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Chronique de la métamorphose du Burkina Faso de Blaise Compaoré (5)

Publié le mercredi 14 septembre 2005 à 08h32min

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Du 1 er au 4 mars 1990, le Burkina Faso organise le premier congrès du Front populaire, son instance dirigeante. C’est l’occasion pour Blaise Compaoré de réaffirmer ses positions : il faut construire un Etat à même de résoudre les problèmes du peuple. Au-delà de toute idéologie. Enfin, presque.

Si habilement, Compaoré refuse de s’engager dans une approche doctrinale de son action, Front populaire oblige, il ne manque pas de réaffirmer avoir choisi "la voie anti-impérialiste et de la rupture avec le néo-colonialisme". En termes plus nuancés, il affirme :
"Le fait marquant pour nous, c’est notre volonté de construire un Burkina Faso en rupture avec notre passé de pays dominé". C’est donner satisfaction, tout à la fois, aux communistes, aux démocrates, aux patriotes, aux démocrates révolutionnaires, etc. qui composent le Front
populaire. Ce n’est pas, pour autant, de la démagogie.

Interrogé par deux de mes collaborateurs sur "l’agitation sociale" dans les pays voisins, "très directement liée aux programmes d’ajustement structurel", il s’insurge contre cette idée : "Supposez que dans ces pays, il n y ait
pas eu de PAS, vous croyez que l’agitation n’aurait pas eu lieu ? Peut-être même qu’elle aurait été plus forte, plus grave". Et il développe alors une vision qui est et demeure la clé de son action : "Mais qu’avons-nous subi, nous Africains ? Que pouvez-vous attendre de pays qui ont subi cinq siècles d’esclavage, de colonialisme, de néo-colonialisme, qui sont victimes des échanges inégaux, du pillage de leurs ressources ? Que pouvez-vous en attendre sinon des problèmes tels que ces troubles sociaux".

Et quand on l’interroge sur l’impact des "bouleversements [qui] ébranlent les pays de l’Est", il est tout aussi vindicatif : "Quel vent de liberté peut-il souffler sur des pays africains comme les nôtres qui sont encore sous les griffes de la domination capitaliste. Des pays qui subissent la baisse de leurs matières premières, le poids de la dette. Ce vent de démocratie, nous y aurions vu un intérêt pour nous s’il apportait en même temps un allégement aux charges que nous supportons. Ce vent de liberté souffle dans un monde qui n’est pas le nôtre. Nous croyons qu’il apportera aux Occidentaux plus de liberté pour exploiter d’autres nations. Il ne nous concerne pas".

On ne peut pas être plus clair. Et c’est une constante chez Compaoré : cessons de pleurer sur notre sort, prenons conscience de la réalité des choses et attelons nous à trouver, nous-mêmes, des solutions à nos problèmes dont les autres n’ont pas grand chose à faire malgré leurs bonnes déclarations.

Dans le même temps, Compaoré entend structurer l’activité de l’Etat "et mettre en place une vie normative cohérente". C’est dans cette perspective que le congrès du Front populaire a décidé de doter le pays d’une constitution. C’est la prochaine étape.

Moment majeur de mon séjour (mars 1990) : mon entretien avec Thomas Sanon, ministre de la promotion économique. J’étais quelques mois auparavant dans ce même bureau occupé alors par Henri Zongo (cf LDD Burkina Faso 064/Mercredi 17 août 2005) ; rien n’a changé si ce n’est que les volets sont ouverts alors que la pièce baignait souvent dans la pénombre. Sanon n’est pas un nouveau venu ; il a été ministre des Transports et des Communications ; il connaît Compaoré depuis" bien avant la révolution". Il sera notamment ministre des Affaires étrangères (1992-1994), ambassadeur ; il préside le Conseil économique et social (CES).

Avec Sanon, nous discutons des options économiques du Front. Le Burkina Faso a débuté des entretiens avec les institutions de Bretton Woods dans la perspective de la mise en place d’un Programme d’ajustement structurel (Pas). Pas très révolutionnaire ? Pas très cohérent avec le choix affirmé et réaffirmé d’un capitalisme d’Etat même si un "rôle important" est reconnu au secteur privé ? La révolution, en la matière, c’est l’affirmation de la souveraineté du Burkina". "Nous menons notre propre politique avec nos propres moyens sans nous déterminer par rapport aux autres expériences. Nos discussions [avec les institutions de Bretton Woods] portent bien sûr sur nos orientations économiques. Mais nous partons systématiquement de ce qui fait la réalité de notre économie. Ce que nous mettons sur la table des négociations, ce sont nos réalités, nos réalisations, nos perspectives, et nous demandons aux experts qu’ils cherchent à comprendre quelles sont nos réalités et qu’on en tienne compte dans la définition des objectifs qui nous sont assignés. S’il y a bonne volonté, nous arriverons à nous faire comprendre".

Je vais rester près de deux ans sans retourner au Burkina Faso. Cameroun, Côte d’Ivoire (où Alassane Ouattara a été nommé Premier ministre), Gabon, Guinée Bissau, Sénégal, Togo, je fais pas moins de vingt-deux séjours en Afrique noire au cours de cette période. Ce n’est que le jeudi 13 février 1992 que je reviendrai à Ouaga (j’ai, cependant, assisté les 23-24 mai 1991 à la première conférence de table ronde des partenaires pour le développement du Burkina Faso à Genève).

Deux années qui ont changé la physionomie politique et sociale du pays. A l’extérieur du pays, bien peu d’observateurs auraient misé 1 franc CFA sur la survie politique de Compaoré au lendemain du 15 octobre 1987. Plus encore, alors que partout en Afrique noire francophone, les chefs d’Etat vivent des moments difficiles, parfois au bord de la rupture, que les régimes en place, y compris les plus autoritaires, se fissurent de toute part, le Burkina Faso de Blaise Compaoré se construit. Pas à pas.

En refusant de "s’adonner à des jeux théoriques sans prise avec la réalité" affirmera Compaoré à Jeune Afrique (22-28 mai 1991). Il ajoute : "De ce point de vue, aucun regret ne saurait nous animer sur une voie dont nous avons la certitude qu’elle est salutaire pour le peuple". Cette voie c’est alors celle de la "rectification" dont Compaoré dit qu’elle aura "épuisé son contenu en instaurant le pluralisme, la liberté, la sécurité collective et en impulsant une juste orientation de la politique socio-économique" (Jeune Afrique, cf supra).

Rien ne sera facile, bien sûr. Il faudra composer avec les uns et les autres au sein du parti présidentiel (ODP/MT) sans rejeter dans l’opposition radicale le reste de l’opposition. Au lendemain du référendum du 2 juin 1991 qui permettra d’adopter le projet de Constitution, le Front populaire va être à géométrie variable : évictions et défections vont obliger à de nouvelles alliances.

Compaoré va s’y reprendre à deux fois. Après avoir formé le 16 juin 1991 un gouvernement à forte majorité ODP-MT, il devra faire machine arrière. Le 25 juillet 1991, c’est un gouvernement d’ouverture qui est mis en place. Y entrent notamment Hermann Yaméogo, le leader de l’ADF, et Pierre Tapsoba, celui de la CNPP/PSD. Au total, dix-sept des trente-quatre portefeuilles sont attribués à des membres de l’opposition, l’ODP/MT n’est plus présent dans le gouvernement que par neuf portefeuilles (au total le Front populaire en contrôle quinze). Du même coup, Compaoré ligote une opposition qui militera, un peu tard, pour la tenue d’une conférence nationale. Le chef de l’Etat aura beau jeu de leur faire remarquer qu’elle a eu une Constitution, adoptée par référendum, et un gouvernement d’ouverture.

Beaucoup prennent conscience un peu tard que le Burkina Faso n’est pas une de ces pétaudières d’Afrique noire où la rue dicte sa loi au jour le jour. L’attentisme des oppositions, qui ont espéré que le Front populaire s’écroule de lui-même, miné par ses contradictions, est déçu. L’opposition attendait et Compaoré avançait sereinement avec pragmatisme, détermination et rigueur. Pour lui, pas de doute : il n’a jamais pensé que des "forces politiques bâties sur des idées décadentes et qui ont fait la preuve de leur incapacité à promouvoir un développement harmonieux dans notre pays, soient à même de soutenir la lutte engagée par les forces démocratiques nouvelles, porteuses d’espoir" (Jeune Afrique - ler-7 mai 1991).

A suivre

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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