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Famine au Burkina : l’embellie trompeuse des premières récoltes

Publié le jeudi 15 septembre 2005 à 07h22min

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A quelque 20 à 40 jours de la récolte du sorgho, base de l’alimentation, les paysans du nord du Burkina trompent leur faim en grignotant les premiers épis de maïs arrivé à maturité. De quoi égayer le menu de la famille Zida mais pas suffisant pour la sortir de la disette. Reportage.

Élancé, sec comme un épineux, il porte une barbichette qui ajoute à la gravité de son visage. Boukaré Pougsbila Zida, 49 ans sur le papier, 60 à vue d’œil, vit à Gomponsom, un village du centre-nord du Burkina. Ce paysan exploite 3,5 ha de sorgho, et un demi-hectare de petit mil auxquels il associe du niébé et de l’oseille. Le maïs ? Il est très peu cultivé dans la région et sa consommation ne date que des années 1985, après une précédente famine. Les paysans continuent de bouder cette céréale, difficile à moudre chez soi contrairement au mil et au sorgho blanc ou rouge, sans saveur certes, mais pas trop exigeant en eau et surtout bourratif.

Cependant, en ce mois de septembre, le maïs arrivé à maturité fait l’objet de toutes les attentions. Il est midi, quand une des filles Zida disparaît derrière les cases et revient avec un épi de maïs frais. Il ne paie pas de mine, mais pour la petite, c’est un véritable trésor. Elle débarrasse le minuscule épi de ses enveloppes et garde quelques spathes pour les tresser.

Après s’être longuement amusée avec cet épi, mi-jouet, mi-aliment, elle se résout à le griller. Nous nous entretenons, son père et moi, sous un karité, à l’entrée de la concession, quand elle nous rejoint avec ce qui constitue le repas de midi.

Elle casse l’épi en deux et donne la plus grosse part à son frère, petite boule à la tête proéminente blottie dans les bras de leur père. Croyant que l’enfant n’est pas encore sevré, je m’inquiète auprès de mon hôte du geste de la gamine. "C’est parce qu’il est malade, sinon, il a trois ans", répond Boukaré, qui décortique quelques grains de maïs pour son fils dont le visage s’illumine à la vue de ce festin. Ce sera le seul plat de la journée.

Les adultes devront attendre l’unique repas du soir, toujours le même : un mets innommable à base de sorgho ou de mil grossièrement écrasé et noyé dans la sauce. Pour tout ingrédient, les femmes se contenteront d’ajouter du sel et de la potasse aux feuilles d’oseille, de niébé et de plantes sauvages, qui abondent en cette période de l’année. Toute la cour de la concession en est tapissée jusqu’à la meunerie familiale.

Mais la dizaine de meules manuelles, installées en cercle sur un monticule au milieu de la cour, sont silencieuses depuis des semaines, faute de grains. Le karité n’ayant pas produit l’année dernière, les femmes n’ont pas fait de beurre. Elles préparent donc la sauce sans huile, hors de prix. "Nous avons mal au ventre à cause de ce régime, mais au moins, nous sommes en vie", résume Boukaré Zida.

Saupoudrage

Avec près de 1 300 tonnes de déficit vivrier lors de la campagne agricole écoulée, la province du Passoré, dont Boukaré Zida est originaire, fait bonne figure, par rapport à celles de l’extrême nord du pays. Mais ici aussi, comme ailleurs au Burkina, la famine s’est installée très tôt. Dès le mois de mai, la direction provinciale de l’Action sociale, préoccupée par le drame qui frappait les campagnes, procédait à une distribution gratuite de 12 t de vivres aux plus nécessiteux. Puis l’État et les Ong ont pris le relais. Les aides reçues à ce jour par le Passoré, avoisinent les 226 t. "C’est peu, comparé à nos besoins", constate un animateur des groupements naam, une association de développement de la région. En cette période de l’année, paysans et techniciens se disent surtout préoccupés par le risque d’un manque d’intérêt pour la zone, durement touchée, mais moins que celles de la région du Sahel, sous les feux des projecteurs.

"On peut aussi croire que tout est réglé avec les premières récoltes", dit un animateur, qui précise, parlant de ces fameuses premières récoltes qu’il s’agit plus d’amuse-gueule que de véritables repas pour les paysans. L’autre "bonne" nouvelle concerne la récolte du gombo par les femmes. La vente de ce légume pourrait permettre de gagner un peu d’argent et de s’approvisionner en céréales, devenues rares sur les marchés. Les hommes le suggèrent, mais les femmes refusent. Elles préfèrent sécher leur gombo pour faire la sauce en saison sèche, quand elles ne pourront plus s’approvisionner en feuilles dans la brousse.

Pour ajouter au drame, dans certaines zones, comme à Bokin, non loin de Gomponsom, circule sur les marchés, du maïs contaminé par l’aflatoxine (toxine cancérigène produite par un champignon, Ndlr), à moitié sec. Il serait d’origine ivoirienne. "Le risque d’intoxication est réel, mais quand on a faim, tout ce qui vient, on avale et on attend la suite", dit Fulbert Parou, directeur provincial de l’agriculture du Passoré.

Attendre 20 à 40 jours

À présent, Boukaré Zida ne sait plus où donner de la tête. Ayant vendu ses animaux dès le début de la crise pour d’abord s’approvisionner en céréales au prix fort au marché puis à "coût social" auprès des structures étatiques, il ne possède plus rien. Il ne veut plus trop solliciter son frère qui travaille dans la capitale. "J’en suis à l’étape où je dois quémander. Au-delà, dit cet homme digne, il ne restera plus aux gens que le vol pour se tirer d’affaire." Pour autant, il garde espoir.

Balayant du regard ses champs de case, il pronostique : "Si les pluies se poursuivent jusqu’à la fin du mois, dans 20 jours, on aura de quoi manger dans les champs de case et dans 40 jours, les champs de brousse produiront à leur tour." En attendant, le régime alimentaire reste inchangé : traces de mil dans une mare de feuilles à la potasse et au sel.

Le Burkina ne crie pas famine

Officiellement, le Burkina n’est pas "en situation de crise alimentaire généralisée". Un article, paru le 24 août dans le quotidien d’État, Sidwaya, sous la signature du ministère en charge de l’Agriculture du Comité inter États de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS) et d’organismes de prévision, explique pourquoi. Tout en reconnaissant la gravité de la situation dans 7 provinces sur 45, les experts estiment que la campagne excédentaire de 2003 a permis d’amoindrir l’effet de la sécheresse, de l’invasion acridienne de 2005. Pour autant, le gouvernement et ses "partenaires au développement" faisaient distribuer des vivres dès novembre 2004 dans les zones à fort déficit céréalier.

D’ici les prochaines récoltes, les provinces nécessiteuses auront reçu 33 000 tonnes de vivres. Parlant des nouveaux produits qui commencent à arriver sur les marchés, les pouvoirs publics se veulent optimistes. Toutefois, les autorités soulignent que "la vigilance reste de mise".

Souleymane OUATTARA (Syfia Burkina)

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