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Comprendre la dette du Tiers-Monde

Publié le jeudi 16 avril 2020 à 21h04min

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Comprendre la dette du Tiers-Monde

La crise sanitaire du Covid-19 est venue réveiller un monstre qui suce le sang de nombreux pays : la dette du tiers-monde. Il est question d’annulation massive de cette dette. Pour ma part, j’ai voulu savoir de quoi est constituée cette dette, d’où vient-elle et quelles sont ses conséquences sur la vie des Etats du Tiers-Monde.

Pour dire le vrai, les déclarations du président français à propos de la dette du Tiers-Monde, ont fait remonter dans ma mémoire des souvenirs militants. C’est la publication du livre, « Noir Silence », de François-Xavier Verschave, dénonçant la FrançAfrique, qui m’a rapproché du comité pour l’annulation de la dette du Tiers-Monde (CADTM-section France). Aujourd’hui présent et actif au niveau international avec des sections dans de nombreux pays, ce CADTM est devenu comité pour l’abolition des dettes illégitimes. Et puis, c’était les années d’études de l’histoire diplomatique à la Sorbonne.

Aux origines de la dette

Dettes illégitimes, le ton est donné. Et il faut remonter aux origines pour s’en convaincre. Et il faut toujours interroger l’histoire. A l’université, on nous a appris qu’après la seconde guerre mondiale, les pays européens se sont retrouvés dévastés et ruinés. Or, il fallait que l’Amérique aménage sa suprématie sur sa zone d’influence nouvellement conquise. Ainsi fait, en 1949, les États-Unis ont donc instauré le fameux Plan Marshall, qui accordait des prêts à ces pays alliés.

La grande Amérique ne faisait évidemment pas dans la philanthropie. L’idée, c’était de transformer ces pays européens en partenaires commerciaux privilégiés. Il fallait cela pour bâtir un camp suffisamment solide pour faire face à l’adversaire Soviétique. L’Affaire a si bien marché que les banques et les Etats se sont retrouvés avec d’énormes liquidités dans les bras.

Une banque ne peut laisser dormir des liasses d’argent. Vers qui se tourner pour faire fructifier cette manne ? Telle était la question. Et voilà que dans le même temps, des populations entières dans le vaste monde se battent pour sortir de la colonisation européenne. Quel banquier, quel Etat prébendier peut résister à la tentation de se faire de nouveaux vassaux et de nouveaux débiteurs ? La pompe est amorcée.

Un système pervers

Souvenez-vous des conditions de départ ! Certes, il fallait de nouveaux clients emprunteurs. Mais ces clients devaient devenir des vassaux émargeant dans le camp occidental. Toujours garder en mémoire les appétits suprématistes des Etats. Il se trouve qu’un pays sortant de siècle d’asservissement a des besoins économiques énormes. Là, je suis obligé de citer les économistes. Quand on est profane, gare à la gaffe. « Cette dette correspond tant à des prêts souverains (d’autres États, du FMI, de la Banque mondiale, etc.) que des financements privés (prêts bancaires, obligations placées auprès de fonds de placement, ...) ». Et il fallait trouver l’habillage qui convient. On a donc appelé cela l’aide au développement. Une aide ? Pas si sûr !

Développement signifie qu’il fallait atteindre le niveau de vie des Européens et des Américains, quitte à copier à l’aveuglette. À ce niveau déjà, il y a de nombreuses choses à redire. Pour ce qui est de cette aide, elle ne va pas tarder à prendre des allures étranges.

Des chaînes par l’argent

Quand on a certains types d’amis, on n’a plus besoin d’ennemis. Quelques exemples pour comprendre. En 1949, pour obtenir son indépendance, l’Indonésie fut contrainte d’honorer la dette de l’administration coloniale néerlandaise. Il n’est pas superflu de rappeler que le colonisateur avait contracté cette dette justement pour combattre les « rebelles indépendantistes ». Vous ne rêvez pas, vous avez bien lu. Tu colonise mon pays. Pour me libérer, je dois prendre les armes. Tu vas emprunter de l’argent pour financer la répression. Et le jour où tu es battu militairement, je dois rembourser ce crédit que tu as pris pour me faire la guerre.

Un autre exemple. L’Egypte indépendante voulait des finances pour construire le barrage d’Assouan. Refus anglo-français. En réponse, l’Egypte nationalis
e le canal de Suez en 1956. Résultat : la fameuse crise de Suez. Là également, il n’est pas inutile de rappeler que ce canal de Suez avait été construit par des ouvriers égyptiens, au prix de lourdes pertes humaines.

L’esprit humain réussit toujours à aller là où on ne l’attend pas. Dans de nombreux cas, un mouvement indépendantiste doit se battre dans la clandestinité et sans ressources. Les nouveaux « amis » prêtent de l’argent et du matériel de guerre, et une fois l’indépendance obtenue, on fête en fanfare l’entrée de son pays dans le club des détenteurs de la dette du Tiers-Monde. Donc, rien qu’en naissant, vous devez de l’argent à quelqu’un.

Une amicale de dictateurs

Vous êtes toujours là ? Poursuivons alors ! J’entends souvent dire que l’impérialisme soutient des dictateurs. Je condamne cette fausse accusation avec la dernière énergie. Car, l’impérialiste soutient le président qui garantit le remboursement de la dette et l’équipe gouvernementale qui peut protéger la bonne marche des affaires. Si ces « affaires » ne font pas l’affaire de ses populations, le premier responsable n’est certainement pas le banquier européen.

Initialement, les fonds en question étaient souvent « destinés à la construction de grands projets d’infrastructure, comme des barrages ou des autoroutes, ou encore au développement d’une stratégie dite d’industrialisation par substitution des importations, qui vise à permettre l’essor d’une production nationale capable de remplacer les importations provenant des pays industrialisés ». Le « Consommons Burkinabè ! », ça ne date pas d’aujourd’hui. Il est bon de rêver, mais pas trop. Croire qu’un pays étranger va vous financer pour que vos produits nationaux viennent un jour concurrencer ses propres productions sur le marché international est un conte pour enfant.

De la même manière, croire qu’un banquier vous « aide » par pure bonté d’âme est un songe. Tout compte fait, on enlève les chaînes de vos pieds et de vos bras, et on vous enchaîne par le porte-monnaie. Et les mécanismes de la dette ne vont pas tarder à le faire comprendre. Résumons en disant que le remboursement de cette dette « est une catastrophe pour l’humanité, maintenant dans la plus extrême pauvreté des contrées entières possédant pourtant d’importantes richesses matérielles et humaines. Une tragédie sous-jacente, qui provoque en aval une multitude de drames insupportables. »

Rééchelonnements et ajustements

L’histoire est un repère sûr, mais elle est impitoyable. Voyons au plus près. Comment un Etat qui a emprunté pour investir pourrait-il rembourser avant que les dits investissements commencent à produire des effets positifs ? Il semble que les techniciens qui ont conseillé les Etats emprunteurs ont omis de mentionner cet écueil. Vous empruntez de l’argent à votre voisin pour mettre en route un verger. Un matin, le voisin vient vous dire de rembourser son argent, alors que vous n’avez même pas fait une première récolte.

Et comme vous ne pouvez pas, il vous propose un prêt supplémentaire pour le rembourser en attendant de vendre votre première récolte. Opération qui gonfle votre dette. Et vous devez toujours dépenser pour entretenir un verger. Il vous propose de reculer la date des premiers remboursements, mais à ce prix vous devez accepter une augmentation des taux. Initialement vous deviez lui rembourser son argent, plus 10% de la somme. Avec cette deuxième opération, vous devez maintenant rembourser la totalité de son argent, plus 20% de la somme.

Vous ne vivez pas en l’air. Ce qui se passe dans le vaste monde a des répercussions sur votre économie nationale. Un choc pétrolier survient. C’est-à-dire que les pays producteurs de pétrole en ont marre de brader leur produit. Ils se réunissent et décident d’augmenter les prix. Le pétrole, c’est le sang qui irrigue l’économie mondiale. Si ce sang devient plus cher, vous ne pourrez pas suivre le mouvement. Votre créancier survient et vous propose une « aide » qui va vous aider à passer ce cap difficile.

Donc de rééchelonnements en ajustements structurels de votre dette, vous vous appauvrissez chaque jour, tout en travaillant comme un nègre. Plus grave sur le plan social, un rééchelonnement signifie qu’on vous permet de souffler, à condition de vous débarrasser des dépenses inutiles. Style éducation, soins de santé, encadrement rural, etc... Si une famine ou une catastrophe sanitaire survient, il ne vous reste que l’aide humanitaire.

Au final, c’est ceux-là mêmes qui vous ont enfoncé dans cette situation qui volent à votre « secours ». Qu’est-ce qui vous fait croire que ce secours n’est pas aussi toxique que les aides précédentes ?
Je crois charitable pour le lecteur d’arrêter là l’exploration de ce tableau sinistre.

Sayouba Traoré
(Ecrivain-Journaliste)

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Vos commentaires

  • Le 17 avril 2020 à 05:20, par Elkabor Boureima KABORE En réponse à : Comprendre la dette du Tiers-Monde

    Merci, Mr TRAORE ! c’est édifiant et vous êtes très didactique et pédagogique ! Si le temps vous le permettait, esquissez un peu comment un pays peut-il en sortir ; s’il y’a des exemples ! Encore merci ! Elkabor

  • Le 17 avril 2020 à 08:35, par SIDIBÉ Hassimi En réponse à : Comprendre la dette du Tiers-Monde

    Merci pour cet éclairage et la consientisation que vous faites pour l’élite africaine.

  • Le 17 avril 2020 à 10:09, par BACH En réponse à : Comprendre la dette du Tiers-Monde

    Merci Cher grand frère pour l’éclairage, c’est triste et écœurant. Comme vous l’avez si bien dit consommant local ne date pas d’aujourd’hui. Certes, le vin est tiré il faut le boire. Comment faire maintenant pour changer le fusil d’épaule ?

  • Le 17 avril 2020 à 10:14, par Romi En réponse à : Comprendre la dette du Tiers-Monde

    Très édifiant !Ma question pour Sayouba Traoré, si c’en est ainsi comment nos dirigeants qui son aussi très souvent d’imminents banquiers se font rouler dans la farine.Le gouvernement actuel compte de grands financiers et banquiers.Le PF lui même en est un.

  • Le 17 avril 2020 à 10:47, par FRANÇOIS MEYRONEIN En réponse à : Comprendre la dette du Tiers-Monde

    Excellente démonstration, l’article devrait être lu dans toutes les écoles. Merci d’avoir mentionné François Xavier Vershave, qui a été mon patron, et qui aujourd’hui est presque oublié alors que son apport à la prise de conscience des méfaits occidentaux en Afrique, est essentiel.

  • Le 17 avril 2020 à 16:11, par KASMA En réponse à : Comprendre la dette du Tiers-Monde

    BUUDA KASMA,
    Tu as tout dit.
    il reste maintenant à nos Dirigeants, qui j’en suis sur sont aussi au courant, de travailler à nous sortir de cette Merde..
    Bon confinement
    Que Dieu nous garde aussi du COVID19, qui semble être une penderie provenant d’autres contrées.

  • Le 17 avril 2020 à 19:39, par Mechtilde Guirma En réponse à : Comprendre la dette du Tiers-Monde

    Sayouba, m’dwell Belem-Ouédraogo, togsé n’kel bilfu m’biing béog yiinga. Ad pa togsed faân yé :

    Ce qui me glace encore plus que ces révélations de Sayoubé, c’est l’avenir. Car le pire scénario serait qu’il y ait coup d’État ou une nouvelle insurrection qui ferait place à une transition. Évidemment les premières Institutions intéressées et sensées d’assurer une bonne issue par des « élections transparentes, libres, crédibles et apaisées » sont d’abord astreints à deux vœux tabous :

    - Le respect des engagements internationaux et
    - Le respect du délai et l’échéancier imposés.

    À ce sujet, Son Éminence le Cardinal Paul Zoungrana savait où mettre le pied. S’il est vrai qu’il a été trainé dans la boue pour avoir féliciter Saye Zerbo de n’avoir pas versé une seule goutte de sang dans son coup d’Etat, il ne s’était jamais prononcé en faveur des engagements internationaux. Au contraire il en était un grand pourfendeur, surtout contre la dette, l’avortement et Grand ennemi de la « théorie du genre ». Il ne s’était jamais prononcé contre l’excision, il attendait plutôt des études plus poussées sur la question. Le silence et le calme plat de nos autorités religieuses et coutumières aujourd’hui expliquent-ils ceci ou cela ? Mystère et boule de gomme.

    Pour ma part, je me garderai toujours de les juger et surtout vouloir sonder les plans divins.

  • Le 17 avril 2020 à 22:45, par Fichier En réponse à : Comprendre la dette du Tiers-Monde

    C’est délicieux.
    Après la libération des chaînes des pieds et bras, nous restons enchaîner financièrement certes, mais je crois sincèrement que les vraies chaînes sont mentales. C’est cela qui nous maintien dans l’inertie de l’action.

  • Le 18 avril 2020 à 00:43, par Ky Thierry En réponse à : Comprendre la dette du Tiers-Monde

    Au final, c’est ceux-là mêmes qui vous ont enfoncé dans cette situation qui volent à votre « secours ». Qu’est-ce qui vous fait croire que ce secours n’est pas aussi toxique que les aides précédentes ?

    Plus toxique est le mot. Si l’on nous aide avec des produits venant des zones contaminées comme celles de Fukushima suite à l’accident nucléaire... Ce sont nos enfants malades qui devront pourtant travailler pour ce remboursement.
    Il faut comprendre une fois pour toute que l’aide n’existe pas.

  • Le 19 avril 2020 à 13:44, par Fils du pays En réponse à : Comprendre la dette du Tiers-Monde

    Bonjour frère Traoré, merci pour cet écrit qui est clair. Je voulais juste évoquer qu´au départ un franc cfa faisait 1,7 franc français. Donc presque 2 franc. Le cfa fut créé pour soutenir rapidement le franc français juste après la deuxieme guerre mondiale. Aujourd´hui on a une autre valeur. Ceci se retrouve sur le net. Informons nous, portons le faso dan fany (beaucoup vont être fâchés) mais nous n´avons pas le choix.

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