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Insécurité : « Plus que jamais, les femmes et les enfants sont encore plus vulnérables », s’apitoie la présidente d’African Women Leaders, Marie Hermann Coulibaly

Publié le jeudi 20 février 2020 à 23h10min

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Insécurité : « Plus que jamais, les femmes et les enfants sont encore plus vulnérables », s’apitoie la présidente d’African Women Leaders, Marie Hermann Coulibaly

Créée avec pour principaux domaines d’intervention, la lutte contre les violences faites aux femmes, la promotion de la femme, l’aide à la création d’emplois pour les femmes et les jeunes, l’Association African Women Leaders (AWL) se sent plus interpellée dans ce contexte d’insécurité que traverse le pays, avec les nombreux déplacés, constitués en majeure partie d’enfants et de femmes. Nourris de la situation, les responsables s’attèlent à lancer un programme en destination des femmes déplacées, aux fins de renforcer leur capacité de résilience et, partant, faire en sorte qu’elles ne se sentent pas marginalisées. C’est ce qu’on retient également de cette interview que la présidente de l’association, Marie Hermann Coulibaly, a bien voulu nous accorder sur la vie de l’organisation.

Lefaso.net : Que peut-on retenir des activités et actions de l’AWL en 2019 ?

Marie Hermann Coulibaly : On peut dire que 2019 a été une année de consolidation et de concrétisation des actions dans la mesure où en 2016, on avait lancé un produit d’aide au développement pour pouvoir assister les associations sur le terrain. En effet, nous sommes partis du constat que les organisations, les structures associatives en termes de gestion, éprouvent des difficultés palpables sur le terrain.

Par conséquent, un produit d’aide au développement a été lancé en 2016 par rapport à ces associations afin de les accompagner par un certain nombre d’actions pour leur permettre de mieux s’organiser et gérer leur organisation. En 2019, nous avons pu finaliser ce produit dans la mesure où il est devenu une réalité.

Grâce à ce projet, une association qui a des difficultés peut bénéficier d’une assistance personnalisée de courte durée sur six mois, pour lui permettre de s’améliorer en termes de création de valeur ajoutée, de production et d’outils de gestion. En 2019, nous avons énormément travaillé sur le terrain avec les associations sur ce volet. Dans la pratique, depuis le début de l’année 2019, une association qui désire être coachée bénéficie immédiatement de ce projet.

Des responsables d’AWL avec des femmes d’un groupement dans un village du Kourwéogo, région du plateau-central

Quelles sont les localités dont les organisations ont bénéficié de cet accompagnement ?

Pour cette phase de départ, l’outil a été utilisé par des associations de la commune de Ouagadougou. Nous avons développé des modules également dans d’autres localités, notamment les provinces du Ziro, de la Sissili et du Sanguié, dans lesquelles nous avons mené une étude d’identification. L’outil a pris en compte les associations en milieu rural comme en milieu urbain et même semi-urbain. Pour dire que toutes les réalités ont été prises en compte.

On dit que les femmes sont en général, surtout en milieu rural, analphabètes, mais avec cet outil que nous avons développé, l’analphabétisme n’est plus un obstacle pour elles, en ce sens qu’avant la mise en œuvre réel de cet outil, il y a un travail préalable qui est fait et de façon participative avec les membres de ces associations.

Avez-vous eu affaire à des cas de violences faites aux femmes, quand on sait que ce volet de lutte est une de vos missions principales ?

Cette question de violences faites aux femmes est le quotidien vraiment d’AWL. C’est la lutte de l’association pour qu’on puisse arriver à une société dans laquelle, on ne prétendra pas voir disparaître la violence, mais dans laquelle on prendra plus conscience que c’est un phénomène qui n’est pas bien pour la famille et pour la société toute entière. Donc, c’est un volet dans lequel, nous menons les activités en continue à travers nos canaux de communication et de sensibilisation.

Il y a aussi les cas pour lesquels, nous sommes saisis. L’un des derniers de 2019 pour lesquels nous avons été saisis a porté sur une violence physique, où la personne nous a approchés pour des conseils afin de ne plus vivre cette situation (la personne vivait en couple). Nous avons accompagné la personne avec notre expérience et l’accompagnement des personnes-ressources de l’association.

On a également eu un cas de mariage forcé, problème en lien avec des convictions religieuses (les parents ne voulaient pas que l’enfant se marie à une personne d’une autre religion). Donc, nous avons pris attache avec les services compétents du ministère de l’Action sociale et apporté des conseils. Vu qu’il y avait urgence à agir, nous avons d’abord échangé avec la concernée pour comprendre le fond du problème.

Nous lui avons présenté toutes les possibilités de recours en fonction des réalités sociales en présence. La fille est finalement parvenue à sensibiliser ses parents et ses proches qui cautionnaient cette pratique. Cette situation a été une très belle expérience à double titre, en ce sens que l’idée de mariage forcé a été abandonnée et la fille est devenue actrice de sensibilisation pour l’abandon de cette pratique.

AWL avec des membres de l’ association Ragnanewende à l’ arrondissement N°5, à la faveur d’une de ses sorties terrain

Avez-vous des organisations partenaires dans ce combat ?

AWL est partenaire avec trois ministères : le ministère de la Femme, le ministère de la Jeunesse et celui de la Justice. Egalement, sur le terrain, nous travaillons avec les organisations de femmes avec lesquelles, nous sommes obligées d’être en partenariat ; parce qu’en réalité, AWL va en premier lieu en tant que donatrice de savoirs à ces femmes, mais à la fin, elle apprend aussi avec ces femmes à travers les réalités qu’elles vivent sur le terrain.

On a aujourd’hui plus de 500 associations de divers domaines dans notre répertoire et cela est aussi très enrichissant. Certaines des associations, ou coordinations d’associations, ont bénéficié de formation d’AWL pendant plus de six mois.

La formation est visiblement devenue une des missions essentielles d’AWL !

Effectivement, l’expérience du terrain a imposé et montré que la formation est la base de tout ce que nous entreprenons. Tous les problèmes que nous avons identifiés trouvent leur source dans le manque de formation et d’informations également. Le prétexte selon lequel les femmes des associations ne sont pas en mesure de comprendre certaines choses ne tirent pas sa source de leur analphabétisme mais plutôt de l’inadaptation de la formation à elle proposée.

Dans une formation, il y a une phase d’échanges qui doit conduire les gens à aller d’un point A à un point B et cela doit être pris en compte. Ça demande beaucoup de patience et la capacité de pouvoir adapter la formation. Rencontrer une organisation de femmes et commencer à les former, sans approches préalables, sans un diagnostic ne pourrait leur être bénéfique.

On ne peut pas soigner un mal qu’on ne maîtrise pas ; il ne faut pas former pour former. Il faut adapter la formation au niveau des femmes. On ne doit pas faire des formations standardisées, ça produit plutôt l’effet inverse. Il faut se fixer des objectifs précis. Quand nous rencontrons les associations ou coordinations de femmes, nous nous fixons un objectif pour six mois.

Cela se fait après avoir diagnostiqué les carences et discuté avec elles sur les difficultés. A partir de là, on met à la disposition de l’organisation une fiche qui leur permet d’avoir, elle-même, une cartographie de leurs propres difficultés et les difficultés se résolvent de façon participative, avec les membres elles-mêmes.

Dans le cadre de son plaidoyer en faveur des femmes, AWL bénéficie de l’appui de leaders d’opinion, autorités coutumières et religieuses

Aujourd’hui, pour une organisation ou une personne qui souhaiterait vous approcher, quels sont les domaines dans lesquels elle peut bénéficier de votre expertise ?

Nous pouvons accompagner les associations sur plusieurs volets. Ce peut être sur le plan organisationnel, sa gestion, le leadership de ses membres, la capacité des membres à communiquer, la mise en place d’Activités génératrices de revenus (AGR), la mise en place d’outils de gestion et de développement du marketing. A cela, on peut ajouter que nous formons également les femmes dans la lutte contre les violences, nous coachons également sur les valeurs que nous défendons.

Chacune des associations que nous avons accompagnées dans divers volets peut témoigner de ce qu’elle a acquis. En matière d’entreprenariat par exemple, nous avons mis en place un produit qu’on a appelé « woman management ». Il y a des gens qui veulent entreprendre, mais ne savent pas exactement comment s’y prendre et dans quelle activité précise (ils ont une idée vague, mais pas plus). Sur la base d’échanges avec ces personnes, nous arrivons à les orienter par rapport à ce qu’elles-mêmes expriment.

Vous êtes organisées également autour d’un plan triennal, qui tire à sa fin. L’évaluation vous donne-t-elle d’ores et déjà satisfaction ?

Sans verser dans l’autosatisfaction nous estimons qu’au regard des domaines définis et les prévisions, nous sommes quasiment à 90% de réalisations. C’était vraiment ambitieux, irréaliste pour certains, mais au finish, la volonté nous a permis d’atteindre ces résultats. Aujourd’hui, près de 500 femmes ont été formées par l’association, AWL, une centaine d’associations ont bénéficié d’un appui direct et près de 400 autres, de façon indirecte.

Les responsables de l’association au cours d’une audience avec le ministre de la communication, sollicitant l’accompagnement du département pour la promotion des lois contre les violences conjugales

Le pays traverse une situation qui, certainement, exacerbe la situation de la femme. Un poids de plus pour vous ?

La situation que traverse le pays est une préoccupation d’abord pour tout Burkinabè. Plus que jamais, dans cette situation d’insécurité, les femmes et les enfants sont encore plus vulnérables. Pour une organisation qui avait déjà fait des préoccupations de la femme, le sens de son existence, cette situation vient comme un coup très dur. Nous réfléchissons et réfléchissons à comment soulager les femmes.

Quelle peut être notre contribution dans ce sens ? Pour nous, la question d’égalité est tellement complexe que souvent, même quand il s’agit de manger, on oublie qu’on a besoin aussi de sentir cette valeur ici. Aujourd’hui, notre réflexion, c’est de faire en sorte qu’elles soient encore plus protégées. Etant hors de leur domicile, elles sont encore plus exposées à toutes les difficultés et violences.

Ce ne serait pas des sacs de maïs et de riz, mais des solutions qui vont leur permettre de voir au-delà de leur situation ; de nombreux déplacés ont perdu tout espoir. Nous sommes en train de mettre en place un programme qui va permettre de renforcer la capacité de résilience de ces femmes. Les gens sont hors de chez eux, ils n’ont plus leurs terres, leurs activités, ils sont dans une situation d’assistés qui dure et ils se sentent touchés et blessés dans leur dignité. Par ce programme, il s’agit de faire en sorte qu’elles ne se disent pas qu’elles sont marginalisées, qu’elles ont tout perdu de la vie.

En plus du plan triennal en cours et du programme de résilience dont vous venez de faire cas, d’autres actions vous tiennent à cœur particulièrement pour l’année 2020 ?

L’année 2020 ne nous apparaît pas suffisante pour les activités que nous avons prévues et qui, selon nous, urgent. Le plan triennal tire certes à sa fin, mais le programme de résilience des femmes déplacées que nous sommes en train de vouloir dérouler exige encore beaucoup d’énergies et de mobilisation. Sans oublier que chaque activité ce que nous déroulons sur le terrain appelle au bout à une autre activité qui se trouve être identifiée. Nous sommes actuellement en train d’élaborer également le plan triennal 2020-2023.

Marie Hermann Coulibaly avec à sa droite, la chargée des finances d’AWL, Marina Lamien, et à sa gauche, la secrétaire générale, Amina Salembéré, lors d’une conférence de presse en 2018

L’on est tenté de demander comment et qui finance vos activités ?

La première fois qu’on nous a posé cette question, j’ai répondu à la personne qu’on s’auto-finançait. Nous ne prétendons pas nous suffire, mais nous sommes dans une dynamique où nous accompagnons les femmes et les jeunes à pouvoir créer, eux-mêmes, de la valeur ajoutée, en développant leur capacité d’autocréation de valeur ajoutée. Et nous n’allons donc pas être ces maîtres qui ne donnent pas l’exemple. AWL a des compétences avérées, des stratégies, des prestations et collaborations sur le terrain.

C’est dans le cadre de la collaboration que nous travaillons aujourd’hui avec la Croix-Rouge dans certains aspects où nous donnons des appuis techniques par rapport à des actions au profit d’associations. Ce qui nous permet par exemple de pouvoir dérouler des activités sur le terrain, même si le besoin reste encore très important. Quand nous prenons notre dernière intervention qui a concerné trois provinces à savoir le Ziro, la Sissili et le Sanguié, le constat est qu’avec la nouvelle loi OHADA qui contraint les groupements à passer en coopératives, les réalités sont ignorées par les acteurs (les organisations elles-mêmes) sur le terrain.

Avec cette nouvelle disposition, il faut un véritable travail sur le terrain et ce travail est attendu. Les femmes (organisations) ne savent pas du tout ce que ça veut dire. Les gens ont besoin d’assistance, parce que c’est un gros blocage pour les femmes. Nous faisons ce que nous pouvons, mais avec nos moyens qui sont limités. C’est une disposition communautaire et le Burkina doit s’y conformer. Mais comment ne pas rester à la traîne si les premiers intéressés (les associations) ne comprennent pas parce que personne ne leur explique ?

Cette situation, si elle n’est pas expliquée, ce sont des femmes qui se découragent et abandonnent leurs activités ; ce qui élargi la pauvreté dans les milieux. De nombreuses femmes nous disent également que des gens sont venus leur parler de coopérative, mais qu’elles n’ont rien compris là-dedans. C’est un gros problème.

Nous, nous mettons l’accent sur les structures associatives parce que nous sommes convaincus qu’avec elles, nous pouvons enclencher un développement réel ; quand on prend le milieu rural, on parle d’entreprenariat féminin aujourd’hui. Avec un groupement qui est bien structuré, on aboutit à une société communautaire qui créé de la valeur ajoutée, des revenus pour les femmes, des emplois. Ce sont des questions connues comme importantes aux yeux de tous, mais qui ne sont pas prises conséquemment en compte.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans vos activités ?

C’est l’inaccessibilité des partenaires. Aujourd’hui, avec les défis énormes, il faut forcément plus de moyens. AWL mène ses activités, mais ne le pourrait les poursuivre jusqu’à un certain seuil sans être, boquée en raison des réalités. Nous avons des moyens techniques pour former les femmes, les assister et nos moyens nous permettent de le faire.

Mais, dans le coaching, pour voir des résultats, il faut assister la personne (organisation) pendant au moins six mois. Nous savons qu’il y a des gens qui sont sensibles aux questions de la femme…, qu’ils n’hésitent pas à mettre la main à la pâte. Nous encourageons les femmes maintenir le cap, à ne pas se décourager. Nous encourageons tous ces hommes qui se dévouent pour cette cause à toujours œuvrer pour le bien de toute la société.

Suivre également l’actualité d’AWL sur : https://www.facebook.com/AfricanWomenLeadersBurkina/?__tn__=kCH-R&eid=ARAbonxW0C8gdfqV9EOjmtjS6h0KNJHklL882SCdjlfayfQda2RAMYXLgk4qr85Gi9bxIswSp60Wybhz&hc_ref=ARQa8VW72RixOym8MB7BsB874EjnXjAa5ype9Z0XsvYH06bEkSHfPDBJ04Y_MEe7yEg&fref=nf

Interview réalisée par O.H.L.
Lefaso.net

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