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Tunisie : des prisonniers chercheurs et poètes

Publié le mardi 13 septembre 2005 à 07h57min

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Prison ne veut pas dire perte de temps. Derrière les barreaux, des prisionniers tunisiens ont su garder l’esprit assez libre pour décrocher le bac, obtenir des titres universitaires, mener des recherches ou écrire des récits. Le papier étant interdit dans les cellules, ils écrivent sur l’intérieur des paquets de cigarettes.

Derrière le sourire courtois de Sami Nasr se cachent des cicatrices indicibles et dans son regard jovial bien des combats. L’homme a connu la Prison du 9 avril à Tunis, une des plus surpeuplées du pays. Il y a mené un travail de recherche qui lui a permis d’obtenir à la sortie son diplôme d’études approfondies en sociologie. Mené en secret, son travail a permis de faire la lumière sur des facettes restées jusque-là obscures de la vie en prison. "A défaut de papier, je notais mes observations sur des morceaux de drap blanc que j’enroulais dans le revers des pantalons que ma mère venait chercher à la visite", raconte l’ex-prisonnier chercheur, aujourd’hui sociologue spécialiste de l’univers carcéral et militant des droits humains. "Cela m’a permis d’amortir le choc de l’expérience carcérale", confie S. Nasr, pour expliquer les raisons qui l’ont poussé à entreprendre ce travail derrière les barreaux.

Des candidats "libres"

S’il a été contraint de travailler en secret, c’est parce que son statut de prisonnier politique lui interdisait de le faire librement. Chez les "droit commun", la situation est différente : chaque année, des prisonniers sont autorisés à se porter candidats à différents examens nationaux dont le bac. Ironie du sort : ils entrent dans la catégorie des "candidats libres", qui désigne ceux qui ne sont pas inscrits dans un établissement d’enseignement. Selon les autorités pénitentiaires, six prisonniers ont pu passer l’épreuve du bac en 2005. Deux l’ont remportée avec succès et un des deux s’est vu accorder la grâce. En 2004, deux autres avaient également obtenu le bac et un détenu avait pu décrocher une maîtrise en droit.

Malgré ces chiffres, la Tunisie reste loin derrière les pays voisins. En Algérie, où la population est nettement plus importante, 500 prisonniers se sont portés candidats au bac en 2005, rapporte le journal pan arabe Al Quds Arabi. Le taux de réussite chez les prisonniers était de 47 %, soit plus important que celui enregistré chez les candidats ordinaires (37 %). Parmi les candidats figurait un condamné à la peine capitale qui a réussi avec une moyenne de 15,67 % sur 20, rapporte le même journal.

Au Maroc, autre pays proche de la Tunisie, Mohammed Belfkih et Hamid Farah ont été graciés cette année par le roi pour l’énergie déployée dans leur travail intellectuel en milieu carcéral. Derrière les barreaux, ces deux condamnés à perpétuité ont pu décrocher respectivement plusieurs maîtrises (licences) : en droit, lettres arabes et sociologie pour Belfkih et en histoire, civilisation arabe, études islamiques et sociologie pour Farah. Le premier est aussi l’auteur de trois études menées en prison sur la mélancolie, la sexualité et la violence en milieu carcéral, rapporte le même journal.

Poésie carcérale

En Tunisie, la vie de Farid Khaddoum s’est aussi en grande partie conjuguée avec la prison. Son premier recueil de poésie, Terchich le boiteux, a été rédigé derrière les barreaux. C’est le seul qu’il a pu publier, à compte d’auteur, mais en matière de poésie, Farid est un récidiviste. Durant ses années d’incarcération à la prison de Sfax, au sud de la Tunisie, il a écrit six autres textes restés inédits. "J’écris en secret pour ne pas me voir confisquer les textes, explique-t-il. La poésie ajoutait quelques mètres à ma cellule. Un de ses écrits a cependant été confisqué par les autorités de la prison. Aujourd’hui, alors que l’homme est libre, son texte, lui, reste prisonnier.

Si les prisonniers de droit commun ont le droit d’écrire et d’étudier librement, les prisonniers d’opinion - 500 selon les associations, inexistants selon les autorités - ne jouissent pas des mêmes prérogatives. Le papier n’étant pas autorisé dans les cellules, ils écrivent souvent sur l’intérieur blanc des paquets de cigarettes. Gilbert Naccash, prisonnier d’opinion sous Bourguiba, a écrit Cristal, un récit du même nom que la marque de cigarettes dont il utilisait le papier. Dans une prison du Sud-ouest, à Elhouereb, les prisonniers ironisent souvent le fait qu’ils ne disposent pas de papier pour écrire, alors que la ville compte la seule usine de pâte à papier du pays.

Sur ces bouts d’emballage, les détenus griffonnent des textes pas nécessairement longs ni publiables. "Ces écrits sont un mécanisme de défense", explique Sami Nasr. Pour s’évader, les prisonniers écrivent des chansons. Les meilleures se voient publiées dans la presse carcérale, éditée et distribuée par les autorités pénitentiaires. Certains prisonniers les collectent pour les revendre au prix fort aux stars de la chanson populaire du pays, et il arrive que leurs paroles deviennent les tubes de l’été, alors que leurs auteurs croupissent en prison.

Fethi Djebali
(Syfia International)

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