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Covid-19 : Les essais cliniques annoncés n’ont pas encore été réalisés, souligne Dr Sylvin Ouédraogo, directeur de l’Institut de recherche en sciences de la santé

Publié le mardi 21 avril 2020 à 23h20min

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Covid-19 : Les essais cliniques annoncés n’ont pas encore été réalisés, souligne Dr Sylvin Ouédraogo, directeur de l’Institut de recherche en sciences de la santé

Dans cette interview, Dr Sylvin Ouédraogo, directeur de l’Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS), revient sur les essais cliniques annoncés dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. Il aborde également la question de la fabrication de la chloroquine et d’autres médicaments par l’usine de production de l’IRSS.

Lefaso.net : Quels sont les essais cliniques en cours actuellement ?

Dr Sylvin Ouédraogo : Depuis le début du Covid-19, à l’IRSS, nous avons proposé deux essais cliniques. Le premier essai clinique était d’évaluer l’efficacité et la tolérance de la chloroquine chez les malades du covid-19. La seconde proposition est d’évaluer l’efficacité et l’innocuité, la tolérance de l’Apivirine qui est un phyto-médicament d’un promoteur du Benin. Ce sont les deux que nous avons proposés.

Les deux pourquoi ? Pour la chloroquine, nous sommes tous en contact avec l’extérieur et il y a une série d’informations qui nous parviennent pour dire que la chloroquine aurait un effet positif sur les patients infectés par ce virus. Des informations venant de Chine ont montré que sur des cellules en culture, la chloroquine aurait un effet bloquant du virus. Egalement d’autres informations qui nous viennent d’Europe, de France principalement qui nous disent que la chloroquine aurait un effet bénéfique chez les personnes atteintes de Covid-19. On s’est dit qu’on peut faire ce travail ici pour compléter ce qui est fait ailleurs. Dans nos conditions, quel peut être l’effet de la chloroquine sur les patients ?

Pour l’Apivirine, c’est le promoteur lui-même qui nous a rencontrés et qui nous a dit qu’il a un produit, l’Apivirine, et que ce produit a un effet bénéfique sur les patients ici au Burkina Faso. D’entrée, quand on vous dit ça comme ça et que vous n’êtes pas témoins de la situation, vous ne pouvez pas être affirmatif. La seule chose qu’on pouvait proposer, c’est qu’on a les moyens de vérifier ce qu’il dit. Et ces moyens, c’est l’essai clinique. Nous lui avons donc demandé toutes les informations sur le produit, nous allons chercher d’autres informations, comme il s’agit de plantes médicinales. Nous sommes dans le domaine des plantes médicinales, on peut vérifier toutes les informations sur cette plante pour voir si effectivement il y a des chances qu’elle soit efficace. C’est ce travail que nous avons fait pendant deux semaines avant de proposer un premier protocole au Comité d’éthique qui a émis des réserves. Mais nous sommes en train de resoumettre le protocole au Comité d’éthique.

Les gens sont pressés, ils ont raison quelque part. Mais quand vous annoncez quelque chose, les gens attendent que le lendemain ce soit fait ou la semaine qui suit. Non, ce n’est pas comme ça, il y a des étapes pour un essai clinique. Vous allez travailler sur des humains, ce sont des patients, leur sécurité compte beaucoup plus que ce que vous êtes en train de vouloir faire. Il y a plusieurs étapes à franchir avant d’arriver à l’essai clinique. Nous sommes en train de préparer des dossiers qui permettent de justifier et de passer ces étapes avant d’aller avec ces médicaments chez le patient.

Lefaso.net : Mais où en est-on avec ces essais, puisque la chloroquine est déjà administrée aux malades du Covid-19 ?

Aucun des deux essais cliniques n’a encore été réalisé. Le ministère de la Santé a décidé au regard des résultats d’essais cliniques vus ailleurs, au vu de ce qui se passe aussi chez les voisins sénégalais par exemple qui utilisent la chloroquine, de mettre dans son protocole de prise en charge des patients, la chloroquine et des antibiotiques. Comme c’est fait ainsi, ce qui est proposé maintenant, ce n’est plus tout à fait un essai clinique pour la chloroquine, c’est d’aller faire de l’observation. Il s’agit d’aller auprès des patients qui sont sous traitement de chloroquine étudier un certain nombre de paramètres qui permettent de voir l’efficacité, l’innocuité du produit pour ces patients. Ce sont des paramètres qui peuvent être utiles au ministère de la Santé pour la suite de la prise en charge à la chloroquine.

Pour l’Apivirine, on n’a pas encore fait l’essai clinique.
Comme je le disais tantôt, nous avons soumis un premier protocole au Comité d’éthique pour évaluer cela, qui a jugé qu’il y avait encore quelques informations qui manquaient et a émis des réserves. Nous avons donc repris le dossier et nous sommes allés prendre un certain nombre d’informations auprès du promoteur et faire un peu de bibliographie autour de la plante en question pour plus d’arguments au dossier, que nous sommes en train de resoumettre au Comité d’éthique et nous attendons leurs avis sur ce deuxième dossier qui a amené davantage d’informations et sur la plante et sur le produit. Nous estimons qu’il peut aller en essai clinique. Mais ça c’est notre avis, ce n’est peut-être pas l’avis du Comité d’éthique qui joue son rôle de protéger les personnes. Nous pouvons être enthousiastes et oublier les risques qui peuvent survenir et ils attireront notre attention sur ça. On travaille ensemble, ils sont là pour nous accompagner.

Lefaso.net : Où en sommes-vous avec la relance de l’unité de fabrication de médicaments de l’IRSS ?

On a une usine qui peut produire de la chloroquine, parce qu’on en produisait avant. On a arrêté parce que la chloroquine était désuète, elle n’était plus efficace contre le paludisme et aussi parce qu’on n’était plus compétitif pour les génériques qu’on produisait. On a donc arrêté la production de la chloroquine, du paracétamol et de l’aspirine, parce qu’on n’était plus compétitifs.

Maintenant, il est dit que la chloroquine aurait un bon effet sur cette maladie, on se dit qu’on peut relancer sa production pour la mettre à la disposition des malades. Mais ça faisait déjà longtemps qu’on ne produisait plus. Tous les intrants qu’il faut faire venir, c’est-à-dire la chloroquine elle-même, les adjuvants qui se rajoutent pour en faire un médicament ne sont pas sur place. Il fallait les faire venir de l’extérieur. Ce sont là quelques difficultés que nous avons, parce que c’est la ruée vers la chloroquine. Nous avons demandé en Inde, en Chine, partout ailleurs et ce sont des délais assez longs qu’on nous donne pour nous ravitailler en matières premières. C’est pour cela, que nous sommes encore en attente d’avoir de la poudre de chloroquine. Des promesses d’approvisionnement sont faites et on attend. Dès lors qu’on a cette matière première, on va se mettre à l’œuvre pour produire. Toutes les installations marchent à nouveau.

Lefaso.net : A part la chloroquine, produisez-vous d’autres médicaments ?

A part la chloroquine, on voulait aussi relancer le paracétamol, parce qu’il il est prescrit aux malades. Mais entre temps, malgré l’arrêt de la production de médicaments génériques, on a continué la production de médicaments à base de plantes. Le phyto-médicament que nous avons, c’est le FACA que nous produisons depuis 1994. La production a accru, parce que la demande a augmenté. Nous étions en prospection pour une représentation en Côte d’Ivoire, un représentant pour le Benin et le Togo pour la distribution à l’extérieur du pays. Nous sommes en train de voir avec un grossiste pour la distribution à l’intérieur du Burkina Faso.

L’IRSS produit-elle d’autres phyto-médicaments ?

Le FACA est le seul phyto-médicament que nous avons sur le marché. Mais il y a trois ou quatre ans, avec les chercheurs, nous avons fait sortir tous les résultats que nous avons dans les tiroirs sur les médicaments. Et pour chaque pathologie, nous avons compilé les résultats et nous sommes allés vers les spécialistes du ministère de la Santé pour leur dire ce que nous avons comme informations sur ces plantes médicinales par rapport à ces pathologies. Qu’est-ce qu’il nous reste à produire comme informations pour qu’on puisse voir ces médicaments sur le marché ? Ils nous ont fait des rapports et l’évaluation de ce que nous avons. Nous avons repris quelques travaux complémentaires sur ces plantes sur des pathologies jugées prioritaires. Nous avons abouti à des prototypes de phyto-médicaments. Nous avons deux ou trois anti-hypertenseurs qui sont prêts et qui devraient aller en essai clinique.

Nous avons également un antiparasitaire vermicide qui est prêt et qui doit aller en essai clinique. Et un anti inflammatoire, un gel à base de Khaya sénégalensis qui est également prêt et qui doit aller en essai clinique.

Mais vous savez, la recherche sur le médicament à base de plante, ce n’est pas là où vous trouvez les financements. La difficulté, c’est là-bas. On n’a pas assez de ressources financières pour développer ces essais cliniques, parce que c’est très couteux. L’argent dont on dispose ne suffit pas à faire ce travail. C’est ce qui fait qu’à part le FACA, nous n’avons pas un autre médicament sur le marché. Comme nous sommes une structure publique de recherche en plus, on ne va pas jouer aux hors-la-loi, nous allons respecter tout le processus. Et quand les moyens vont se présenter, on ira vers les essais cliniques pour confirmer l’efficacité thérapeutique chez l’homme de ces différents produits.

Des propositions de financements sont faites pour la recherche. Quand les partenaires financiers viennent vers vous, c’est pour ce qui les intéresse. Le médicament à base de plante n’est pas une priorité pour eux. Les grands financiers de ces programmes de recherches, ce sont souvent les firmes pharmaceutiques. Je ne les vois pas aider une autre firme à développer son propre médicament. Nous nous devons travailler à avoir nos propres phyto-médicaments sur le marché. Si ça marche, ce sont ces phyto-médicaments qui vont retro-financer la recherche sur le médicament à base de plantes.

Entretien réalisé par Justine Bonkoungou
Vidéo : Nathanaël Kalguié

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