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Mendicité des mères de jumeaux : Quand une coutume devient un gagne-pain

Publié le lundi 12 septembre 2005 à 06h43min

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Certaines pratiques autrefois culturelles ou religieuses deviennent de plus en plus un métier à part entière. Sont de celles-là la mendicité. Des talibés, la pratique s’est élargie aux personnes souffrant d’un handicap quelconque. De nos jours, le phénomène a pris de l’ampleur avec l’entrée en scène des mères de jumeaux.

Si un handicap peut justifier le recours à la mendicité pour certaines personnes , la mendicité des mères de jumeaux est de plus en plus l’objet de polémique. Pourquoi la majorité d’entre elles s’adonnent-elles à cette pratique ? Enigme culturelle ou raisons économiques ? Quel avenir pour ces enfants (jumeaux) éduqués dans la rue ? Regard sur un phénomène social en pleine expansion dans la ville de Ouagadougou.

Adjaratou G., jeune femme d’une trentaine d’années, veuve et mère de 5 enfants dont des jumeaux d’à peine deux ans. La mendicité, c’est son métier. Elle avait les pieds et la tête couverts de poussière, portait des "tapettes" trouées, une jupe paysanne devenue transparente parce qu’usée, et un tee-shirt publicitaire autrefois blanc mais désormais noir de crasse. Elle portait ses jumeaux, l’un au dos et l’autre au bras, attachés à l’aide de vieux pagnes. Elle marchait le long d’une rue de la ville de Ouagadougou, le pas lourd, visiblement fatiguée. Mais cette démarche ainsi voulue avait un but : attirer l’attention des gens sur sa misère, susciter en eux la pitié, avec l’espoir d’obtenir quelques pièces d’argent.

Quand elle vous approche, elle vous lance un bonjour accompagné d’un sourire, vous présente ses jumeaux et vous dit : "Les jumeaux vous demandent quelque chose".
Comme Adjaratou, elles sont nombreuses, ces mères de jumeaux qui ont fait de la mendicité leur gagne-pain.

Elles connaissent tous les quartiers et secteurs de la ville de Ouagadougou. Elles connaissent aussi les endroits et les jours où les gens sont plus généreux. "Les gens sont plus généreux les vendredis et nous avons l’habitude de nous asseoir aux alentours de la grande mosquée. C’est là que beaucoup de personnes viennent souvent nous faire des offrandes, au nom des jumeaux", raconte Adjaratou. Les jumeaux seraient-ils des êtres particuliers pour que les gens soient plus enclins à leur faire des dons ou des sacrifices ? Cette interrogation trouve sa réponse dans la société traditionnelle africaine.

Le mystère des jumeaux

Pour le professeur Nurukyor Claude Somda, spécialiste des questions culturelles, "les jumeaux dans la société traditionnelle sont considérés comme des hommes pas normaux, ayant des pouvoirs surnaturels que le commun des mortels n’a pas". Selon les croyances, ils ont le pouvoir de rendre aveugle ou de provoquer en quelqu’un une maladie. Ils seraient aussi capables du plus grand bien. C’est au regard de leur particularité qu’ils portent des noms stéréotypés dans la société traditionnelle. Poko et Raogo chez les Mossi, Zien et Naab chez les Dagara. Leur naissance donne lieu à une série de pratiques rituelles visant à mettre les parents en accord avec les forces mystiques qui animent ces enfants.

Selon le Pr Somda, "les nouveau-nés, parce qu’ils sont considérés comme anormaux, doivent être présentés à tous les membres de la société. Et cela se fait seulement sur la place du marché". La présentation de ces "êtres anormaux" donne lieu à des offrandes, à des dons à la mère de ces jumeaux de la part des autres membres de la société.

Dans la société dagara, ce rituel se fait une seule fois. "Jamais il ne viendrait à l’idée de quelqu’un de penser que les mères de jumeaux font de la mendicité. Elles accomplissent un rite", poursuit le Pr Somda. Parallèlement à la mère, le père de jumeaux est lui aussi tenu de faire des sacrifices. Tous ces rites ont pour but de préserver les parents de l’agression des jumeaux, de maintenir ces derniers dans le monde des humains, et de bénéficier aussi de leur grâce divine.

De la pauvreté à la mendicité

La plupart des mères de jumeaux qui pratiquent la mendicité justifient leur acte par le contexte de pauvreté ambiante. Un mari décédé ou irresponsable, trop de bouches à nourrir, manque d’emploi, ce sont, entre autres, les raisons avancées pour justifier le phénomène.
Pour Rasmata S., mère de jumeaux, rien ne marche. Après avoir tenté quelques petits commerces, infructueux, elle a fini dans la mendicité. "Ce n’est pas honorant. Mais avec la mendicité, je ne me plains pas. J’arrive à nourrir mes jumeaux et leur grand-frère, et même à honorer leurs ordonnances médicales".

Comme Rasmata, elles sont nombreuses, les mères de jumeaux qui affirment s’en sortir à travers la mendicité. Le centre "Kin-kirs Yiri" ou Maison des jumeaux, en langue nationale mooré, est un centre basé à Dapoya. Il se fixe pour objectif de venir en aide aux mères de jumeaux. Plus de 200 femmes y ont adhéré. Un dimanche sur deux, elles y passent, dans l’espoir de bénéficier d’une aide.

La plupart de ces femmes s’affairent actuellement à scolariser leurs enfants en âge d’aller à l’école. Avec quels moyens ?
"Les recettes de la mendicité", répondent-elles. Fatimata S., elle, ne mendie pas. Son mari s’y oppose. "Mais je suis tentée parce que j’ai besoin d’argent pour honorer mes engagements", avoue-t-elle. En effet, cette femme traîne un crédit de 50 000 FCFA contracté dans une caisse populaire de la place. Son mari, chauffeur de son état, lui aurait affirmé ne pas être en mesure de voler à son secours. "J’ai 4 enfants et un orphelin à ma charge. Je vendais des oranges, mais ça ne marchait pas. Alors, j’ai arrêté", confie-t-elle.

Endettée et sans source de revenu, Fatimata S. semble voir en la mendicité la seule alternative. Quand on aborde le sujet, elle s’érige en défenseur. "Nous n’avons pas le choix. Ma voisine, avant la naissance de ses jumeaux, blanchissait des habits moyennant quelque chose qui lui permette de s’occuper de son foyer. Maintenant qu’elle a eu ses enfants, tout devient compliqué. Alors, elle a préféré mendier", dit-elle.

Des maris alcooliques

Où sont passés les pères ? Ils sont décédés, à l’aventure, dans les bars et cabarets, ou tout simplement au chômage. La plupart des mères de jumeaux affirment vivre l’un de ces problèmes. Le mari de Adjaratou G. est décédé il y a un an. A cette époque, ses jumeaux avaient à peine un an. Elle s’était retrouvée seule face à l’éducation de ses 5 enfants. "Il faut leur assurer le pain quotidien", dit-elle. Certaines femmes affirment que leurs maris sont allés à l’aventure, en Côte d’Ivoire pour la plupart des cas, et n’ont plus donné signe de vie.

Mais pour la majorité des femmes interrogées, les époux vivent avec elles à Ouagadougou. Seulement, ils sont, soit au chômage, soit plongés dans l’alcool, à telle enseigne que l’éducation des enfants n’est plus une préoccupation pour eux. "Il y a des maris qui n’ont même pas honte. Dans notre mendicité, nous les nourrissons, en plus des enfants", s’écrie une mère de jumeaux lors d’une rencontre au centre Kin-kirs yiri le dimanche 4 septembre 2005. Certains maris travaillent, mais prétextent un salaire insignifiant pour ne pas contribuer véritablement à la prise en charge des enfants. Sont de ceux-là les maris de Fatimata S. et de A. Guéné.

Ils sont respectivement chauffeur dans une entreprise de la place et gardien de sécurité. " Dans ces conditions, nos maris n’ont pas d’ordre à nous donner puisqu’eux-mêmes ne peuvent rien pour nous", affirment les deux femmes. Dans ce chapitre qui incrimine les époux, il faut ajouter des cas de grossesses indésirées. C’est le cas de quelques jeunes mères rencontrées dans la ville de Ouagadougou.

"Une coutume travestie à des fins économiques"

Les pratiques rituelles qu’engendraient les naissances gémellaires dans la société traditionnelle sont en train de devenir des pratiques triviales. Pour le Pr Nurukyor Claude Somda, "nous avons travesti une coutume à des fins économiques". Dans la société traditionnelle, les mères de jumeaux sortaient sur la place du marché pour présenter les nouveau-nés et faire des quêtes. Dans la plupart des sociétés traditionnelles, ce rituel se faisait une seule fois et répondait à l’exigence de la coutume. Dans la ville de Ouagadougou, la plupart des mères de jumeaux connaissent cette coutume. " Si les gens sont plus généreux envers nous, c’est parce qu’ils croient en l’histoire des jumeaux", affirme une mère de jumeaux, installée aux alentours de la mosquée centrale de Ouagadougou.

Ce lieu est très prisé par les mendiants. Et la bataille y est souvent rude pour se faire une place stratégique, surtout les vendredis. Aux alentours de la grande mosquée, chacun connaît sa place. "Ici on s’asseoit tranquillement et ceux qui veulent faire l’aumône savent où nous trouver. Pas besoin d’aller vers les gens", raconte une mère de jumeaux. Combien gagnent-elles par jour ? Question embarrassante. Personne n’ose dévoiler ses recettes. La seule réponse, c’est "on ne se plaint pas. Les gens nous donnent ce qu’ils peuvent. Les dons sont de toutes sortes, en nature et en espèces".

Pour le Pr Somda, les mères de jumeaux profitent de la générosité des gens, liée à l’importance de la croyance religieuse dans la vie des Burkinabè. Il dénonce le phénomène de la mendicité des mères de jumeaux qui, selon lui, "sacrifie l’éducation des jumeaux qui n’ont plus de milieu intime", la rue étant leur seule référence. Mais les mères de jumeaux ne l’entendent pas de cette oreille. "Personne ne souhaite parcourir les rues de Ouagadougou en ces temps d’insécurité. Si nous le faisons, c’est justement pour l’avenir de nos enfants", martèlent-elles.

Un appel à la solidarité

Grâce au soutien du centre Kin-kirs yiri, beaucoup d’entre elles sont en train d’établir les extraits de naissance de leurs enfants en âge d’aller à l’école. "Beaucoup de jumeaux sont en âge d’aller à l’école et leurs mères aussi manifestent cette volonté de les y envoyer. Et comme la plupart de ces enfants n’ont aucun papier administratif, alors nous voulons les aider dans ce sens", a affirmé le vice-président du centre, Issouf Douamba.

Le secrétaire à l’organisation de ce centre, Samson Zongo, lui, lance un appel aux autorités étatiques afin que le phénomène de la mendicité des mères de jumeaux soit traité avec beaucoup plus d’attention car, dit-il, le phénomène prend de l’ampleur. "Nous sommes à plus de 200 mères de jumeaux qui ont adhéré à notre centre. Et chaque dimanche, nous enregistrons de nouvelles venues".

Il y a quelques mois, le centre a bénéficié de l’appui de l’Action sociale, ce qui lui a permis de distribuer des vivres à ses pensionnaires. La majorité des femmes affirment être prêtes à délaisser la mendicité si on leur proposait une solution alternative. Aussi appellent-elles les dirigeants à plus d’égards à leur endroit.

Par Aubin Oubé GUEBRE(Stagiaire)

Le Pays

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