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Du Coronavirus à un grand bond en avant sanitaire et scientifique ?

Publié le dimanche 19 avril 2020 à 22h01min

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Du Coronavirus à un grand bond en avant sanitaire et scientifique ?

Lors d’ une conversation entre trois Burkinabè vivant en France, nous avons évoqué les propositions, interrogations et informations multiformes qui circulent au sujet de la pandémie liée au COVID-19. Une préoccupation nous anime : que pouvons-nous faire ? Que peut le Burkina Faso ? Que peut l’Afrique ? Ce qui suit est la synthèse de cet échange.

VIIM en mooré, SHI en dioula, YONKI en fulfulde : oui le respect de la vie est au cœur de nos valeurs essentielles. Le combat pour la vie, et la santé, fait partie du quotidien de la majorité des humains, et des projets de transformation sociale incarnés à nos yeux par un panafricanisme de progrès.

Malgré des ressources exceptionnelles et des époques d’abondance antérieures, c’est la pauvreté qui est aujourd’hui endémique. C’est elle qui caractérise le vécu des majorités, héritières de sociétés fracassées pour avoir traversé les pires épreuves connues des sociétés humaines, notamment la colonisation et l’esclavage. Toutefois , le génie des peuples africains, et en particulier du peuple burkinabé, réside dans leur capacité à inventer des solutions. Comme l’écrit le philosophe sénégalais Djibril Samb, « La force de la condition humaine consiste à savoir muer les épreuves en expériences, et celles-ci en enseignements, pour surmonter ses limites en les transformant en défis à relever ».

Avant le coronavirus une vie burkinabé pouvait être cotée 25 fois moins que celle d’un Français, si l’on se base sur l’estimation de 120 fois le PIB par habitant du pays d’origine de la victime l’essai de (Le prix d’un homme, François-Xavier Albouy ) . Eh bien, après le coronavirus, l’élan pour sortir de sortir à la fois de cette logique économique tronquée , et des inégalités structurelles qu’elle reflète, sera-t-il décuplé ?

Au-delà des protestations sur telle déclaration blessant la fierté africaine, et mettant à jour certains scandales sanitaires et médicaux, au-delà des injures supportées stoïquement par le Directeur général de l’OMS, le Docteur Tedros Adhanom Ghebreyesu , l’objectif commun doit être de traduire la résilience des majorités en actions stratégiques, permettant de rompre avec une vie au rabais.

Une connaissance adéquate de l’impact de l’épidémie du COVID 19 et des défis du Continent africain est-elle nécessaire pour prendre la parole aujourd’hui ? Non, car l’espèce d’énorme ralenti dans laquelle le monde est plongé ne met entre parenthèses le chemin, difficile, dont nous savons qu’il mène à la prospérité et au bien être.

Certes, elle est grande la clameur et la rancœur des anti-vaccinations, suite aux propos d’un expert de l’INSERM, le Professeur Mira , tenus sur la chaîne de télévision LCI le 3 avril . Une coalition d’intellectuels, de partisans des médecines douces traditionnelles, de panafricanistes, s’est levée pour crier « Non » . Cela est cyclique car une colère de plus ou moins forte intensité existe de manière structurelle, notamment au sein des franges les plus jeunes de la diaspora africaine à cause du racisme et de l’exclusion sociale dont il est porteur.

Certes, de nombreux scandales plus anciens, au vingtième siècle, tel que celui concernant la Syphylis relaté dans le Belmont report aux USA (1979) , ont , auparavant, mis en lumière le non-respect de la Déclaration d’Helsinki de 1964 sur les Principes éthiques applicables à la recherche médicale impliquant des êtres humains. Au Burkina Faso des héros anonymes ont rejeté telle tentative d’essais cliniques non conformes à ces principes. L’intégrité de médecins et infirmiers, sage-femmes est sans doute mise à rude épreuve, compte tenu des actes de corruption mis en lumière de nos jours par le REN-LAC.

Mais au delà de ces cris, légitimes, devraient surgir davantage de propositions concrètes, une mobilisation plus pérenne pour une construction collective d’alternatives ayant une efficacité préventive. Le droit à la vie et à la santé ne doivent pas seulement être dans la constitution, ils doivent être effectivement garantis.

La colère, l’indignation, peuvent être utiles lorsque l’on sait en faire le levier pour une action transformatrice , pour apaiser la soif de justice en accélérant le rythme des changements stratégiques.

Le chemin tout tracé du développement endogène et du panafricanisme doit être revisité à l’aulne de cette pandémie. Nous partageons à cet égard ce soucis exprimé par les intellectuels africains : « une véritable union des pays africains sur les plans économique et sanitaire pourrait permettre une mutualisation des réponses aux risques engendrés par le covid-19 et au-delà »

Par exemple, un observatoire panafricain de la recherche médicale est nécessaire pour promouvoir la bioéthique, notamment le respect de la Déclaration d’Helsinki, et contrôler davantage la participation effective des chercheurs africains dans les projets de recherche co-financés, au lieu d’en faire de simples assistants, méprisés, des grands laboratoires européens ou américains.

Ouvert à la société civile, il permettrait de renforcer les programmes communautaires d’éducation au droit à la santé, afin que les citoyens ne soient pas livrés impunément aux intérêts affairistes des multinationales, puissantes lobbyistes auprès des Gouvernements et des institutions internationales.
De telles préconisations resteraient seraient d’autant mieux suivies si la transformation de la gouvernance de l’Union africaine , en cours, s’accélère , et évolue vers davantage de supranationalité.

Sur le Continent même, les graines du changement doivent être entourées de tous nos soins. Les expériences institutionnelles lors des épidémies du cholera et de la fièvre Ebola sont insuffisamment partagées.

Au Sahel, déjà fragilisé par l’extrémisme violent, les œuvres pionnières en matière de médecine traditionnelle africaine, telle celle du malien Mamadou Koumaré, de Jean Plya du Bénin, Dr Dakuyo du Burkina Faso, le Dr. Pierre Guissou et ses collègues inventeurs du FACA, et tant d’autres, doivent retenir davantage l’attention des protestaires et des gouvernements.

Le rôle pionnier du CAMES depuis le Colloque de Lomé en 1974, dont le Burkina Faso abrite le siège, rend d’autant plus nécessaire le soutien massif aux tradithérapeuthes et chercheurs africains, de manière à donner une impulsion libératrice à ce socle incontournable de la souveraineté sanitaire du pays, entendons par là le Burkina Faso et l’Afrique tout entière.

Dans l’Afrique dite anglophone, le Zimbabwe, que les media évoquent le plus souvent pour mentionner l’héritage supposé catastrophique du défunt président Mugabé, l’association nationale des thérapeutes traditionnels (ZINATHA) représente un effort significatif pour concrétiser les potentialités des cultures scientifiques propres au Continent africain. Yash Tandon et Horace Campbell ont bien souligné cela.
Au sein de la CEDEAO, le Ghana voisin et le Nigeria sont certainement dans la même dynamique.

« Il faut infrastructurer la culture » avait souligné J. Ki-Zerbo, architecte des programmes du CAMES sur la pharmacopée. Les infrastructures professionnelles nationales existent déjà : l’U-Pharma qui fabrique le FACA , médicament contre la drépanocytose, l’Institut national de recherche sur la santé (IRSS), le laboratoire national de biosécurité. C’est une volonté politique qui peut en faire des leviers d’une force de frappe intégrée pouvant représenter un dispositif d’envergure sous-régionale et même régionale.

Vœux pieux ? Souhaits naïfs de « diaspos » ? Peut-être, et tant mieux si ce sont des portes déjà ouvertes ou en cours de l’être.

Notre rêve est celui des Afrofurutistes et Afrooptimistes. Leurs rêves font espérer et prospérer.
Au fond, nous pensons simplement que, comme le corps humain secrète des anticorps pour se sortir de l’agression virale , les corps politiques que sont nos Etats doivent se secouer pour se hisser, et leurs peuples avec eux, à une dimension supérieure, systémique et non conjoncturel , de la bataille libératrice contre la pauvreté endémique.

A rebours d’une impression pénible de cacophonie, il est vrai perceptible dans bien des pays, nous pensons que les autorités doivent regrouper les structures et acteurs précités en un pôle, structuré et structurant, et à susciter à leur intention une initiative d’envergure, dans le cadre d’une diplomatie scientifique offensive visant la CEDEAO et l’Union africaine. En rappel, le Président du Faso a « invité le Haut Conseil national de la recherche scientifique à activer sa commission Santé et bien-être, et décidé de la mise en place d’un Conseil scientifique pour suivre et orienter les mesures à prendre contre la pandémie », et annoncé « le financement de la recherche sur les maladies infectieuses et la production de médicaments pour un montant de 15 milliards FCFA ».

L’ambition ici doit être de transformer l’épreuve comme on transforme un essai : tirer parti de nos avantages comparatifs et contribuer à court terme à renforcer l’industrie phytosanitaire et pharmaceutique du Burkina, pour le bien être des populations africaines, du Continent et de la diaspora.

Lazare KI-ZERBO, Guyane
Alira ADISA, Paris
Vincent De Paul KINDA, Marseille

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Vos commentaires

  • Le 19 avril 2020 à 20:30, par Bao-yam En réponse à : Du Coronavirus à un grand bond en avant sanitaire et scientifique ?

    Bonne reflexion ! Le problème est que l’Afrique a déjà de multiples institutions à objectifs nobles qui ne fonctionnent pas bien pour ne pas dire pas du tout. Élites et gouvernants n’ont pas encore pris la mesure de leurs responsabilités. Le seul véritable projet qu’ils ont c’est de mendier des miettes auprès de ceux-là même qui pensent utiliser les Africains comme cobayes, pensant que de telles idées sont limitées à une fange marginale de ces pays à qui ils confient le destin de leurs peuples.

    Rien ne peut changer en Afrique sans une véritable révolution politique. Malheureusement la classe politique actuelle n’a rien de nouveau à proposer. Elle est sans conviction. Espoir repose sur les jeunes et ceux qui se sont jusqu’à présent tenus à l’écart de la politique.

  • Le 19 avril 2020 à 21:14, par Sheikhy En réponse à : Du Coronavirus à un grand bond en avant sanitaire et scientifique ?

    Cela va de soi dans un environment ou il y a un fort leadership et une vision stratégique. Mais nos pays sont loin de là. Aussi chaque pays, hormis quelques rares exemples, que sur le plan communautaire. Il y a tellement de choses à faire en Afrique, mais on se laisse toujours berner, on pleurniche et on navigue à vue. Voyez déjà l’environnement de corruption et de népotisme autour de cette pandémie dans nos pays. Personne ne va nous aider. Au contraire, on fera tout pour nous décourager. Donc si l’engagement n’est pas fort, on restera toujours dans la théorie et la philosophie.

  • Le 19 avril 2020 à 21:18, par Sabaabo En réponse à : Du Coronavirus à un grand bond en avant sanitaire et scientifique ?

    Je l’ai plusieurs fois dit et je le répète, la crise sanitaire du Covid-19 avec tous ses corolaires est une belle opportunité pour nos pays africains de s’engager résolument sur le chemin vers l’émancipation pharmaceutique. Ce chemin sera long mais il faut le commencer sans hésitation et avec détermination. On ne peut pas rêver du développement et de compter dans le concert des nations en tant que pays respectable quand 99,99% des produits qui sont prescrits chez nous par nos médecins et qu’on trouve dans les pharmacies de chez sont importés et que pour soigner les maux les plus ordinaires de chez nous, il faille faire appel aux Chinois, indiens et que sais-je encore par le biais de leurs produits. Désormais, les essais cliniques doivent s’intensifier de façon exponentielle. Avec les résultats, chaque année, l’État doit pouvoir déclarer : "Désormais, au Burkina Faso, les maladie suivantes devront être traitées avec les produits suivants mis sur pied pars des chercheurs et praticiens de chez nous. Tout autre produit d’origine étrangère ne saurait être prescrit qu’en cas de ruptures des produits locaux". Avec un peu de suivi et de rigueur, au bout de 10 ans, c’est un grosse industrie pharmaceutique qui aura été créée sur un longue chaîne, depuis la cultures jusqu’à la commercialisation.
    Il faut de la volonté et du courage politique.
    Les freins au développement de nos pays, particulièrement du Burkina, c’est le mimétisme, l’importation, le mépris de ce qui est de chez nous, la survalorisation de l’exogène, le manque de courage politique. Tant que le principe de produire burkinabè et consommer burkinabè ne sera pas intériorisé par tous, et en particulier les décideurs politiques, nous serons toujours un pays pauvre très endetté !

  • Le 20 avril 2020 à 08:13, par Pagnagdé En réponse à : Du Coronavirus à un grand bond en avant sanitaire et scientifique ?

    En matière de santé publique, le CAMES est complètement incompétent et totalement dépassé, arriéré. Alors une réflexion honorable de la santé publique en Afrique n’a rien à attendre du CAMES.

  • Le 20 avril 2020 à 08:28, par OPINION PLURIELLE En réponse à : Du Coronavirus à un grand bond en avant sanitaire et scientifique ?

    Bien chers, merci à vous tous pour votre pertinence.
    Cette opinion rejoint juste celle de Boubakar Elhadj.
    Vous vous rendrez ainsi compte que les clameurs qui viennent des peuples AFRICAINS expriment à l’unisson ce qu’ils vivent et ressentent.
    Aussi, il est grand temps que ce cri du coeur se traduise à travers une synergie d’action de ces peuples.
    Tout succès est au bout de l’effort que l’on fournit.
    UNISSONS NOUS ET TOUTES LES ENTRAVES VONT TOMBER
    SOYONS PATRIOTES ; SOYONS SIMPLEMENT AFRICAINS

  • Le 20 avril 2020 à 13:43, par le fou En réponse à : Du Coronavirus à un grand bond en avant sanitaire et scientifique ?

    Tout est bien dit par le trio ; mais que faire devant un peuple africain congénitalement aliéné, qui vit sous oxygène occidentale ?
    Des gouvernants jusqu’aux citoyens lambda, la quasi totalité pense que c’est le Blanc qui a la meilleure solution. Nous sommes des garçons de course des occidentaux. Nous sortirons de cette spirale si tous les Etats se mettent ensemble pour voir comment renverser la tendance de façon holistique, chaque pays avec sa compétence, avec un pool de formateurs interafricain afin de trouver une solution à nos maladies spécifiques. Des hommes courageux ont tenté le défi du développement africain mais ont été assassinés avec la complicité de leurs frères. Qui relèveront les prochains défis ?

  • Le 21 avril 2020 à 20:27, par Dibi En réponse à : Du Coronavirus à un grand bond en avant sanitaire et scientifique ?

    Bien dit, bonne initiative propositionnelle, bon diagnostic et bonne analyse.
    Pour le dire autrement, ça s’appelle :
    - "Ne compter que sur ses propres forces" et ne pas "Dormir sur la natte des autres".
    - Une formule politique atomique qui est la somme de deux volontés politiques guides de notre peuple : Thomas Sankara + J. Ki-Zerbo = Libération-Souveraineté-et Emancipation progressiste.
    Avec ça, l’Afrique décolle !
    Mais la débilitation politique et l’aliénation culturelle néocoloniale massives ont encore de beaux jours devant nous, dans cette Afrique de Nègres couchés sur la natte des autres !
    Na an lara, an sara !
    La patrie ou la mort !

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