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La forêt d’accord, mais l’hôpital d’abord versus l’hôpital d’accord, mais la forêt d’abord, quand vision politique et vision sociétale de la durabilité s’affrontent

Publié le jeudi 13 juin 2019 à 18h22min

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La forêt d’accord, mais l’hôpital d’abord versus l’hôpital d’accord, mais la forêt d’abord, quand vision politique et vision sociétale de la durabilité s’affrontent

Introduction
La préservation des ressources naturelles et la promotion des modes de vie durables ne sont plus des impératifs à envisager à l’échelle des nations, mais plutôt des choix de vie à opérer aujourd’hui et partout. Les enjeux de la préservation de notre écosystème sont multiples. En définissant le développement durable comme un développement « qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs », la préservation de l’environnement se présente comme une dimension intrinsèquement liée à l’évolution des sociétés.

Selon Ferrari (2010), l’éthique environnementale s’inscrit dans le champ de l’économie tout en suggérant que la répartition des ressources et leurs accès soient indissociables des impacts environnementaux résultants de certains usages irréfléchis des ressources sur le long terme (surexploitation, destruction, dégradation). Cette vision s’inscrit dans le camp des tenants de la durabilité forte, paradigme environnemental qui postule que le capital naturel et le capital économique et social sont différents et non substituables.

C’est une vision du développement impliquant que les considérations d’ordres écologiques devraient constituer le fondement de toute action de développement socioéconomique. Selon elle, un mode de développement non contrôlé peut entrainer des dommages irréversibles sur le capital écologique Pingault et Préault (2007).

Les tenants de cette vision défendent des principes de précaution dans la gestion des ressources naturelles en vue de préserver au mieux des ressources périssables pour les générations à venir. Dès lors, les projets de développement devraient s’appuyer sur une connaissance claire de ses enjeux environnementaux depuis leurs conceptions jusqu’à leurs exécutions.

Quant aux tenants de la durabilité faible (paradigme néoclassique sur les ressources naturelles), ils postulent que les ressources naturelles sont les déterminants de la richesse et de la croissance. La vision de la durabilité faible traduit la forme du développement où l’être humain met presque exclusivement son bien-être au centre de ses actions.

Cette vision, est empruntée par les hommes politiques et repose sur « le principe de la subordination de l’environnement aux intérêts de l’espèce humaine » (Landais, 1998, p. 3). Cela implique que les ressources naturelles (capital naturel) aussi bien que le bien-être humain devraient être traités de la même manière car ils sont substituables. En pratique, priorité pour priorité, celle qui est la plus urgente sera exécutée.

Ces deux conceptions des enjeux environnementaux résument bien les positions des tenants de la crise sociopolitique ambiante au Burkina Faso autour du déclassement d’une partie (16 hectares sur 350 hectares) de la forêt classée de Kua au Burkina Faso.

Pour comprendre ce fait sociopolitique et environnemental inédit au Burkina Faso afin de saisir ses principales implications au plan national, présentons tout d’abord le choc des visions à l’origine de la crise, puis analysons les enjeux et implications sociales de cette crise.

Le présent article est entièrement réalisé sur la base des données qualitatifs (entretiens informatifs auprès de personnes ressources), de ressources scientifiques (articles scientifiques) et de données issues de la presse (journaux écrits).

La forêt d’accord, mais l’hôpital d’abord versus l’hôpital d’accord, mais la forêt d’abord,

La forêt faut-il encore le rappeler est une source de vie. Un refuge vital en cas de trouble et de crise pour tous les êtres vivants (animaux, humains). Elle fournit les populations environnantes en eau et en air purs, en produits ligneux et non ligneux ainsi que des produits nécessaires à la fabrication de médicaments et cosmétiques. Au-delà du fait qu’une forêt fournit un cadre naturel et écotouristique, elle contribue également à la lutte contre le réchauffement climatique. Ces bienfaits non exhaustifs cités sont bien connus des populations depuis la nuit des temps.

La crise née du déclassement de la forêt de KUA n’oppose donc pas deux camps méconnaissant les bienfaits d’une forêt, mais plutôt deux camps appréciant de manière différenciée ses intérêts.

Le projet de construction d’un l’hôpital référence dans la capitale économique du Burkina Faso est une promesse politique majeure du président en exercice au Burkina Faso. La réalisation d’un tel projet se présente comme un impératif pour son gouvernement. Elle répond à la volonté d’asseoir le plus vite possible, un grand hôpital qui dans le contexte des nations d’Afrique subsaharienne apparaît comme un acquis politique valorisable lors des campagnes électorales.

En outre, des discours politiques des présidents sortants et candidats à leurs propres successions ne s’appuient-ils pas sur les promesses tenues et les acquis engrangés. Dans ce cas de figure, la logique des partisans de la construction de l’hôpital de Bobo ‘‘tout de suite et maintenant et à KUA’’ pourrait être politiquement soutenue. D’ailleurs, le discours public connu est celui de la nécessité de doter en infrastructure de santé, une population dans le besoin.

Cette posture s’inscrit dans la dynamique d’une durabilité faible, devenant une conception politique du développement et de la gestion des ressources naturelles. L’argument littéral soutenant cette posture est que ’’la santé la population aujourd’hui est plus importante que la santé de la forêt’’. Cependant, il convient de souligner que la santé de la forêt et des ressources naturelles est tout autant capitale pour la vie même des générations futures.

Cette vision à connotation politique fait aujourd’hui face à une vision sociale embrassant la posture d’une durabilité forte qui pourrait légitimement se réfugier derrière une des recommandations soutenues par le Sommet de la terre de Rio (1992) et stipulant que :

« En tant que gestionnaire du site et possédant une connaissance approfondie de l’environnement local, les communautés sont utilement responsables de l’introduction de toutes politiques de conservation et d’utilisation durable des ressources naturelles. ».

Cette vision fait des populations locales les dépositaires de savoirs qui ont permis la préservation de la diversité, ce qui permet de leur attribuer un rôle au sein de tout appareil visant le développement durable. Elle est mieux clarifiée dans l’Agenda 21 de la conférence de Rio qui appelle à : « des arrangements pour renforcer la participation active des populations autochtones et de leurs communautés à la formulation, au niveau national, de politiques, lois et programmes ayant trait à la gestion des ressources et à d’autres processus de développement » ainsi, la participation des « populations locales et autochtones » à la gestion des ressources naturelles est aujourd’hui une option incontournable des politiques de « bonne gouvernance » et de « développement durable » (Lassagne, 2005).

De la légitimité de l’opposition sociale à la construction d’un hôpital au sein de la forêt de KUA sans garantie de non-agression irréversible de ladite forêt pourrait se cacher des considérations politiques. En effet, les opposants au pouvoir en place étant engagés dans des échéances électorales, réservent également une bonne partie de leurs discours à la critique du bilan des autorités sortantes. C’est dans le sens que leur soutien aux défenseurs de la forêt de KUA paraît clair et affiché.

Se doter d’infrastructures sociales de base dans un environnement sain et socialement apaisé

En 2009, un conflit social ayant germé depuis 1972 en France autour de la construction d’un nouvel aéroport de Nantes explose. Ce fut un des plus importants conflits socio-environnementaux qu’a connus la France et même l’Europe. Dans le cadre de la mise en place de ce projet de construction de cet aéroport déclaré d’utilité publique en 2008, deux zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique (bois et landes de Rohanne et des Fosses Noires et les bois, landes et bocage au Sud-Ouest de Notre Dame-des-Landes), couvrant respectivement 42 et 153 hectares, devraient être détruites.

C’est ainsi qu’une opposition sociale à ce projet voit le jour en 1972 (Barbe, 2016). Cette opposition s’est développée, prenant une dimension nationale et entrainant un bras de fer entre les pro-aéroports avec à leurs têtes l’Etat français et les acteurs locaux opposés au projet. Ce bras de fer entre pouvoirs publics opposition locale à ce projet a duré plusieurs années et a impliqué trois générations d’habitants (Barbe, 2016).

Au fil des années, la grandissante opposition locale puis sociale à la construction de l’aéroport a emmené les autorités publiques françaises à suspendre toutes leurs initiatives pour permettre la mise en place par le président Emmanuel Macron d’une mission d’étude visant à comparer deux options (la construction du l’aéroport sur le site de Notre-Dame-des-Landes ou la modernisation de l’aéroport actuel). Cette mission rend son rapport en décembre 2017, et le 17 janvier 2018, le Premier ministre Édouard Philippe annonce l’abandon définitif du projet de construction de l’aéroport à Notre-Dame-des-Landes .

Ce conflit faut-il le rappeler a eu des conséquences politiques et financières importantes en raison de la durée du bras de fer entre partisans et opposants au projet.

En pratique, la mise en œuvre de tout projet de développement d’ampleur local ou nationale qui pourrait présenter un impact quelconque (aussi petit soit-il) devrait passer par une analyse préalable de son contexte local et national de mise en œuvre.

Dans cette optique, à travers une étude de faisabilité ou une étude scientifique d’impact socioéconomique et environnemental dont les résultats sont publiés, les décideurs facilitent l’acceptation sociale de la décision politique. Les avantages d’une telle posture sont non seulement de lever tout doute sur la possibilité d’impact négatif et irréversible sur les plans humain, environnemental et animal, mais également de prévenir les oppositions locales pouvant déboucher sur des conflits sociaux aux conséquences souvent imprévisibles.

Dans le contexte du Burkina Faso, en dépit des oppositions sociopolitiques autour du projet de construction de l’Hôpital de Kua, il importe de retenir les retombées positives d’une prise de conscience environnementale revigorée.

Prise de conscience nationale d’une crise socio-environnementale, apprendre par le choc,

Le principal avantage tiré de cette crise ambiante est la prise de conscience locale et nationale sur des avantages liés à la préservation de l’environnement. Aujourd’hui, bien des burkinabè, au-delà des passions politiques ont compris que :
- la question environnementale n’est pas qu’une question de déboisement-reboisement, elle concerne aussi bien des enjeux de développement que les habitudes et attitudes quotidiennes (utilisation des sachets plastiques, des véhicules polluants, les infrastructures sociosanitaires polluantes, le manque d’assainissement).
- toutes ces actions qui contribuent à déséquilibrer l’environnement devrait accompagner l’élan des défenseurs quotidiens de l’environnement (État, ONG, association, etc.).

Conclusion

En somme, la crise socio-environnementale autour de la forêt de KUA a été un canal de sensibilisation autour de la nécessité vitale de la préservation de l’environnement, du reboisement de notre espace de vie. Elle a été une occasion de réflexion sur la nécessité de reconstruire notre cadre écologique de vie, car comme l’affirmait Monsieur Sawadogo : « Si tu apprends que tu vas mourir demain, fais tout pour planter un arbre aujourd’hui, car tu laisseras ainsi une richesse inestimable à ta postérité »

Felix OUEDRAOGO

Ingénieur de recherche à INSS/CNRST ; Ouagadougou, Burkina Faso, doctorant en sciences politiques et sociales de l’Université Catholique de Louvain /Belgique felixouedraogo99@gmail.com


Bibliographie

Barbe, F. (2016). La« zone à défendre » de Notre-Dame-des-Landes ou l’habiter comme politique. Norois. Environnement, aménagement, société (238-239), 109-130.

Figaro. (2018). Notre-Dame-des-Landes : le gouvernement abandonne le projet d’aéroport [archive], sur, 17 janvier 2018 (consulté le 02 juin 2019).
Ferrari, S., Goffi, J. Y., Parizeau, M. H., Pierron, J. P., & Duchemin, E. (2010). Éthique et environnement à l’aube du 21ème siècle : la crise écologique implique-t-elle une nouvelle éthique environnementale[texte introductif]. VertigO-la revue électronique en sciences de l’environnement, 10(1).

France Inter. (2012). « L’aéroport Notre-Dame-des-Landes doit-il aller au diable ? » (Archive • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?), 20 novembre 2012 (consulté le 05-06- 2019).

Landais. E. (1998). Agriculture durable : les fondements d’un nouveau contrat social ? Courrier de l’environnement de l’INRA n°33, avril 1998 ; pp23-39.
Lassagne, A. (2005). Exploitation forestière, développement durable et stratégies de pouvoir dans une forêt tropicale camerounaise. Anthropologie et sociétés, 29(1), 49-79.

Pingault, N., & Préault, B. (2007). Indicateurs de développement durable : un outil de diagnostic et d’aide à la décision. Notes et études économiques, (28), 43. AFAFA. (2014) Formation d’animateurs en agroécologie, Sénégal. Pp 14-19.

Sandrine Carole Tagne Kommegne. (2007). Gestion durable des ressources naturelles en Afrique Centrale : Cas des produits forestiers non ligneux au Cameroun et au Gabon, Université de Limoges - Master 2 en droit international et comparé de l’environnement.
https://lefaso.net/spip.php?article86533.

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