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Covid-19 : « Cette crise sanitaire vient rappeler à quel point nos économies sont fragiles », déclare le Pr Mahamadou Diarra

Publié le mardi 7 avril 2020 à 22h10min

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Covid-19 : « Cette crise sanitaire vient rappeler à quel point nos économies sont fragiles », déclare le Pr Mahamadou Diarra

La pandémie du Covid-19 est un choc pour les économies des différentes nations. Elle constitue une crise qui déchirera profondément les économies des pays. L’Afrique reste le continent qui, économiquement, souffrira le plus de cette crise. Quelles sont les implications économiques exactes de cette pandémie et les leçons à tirer ? Le professeur Mahamadou Diarra, agrégé de sciences économiques de l’Université Norbert-Zongo, président du Centre d’études et de recherche sur l’intégration en Afrique (CERIEA) et conseiller spécial du Premier ministre du Burkina, donne des éléments de réponse dans une interview accordée à Lefaso.net, le samedi 4 avril 2020.

Lefaso.net : La pandémie actuelle est une situation jamais vécue depuis plus d’un siècle. Selon vous, nous faisons face à quel genre de situation, vu sous l’angle économique ?

Pr Mahamadou Diarra : Avant toute chose, je voudrais remercier votre organe de m’avoir invité pour évoquer une question d’actualité brûlante qu’est l’avènement du Covid-19. Pour répondre à votre question, il faut dire que la crise sanitaire que tous les pays du monde vivent, constitue ce qu’on appelle, dans le jargon de l’économiste, un choc dont l’impulsion, c’est-à-dire l’origine, est purement exogène, à l’instar d’une catastrophe naturelle qui frappe une économie.

En termes de propagation, ce choc produira très certainement des effets négatifs sur les économies. En plus de l’effet direct du virus qui augmente la morbidité de la population et réduit donc la productivité, il y a que ce choc engendre des effets négatifs sur l’offre et la demande globales, effets induits par des mesures prises dans tous les pays pour endiguer la pandémie.

Jusqu’à quel niveau peut-on estimer l’impact de cette crise sur l’économie burkinabè ?

Comme nous l’avons mentionné dans la note technique du CERIEA (Centre d’études et de recherche sur l’intégration économique en Afrique), les mesures qui ont conduit au confinement partiel des populations, à la fermeture des unités de production (marchés, débits de boisson, écoles, épiceries, unités de production des services de transports urbain et inter-urbain, etc.) à la suspension des activités culturelles et touristiques ont certainement un impact négatif sur l’activité économique.

A titre illustratif, la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED) estime que le taux de croissance économique devrait se réduire de deux à trois points de pourcentage cette année en Afrique . Ainsi, si la pandémie est maîtrisée d’ici le mois de juin, le taux de croissance de l’économie burkinabè prévu pourrait passer de 6% à 3% en 2020.

Par ailleurs, sur un plan purement microéconomique, le choc sanitaire et les mesures sanitaires engagées ont un impact direct sur le bien-être des populations urbaines qui vivent « au jour le jour » grâce à leurs activités souvent précaires. En effet, comme vous le savez, ce sont les activités urbaines intensives en main-œuvre et génératrices de revenus pour les ménages qui tournent en ralenti, si elles ne sont purement et simplement arrêtées. Par exemple, à Ouagadougou, on sait que 80% des emplois sont pourvus par le secteur marchand informel qui est durement touché aujourd’hui.

Enfin, la baisse du pouvoir d’achat de ces couches éprouvées résultant de la flambée des prix de certains biens de première nécessité, la suspension de l’activité de certaines entreprises, voire leur faillite, avec ses corollaires de pertes d’emplois ne manqueront pas.


Cliquez ici pour lire aussi : Conséquences économiques du Covid-19 : Des institutions financières au chevet des pays africains


En situation de crise, quels sont les instruments économiques dont dispose l’Etat pour faire une riposte ?

Dans une situation de crise économique, les pouvoirs publics disposent essentiellement de deux catégories d’instruments : la politique budgétaire (la manipulation du budget de l’Etat) qui est du ressort du gouvernement, et la politique monétaire qui relève de la Banque centrale.

Pour plus d’efficacité, ces deux catégories d’instruments doivent être utilisées de façon complémentaire, chaque instrument étant bien indiqué pour résoudre un ou des problèmes spécifiques. Vous comprenez pourquoi aussi bien les gouvernements respectifs et la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (BCEAO) ont annoncé, chacun étant dans ses prérogatives, des mesures visant à atténuer l’impact socio-économique du Covid-19.

Une batterie de mesures a été prise par le gouvernement pour limiter la propagation du virus, parmi lesquelles la fermeture des marchés et yaars, la fermeture des frontières, la suspension du transport en commun et la mise en quarantaine de certaines villes. Est-ce que cela est tenable pour une économie telle que le nôtre ?

Les premières mesures prises par les pouvoirs publics sont prioritairement d’ordre sanitaire. Comme je l’ai mentionné tantôt, elles vont de simples conseils aux populations jusqu’à la privation des libertés individuelles. Ces mesures ont été prises dans la précipitation, urgence sanitaire oblige.

Et si vous observez bien, il s’agit de mesures purement conjoncturelles dont la durée allait de deux semaines à un mois. Dans tous les cas, c’est au regard de la spécificité de nos économies que les plus hautes autorités n’ont pas choisi le confinement total des populations. De plus, c’est parce qu’elles sont conscientes de la précarité des conditions de vie des couches vulnérables, qu’elles se sont empressées d’initier des actions visant l’atténuation de l’impact socio-économique des mesures sanitaires.

Justement, le gouvernement burkinabè a décidé, en conseil des ministres du 2 avril, des mesures d’accompagnement à l’économie, dont le plan de relance des entreprises sinistrées, la suspension des taxes et impôts divers, le non-paiement des loyers marchands et des factures d’eau et d’électricité. Quelle appréciation faites-vous de ces mesures ?

Comme vous pouvez le constatez, ces mesures d’atténuation de l’impact socio-économique de la crise sanitaire édictées par le président du Faso sont bien détaillées à tel point que certains analystes ont trouvé qu’elles sont trop nombreuses. Mais en même temps, d’autres ont trouvé qu’ils n’ont pas été pris en compte !

En tout état de cause, nous trouvons qu’elles sont salutaires pour au moins trois raisons : (i) elles doivent permettre d’atténuer l’impact des mesures sanitaires prises sur les populations vulnérables ; (ii) elles permettront de relancer l’activité de production des ménages-entrepreneurs, des PME/PMI ainsi des sociétés et (iii) leur financement ne va pas compromettre la viabilité des finances de l’Etat.

Mentionnons tout de même que pour l’opérationnalisation et la mise en œuvre urgente et réussie de ces mesures multiples, il faut compter avec les capacités de l’administration publique qui, très souvent, est caractérisée par des lourdeurs qui minent l’efficacité de l’action publique.

L’Etat burkinabè, dans cette situation, fait face à plusieurs défis. L’insécurité liée au terrorisme, la grogne sociale, le chômage qui était déjà élevé, etc. Dans un tel contexte, et avec les moyens du pays très limités, quelles doivent être les priorités pour le gouvernement burkinabè ?

C’est vrai que le choc sanitaire a touché le Burkina Faso dans un contexte déjà très difficile. En effet, la situation d’insécurité qui touche les principales zones minières et agricoles affecte gravement l’économie du pays. Pour juguler ce phénomène, le gouvernement a dû engager des actions militaires et socio-économiques dont l’incidence sur les finances publiques est sans précédent.

En plus de l’accroissement des dépenses publiques pour la prise en charge du défi sécuritaire, la grogne sociale, comme vous l’avez dit, a contribué à la non-maîtrise des charges courantes de l’Etat. C’est donc dans ce contexte difficile, surtout au niveau des finances de l’Etat, que le gouvernement doit entreprendre des actions qui vont permettre d’atténuer les effets négatifs des mesures sanitaires contre le Covid-19.

Cependant, comme je l’ai évoqué tantôt, il s’agit d’un choc conjoncturel qui pousse à une réallocation des ressources pour résoudre les problèmes de l’heure. A ce titre, la prise en charge de cette crise sanitaire ne devrait pas amener le gouvernement à abandonner ses actions structurelles qui permettent de maintenir une trajectoire de croissance économique soutenue inclusive et durable, conditions nécessaires à l’amélioration des conditions de vie des populations. Je veux parler par exemple des efforts du gouvernement en termes d’investissement public qui a été le moteur de la croissance économique du pays au cours de ces quatre dernières années.


Lire aussi : Covid19/Burkina : Le président Roch Kaboré annonce de nouvelles mesures et un plan de riposte de 177 milliards de FCFA


Comment les mesures annoncées par le gouvernement peuvent-elles être efficaces ?

Le principal problème que je vois dans la mise en œuvre des mesures annoncées est justement celui lié à l’identification des bénéficiaires. En effet, en quoi moi, en tant que fonctionnaire de l’Etat qui reçois régulièrement mon salaire, je suis concerné par ces mesures ? De même, en quoi moi, en tant qu’étudiant qui reçois régulièrement mon pécule ou mon FONER, je suis concerné par ces mesures ? Je pose toutes ces questions pour citer quelques exemples qui illustrent que tous les Burkinabè ne sont pas concernés par les mesures sociales envisagées.

Et même ceux qui sont concernés ne sont pas, passez-moi l’expression, à mettre dans le même sac ! C’est pourquoi, il faudra d’abord catégoriser les bénéficiaires et définir ensuite « les critères de sélection ». Pour les groupes cibles, je voudrais mentionner quelques-uns : ménages-entrepreneurs directement touchés par les mesures sanitaires, les travailleurs licenciés à cause de la suspension de l’activité de l’employeur, les PME/PMI des services marchands durement touchées et les sociétés et grandes entreprises touchées.

Dans tous les cas, et quel que soit le classement, la qualité de ciblage des bénéficiaires est déterminante pour la réussite des interventions publiques de ce type.

Avant le gouvernement burkinabè, c’est l’institution d’émission monétaire, la BCEAO, qui a annoncé des mesures pour une riposte économique au Covid-19. Dans un de vos écrits, vous affirmez que la BCEAO a frappé fort mais pas assez. Pourquoi dites-vous cela ?

Effectivement, à travers une note technique, le CERIEA a analysé le communiqué du 21 mars de la BCEAO qui a annoncé huit points qui visent à réduire les effets négatifs du Covid-19 sur nos économies. Nous avons tenté un résumé en mentionnant : (i ) l’augmentation des ressources mises à la disposition des banques et la facilitation de leur refinancement ; (ii) la sensibilisation les banques et la promotion de leur accès à l’information pour une utilisation accrue des instruments existants (guichet spécial de refinancement de crédit accordés aux PME/PMI) ; (iii) la mise en place d’un dispositif d’accompagnement des entreprises en difficultés de remboursement de leurs emprunts ; (iv) l’amélioration du système de paiement et de la circulation de la liquidité ; (v) l’abondement du fonds de bonification de taux d’intérêt de la BOAD pour lui permettre d’augmenter le montant des prêts concessionnels accordés aux Etats.

D’emblée, nous avons trouvé que ces mesures sont salutaires dans ce sens que dans un contexte délétère où les banques ont failli subir des courses aux guichets, l’accroissement de la liquidité mise à la disposition des agents économiques non financiers devrait leur permettre de satisfaire leurs encaisses de précaution et de réduire donc leur méfiance vis-à-vis du système bancaire.

Aussi, nous pensons que l’augmentation des ressources en faveur des banques, l’activation de tous les instruments permettant d’accroître leur refinancement sont des mesures qui pourraient permettre de maintenir, voire accroître le financement de l’économie.

Cependant, lorsque l’on observe ce que certaines banques centrales (BCE, FED, etc.) ont entrepris comme mesures urgentes pour faire face au Covid-19, nous trouvons que la BCEAO n’a pas encore épuisé les instruments dont elle dispose à cet effet. Nous avons par exemple pensé à l’achat et/ ou au rachat de la dette publique des Etats pour leur permettre de disposer de la liquidité et/ou de réduire leur coût de financement sur le marché, surtout qu’elle envisage le réaménagement du calendrier d’émission des titres publics sur le marché financier régional.
En somme, nous voulons dire que notre institution d’émission dispose encore de marge de manœuvre, notamment en matière de mesures non-conventionnelles.


Lire aussi : Covid-19 : Le Burkina Faso, compterait-il sur la providence divine face à la fermeture des frontières ?


Peut-on s’attendre à ce qu’une mauvaise politique de relance aggrave davantage la situation ?

Absolument ! En matière de politique économique, il faut non seulement savoir choisir l’instrument, mais également savoir l’utiliser et surtout agir à temps. Dans le cas spécifique du choc sécuritaire, le fonctionnement partiel des entreprises, voire l’arrêt de leur activité, réduit l’offre de biens et services. Dans ce contexte, une politique trop active de relance de la demande pourrait conduire à des pressions inflationnistes qui viendront dégrader le pouvoir d’achat des populations vulnérables. C’est pourquoi, nous saluons les mesures monétaires et budgétaires prises qui agissent beaucoup plus sur l’offre que sur la demande globale.

Les institutions de Bretton Woods ont aussi suspendu le paiement des dettes des pays africains et annoncé des mesures d’aides concessionnelles pour les pays qui le voudront. Nous voulons là aussi votre lecture sur l’ensemble de ces mesures…

Ces mesures consistant à suspendre le paiement de la dette des pays de l’IDA, accompagnées de l’augmentation de l’aide concessionnelle, sont à saluer même si elles n’ont pas été poussées jusqu’à l’annulation pure et simple de cette dette. Elles sont à saluer parce qu’elles permettent aux Etats de dégager les sommes relatives au service de la dette (paiement des intérêts plus remboursement du principal) pour financer leur plan de riposte au Covid-19.

Ainsi, pour un pays en difficulté budgétaire, ces mesures permettront de relâcher la contrainte budgétaire. Pour le Burkina Faso par exemple, ces mesures permettent de disposer de plusieurs dizaines de milliards de F CFA pour financer une partie des mesures urgentes annoncées.

Economiquement, qu’est-ce que le coronavirus est venu rappeler aux pays africains ?

Cette crise sanitaire, qui a des répercussions considérables sur nos économies, vient rappeler à quel point celles-ci sont fragiles. Elle interpelle sur la nécessité de bien organiser le système de production pour accroître sa résilience à ce type de choc. Le Covid-19 rappelle enfin qu’il est capital pour toute économie d’assurer une gestion très prudente des finances publiques dans l’optique de disposer de marges de manœuvre suffisantes pour amortir les effets négatifs des chocs exogènes.

Interview réalisée en ligne par Etienne Lankoandé
Lefaso.net

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