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Moustapha Laabli Thiombiano : Un génie, des œuvres concrètes et de beaux souvenirs

Publié le mercredi 8 avril 2020 à 14h00min

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Moustapha Laabli Thiombiano : Un génie, des œuvres concrètes et de beaux  souvenirs

Le rallye des mobylettes de Ouagadougou (RAMO), la course des pirogues, Ouaga Plage, la soirée hindou, l’arrivée de Jimmy Cliff à Ouaga … vous vous souvenez ? Derrière ces œuvres, Moustapha Laabli Thiombiano, le fondateur des chaînes des radios Horizon FM et de la télévision TVZ. Celui qu’on avait fini par surnommer ‘’Monsieur aux milles idées’’, ‘’Monsieur fou’’, aura sans nul doute marqué son temps. L’homme a tiré sa révérence ce 6 avril 2020, dans une clinique de la place.

A Fada, où Laabli (du gulmatchéma : mouvant, en constante circulation, qui bouge) a vu le jour un 16 octobre 1946, d’aucuns diront que ses parents ont eu recours à la géomancie pour lui attribuer ce nom. Ils ont vu juste. En tout cas, son parcours et la multitude de ses œuvres en disent long. Ce nom lui convenait parfaitement.

Après des études primaires dans sa ville natale, le jeune Moustapha se retrouvera à Accra au Ghana chez un parent, pour poursuivre son cycle secondaire. Il écourte entre temps ses études et rejoint son pays, avant de s’envoler pour les Etats -Unis dans les années 60. Au pays de l’oncle Sam, il va y séjourner vingt-un an. Pendant une bonne dizaine d’années, il est collaborateur du célèbre Stevie Wonder.

A la recherche de nouvelles expériences et « mouvant » comme son nom l’indique, Laabli décide de revenir au bercail, mais avant, il déposera d’abord ses valises en Côte d’Ivoire. Au bord de la lagune Ebrié, il travaille à la RTI et collabore avec des artistes comme Aicha Koné et Alpha Bondy avant de rejoindre son pays.

Ces œuvres à jamais gravées dans la mémoire des Burkinabè

Revenu au pays natal en 1986, Moustapha Laabli Thiombiano va créer « contre vents et marrées » confiait-il, la toute première radio privée en Afrique francophone, en Fréquence de modulation (FM) : Horizon FM fréquence 104.4. Cette initiative, qui a bouleversé l’univers médiatique en Afrique de l’Ouest, deviendra à la fin des années 1990, un groupe de presse avec la création de 11 autres radios privées commerciales et communautaires disséminées sur l’ensemble du territoire.

Le patron de la chaîne des radios Horizon FM ira plus loin. Il met en place en 2009, la troisième chaîne télévisuelle commerciale privée burkinabè : TVZ -Africa. L’homme ne s’est pas seulement limité au monde des médias. « Il aimait une expression : just do it (fais le simplement). Quand tu as une idée dans la tête, agis et progressivement, tu pourras l’améliorer. Il n’aimait pas quelqu’un qui avait une idée en tête et qui ne l’expérimente pas » témoigne un de ses journalistes, Blaise Kientéga.

En 1987, alors que Ouagadougou ne disposait pas d’espace culturel en dehors de la Maison du peuple, il trouva l’ingénieuse idée de transformer un dépotoir d’ordures en un centre culturel, le ‘’Wassa club’’.

Il sera également à l’origine de la rue marchande du FESPACO. « L’élément déclencheur a été ce gros avion que j’ai fait trainer de l’aéroport à l’avenue de l’Indépendance où se tenait la rue marchande du FESPACO et fait venir 50 chameaux de Dori. Cela a permis d’ailleurs à plusieurs burkinabè de voir ce matériel volant de plus près et mieux, d’y entrer. L’Etat américain à l’époque m’a adressé de vives félicitations », racontait-il.

Bouillonnant d’idées, ‘’le plus américain des burkinabè’’ ne se donne aucune limite. En 1993, l’homme s’intéressera à l’élection des plus belles filles du Burkina à travers la création de Miss Burkina. Cette cérémonie qui magnifie la beauté de la femme burkinabè traverse le temps. Moustapha, c’est aussi le concepteur du rallye des Mobylettes de Ouagadougou, lancée en 1997. Suspendu plusieurs années après, pour raisons de sécurité, ce rendez-vous des cascadeurs qui drainait du monde, aura marqué la jeune génération burkinabè.

Et que dire de la Course des pirogues, le championnat d’aviron ? Dans un pays sahélien, il fallait être ‘’fou’’ pour le faire. En 2001, « Monsieur aux milles idées », lance pour la première fois, des activités nautiques au barrage n°3 de Tanghin : la course des pirogues et le championnat d’aviron. La réussite est au rendez-vous. Des dizaines de milliers de Ouagalais se bousculaient chaque année pour suivre ce sport nouveau dans le paysage sportif au Burkina.

Moustapha, c’est aussi le créateur de « Ouaga plage », cet endroit dangereux disait-il, qu’il a sollicité à la mairie pour en faire un paradis. L’homme au micro s’était également donné une mission, celle de la recherche de la paix en Afrique et dans le monde à travers sa structure Safari international du Gulmu de la Fondation Horizon Africa International.

L’homme a également porté la casquette d’artiste musicien à travers quelques titres comme « Lola », « Je m’en fous » et « I love Abidjan », ce, après plusieurs collaborations avec des artistes de renommée mondiale.

Le boss et le père

Alain Gnèzo Traoré dit « Alain Alain » (pseudonyme d’ailleurs trouvé par Moustapha Thiombiano), se souvient de sa première rencontre avec celui qui lui a donné les ‘’clés de sa vie’’. « Je l’ai rencontré pour la première fois en 1998, dans les locaux de la radio à Kaya. J’ai commencé à travailler à Horizon FM sans connaître Moustapha. Il est venu me trouver au studio un jour. Il m’a dit, tu animes très bien, il faut que tu viennes à Ouaga ».

Pour Alain Alain, Moustapha Thiombiano était un père , un formateur

Employé aujourd’hui dans une autre radio privée de la place, il nous confiera avoir perdu « un ancien patron, un papa, un éducateur, un formateur ». « Ce que je suis aujourd’hui, je le dois à cet homme que le monde a perdu. Avant qu’il ne s’en aille, j’ai tenu à ce qu’il sache qu’il occupait une grande place dans ma vie » a-t-il témoigné, soulignant qu’il a même donné le nom de son ancien boss à l’un de ses fils, Lewis Moustapha Traoré. Certes, reconnait-il, il y avait des moments où tout n’était pas rose. « Tout de suite, il me dit, Alain, tu es viré. Demain, il me rappelle, imbécile, qu’est ce que tu fais, tu ne viens pas à la radio ? On causait de tout et de rien. C’était comme ça, une relation de père à fils…Je l’appelais le vieux loup », conte Alain Alain.

Pour celui qui dit avoir gardé de bonnes relations avec son « père », ce dernier était « un seigneur, le détenteur des clés du savoir ». Et de conclure : « Travailler avec Moustapha, ce n’est pas chercher de l’argent. Travailler avec lui, c’est s’ouvrir les portes d’une richesse. Il te permet d’avoir ton salaire sans passer par lui ».

Moustapha Thiombiano, c’était aussi le « père » du directeur général du groupe Horizon Fm Ouaga, Salifou Guigma. Attristé par la nouvelle, celui qui a collaboré avec le PDG du groupe durant 14 ans, avoue que ce dernier laisse un grand vide. « Ce fut une décennie bien remplie, avec son corollaire de faits. Il y a eu des bisbilles par moment, mais avec le vieux, le boss, papa comme je l’appelais par moment, il y avait des relations de complicité ».

Le directeur général du Groupe Horizon FM Ouaga, Salifou Guigma

D’ailleurs, ces plusieurs années auprès de cet homme de conviction lui auront permis de se forger. Fort de cela, Salifou Guigma ne craint pas pour l’avenir du groupe Horizon Fm. « Je n’ai pas trop peur parce que Moustapha nous a préparés. Il nous a ouvert des portes, j’ai su profiter de son carnet d’adresses. Sur le plan relationnel, on est outillés, je peux même vous dire que je connais le répertoire de son téléphone par cœur et ça, c’est un plus dans la gestion. Il nous appartiendra de consolider les acquis et de nous pencher sur les perspectives. L’après Moustapha n’est pas très inquiétant… » rassure-t-il.
Par ailleurs poursuit le directeur général du Groupe Horizon Fm Ouaga, le mot « impossible » n’était pas dans le vocabulaire du désormais défunt patron.

Nicole Ouédraogo
Lefaso.net

Quelques anecdotes

Salifou Guigma, directeur général du Groupe Horizon FM -Ouaga

- J’étais dans une société de distribution d’eau qui a été sollicitée par Moustapha pour parrainer la course des pirogues. Comme j’étais un passionné de sport, je me suis intéressé à son dossier et notre société a bien voulu parrainer la cérémonie. La première fois que je l’ai vu, c’était le jour où je lui ai apporté notre contribution et j’ai été invité à faire un tour au studio pour répondre aux questions de la journaliste.

A la fin de l’émission, lorsque je suis allé pour le remercier, il m’a demandé si je n’étais pas intéressé par la radio parce que j’avais une voix radiophonique. Dès le lendemain, il m’a appelé, me demandant de venir pour une émission. C’est parti ainsi, jusqu’à ce que je fasse des reportages et qu’on m’envoie à Lomé pour la CAN. C’est en 2012 qu’il m’a proposé d’occuper la direction générale.

- Un jour, il m’a appelé en me disant : il faut te préparer parce que tu dois aller pour une mission. Mon passeport était expiré mais je vous assure, c’est ce jour, j’ai réalisé la puissance du Monsieur. Il a fait établir le passeport le même jour, le vol était prévu pour 23 heures et le passeport m’a été remis deux heures avant. Je n’ai pas eu le temps de passer à la maison pour faire mes bagages, j’ai demandé à mon frère de me les apporter à l’aéroport et c’est ainsi que j’ai bougé pour le Canada. Avec Moustapha, il n’y avait pas de protocole. C’est le Monsieur qui croit en ses convictions et qui les réussit.

Alain Alain

- En 2007, alors que je travaillais à la radio Salamkoto, il m’a appelé un jour me disant : Alain, revient à la maison. Je suis donc revenu et c’est quelques jours après, quand j’ai commencé à travailler, il m’a dit, à partir d’aujourd’hui, tu t’appelles ‘’Alain Alain’’. C’est parti ainsi et ce jusqu’en 2015.

-Blaise Kientéga, journaliste, ancien directeur général de la télévision TVZ

J’ai fait sa connaissance en 2016. Il m’a demandé de reprendre une émission « Sondage démocratique » qui était animée par Alpha Barry (actuellement ministre des affaires étrangères). Il pouvait te renvoyer et te réintégrér le même jour. Un jour, nous avions eu un différend sur la présentation d’une émission. Il m’a renvoyé le matin aux environs de 10 heures, je suis donc rentré à la maison et quelques minutes plus tard, il m’a rappelé me demandant ma position : je lui ai donc dit qu’il venait de me renvoyer mais il m’a dit de revenir parce qu’il avait un souci avec son téléphone, je venais donc d’être intégré de nouveau (rires).

N. O
Lefaso.net

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Vos commentaires

  • Le 8 avril 2020 à 09:52, par KARIM En réponse à : Moustapha Laabli Thiombinao : Un génie, des œuvres concrètes et de beaux souvenirs

    Huuuuummmm Né en 1946 et avoir terminé ces études primaires en 1952 ; il faut Laabli pour le faire.
    Reposes en paix ; papa Thiombiano et beaucoup de courage au grand frère Léonard !!!!!!!!!

  • Le 8 avril 2020 à 10:10, par WT En réponse à : Moustapha Laabli Thiombinao : Un génie, des œuvres concrètes et de beaux souvenirs

    Merci pour cet article. Que l’âme du grand baobab d’Afrique repose en paix. Personnellement, c’est en juin 1991 que j’ai découvert sa radio où une promotionnaire travaillait. En plus, je l’ai connu à travers son fils Léonard (dont je suis sans nouvelle d’ailleurs), ancien joueur de l’EFO et ses fréquentations à Zogona. Vivre utile, c’est ce qu’a réalisé ce Mr malgré ses nombreuses imperfections inhérentes à l’espèce humaine. Que la Terre libre du Burkina Faso te réserve une place de rêve et bénisse ta postérité.

  • Le 8 avril 2020 à 10:29, par le révolutionnaire En réponse à : Moustapha Laabli Thiombinao : Un génie, des œuvres concrètes et de beaux souvenirs

    Moi j’ai admiré Moustapho Thiombiano lors des inondations de Ouagadougou. Toute la ville doit lui rendre homage

    • Le 8 avril 2020 à 13:35, par Le Vigilent En réponse à : Moustapha Laabli Thiombinao : Un génie, des œuvres concrètes et de beaux souvenirs

      Haaaa, ceci explique cela ! Le Laabli national s’est rendu à Accra au Ghana, pays anglophone, dans sa tendre enfance puis quelques années plus tard s’est rendu aux États Unis, pays anglophone, où il a passé 20ans environ avant de revenir dans son pays francophone. On comprend alors pourquoi il ne tolérait pas de voir quelqu’un plein de bonnes idées mais qui n’ose pas ou hésite à les mettre en œuvre. Le propre de nous francophones est de passer tout notre temps à nous bourrer le crâne avec des choses complètement inutiles, et même paralysantes et inhibantes pour des actions concrètes. On vous a dit que.notre Laabli avait quel diplôme ? Mais combien de nos compatriotes lourdement diplômés ont-ils vécu complètement inutile pour eux-mêmes et surtout pour la patrie. Ils perdent leur temps et divertissent les gens avec des démonstrations et autres développements pour masquer leur incapacité à contribuer au développement du pays. Notre Laabli n’a aucun doctorat en quoi que ce soit, mais ses œuvres peuvent inspirer fort opportunément de nombreux doctorants et même leurs maîtres ! Plusieurs sommités de ce pays, et même d’ailleurs, doivent leur succès dans la vie à Laabli, ce modeste fils du Gourma a l’est du Burkina Faso !!!
      Moustapha Laabli Thombiano, tu es un grand. Ton œuvre est gigantesque. Ce que tu nous laisses est plus qu’une bibliothèque, surtout qu’il s’agit de véritables leçons de vie accessible à tous et non pas seulement à une certaine élite.
      Que la terre libre du Burkina te soit légère.

  • Le 8 avril 2020 à 11:07, par HUG En réponse à : Moustapha Laabli Thiombinao : Un génie, des œuvres concrètes et de beaux souvenirs

    Vous avez vécu utilement. Reposez en paix.courage a sa famille.

  • Le 8 avril 2020 à 11:56, par YAMKOUL En réponse à : Moustapha Laabli Thiombinao : Un génie, des œuvres concrètes et de beaux souvenirs

    Comme dit le proverbe, " celui qui a planté un arbre avant de mourir n’a pas vécu inutile ". Moustapha Laabli THIOMBIANO a planté plusieurs arbres avant d’être rappelé à Dieu. Le monde est ainsi fait. Que Dieu le Miséricordieux l’accueille dans son Royaume infini.

  • Le 8 avril 2020 à 12:30, par RAZOUGOU En réponse à : Moustapha Laabli Thiombinao : Un génie, des œuvres concrètes et de beaux souvenirs

    Quand je pense que certaines personnes qui font ses éloges aujourd’hui, sont les mêmes qui l’ont retiré son WASSA CLUB, ça me fait mal. Trop d’hypocrites dans ce pays.

  • Le 8 avril 2020 à 17:03, par broo En réponse à : Moustapha Laabli Thiombinao : Un génie, des œuvres concrètes et de beaux souvenirs

    PAIX A L’AME DE CE GRAND HOMME QUE DIEU L’ACCUEILLE DANS SON AMOUR POUR L’ETERNITE ADIEU

  • Le 17 avril 2020 à 12:35, par Stalinsky En réponse à : Moustapha Laabli Thiombiano : Un génie, des œuvres concrètes et de beaux souvenirs

    Une petite rectification sur la vie de Moustapha. Mustapha n’a pas été aux USA en 1960. Après leur libération du coup d’état avec Herman Yaméogo qu’ils fomentaient contre le Colonel Sangoulé Lamizana, il s’est rendu en Côte d’Ivoire ou il a créé avec Jimmy N’Goran Hyacinthe le soliste, Jean Tapsoba dit BOOZOOS à la guitare basse et Rato Mobio venance à l’orgue qui vit actuellement en France à Courbevoie, le fameux orchestre les "Djinaroux" que l’on appelait aussi à l’époque les "Beatles de l’Afrique". Cet orchestre qui a fait trembler l’Harmonie Voltaîque et le Volta Jazz qui étaient les 2 meilleurs orchestres du pays en 1968, est celui-là qui a reçu Marpressa Dawn, l’actrice du Film "Orpheo Negro" à l’aéroport de Ouagadougou lors du Premier FESPACO (Mustapha avait la photo mais il l’a perdu lors de son démenagement de sa maison d’alors près du siège de et qui a inauguré l’Hotel RICARDO au quartier Tanghin à Ouaga, du nom de l’Italien qui en était le propriétaire. C’est vers les années 1972-1973,que Max (le nom de Mustapha dans les Djinaroux) après s’être amouraché d’une Canadienne est parti au Canada et du Canada est rentré aux USA ou il vivait dans l’Etat du Michigan, dans la ville de East Lansing à côté de l’aéroport.
    Pour plus de renseignements, bien vouloir rencontrer Jean Boozoos qui est vivant et qui réside au quartier St.-Léon à Ouaga.

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