soient pas exploitées par les grandes personnes ". Il ajoutait : "C’est bien de faire ce que je fais. Mais on ne m’écoute pas ! Celui qui est petit n’est pas écouté par les adultes ".

Gérard voulait passer son bac, être journaliste, réaliser des films, promouvoir des spectacles. Raisonnablement. "Seulement si j’ai le talent pour cela, ajoutait-il. C’est très important d’avoir du talent, sinon on ne peut rien faire de bon. La bonne volonté n’est pas suffisante. Je veux progresser dans le métier que
j’exerce et être connu au plan africain pour que des enfants comme moi, dans chaque pays, apportent leur petit plus aux enfants africains qui souffrent".

Gérard doit avoir pas loin de trente ans aujourd’hui. A-t-il réalisé ses rêves ?

Le 1er octobre 1993, je file une fois encore dans la vallée du Sourou, dans l’extrême Nord-Ouest. Cette fois l’épatant Sanné Topan, député de la province, vice-président de la commission des Affaires sociales et culturelles, m’accompagne. Il est Samo, ce qui signifie qu’il ne cesse de chicaner les Mossi.

A Tougan, il est chez lui. Mais nous allons au-delà, jusqu’à Di, à un jet de pierre du Mali. En bordure du Débé, affluent du Sourou, a été implanté le projet d’Aménagement et de mise en valeur des périmètres irrigués du Sourou (AMVS).

Une cinquantaine de garçons et filles, ayant reçu une formation universitaire, ont quitté la ville pour y vivre une expérience de "colon". Ils ont une licence ou une maîtrise. Ils sont juristes, économistes, informaticiens, agronomes, etc. Ils s’appellent Frédéric, Mamadou, Estelle Nandy (il n’y a que six femmes sur le projet), Rachid, Raphaël, Hubert, Anatole, Abdoulaye, etc. Ils y croient. Ils veulent que d’autres y croient avec eux.

La colonisation de la vallée du Sourou est un projet initié par le Fonds national pour la promotion de l’emploi (Fonape) dont le patron était alors Ousmane Jean-Marie Sourabié (que je connaissais déjà quand il était secrétaire général du CBC). L’idée du Fonape est née en 1990 à la suite d’une rencontre entre le chef de l’Etat, Blaise Compaoré, et des militants de l’Union nationale de la jeunesse du Burkina (UNJB).

Au cours de la discussion, le problème du chômage des jeunes ayant été abordé, Compaoré demandera un approfondissement du dossier. Le Fonds (dirigé par le bureau économique de la présidence), très vite, sera créé. Une équipe interministérielle se rendra au Mali, au Sénégal, au Niger... pour examiner différentes approches du problème. Le Fonape vise à créer des emplois définitifs par l’autopromotion.

Le Sourou en est un "projet-pilote ". Chaleur torride, lumière qui brûle les yeux, moustiques et serpents, fièvre qui gagne tout le corps, poussière, soif, bière trop chaude et Coca bouillant ; et un corps encore trop jeune que l’on brise déjà, du matin au soir, courbé sur la daba. C’était, en 1993, la plus forte concentration "d’intellectuels" au mètre carré à Niassan : 51
diplômés. Une expérience, rien qu’une expérience ; mais aussi une formidable aventure humaine.

A suivre

Jean-Pierre Béjot

La Dépêche Diplomatique

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