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« La presse ne doit pas véhiculer la rumeur »

Publié le vendredi 2 janvier 2004 à 15h53min

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Serge Théophile Balima est directeur du Centre d’expertise et de recherche africain sur les médias et la communication (CEREAM)de l’université de Ouagadougou. Dans le cadre d’un dossier réalisé en mai dernier sur la liberté de la presse au Burkina, il parle ici de la pratique du journalisme dans les médias burkinabè.

(LCPF) : En tant que spécialiste de la communication, comment appréciez-vous les différents textes régissant la presse au Burkina ?

Serge Théophile Balima (STB) : D’une manière générale, je trouve que les textes régissant le secteur de l’information sont de bonne qualité parce que se sont des textes qui consacrent suffisamment la liberté de la presse et qui donnent beaucoup d’initiatives aux professionnels de l’information. Mais comme tous les textes, ils évoluent en fonction du contexte socio-politique. C’est dans ce sens-là qu’à l’heure actuelle, en matière d’acquis que nous avons dans le sens de la liberté de presse, je pense qu’on peut réviser certains aspects du Code de l’Information de manière à consacrer encore davantage la liberté de la presse au Burkina Faso. Pour citer quelques exemples, je pense que la protection des journalistes devrait être davantage assurée par le code et deuxièmement, je trouve que la notion de service public de l’information devrait être développée davantage parce que c’est un point faible dans notre démocratie de l’information. On ne donne pas suffisamment la parole à toutes les composantes actives de notre société.

Je crois qu’à l’heure actuelle, les acquis nous permettent de développer ce point sans dérive majeure. Je crois que les Burkinabé ont acquis une maturité supplémentaire qui leur permet de comprendre qu’il y a des excès qu’il ne faut pas commettre. Et je vois aussi que la configuration de notre Assemblée nationale à l’heure actuelle montre que nous sommes un peuple qui marche assurément vers une démocratie responsable.

LCPF : La liberté de presse vous semble-t-elle toujours bien comprise par les journalistes ? N’y a t-il pas souvent des abus ?

STB : Oui et non. Oui parce que les journalistes ont conscience que sans la liberté de la presse, il n’y a pas de journaliste. Il n’y a pas de bons journalistes tant qu’il n’y a pas de liberté de presse suffisante pour exercer le métier. Donc dans ce sens là, les journalistes comprennent l’importance de la liberté de la presse. Je crois que la réaction de la presse après les événements de décembre 1998 montre bien qu’il y a une conscience professionnelle suffisante pour veiller à ce que la profession ne soit pas sabordée, ne soit pas usée par des considérations d’intérêts qui pourraient porter atteinte à l’exercice de la profession.

Mais on n’est pas toujours bien compris aussi parce que certains journalistes pensent que la presse doit être utilisée rien que pour défendre des opinions. Je crois que cette attitude là n’est pas bonne, parce qu’il n’y a pas que les opinions qu’on défend ; il y a aussi les faits ; il y a l’exactitude des faits ; il y a la véracité des faits et sur ce point là, certains journalistes ne prennent pas suffisamment le temps de vérifier les informations avant de les livrer.

Moi je suis de ceux qui pensent que la presse ne doit pas véhiculer la rumeur. Au contraire elle doit vérifier la rumeur, chercher l’information exacte avant de la diffuser. Malheureusement à l’heure actuelle, il y a beaucoup de titres qui s’adonnent régulièrement à la propagation de la rumeur parce que simplement nous sommes dans un pays où la rumeur est excitante, où la rumeur semble contenir plus de vérité que l’information officielle. Si cela était vrai par le passé, aujourd’hui je crois que c’est de moins en moins vrai parce que plus nous avançons dans la démocratie, plus la vérité éclate au grand jour et à partir de ce moment nous devons travailler à renforcer plus l’information vraie, qu’à alimenter la rumeur pour se faire plaisir ou pour faire plaisir à des lecteurs qui sont souvent en mal de sensation.

LCPF : Quelles observations vous viennent souvent à l’esprit, quand vous lisez les journaux ou suivez les informations à la télé et à la radio ? Les reportages vous paraissent-ils rigoureux ? Les commentaires, éditoriaux ou analyses sont-ils bien faits ?

STB : Evidemment, il y a toujours de bons produits qui sont présentés aussi bien dans la presse écrite que dans l’audiovisuel. Il faut le reconnaître, il y a des initiatives professionnelles qui sont très salutaires. Lorsqu’on fait par exemple un reportage sur la réfection de la chaussée qui dure éternellement et qui provoque des désagréments fâcheux pour les usagers, je trouve que c’est un bon réflexe professionnel parce qu’il s’agit là d’attirer l’attention des responsables municipaux sur la nécessité de faire vite et bien dans l’intérêt de la communauté et ça c’est par exemple une bonne chose qui rend service aux décideurs et qui rend service aux usagers ; qui rend service aussi aux ouvriers et aux techniciens qui travaillent sur la chaussée. Je crois que ça, c’est des contributions positives.

Cependant, il y a tendance à privilégier le publi-reportage. Ca c’est dangereux pour la démocratie. C’est dangereux pour la profession même. Il ne faut pas confondre publi-reportage et information parce que cela va finir par décrédibiliser la production journalistique. Donc je crois qu’à ce niveau-là, il y a un grand effort à faire de la part des journalistes.

Autre élément qui me semble être une insuffisance, c’est la couverture pléthorique des séminaires et ateliers. Je crois qu’il faudrait que les journalistes, non pas qu’ils refusent de couvrir des séminaires et des ateliers, mais plutôt qu’ils mettent l’accent sur l’objet de l’atelier, l’objet du séminaire qui doit être développé.

Par exemple, quand on organise un séminaire sur le VIH/SIDA, on peut voir quelle est la progression de la maladie à l’heure actuelle, quels sont les efforts qui sont faits par les pouvoirs publics pour enrayer le développement du phénomène et quels sont les comportements des citoyens par rapport aux messages qu’ils reçoivent. A partir de là, le journaliste peut dire que cette préoccupation-là a fait l’objet d’un atelier et en ce moment on " balaie" rapidement lorsqu’il s’agit de l’audiovisuel pour qu’on voie des gens qui sont peut-être réunis. Mais on doit mettre l’accent sur l’objet du séminaire, l’objet de l’atelier et non pas privilégier l’événement séminaire, l’événement atelier avec des hommes et des femmes assis. Je trouve que ce n’est pas ça qui constitue l’information.

LCPF : Une bonne pratique du journalisme requiert une solide culture générale. Sur ce point précis, la prestation des journalistes burkinabé vous satisfait-elle ?

STB : Je crois qu’à ce niveau aussi, tout dépend des exigences des différents publics qui consomment l’information. Je crois qu’il y a un progrès sensible de 1960 à aujourd’hui, le niveau moyen des journalistes a considérablement augmenté. Aujourd’hui, on a des journalistes qui sont de niveau universitaire. Ce qui est vraiment une bonne chose. Donc, c’est perceptible, cette évolution intellectuelle. Le journalisme est une profession intellectuelle, donc la culture générale est fondamentale pour bien expliquer les phénomènes ; pour essayer de contextualiser les faits qui se produisent ça et là, il faut avoir une culture générale en géographie, en histoire, en économie, en droit, sciences politiques, etc.

A ce niveau, je crois qu’il y a un effort à faire parce que la routine rattrape très rapidement les journalistes quand ils commencent à travailler. Au bout de cinq ans, ils n’étudient plus, ils ne donnent plus d’importance à la recherche documentaire. Ils se contentent simplement d’aligner les discours officiels et faire un : remplissage de texte qui fait plaisir parfois à quelques officiels. Mais en réalité, ça n’apporte pas toujours suffisamment l’information pour les citoyens qui veulent approfondir leur niveau de compréhension des faits et des événements et qui veulent pouvoir décider en tant que citoyens mais non pas en tant que sujets qui consomment passivement de l’information.

Interview réalisée par Souleymane Traoré

A la découverte du CERAM
Le Centre d’expertise et de recherche africain sur les médias et la Communication (CERAM) est une institution de recherche et d’expertise. Il. a deux grandes missions.
D’abord une mission d’expertise qui consiste en des prestations de service. Il s’agit par exemple de proposer des stratégies de communication appropriée pour des institutions, des programmes de développement des organisations internationales et de concevoir des approches communicationnelles pour des projets de développement qui existent sur le terrain. L’expertise consiste également en des tâches de perfectionnement, de recyclage.

En matière de recherche, le CERAM applique la recherche d’université, en partenariat avec d’autres universités. Le Centre a déjà mis en place un comité scientifique international qui comprend huit professeurs d’université dont trois de l’université de Ouagadougou.

Le CERAM a organisé au mois de mars 2003, un atelier de réflexion à l’intention de journalistes pour voir quelles sont les perspectives qui peuvent s’offrir à eux dans la profession. Au cours de cet atelier, le CERAM a pu enregistrer leur besoin en matière de formation et compte leur offrir des modules qui correspondent à ces attentes.
Le CERAM est animé par une équipe d’enseignants et chercheurs principalement issus du département de Communication et Journalisme de l’Université de Ouagadougou.

S.T.
« Les Cahiers de la présidence. Mai 2003)

P.-S.

« Pour lire l’intégralité du dossier sur la liberté de presse au Burkina, voir « Liberté de presse au Burkina : état des lieux ».

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