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Interroger la gouvernance pour comprendre le sujet des écoles non reconnues à fermer à Ouagadougou

Publié le mardi 12 novembre 2019 à 16h38min

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Interroger la gouvernance pour comprendre le sujet des écoles non reconnues à fermer à Ouagadougou

Dr OUEDRAOGO Issiaka
Géographe/ Chercheur à l’Institut des
Sciences des Sociétés (INSS-CNRST)
ouesiaka@gmail.com

Introduction

Après l’adoption des Programme d’Ajustement Structurel (PAS) par le Burkina Faso en 1991, il a été observé une réduction considérable des financements de l’Etat dans les secteurs sociaux ; notamment l’éducation. Pourtant, à l’issue de la conférence de Jomtien en 1990, le pays s’est engagé à mettre en œuvre des actions pour l’atteinte des objectifs de l’éducation pour tous (ETP). Dans ce cadre, la priorité a été accordée au développement de l’enseignement primaire et à l’accroissement de la scolarisation en milieu rural.

Pour être au rendez-vous des objectifs de l’EPT, l’Etat burkinabè a bénéficié de la part de ses partenaires d’importantes ressources financières qui ont permis d’accroître sensiblement l’offre scolaire primaire en milieu rural. Grâce à ces investissements, des progrès énormes ont été réalisés, mais la mise en œuvre de ces politiques a induit des effets pervers. En effet, la priorité accordée à l’enseignement primaire s’est faite au détriment des autres niveaux notamment le préscolaire, le post-primaire, le secondaire et le supérieur. Sur le plan spatial, il a été observé un faible niveau d’investissement dans les zones urbaines, malgré une demande scolaire croissante.

Pour pallier l’insuffisance de l’offre, l’une des stratégies du gouvernement a été de promouvoir le développement du secteur privé dans le domaine de l’éducation. Dans le souci de garantir la liberté d’entreprise de ces acteurs privés et attirer leurs investissements, il a été observé un laxisme dans le suivi et le contrôle de l’enseignement privé. Cela a conduit à l’ouverture de nombreux établissements dits non reconnus, car ne disposant pas des autorisations de création et/ou d’ouverture. Très souvent, ces établissements ne respectent pas plusieurs normes indispensables pour assurer la qualité de vie des élèves et des enseignants ainsi que la qualité de l’éducation.

Au regard de ces méfaits, l’Etat a entrepris depuis l’année 2017 des actions en vue de résorber le phénomène d’écoles non reconnues. Parmi les mesures figurent la réalisation d’une étude faisant la situation de ces établissements au plan national, la publication des résultats qui en ressortent et la prise de mesures pour fermer certains et accompagner les autres vers la normalisation. Dans cette logique, il a été également publié la liste des établissements concernés et devant fermer leurs portes au cours de l’année scolaire 2019-2020. Selon les statistiques du Ministère, il s’agit au total de 315 établissements non reconnus à fermer (graphique 1) et de 789 non reconnus à accompagner.

S’il est vrai qu’il s’agit d’une décision courageuse de la part du gouvernement, le nombre élevé de ces établissements interroge plus d’un burkinabè. Ces interrogations sont plus persistantes dans la région du centre où se trouve la majorité de ces établissements. En effet, elle abrite 74% des établissements à fermer et 82,4% de ceux nécessitant un accompagnement. Cet état des lieux dans la région est surtout lié aux insuffisances qui caractérisent l’offre scolaire privée dans la capitale, Ouagadougou. Concernant cette ville, la question majeure que suscitent ces statistiques est relative aux facteurs qui ont favorisé ce nombre élevé d’établissements hors normes. Le présent article propose quelques éléments de réponses à la question.

Des analyses basées sur des données collectées dans le cadre d’une recherche sur le post-primaire et le secondaire à Ouagadougou

Les analyses reposent sur deux principales sources d’informations. Il s’agit des statistiques du Ministère sur les établissements non reconnus à fermer en 2019-2020 (MENA/PLN, 2019) et des données collectées et traitées dans le cadre de la réalisation de notre thèse de doctorat soutenue en 2018. Ces dernières portent sur les établissements post-primaires et secondaires à Ouagadougou.

Toutefois, elles permettent de comprendre la question globale des écoles hors normes à Ouagadougou. Dans le cadre de ces analyses, notre définition de la gouvernance s’inspire des travaux des anthropologues pour qui la gouvernance est un concept ou une approche empirique permettant de rendre compte de la diversité des acteurs, des normes, des pratiques et des rapports aux normes, etc. Les analyses faites ici reposent sur 3 axes à savoir, la diversité des acteurs de l’éducation, des pratiques en matière de création, ouverture et fonctionnement des établissements, puis de la coordination par des acteurs étatiques et non étatiques. Par la suite, nous analysons les enjeux liés à la décision de fermeture de ces établissements.

Une diversité d’acteurs ayant différentes préoccupations dans l’ouverture des écoles

La ville de Ouagadougou se caractérise par une diversité des acteurs intervenant dans le domaine de l’éducation. Il s’agit par exemple du Ministère de l’éducation et ses démembrements dont les directions centrales, régionales et provinciales, etc. Outre les acteurs étatiques, l’on a les services de l’éducation de la Mairie de Ouagadougou, des ONG, associations et des acteurs religieux (catholiques, franco-arabes et protestants) à travers l’ouverture des établissements confessionnels.

Aussi, des particuliers ouvrent des établissements privés laïcs. En l’absence d’une réglementation sur le profil des promoteurs, les propriétaires de ces établissements privés laïcs émanent de différents secteurs d’activités de la ville. Ces différents acteurs n’ont pas forcément les mêmes objectifs que l’Etat dans l’ouverture des écoles. Pour les acteurs publics, l’objectif est de permettre un accès équitable à une éducation de qualité pour la majorité des enfants. L’ouverture des établissements confessionnels répond à plusieurs objectifs dont par exemple la volonté de permettre aux adeptes de la religion de bénéficier de meilleures conditions pour pratiquer la religion tout en étant à l’école.

Pour une bonne part des promoteurs privés laïcs, l’accent est mis sur la recherche du profit ou la rentabilité financière des investissements. Les enjeux liés à ces préoccupations sont ainsi présentés comme une préoccupation majeure par l’Union Nationale des Etablissements d’Enseignement Privés Laïcs (UNEEPL). La question a été donc traitée lors de son 13e congrès tenu du 28 au 30 juillet 2016 à Ouagadougou et intitulé : « Entreprendre dans le secteur privé de l’éducation au Burkina Faso : défis et perspectives ». La priorité souvent accordée à la recherche du profit est critiquée par les parents d’élèves qui dénoncent les pratiques mercantilistes ou commerciales observées dans certains établissements privés laïcs. Pour atteindre leurs objectifs, différentes pratiques sont développées par ces derniers.

Différentes pratiques de création, ouverture et fonctionnement des établissements privés

La création, l’ouverture et le fonctionnement des établissements scolaires au Burkina Faso sont encadrés par des règles administratives, pédagogiques, sociales et environnementales, etc. Théoriquement, tout promoteur d’établissement doit dans un premier temps introduire une demande d’autorisation de création qui est suivie par l’autorisation d’ouverture. L’obtention de ces autorisations indique que l’établissement respecte l’essentiel des conditions nécessaires pour assurer une éducation de qualité. Contrairement à ces normes, différentes pratiques sont observées dans la réalité.

De nombreux promoteurs d’établissements n’introduisent pas les demandes nécessaires. Ils fonctionnent donc dans l’illégalité et leurs établissements ne sont donc pas reconnus. Des entretiens réalisés avec différents acteurs montrent que ces pratiques s’expliquent par plusieurs motifs. Il s’agit par exemple de l’incapacité des promoteurs à fournir des sites d’accueil des écoles respectant les normes de superficie de 5 000 m2 pour la ville de Ouagadougou et Bobo-Dioulasso. Des traitements cartographiques de l’implantation des établissements sur le parcellaire de la ville de Ouagadougou indiquent un nombre élevé d’établissements ne respectant pas ces normes. Sur les 244 établissements privés laïcs concernés par le traitement cartographique, 45% ne respectent pas les normes.

Parmi ces derniers, 25 écoles sont implantées sur des parcelles de moins de 500 m2, c’est-dire des parcelles d’habitation. Par ailleurs, il existe des établissements dont la nature des bâtiments, la superficie des salles de classe, les caractéristiques des locaux et des sites d’implantation, etc. ne respectent pas les normes édictées (photo 1).

Au-delà de ces bâtiments ne respectant pas les normes, certains ne disposent pas des commodités de base telles que les latrines, les points d’eau, les terrains de sport à proximité, etc. Aussi, de nombreux établissements ne disposent pas des équipements indispensables pour administrer les cours. Comme le témoigne un professeur de mathématiques dans un collège privé en quartier non loti, « L’établissement ne dispose pas de l’équipement nécessaire. Il n’existe même pas de règle entière pour les cours de math. Il n’y a pas de compas. Même pas le programme officiel ».

Ces insuffisances dans les établissements ainsi que le nombre élevé de ceux qui ne respectent pas les normes sont pour une bonne part liée aux déficits en matière de suivi et de contrôle par les structures étatiques.

La coordination dans le domaine de l’éducation à Ouagadougou : un maillon faible

La diversité et la multiplicité des acteurs de l’éducation imposent des actions efficaces de coordination pour le bon fonctionnement des établissements ainsi que la qualité de l’éducation. Pour le suivi de leurs activités ainsi que le contrôle des aspects liés au respect des normes, plusieurs structures existent au Ministère de l’Education. Il s’agit par exemple de la direction de l’enseignement secondaire général privé (DESGPr), la direction régionale de l’enseignement secondaire (région du centre) et la direction générale de l’enseignement secondaire technique et professionnel (DGESTP), etc. Ces directions existent également pour l’enseignement primaire. Leurs actions concernent entre autres la concertation entre acteurs, la sensibilisation et l’accompagnement des établissements, mais elles procèdent aussi à la répression s’il y a lieu.

Ainsi, la DESGPr est en charge de la coordination des actions de l’enseignement privé, de l’examen des dossiers de demande d’autorisation de création et d’ouverture et le suivi du fonctionnement des établissements privés, etc. En plus des structures étatiques habilitées à assurer la coordination, il existe d’autres acteurs de coordination. Il s’agit par exemple de l’UNEEPL qui s’intéresse aux établissements privés laïcs, de la direction des établissements privés catholiques pour les établissements privés catholiques, puis des structures associatives pour les établissements privés protestantes et ceux franco-arabes.

Malgré cette diversité des acteurs, la coordination est insuffisante pour diverses raisons dont principalement le manque de moyens humains, financiers et logistiques pour accomplir ces missions. Selon l’un des responsables enquêtés, « L’intention est là et des textes existent pour suivre le travail des acteurs privés. Seulement, nous n’avons pas les moyens ». Profitant de ces difficultés, de nombreux établissements ont fonctionné depuis plusieurs années sans autorisation.

Aussi, l’insuffisance de l’offre scolaire publique dans la ville a contribué à faire perdurer cette situation. Comme l’indique un agent du Ministère, « Dans les quartiers périphériques, surtout les non lotis, il y a beaucoup d’établissements qui ne respectent pas les normes. Mais face à une situation où il n’y a aucun établissement public, on est obligé de laisser l’établissement continuer ». Contrairement à cette opinion, des structures non étatiques telles que l’UNEEPL sont plutôt favorables à un assainissement du milieu, car les pratiques des établissements privés non reconnus « …sont de nature à entacher l’image des établissements privés laïcs » (Ouédraogo, I., 2018, p.286).

Cette organisation soutient que ces établissements font de la concurrence déloyale à ceux reconnus et répertoriés par le Ministère. Comme le témoigne un directeur d’établissement, la plupart de ces établissements n’étant pas reconnus, ils ne paient pas les taxes et impôts. De ce fait, ils ont la possibilité de fixer des coûts de scolarité plus bas par rapport à ceux reconnus qui enclin à payer des taxes. Au regard de ces enjeux, l’UNEEPL serait disposée à accompagner les structures de l’Etat pour assainir le milieu. Cependant, elle ne dispose pas de la légitimité pouvant contraindre les établissements privés à respecter la réglementation, car cela est de la prérogative des structures publiques de l’Etat.

Ces difficultés s’observent également du côté des structures en charge de la coordination des activités des établissements privés confessionnels. Cependant, l’organisation, le mode de fonctionnement et de coordination des activités des établissements privés catholiques par la direction de l’enseignement catholique est suffisamment élaboré et constitue un bel exemple. Comme l’indique un responsable de cette structure, l’un des principes fondamentaux de ces établissements est le respect des règles du Ministère. L’enjeu reste cependant de taille dans la mesure où certains établissements publics sont loin de respecter les normes.

Quelques enjeux de la fermeture des écoles privées non reconnues

Au regard des différentes problématiques que pose la question des établissements ne respectant pas les normes, il apparaît que la décision du gouvernement de fermer certains et d’accompagner les autres à la normalisation est assez courageuse et salutaire. En effet, les conditions de scolarisation dans ces établissements ne permettent pas d’assurer une éducation de qualité aux enfants qui les fréquentent. Toutefois, cette fermeture pourrait renforcer les difficultés que vivent certaines populations en matière d’accès à l’éducation.

Dans les périphéries de la ville par exemple, l’offre scolaire publique est peu répandue et les établissements disponibles ont de faibles capacités d’accueil. Ainsi ces établissements privés apparaissent parfois comme les seules possibilités de scolarisation à proximité des lieux d’habitation pour certaines familles. Pour d’autres, la décision de fréquenter ces écoles s’explique par le coût relativement réduit de la scolarité par rapport aux établissements reconnus.

Tout compte fait, il apparaît que la question du respect des normes mérite d’être élargie aux établissements publics, car bon nombre d’entre eux ne respectent pas également certaines normes minimales pour assurer une éducation de qualité. En milieu urbain, le défi concerne aussi bien la question des classes pléthoriques (photo) que l’équipement des établissements. Ainsi, l’on a parfois des classes de plus de 120 élèves alors que la norme voudrait que l’on ait au maximum 60 à 70 élèves par classe.

En milieu rural, les insuffisances concernent par exemple les conditions d’apprentissage et d’enseignement dans les classes sous paillottes. En attendant le remplacement de ces classes annoncé par le gouvernement, elles continuent de jouer le rôle de « solution » à une offre scolaire publique défaillante.

Bibliographie

BIERSCHENK, Thomas (2007), « L’éducation de base en Afrique de l’Ouest francophone. Bien privé, bien public, bien global ». In : Une anthropologie entre rigueur et engagement. Essais autour de l’œuvre de Jean-Pierre Olivier de Sardan, éd. T. Bierschenk, G. Blundo, Y. Jaffré & M. Tidjani Alou. Paris : APAD Karthala, pp. 235-257.

CHAUVEAU, Jean-Pierre, Marc Le PAPE, Jean-Pierre De Sardan OLIVIER (2001), « La pluralité des normes et leurs dynamiques en Afrique : implications pour les politiques publiques », In : Inégalités et politiques publiques en Afrique : pluralité des normes et jeux d’acteurs, pp 145-162

Ministère de l’Education Nationale, de l’Alphabétisation et de la Promotion des Langues Nationale, (2019), « Liste des établissements privés non reconnus à fermer en 2019-2020 », 30 p.

NATIELSE, Kouléga Julien (2013), « Le Burkina Faso de 1991 à nos jours : entre stabilité politique et illusionnisme démocratique », Thèse de doctorat en Science politique, Université Montesquieu- Bordeaux IV, 435 p.

OLIVIER, Jean-Pierre De Sardan (2009), « Les huit modes de gouvernance locale en Afrique de l’Ouest », In : Etudes et travaux n°79, LASDEL, 52 p.

OUEDRAOGO Issiaka (2018), « Inégalités spatiales d’éducation post-primaire et secondaire à Ouagadougou : enjeux de gouvernance et d’aménagement du territoire », Thèse de doctorat en géographoe, Université de Caen-Normandie, 388 p.

UNESCO (1990), « Répondre aux besoins éducatifs fondamentaux : Une vision pour les années 1990 », Document de référence, Conférence mondiale sur l’éducation pour tous ; 5-9 mars 1990, Jomtien, Thaïlande, Paris, WCFA, 174 p.

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