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Enseignement primaire : « On ne sait plus où on va, on se demande vraiment si les autorités prennent au sérieux la question éducative », s’inquiète le syndicat des encadreurs pédagogiques

Publié le mardi 21 avril 2020 à 22h50min

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Enseignement primaire : « On ne sait plus où on va, on se demande vraiment si les autorités prennent au sérieux la question éducative »,  s’inquiète le syndicat des encadreurs pédagogiques

Le nouvel statut du métier éducation, formation et promotion de l’emploi, adopté et signé le 30 mars 2020 et la réorganisation des circonscriptions d’éducation de base (CEB) posent problèmes, selon le syndicat national des encadreurs pédagogiques du primaire (SNEP). L’organisation syndicale a publiquement partagé la préoccupation via une conférence de presse, ce mardi, 21 avril 2020 à Ouagadougou.

« Le monde de l’éducation en général et les encadreurs pédagogiques du primaire en particulier avaient de fortes attentes dans la rédaction du statut valorisant des personnels de l’éducation et de la recherche. Mais à l’arrivée, leur douleur s’est aggravée. Victimes d’injustices depuis la naissance de leurs emplois respectifs, les instituteurs principaux (IP), les conseillers pédagogiques itinéraires (CPI) et les inspecteurs de l’enseignement du premier degré (IEPD) se voient infligés de nouvelles peines avec la fusion de leurs emplois en un seul, l’Emploi des inspecteurs de l’enseignement primaire et de l’éducation non formelle », campe le secrétaire général du syndicat national des encadreurs pédagogiques du primaire (SNEP), Pierre Zangré.

Selon ses explications, l’instituteur principal (IP) est le seul agent de la fonction publique qui, après la catégorie B1, passe un concours professionnel pour subir une seule année de formation dans une école de formation professionnelle et sortir en catégorie A3. Les autres fonctionnaires subissent deux ans de formation professionnelle et sont reclassés directement dans la catégorie A1. Dans le processus de fusion, on demande à l’instituteur principal de passer un « concours spécial » pour deux ans de formation en cas de succès avant d’être reclassé en A1. Ce qui lui fera un cumul de trois ans de formation au lieu de deux comme les autres fonctionnaires.

Le conseiller pédagogique itinérant est, au lancement du concours des conseillers pédagogiques itinérants, soit un instituteur principal (catégorie A3) soit un instituteur certifié (IC, catégorie B1) titulaire d’une Licence. En cas d’admission, poursuit Pierre Zangré, il subit deux ans de formation, cumulant ainsi trois ans de formation s’il passe par IP ou deux ans de formation s’il est IC titulaire de Licence.

Pierre Zangré

« Curieusement, il est reclassé en catégorie A2 à sa sortie et non en catégorie A1 au moins comme les autres fonctionnaires de l’Etat. Pendant ce temps, les conseillers d’administration scolaire et universitaire (CASU), les conseillers d’intendance scolaire et universitaire (CISU), les conseillers d’éducation, tous relevant du même ministère, recrutés à partir de la même catégorie B1 ou de la Licence, et formés en deux ans aussi, respectivement à l’ENAM et à l’ENS/UNZ (Ecole normale supérieure de l’Université Norbert Zongo) sont reclassés en catégorie A1 à leur sortie. Dans le nouveau statut signé le 30 mars 2020, on demande au conseiller pédagogique itinéraire de passer encore un concours spécial, d’aller à l’ENS pour une année supplémentaire de formation avant d’être reclassé en A1. Ainsi, on veut lui infliger une quatrième année de supplice, avec les coupures d’indemnités que cela implique, pour accéder à une classification catégorielle que d’autres agents de même niveau de recrutement que lui ont atteint allègrement en deux ans », illustre-t-il.

Pour l’inspecteur de l’enseignement du premier degré, « la situation est plus dramatique, car pendant que les autres agents de la fonction publique de catégorie B1 atteignent la catégorie A1 en un seul concours assorti de deux ans de formation, lui, atteint ce niveau de reclassement en trois concours, pour un total de cinq ans de formation professionnelle cumulés dans la même école de formation professionnelle  ». Si fait que sa durée de formation est non seulement longue, mais son reclassement lui est aussi défavorable. Ce qui viole, selon le SNEP, les dispositions en la matière (loi 081-2015/CNT du 24 novembre 2015 portant statut général de la Fonction publique de l’Etat).

Aperçu de l’historique du statut valorisant !

Selon les conférenciers, la démarche qui a abouti à la rédaction du statut valorisant date de 2017, avec le lancement de la lutte engagée par la CNSE (Coordination nationale des syndicats de l’éducation) pour la valorisation de la fonction enseignante. « Cette lutte a abouti, d’abord, le 27 janvier 2018, à la signature d’un protocole d’accord à l’intérieur duquel, il est écrit que le gouvernement s’engage à doter les personnels de l’éducation et de la recherche d’un statut valorisant. Des échéances ont été données dans ce protocole et un comité devrait réfléchir sur ses différents aspects et livrer ses résultats en mai 2018. Nous avons constaté après mai 2018 que rien n’a été fait. La coordination était obligée de monter encore au créneau et c’est cela qui a conduit, plus tard, en 2019, à l’écriture du statut valorisant qui a quand même subi plusieurs péripéties. Le document final a été élaboré en mai 2019 à Koudougou. Mais avant qu’on aille à Koudougou, un travail préliminaire a été fait à Ouagadougou au cours duquel, nous avons réfléchi sur la nomenclature des emplois. Au cours de ce travail, il n’y a pas eu d’entente entre la CNSE et le gouvernement par rapport à la nomenclature de certains emplois, notamment au niveau des encadreurs du primaire (confère rapports sur les travaux) », détaille Pierre Zangré.

Selon ce dernier, principal intervenant à la conférence, dans la nomenclature d’emplois proposée par le gouvernement, il y avait la question d’un nouvel emploi au niveau du secondaire, qui devrait venir remplacer le corps de conseiller pédagogique du secondaire ; parce que dans l’entendement du gouvernement, il fallait supprimer tous les corps de conseillers pédagogiques.

Au niveau du primaire, le gouvernement a acté la suppression du corps de conseiller pédagogique et le corps d’instituteur principal. « La création de l’emploi de professeur agrégé en remplacement du conseiller pédagogique du secondaire, nous nous sommes dit qu’il y avait des possibilités d’offrir un plan de carrière plus alléchant aux encadreurs pédagogiques du primaire, qui réponde aux normes d’exigences de ce nouvel emploi ; à savoir qu’il était ouvert aux professeurs certifiés des lycées et collèges et aux étudiants qui étaient titulaires d’un Master dans les disciplines d’enseignement. A notre sein, il y a des gens qui sont titulaires de Master, qui peuvent postuler à ce nouveau corps d’encadrement d’enseignement du secondaire pour évoluer et aller plus loin ; parce qu’au niveau du secondaire, les emplois s’arrêtent à la catégorie P2 et au primaire, le gouvernement a conçu un plan de carrière qui se limite à la catégorie A1. Donc, à Ouagadougou ici (avant l’atelier de Koudougou, NDLR), nous avons posé le problème de passerelle qui pourrait permettre aux encadreurs du primaire de passer le concours de professeurs agrégés. On nous a dit qu’ici, on ne discute pas de passerelle d’abord et que lorsque nous allons arriver à Koudougou, nous allons en débattre », a retracé le secrétaire général du syndicat, Pierre Zangré.

A Koudougou donc, la requête a été refusée, a-t-il déclaré. Ce qui a poussé le syndicat à écrire une lettre au président du comité de rédaction du statut pour dénoncer ce fait et le prévenir que les acteurs ne seront pas d’accord avec le document à la fin, si ces préoccupations ne sont pas prises en compte. S’en est suivie une correspondance au ministre de l’Education nationale et de la promotion des langues nationales pour lui expliquer « le complot qui a été fait contre le SNEP ». C’est donc le projet de statut ramené de Koudougou qui a été adopté par le Conseil des ministres en sa séance du 12 février et signé le 30 mars 2020, explique M. Zangré.

Le SNEP dit avoir également adressé des correspondances au Premier ministre (qui a référé au ministère de tutelle pour un éventuel examen de la question) et au président du Faso, le 17 juin 2019 sur les mêmes récriminations. Le syndicat qui dit « rejeter fermement » le nouvel statut adopté et signé le 30 mars 2020, exige le passage des IC en A3 par examens spéciaux, le reclassement des IP en A1 avec une année de formation complémentaire, le reclassement des CPI en A1 sans condition et, enfin, le reclassement des IEPD en PC sans condition.

Haro sur la réorganisation des CEB !

Sur le point relatif à la réorganisation des circonscriptions d’éducation de base (CEB), le SNEP fait observer que leur nombre s’est accru au fil des ans (488 en 2016) pour plusieurs raisons, dont le nombre croissant du nombre d’écoles primaires et autres structures éducatives, la nécessité de rapprocher l’encadreur de l’encadré, la communalisation intégrale du territoire nationale.

« A l’heure où la recherche de la qualité requiert un meilleur encadrement des enseignants, le ministère de l’éducation nationale et de la promotion des langues nationales veut réduire le nombre de circonscriptions d’éducation de base (CEB) de 488 à 306, soit une diminution de 182 CEB. (...). Un tel projet n’a qu’une visée économique et une volonté de reproduction du modèle d’encadrement pédagogique du secondaire au primaire. Il posera, à n’en point douter, des problèmes de gestion des personnels travaillant dans les inspections en voie de fermeture et plus grave encore, l’éloignement des équipes d’encadrement des écoles », présente le secrétaire général du SNEP, Pierre Zangré.

Le syndicat pense plutôt qu’il faut scinder les grandes CEB pour rapprocher davantage les inspections des écoles et maintenir les 448 CEB existantes. « Dans le cas contraire, le ministère de l’éducation nationale et de la promotion des langues nationales sonne, lui-même, le glas de l’encadrement pédagogique au primaire et donc, de la qualité de l’éducation  », avertit le SNEP.

Selon les responsables du SNEP, l’idée de la lutte pour la valorisation du statut remonte véritablement à 2008 avec un groupe d’encadreurs

Du « mépris » de la part du gouvernement

Selon les explications des conférenciers, le système éducatif du primaire compte environ, 1 000 inspecteurs de l’enseignement du premier degré, 1 500 conseillers pédagogiques itinérants et 3 000 instituteurs principaux ; soient environ 5 500 agents de l’Etat concernés par la situation. Au-delà, les instituteurs certifiés, qui rêvent aussi d’un plan de carrière alléchant, sont bloqués par ce nouvel statut (parce qu’il y a des ratios d’encadrement : l’instituteur doit encadrer douze enseignants au plus, le conseiller pédagogique, 60 enseignants au plus et l’inspecteur 120 enseignants au plus).

« Lorsqu’on fusionne les trois corps, l’on se retrouve avec 5 500 encadreurs pédagogiques. Si vous faites le ratio d’encadrement (on a environ 67 000 enseignants en classe), vous vous retrouvez avec 13 à 14 enseignants par inspecteur. Donc, on n’a plus besoin de recruter encore d’inspecteurs ; les IP vont demeurer pendant longtemps dans leur catégorie sans évoluer jusqu’à ce que les 5 500 encadreurs aillent à la retraite pour dégager des places », expose M. Zangré, pour qui, le statut en l’état bloque donc la carrière des enseignants.

Selon les responsables du SNEP, les encadreurs du primaire ne vont pas continuer de « s’esquinter physiquement, économiquement, moralement et socialement » pour servir un système éducatif qui ne leur réserve que du mépris. « Si vous suivez un peu l’évolution de ce statut valorisant et le résultat auquel on a abouti, ce n’est ni plus ni moyen qu’un mépris de la part du gouvernement (au regard de ce que les encadreurs abattent sur le terrain comme travail, avec leur propre salaire…). On l’a fait depuis, sans ressources, avec nos propres engins que nous utilisons pour parcourir les campagnes pour encadrer les enseignants sur le terrain : des gens ont perdu la vie, d’autres se sont vus arracher leur engin par des bandits, d’autres encore ont vu leur famille se disloquer…et tout cela, pour servir la nation », révèle Pierre Zangré.

« Comme sur plusieurs autres questions d’ailleurs, nous avons l’impression qu’à chaque changement, on change tout au niveau de l’éducation ; tout ce qui est entrepris n’aboutit pas, on saute dans toute nouveauté sans chercher à consulter les acteurs à la base. On aurait pu mûrir la réflexion avec les encadreurs pédagogiques sur le redimensionnement. On avait dit que (les années antérieures, ndlr), pour rendre efficace et efficient l’encadrement, il fallait rapprocher l’encadreur de l’encadré. Ça ne vaut pas quelques années. Dès qu’il y a eu changement, on dit il faut regrouper encore. On ne sait plus où on va, on se demande vraiment si les autorités prennent au sérieux la question éducative, surtout celle du primaire. C’est pourquoi, nous avons parlé tantôt de mépris (pour ne pas utiliser un autre terme qui pourrait frustrer les gens) », ont protesté les animateurs de la conférence.

O.L
Lefaso.net

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