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Justice : « Quand j’ai vu que les ténors du pouvoir actuel applaudissent l’extradition de François Compaoré, j’en ai souri… », s’amuse Me Prosper Farama

Publié le dimanche 8 mars 2020 à 18h04min

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Justice : « Quand j’ai vu que les ténors du pouvoir actuel applaudissent l’extradition de François Compaoré, j’en ai souri… », s’amuse Me Prosper Farama

L’évolution du dossier Norbert Zongo, des premiers moments de son assassinat à la dernière décision du gouvernement français portant l’extradition de François Compaoré, est riche d’enseignements, non seulement au plan judiciaire, mais également et surtout en termes de leçons de gouvernance. Suite à la décision sus-évoquée, nous avons approché l’un des avocats de la famille Norbert Zongo. Me Prosper Farama fait ressortir des leçons de ce marathon judiciaire entamé, il y a plus de 20 ans maintenant.

Lefaso.net : Le gouvernement français vient de prendre un décret portant extradition de François Compaoré. Quels sont les éléments qu’il faut retenir de cette décision ?

Me Prosper Farama : On peut retenir essentiellement déjà, que la procédure touche à sa fin. On peut même dire que sur le plan judiciaire, pour ce qui concerne l’extradition, c’est bouclé. Sur le plan aussi administratif, tout est bouclé et qu’aujourd’hui, le gouvernement français a, faisant suite à l’autorisation judiciaire d’extradition, pris la décision finale d’extradition de François Compaoré.

Maintenant, cela n’empêche pas que monsieur François Compaoré puisse introduire un recours contre la décision prise par le gouvernement, sur le plan purement du droit administratif ; il peut saisir le Conseil d’Etat, pour contester éventuellement la procédure de prise de décision par les autorités administratives françaises (mais pas pour discuter du fond de l’extradition).

Mais techniquement, en théorie, même en saisissant le Conseil d’Etat, cela n’empêche pas que l’extradition puisse avoir lieu ; parce qu’il y a un principe de droit administratif qui veut qu’il y a un préalable d’exécution de la décision administrative. Mais en pratique, les autorités françaises préfèrent attendre l’issue de la procédure devant le Conseil d’Etat (si éventuellement une procédure est introduite) avant de procéder à l’extradition. Mais juridiquement, ça n’a aucun lien, ça ne stoppe en rien la procédure d’extradition.

Que faut-il comprendre précisément par la possibilité d’extradition à ce stade ?

Pour dire plus clairement que, si l’Etat français voulait, à ce stade-là, il pouvait extrader François Compaoré sans qu’il n’y ait un blocage judiciaire quelconque (même si François Compaoré intentait une procédure devant le Conseil d’Etat).

Dans la décision, il y a un certain nombre de principes qui sont énumérés,.. Est-ce un simple rappel de principes généraux de droit en la matière ou des conditions posées par le gouvernement français tenant compte de la qualité du mis en cause ?

Je pense aussi que c’est un rappel, sinon ces questions ont déjà fait l’objet du débat devant les autorités judiciaires. Le principe de l’extradition ne peut être acquis que si la justice estime que ces droits énumérés dans la décision sont garantis par l’Etat du Burkina. C’est l’existence de ces droits-là que vérifient les juridictions avant d’autoriser l’extradition (si elles estiment que ces droits-là ne peuvent pas être respectés par la justice burkinabè, elles refusent l’extradition). Donc, ça a déjà été tranché. Maintenant, ce que l’Etat français fait, je pense, c’est de rappeler ce que la justice a tranché, sinon ça n’a aucun impact juridique.

Il est des principes du droit international que, lorsque le contexte politique ne s’y prête pas, l’Etat peut refuser d’extrader. Dans le cas d’espèce, la décision d’extradition peut-elle être compromise, en fonction du contexte politique au Burkina ?

Non, c’est fini ; parce que cette question a justement été vérifiée par les juridictions, lorsque François Compaoré avait attaqué l’autorisation d’extrader qui avait été émise. Les juridictions françaises vérifient tous ces aspects, que l’Etat, dans la mise en œuvre de la justice, garantit tous les droits (droit de la défense, procès équitable, ce qui lui est reproché est-il une infraction de droit commun ou politique…). Si un des éléments est estimé ne pas être rempli, la justice dit qu’elle ne peut pas extrader la personne. Vous voyez même que dans la décision, il a été rappelé que l’Etat burkinabè a dû prendre des engagements d’ordre diplomatique (pendant la procédure) pour consolider certains droits qui pourraient être garantis à monsieur Compaoré dans le cadre de l’extradition.

Donc, passée cette étape, l’Etat français ne peut plus revenir et soulever le contexte, parce qu’il remettrait en cause la décision judiciaire qui a déjà été prise. Or, il est de principe de droit acquis, la séparation de pouvoir entre le judiciaire et l’administratif (l’exécutif, ndlr). On doit dire qu’il y a une compétence liée de l’autorité administrative ; dès lors que la décision judiciaire est rendue, l’autorité administrative ne peut plus apprécier la décision judiciaire, elle doit l’exécuter. Maintenant, dans l’exécution, elle peut évidemment prendre tout le temps qu’elle veut (mais elle ne peut plus remettre en cause la décision).

Dans l’attente de la décision du gouvernement français, beaucoup de choses se sont dit ; certains ont pensé que l’extradition étant un acte politique (parce que venant du gouvernement), elle n’aurait jamais le quitus de l’autorité. En tant qu’avocat de la famille Norbert Zongo, croyiez-vous à une telle décision du Conseil d’Etat français ?

On y croyait. Mais, ce que l’opinion pensait est tout à fait juste. La procédure d’extradition est à la base judiciaire, mais avec une forte connotation politique et diplomatique. D’ailleurs, on peut se poser la question de savoir pourquoi depuis juin 2019 (date de la dernière décision judiciaire), l’Etat français attend jusqu’en février 2020 pour prendre une décision. Evidemment, il y a des considérations d’ordre politique et diplomatique, et moi je ne suis pas loin de penser que les derniers développements des relations entre la France aient pu jouer dans ‘’l’accélération’’ de la procédure ; parce que, rappelez-vous, la France, à un moment donné, s’est sentie un peu en difficulté politique au Burkina (dans ce contexte, ça lui posait un problème, si vous ajoutez à cela, le refus d’extrader François Compaoré, pour moi, ça aurait été de trop, pour l’opinion publique burkinabè et même africaine en générale). Donc, cette évolution est allée un peu dans le sens d’apaiser les relations entre la France et le Burkina (puisque nos Chefs d’Etat s’y sont déplacés, ils étaient en droit d’attendre le retour de l’ascenseur). Et puis, au Burkina, je pense que la moindre des choses, c’était ce décret d’extradition, surtout que la justice avait déjà entériné l’extradition de François Compaoré.

On sait que François Compaoré s’est attaché des avocats de renom, à l’image de Pierre-Olivier Sur, et en dépit d’être battues en brèches par ceux-ci, les procédures ont tenu jusqu’à obtenir cette décision du Conseil d’Etat. On peut dire que l’avocat burkinabè, pour ne pas dire que l’homme de droit burkinabè de façon général, en sort la tête haute !

Ah oui, il faut bien féliciter la consœur Me Anta Guissé, qui a géré le dossier en France pour le compte de l’Etat burkinabè. Les juristes de l’Etat, il faut le dire, ont fait un travail formidable. Chez nous, dans le milieu professionnel, il y a une maxime qui dit bien que, peu importe la qualité d’un avocat, ce qui conditionne plus une décision, c’est surtout la nature de l’affaire elle-même. Vous avez beau être un avocat brillant, si votre affaire n’est pas bonne, ça ne marchera pas. Je pense qu’en l’occurrence, dans le cas qui nous intéresse, et avec tout le respect que j’ai pour les confrères défendant François Compaoré, leur dossier n’était pas bon.

Oui, mais on sait qu’en la matière, aussi bonne soit une affaire, si la procédure est mal maîtrisée, elle ne connaîtra pas de suite !

Absolument ! C’est pour cela que je dis que les avocats de l’Etat ont fait un travail formidable, mais à la décharge des avocats de François Compaoré, je pense qu’eux-mêmes devraient comprendre que la procédure telle que menée, le contexte des faits, n’étaient pas du tout à la faveur de leur client. Quand je regarde le dossier, je ne vois aucune raison objective valable, juridiquement défendable, qui pouvait justifier que François Compaoré ne puisse pas être extradé au Burkina. On a entendu des arguments du genre : si François Compaoré venait au Burkina, la justice n’était pas à même de lui garantir un procès équitable, alors même que le type de justice qu’il critique aujourd’hui a été bâti sous le régime de son frère. Rien n’a changé.

Mieux, depuis l’insurrection, il y a eu une grande amélioration de la justice burkinabè. Donc, se plaindre aujourd’hui comme si on avait refait la justice pour juste juger François Compaoré, c’est à ne rien comprendre. Lui, François Compaoré, était au pouvoir, il a été Conseiller (spécial) de son frère, Blaise Compaoré ; ils ont jugé et condamné des Burkinabè, dans les mêmes conditions. Si ce dossier était politique, sous le pouvoir de son frère, il n’aurait jamais été ouvert (puisque le dossier a bel et bien été ouvert, sauf qu’il y a eu un non-lieu, on a supposé qu’il n’a pas pu trouver les coupables).

Revenir dire maintenant, au moment où la justice a rouvert l’affaire, que c’est une affaire politique, alors que sous le même règne de son frère, les mêmes juges avaient rouvert le dossier, ce n’est pas logique. J’ai regardé les arguments, le seul qui, à mon avis, était le plus sérieux, c’était la peine de mort. Là aussi, malheureusement pour François Compaoré, elle a été supprimée, et l’argument qu’on a entendu, c’est que c’est pour pouvoir recevoir François Compaoré. Mais, si c’est cela, on devra pouvoir applaudir ; si pour lui seul, un pays supprime la peine de mort, il doit rendre grâce à ce pays ; parce qu’eux, ils ont appliqué la peine de mort (on leur a demandé de la supprimer tout le temps qu’ils étaient au pouvoir, ils ont refusé).

Donc, un pays qui avance, en disant que même s’il faut supprimer la peine de mort pour donner l’image d’un pays qui applique une justice moderne, pour que François Compaoré puisse revenir, je ne sais pas comment on peut utiliser cet argument contre l’Etat (alors que c’était pour donner les garanties d’un procès équitable…). Donc, toutes les conditions étaient, à mon avis, réunies (mieux réunies) que celles qu’il courait quand il était ici au Burkina sous le pouvoir de son frère.

Lorsqu’on regarde l’affaire de l’ancien vice-président de l’Angola, qui était autrefois considéré comme un grand et au sujet duquel, aujourd’hui, la France a ouvert une enquête, et l’affaire François Compaoré qui était aussi un grand de ce pays, peut-on voir par-là que dans les années à venir, la France ne sera plus un terreau pour ceux qui ont commis des crimes de sang et crimes économiques ?

Je crois que le processus est amorcé depuis un certain temps en Afrique. Les rapports judiciaires entre les pays sont dépendants des rapports politiques et diplomatiques. Je pense qu’aujourd’hui, il y a une donne qui a changé profondément en Afrique, la France (et pas seulement là-bas, même la justice internationale) s’est aperçue que les Africains ne sont plus des observateurs passifs des situations judiciaires. Quand on parlait de la CPI (Cour pénale internationale), de justice, le peuple africain regardait et se disait : c’est une histoire, si les Français disent que c’est bon, c’est comme cela.

Mais aujourd’hui, les peuples africains ont atteint une conscience politique, à tel point qu’ils peuvent apprécier. Ils comprennent. Lorsqu’un dossier est purement judiciaire, lorsqu’il est politique, lorsqu’on essaie d’accorder l’impunité à un homme politique, tout le monde saisit ça aujourd’hui. Il y a, dans cette prise de conscience, le revers de la médaille pour les pays qui essaient d’accorder l’impunité à des dirigeants ; parce que vous voyez comment les peuples africains réagissent aujourd’hui ! La France s’est sentie en grande difficulté dans son propre pré-carré, parce que tout simplement elle n’a même pas pu, en venant, pour soit disant, aider ses anciennes colonies, faire passer cette image d’un pays qui vient pour aider.

Elle a donné l’image d’un pays qui vient dans le but colonialiste. Aujourd’hui donc, que ce soit la France ou tout autre pays, cette vision est morte. Plus personne ne peut avoir un refuge, où que ce soit, pour des crimes tels qu’on les a connus dans les années passées en Afrique, c’est fini. Je ne vois pas aujourd’hui un président qui puisse se permettre, comme ça se faisait dans le passé, de tirer sur son peuple et courir se réfugier en France ou ailleurs et dire qu’il est protégé. Ce n’est pas imaginable.

Vous êtes sur un certain nombre de dossiers qui mobilisent les regards des Burkinabè, sur le cas du Norbert Zongo, quelles sont les leçons personnelles que vous tirées, en tant qu’avocat de ce dossier, et à ce stade ?

Quand j’ai entendu la nouvelle de la signature du décret pour la première fois, ce qui m’est venu à m’esprit, c’est de tirer de cette affaire, une grande leçon. Vous savez, les mobilisations des peuples, quels que soient les motifs pour lesquels ils se mobilisent, ne sont jamais vains. Il y a 20 ans, des gens ont dit : vous vous battez, vous marchez, mais c’est vain. Dix ans après, ils ont dit : vous marchez depuis dix ans, vous ne voyez pas que ça ne peut pas aboutir ?..., de toute façon, ça n’aboutira jamais, laissez tomber. Quinze ans après…, c’est le même discours. Vous voyez, on est à, à peu près 22 ans, aujourd’hui, je vois que tout le monde applaudi ; parce que je pense qu’il y a eu une constance dans cette lutte-là. C’est pourquoi, je dis que le peuple burkinabè est un peuple extraordinaire ; dans très peu de pays au monde, vous verrez une mobilisation de si longue haleine. Ça, c’est très remarquable dans cette affaire.

La grande leçon, c’est que, quand on se bat, lorsqu’on reste mobilisé, quel que soit le temps que ça prendra, on finit toujours par vaincre tout ce qu’il y a comme difficultés devant soi. Et puis, il y a des sous-leçons qu’on tient de cette affaire ; l’une qui m’a fait sourire, c’est quand j’ai vu que les ténors du pouvoir actuel applaudissent l’extradition de François Compaoré (j’en ai souri…). Voilà que la vie donne des leçons. Je me rappelle, l’un des pontes de ce pouvoir, Simon Compaoré, au début de la lutte contre l’impunité pour l’assassinat de Norbert Zongo, disait qu’il y avait des zones rouges, il interdisait les marches, il organisait des milices contre ceux qui osaient lutter, mais aujourd’hui, il applaudit l’extradition de François Compaoré.

C’est-à-dire que le peuple a aussi un pouvoir pédagogique, un pouvoir éducationnel ; le peuple peut éduquer ses dirigeants (contrairement à ce qu’on a toujours pensé de croire que ce sont les dirigeants qui éduquent leur peuple, ce n’est pas vrai, le Burkina a démontré, ne serait-ce que par cette affaire, qu’un peuple peut éduquer ses dirigeants). Eux, ils ont vu aujourd’hui qu’en vérité, si vous êtes en marge avec la volonté du peuple, c’est vous qui allez en faire les frais. Donc, du coup, ils approuvent et applaudissent. Ça, c’est une grande leçon et je pense que beaucoup d’autres dirigeants dans beaucoup d’autres pays en tireront des leçons. Malheureusement, eux, on n’a pas l’impression qu’ils tirent des leçons de l’histoire.

Interview réalisée par
Oumar L. Ouédraogo
Edouard K. Samboé
Lefaso.net

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