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Coronavirus : Leçons de résilience des non-lotis de Ouagadougou

Publié le vendredi 10 avril 2020 à 16h04min

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Coronavirus : Leçons de résilience des non-lotis de Ouagadougou

Nous savons que le COVID-19 sévit particulièrement en milieu urbain et périurbain, c’est-à-dire dans les zones les plus denses, les plus peuplées. Ainsi, les zones à forte concentration humaine sont des zones à risques pour la propagation de cette maladie. Nous savons aussi que les quartiers non-lotis de Ouagadougou qui occupent un quart de la superficie de l’agglomération et qui abritent quatre citadins sur dix, sont les quartiers les plus denses de Ouagadougou et du Burkina Faso.

Comment appliquer la distanciation sociale dans un milieu où la vie quotidienne se mène dans des espaces partagés de cours communes et de ruelles ? Sachant que l’ensemble des citoyens et des citadins de Ouagadougou souffrent présentement des impacts socioéconomiques et psychologiques de cette pandémie et que la plupart des résidents du non-loti exerce des activités dans l’économie informelle, avec des rémunérations journalières et à la carte, comment ces résidents des quartiers non-lotis, s’adaptent-ils à ces mesures gouvernementales et municipales de prévention contre le COVID-19 ? Quelles sont les initiatives locales prises par les résidents et comment envisagent-ils l’avenir ?

Une réelle prise de conscience de la maladie par les résidents du non-loti

Dans le non-loti de Bissighin, le message est passé. Tout le monde sait qu’il y a un virus qui est entré au pays des hommes intègres, même si tous ne savent pas le nommer correctement. Les résidents du non-loti de Bissighin connaissent bien les gestes-barrières pour se protéger du virus, notamment ne plus se saluer des mains et se les laver fréquemment, porter un masque, éviter les regroupements, etc. La communication sur les gestes-barrières de prévention du COVID-19 semble donc bien passée.

Vue sur les commerces de proximité dans les ruelles de Bissighin

Il est vrai que ne sont pas des résidents particulièrement gantés ou masqués que vous croiserez dans les ruelles du quartier non-loti de Bissighin. Cependant, plusieurs résidents témoignent, preuves à l’appui, qu’ils disposent d’un masque lavable dans leur poche. Ils le porteront lorsqu’ils jugeront les circonstances nécessaires : présence de poussière, augmentation de l’affluence, etc. On peut apercevoir quelques résidents portant justement ces masques recyclables ; les masques à usage unique sont bien rares dans le non-loti. Au bord des rues, certains restaurants par terre ont installé des dispositifs de lavage de main avec de l’eau et du savon. De même, quelques cours d’habitation en possèdent devant leur entrée principale, afin que les visiteurs puissent se laver les mains avant d’y avoir accès.

Le marché du non-loti de Bissighin fait partie des trente-six marchés frappés par la mesure de fermeture du 26 mars 2020. En effet, ce marché non aménagé par l’administration, abrite plusieurs hangars en matériaux précaires, dont la faible hauteur par endroit, oblige les clients à se baisser pour pouvoir passer. A notre passage dans le marché à 16 heures, tous les étals étaient vides et une dizaine de policiers veillaient au respect de la mesure de fermeture.

Le marché du quartier étant fermé, de nombreuses commerçantes de légumes ont monté des étals de fortune au bord de leur ruelle, devant leur cours d’habitation et continuent à vendre légumes, condiments, bois et charbon. Les boutiques, n’étant pas implantées à l’intérieur du marché restent ouvertes, si bien que les résidents peuvent s’approvisionner en vivres (riz, farine, huile, sucre, etc.) en ces lieux habituels. La fermeture du marché n’a donc pas un impact direct sur les clients, mais plutôt sur quelques commerçantes qui témoignent avoir moins de clients, même si nous pouvons constater que leur activité n’a pas cessé, mais qu’elle s’est déportée sur un autre lieu. Dès lors, les petits étals au bord des ruelles du non-loti constituent des mini-centralités du quartier, donnant naissance à de nouvelles activités informelles : préparation et vente de mets divers (beignets, ignames frits, brochettes de soja, etc.) avant l’heure du couvre-feu.

Des étals aux abords des ruelles avant l’heure du couvre-feu

Les résidents rencontrés témoignent que les mêmes policiers présents dans le marché en journée, font respecter le couvre-feu dans le quartier dès 19h, si bien que pendant la période du couvre-feu, les principales voies structurantes du quartier sont vides. Il en est de même pour les lieux de culte (mosquée, temples et églises), ainsi que pour les restaurants et les bars. Mais pour les connaisseurs, il existe néanmoins des petits bars discrètement ouverts, même en période de couvre-feu. Mais, leur tenancier y a disposé une seule chaise par table et lorsque toutes les chaises sont occupées, il invite les clients à rentrer chez eux avec la bouteille et à la ramener le lendemain.

Tous les établissements d’enseignements préscolaires, primaires, post-primaires et les lycées du quartier non loti de Bissighin sont fermés. Les lieux de cultes sont également fermés, mais quelques fidèles peuvent y pénétrer un à un, pour prier ou pour rencontrer leur responsable religieux. Pour entrer dans le centre de santé et de promotion sociale de Bissighin, les résidents savent que chaque visiteur doit porter un masque et qu’il ne doit avoir au plus, qu’un seul accompagnant par malade.
Les mesures sont donc respectées dans les équipements socio-collectifs du non-loti de Bissighin à savoir les établissements scolaires, les marchés, les lieux de cultes les espaces de loisirs (maquis, bars, restaurants).

Un confinement responsable mis en œuvre dans le non-loti

Le confinement total où chaque ménage serait cloitré dans sa résidence privée est inimaginable par les résidents du non-loti de Bissighin. En effet, il n’existe pas toujours de délimitations physiques des possessions foncières des ménages dans le non-loti. Plusieurs ménages du non-loti partagent des espaces communs au sein d’un ilot et ces cours communes se prolongent et se confondent souvent avec les ruelles enchevêtrées qui bordent ou qui transpercent certains ilots pour desservir quelques terrains enclavés de riverains.

Une image preuve de résilience

Dans ces conditions, un groupe de résidents a désigné une responsable au sein de leur zone d’habitations non loties à Bissighin. Cette dernière s’occupe de la sensibilisation et de la surveillance des mouvements des résidents, notamment des femmes et des enfants. « Vous voyez ce groupe de gens (assis devant un étal de légumes), leur rayon de mouvement est désormais réduit, ils sont entre ici et la maison » nous confie un résident de Bissighin. Cette pratique locale est une mise en œuvre adaptée de la réduction des déplacements préconisée par le gouvernement.

En observant le quartier non loti de Bissighin, on pourrait s’inquiéter de voir une certaine proximité entre les jeunes hommes et garçons jouant aux jeux de cartes ou de dames, au football, ou causant autour du d’un thé. Cette même proximité est observée chez les fillettes, les jeunes filles et les dames papotant autour du commerce de proximité au bord de la ruelle ou à la borne fontaine (point d’eau collectif). Mais cette proximité est le signe d’une certaine convivialité et fraternité, comme le sont les membres d’une même famille.

Par contre, une prudence plus grande est observée par les résidents du quartier vis-à-vis des « étrangers », visiteur du quartier qui sont tout de suite reconnus par les habitants du non-loti.

C’est donc un confinement responsable par zone, qui est mis en œuvre dans le non-loti de Bissighin. Les résidents ne sont donc pas confinés par résidence individuelle, mais par zone de résidence, en espérant que le virus ne pénètre pas leur zone de confinement responsable.

Une solidarité agissante

Un membre du bureau exécutif du comité de quartier de Bissighin a témoigné que le comité n’a reçu pour le moment, aucune aide extérieure pour faire face à la pandémie dans leur quartier non loti. Cependant, pour limiter et se prémunir de la propagation du COVID-19, ce comité de quartier a collecté trois cartons de savon, qu’il a généreusement offert à des personnes âgées, le 21 mars 2020. Cet acte de générosité traduit la bonne prise de conscience des résidents du non-loti, non seulement du risque de la maladie notamment chez les personnes vulnérables que sont les plus âgées, mais également du fait que c’est par la générosité et par la solidarité que des solutions de prévention et de résilience au COVID-19, peuvent être trouvées.

Un résident nous a avoué que les habitants du non-loti ne craignent pas d’être confinés si des mesures plus drastiques venaient à être prises par le gouvernement. « Nous pouvons tenir deux semaines à un mois » déclare-t-il. Il justifie sa réponse par le fait que les résidents des non-lotis sont sobres et modestes en matière de régime alimentaire, du fait de leurs ressources économiques limitées. Il n’est pas question de dévaliser les supermarchés ou les boutiques pour faire des réserves.

Leurs moyens financiers ne leur permettent pas cela et la majorité d’entre eux ne disposent pas de réfrigérateurs pour conserver des denrées périssables. Ainsi, la plupart des ménages pourraient se contenter d’un sac de riz et de maïs qu’ils rationnaliseront avec les légumes et les condiments du quartier. Un autre résidant nous dit : « si ça chauffe et que je te demande un orange money de cinq mille francs par exemple, tu ne vas pas refuser. Il y a beaucoup de gens qui connaissent d’autres personnes comme ça qui pourront les soutenir pour tenir dans le mois de confinement ».

La solidarité en œuvre au sein du quartier non loti de Bissighin et celle existante entre les résidents du quartier non loti avec ceux des quartiers lotis est une ressource précieuse pour mitiger les impacts de la pandémie du COVID-19. Mais pendant combien de temps tiendront-ils ? Que se passera t-il si les bienfaiteurs sur qui certains résidents du non-loti comptent, deviennent eux-aussi démunis ?

La joie de vivre toujours au quotidien

Un futur optimiste

Les résidents du non-loti de Bissighin ne semblent pas préoccupés par les scénarii catastrophes et les projections alarmistes du nombre de morts au Burkina Faso et dans le monde, si les gestes barrières ne sont strictement observées. Ils sont juste conscients qu’ils doivent se prémunir au jour le jour, de l’entrée du virus dans leur quartier, car ils savent que sa propagation risque d’être rapide si cela arrive.

A cet effet, une résidente nous a confié qu’elle souhaite vivement que l’eau courante ne soit pas coupée dans son quartier non loti et dans la ville de Ouagadougou en général. Précisons que Bissighin fait partie des cinq quartiers non lotis privilégiés de Ouagadougou, qui ont bénéficié d’un réseau souple d’adduction en eau potable de l’ONEA au sein de leur quartier non loti. De ce fait, Bissighin a bénéficié de l’implantation d’une vingtaine de bornes fontaines dans le quartier et de branchements individuels au profit d’un ménage sur dix.

Contrairement à certains citadins confinés dans leurs grandes villas avec leurs smartphones, la vie quotidienne dans le non-loti de Bissighin est faite de causeries, d’échanges en petits groupes, de sourires et de joie de vivre. Une joie de vivre qui n’enlève en rien, la prise de conscience des résidents du danger de la maladie et leur contribution dans la mesure du possible, à limiter au maximum la propagation du virus. Une joie de vivre, qui fonde au quotidien des initiatives locales et partagées de solidarité, de résilience urbaine, économique et psychologique, face au COVID-19.

Une joie de vivre positive et contagieuse, qui fait espérer aux résidents qu’un remède sera vite trouvé contre cette infection et que demain ne sera pas pire.
Cette solidarité, cette résilience renouvelée, cette humanité et cette joie de vivre des résidents du non-loti, ne pourraient-elles pas inspirer d’autres citadins de Ouagadougou, d’autres citoyens du Burkina Faso, de l’Afrique et du monde, pour faire face au COVID-19, aux autres maladies et aux attaques terroristes qui sévissent malheureusement encore en Afrique et dans le monde ?

Léandre Guigma
Architecte, Dr en urbanisme
guigmaleandre@gmail.com

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