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Stanislas Soré, comédien et artiste musicien : « Le cinéma burkinabè va à reculons »

Publié le vendredi 8 novembre 2019 à 19h50min

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Stanislas Soré, comédien et artiste musicien : « Le cinéma burkinabè va à reculons »

Le cinéma bobolais a vu émerger de nombreux comédiens dont la réputation a franchi les frontières nationales. Stanislas Soré est un doyen dans le domaine du cinéma, et particulièrement dans le métier d’acteur comédien. Il est connu des cinéphiles bobolais parmi les acteurs du 7e art grâce à la série « Au royaume d’Abou ». Très connu sous son nom d’acteur Abou, ce scénariste, comédien et musicien a une quarantaine d’années dans la musique et une trentaine dans le milieu du cinéma. Dans cette interview, l’homme nous parle de sa carrière cinématographique, de ses différends avec Patrick Martinet (premier réalisateur de la série "Au Royaume d’Abou"), ainsi que de ses projets pour le cinéma burkinabè.

Lefaso.net : Qui est Stanislas Soré ?

Stanislas Soré : Stanislas Soré est un artiste comédien et musicien. Il faut le dire, j’ai d’abord commencé par la musique avant d’aller au cinéma.

Depuis quand êtes-vous dans le cinéma et comment êtes-vous arrivé dans ce milieu ?

J’ai embrassé la carrière de cinéma quand j’étais chef de groupe d’orchestre. À cette époque, j’ai eu à travailler avec M Sou Jacob qui fut, je peux dire, l’un des premiers réalisateurs burkinabè. C’est un journaliste, mais il a été quand même l’un des premiers réalisateurs en matière de cinéma au Burkina Faso. J’ai été contacté par lui pour son film Monsieur Togognini, qui est un film semi-ivoirien. Dans le film, j’ai eu à faire une prestation musicale avec mon groupe d’orchestre et depuis lors, le cinéma m’a beaucoup plu et j’ai commencé à me documenter sur comment on fait du cinéma. A la base, je suis un grand lecteur et à l’époque je pouvais lire une centaine de romans dans le mois.

Est-ce qu’on peut dire que c’est la série « Au royaume d’Abou » qui vous a révélé au grand public ?

Evidemment, c’est grâce à la série « Au Royaume d’Abou » que j’ai été révélé au grand public parce que j’ai été l’auteur de cette série. Et non seulement j’ai été le scénariste principal, mais également l’acteur principal, le metteur en scène, l’assistant à la réalisation.

Comment avez-vous rencontré Patrick Martinet ?

La rencontre avec Martinet s’est faite par le biais de M Sou Jacob. Parce qu’à l’époque, lors de la Semaine nationale de la culture (SNC Bobo 92), Mr Sou Jacob avait installé une radio-multimédia à Bobo-Dioulasso et c’est lui qui avait fait venir Mr Martinet pour les installations. Le Burkina Faso a été son premier pays africain qu’il a eu à visiter. Il a beaucoup apprécié l’accueil d’ici, c’est pourquoi il a voulu s’installer au Burkina.

C’est à l’issue de ça que l’idée de faire du cinéma lui est venu. Comme moi j’aime le cinéma, parce que déjà en 1989, j’avais joué avec Sou Jacob dans Monsieur Togognini et à force de regarder les autres séries également, la manière de faire, j’ai eu une idée exacte de comment faire un scénario. J’ai donc commencé par le scénario d’un court métrage de 52 minutes intitulée Une semblable différence.

C’est un film franco-burkinabè, qui a été tourné en 1993 avec Martinet. Une partie tournée en Europe écrite par Martinet et la partie burkinabè, c’est moi qui l’ai écrite. Il a proposé ce film à Canal France Inter (CFI). Et ce n’est que cinq ans après, en 1998, qu’il m’a dit que le staff de CFI a regardé le film, mais qu’il n’aime pas la partie européenne et veut qu’on l’enlève. C’est ainsi qu’il a proposé qu’on fasse une série de deux ou cinq épisodes. Je lui ai dit pourquoi deux ou cinq épisodes pendant que les autres font des saisons de 20 ou 26 épisodes. J’ai donc proposé 100 épisodes, mais il m’a dit M. Soré, tu ne pourras pas.

Pour gagner le pari, j’ai fait une première saison de 20 épisodes. Je précise qu’on a fait cette première saison avec les fonds propres de M. Martinet. Après le montage, le film a été présenté à CFI qui l’a bien apprécié d’office. C’est de là qu’est née la collaboration avec CFI. Nous avons ensuite fait cinq saisons de vingt épisodes chacune. Et je vous dis qu’on a tourné avec les moyens de bord, c’est-à-dire avec une caméra, un preneur de son. C’est le thème abordé qui était le plus important. Ce qui m’a beaucoup plus encouragé, c’est que, dès la troisième saison, j’ai reçu un fax du directeur général de CFI qui me félicitait pour le travail bien fait. Et cela m’encourageait parce que je savais que j’étais sur la bonne voie.

Qui est Abou dans la série ? Parlez-nous de cette série.

Abou est un Don Juan notoire, père de famille et marié à la belle Mimi, il ne peut s’empêcher d’aller voir ailleurs. Il tombe sous le charme de la dangereuse Fatou, qui lui sort le grand jeu, et le pousse à la prendre pour femme. Cédant sous la pression, Abou accepte. Il prend son courage à deux mains, et informe Mimi de son projet de mariage.

Mimi, attristée et désemparée, ne voit pas d’autres issues que de se tourner vers un Marabout afin de préserver son mari. Tandis que Fatou prévoyante, compte bien elle aussi consulter un Marabout afin que son projet de mariage aboutisse. Ironie du sort les deux jeunes femmes se tournent vers le même Marabout. Ce sera le point de départ de nombreux accrochages, chacune étant bien décidée à garder l’homme qu’elle aime envers et contre tout.

Le rôle de Don Juan, c’est juste un rôle ou Stanislas Soré est le prototype de Abou ?
(Rires) Non, c’est juste un rôle. Mon papa n’est pas polygame, mais dans les familles à côté, nous avons vu ce qui se passait là-bas. C’est cette transcription que j’ai faite dans le film. Sinon en réalité je ne suis pas Don Juan. Les préjugés ne manquaient pas. Mais en réalité cela ne me dit rien, j’étais plutôt content parce que, en quelques sortes, le rôle était bien joué.

On sait que vous avez eu, entre -temps, des difficultés avec M. Martinet. Aujourd’hui, qu’en est-il du dossier Soré-Martinet ?

Vous savez, dans le monde du cinéma, il y a d’autres réalisateurs qui ont fait pire que ça. M. Martinet a travaillé avec ses fonds propres dans la première saison et j’ai beaucoup apprécié. Je le félicite pour cela parce que c’est un gros risque qu’il a pris à l’époque. Mais après, toutes les saisons qui ont suivi ont été financées par CFI, parce que nous avons signé à l’époque, un contrat de production.

Je crois que pour la bonne collaboration, et en tant qu’auteur, scénariste et acteur principal, je devrais être imprégné d’un certain nombre de conditions sur les clauses du contrat avec CFI. Mais je vous assure que, jusqu’à cent épisodes, je naviguais comme ça. Et même qu’à un moment donné, les comédiens se disaient que M. Soré était en train de les piller en complicité avec M. Martinet. Moi j’en avais ras-le-bol de toutes ces choses.

Donc, j’ai fait une lettre à Mr Martinet pour lui signifier les petits coins obscurs dans cette situation et il n’a pas apprécié cela. C’est ce qui a amené cette bagarre entre lui et moi, parce que j’estimais qu’il y avait du flou dans cette histoire. Le dossier est même arrivé en justice. Comme vous le savez, quand vous êtes Burkinabè ou même Africain face aux colons, ce n’est pas facile. Le tribunal nous a fait comprendre qu’il n’avait aucune notion de ce qu’on appelle droit d’auteur ou droit de production.

Je peux dire que c’est maintenant que la justice burkinabè commence à travailler dans ce domaine. Donc, le tribunal s’est déclaré incompétent en la matière. Nous avons saisi la cour d’appel qui s’est déclarée également incompétente en la matière. C’est pourquoi, j’étais obligé de laisser tomber le dossier. Mais cela ne m’a pas empêché de travailler avec M. Martinet sur le film d’un autre réalisateur.

Vous avez repris après et à votre compte, le tournage du "Royaume d’Abou." Comment avez-vous vécu cette expérience ?

J’ai eu à reprendre le film avec Sahélis Production et une Suissesse. Nous avons fait une sixième saison de vingt épisodes. Je n’ai pas trop aimé cette sixième saison à cause de la co-scénarisation, parce que ça vous dévie complètement de l’idée maîtresse. Mais comme ce sont les producteurs qui finançaient, ils voulaient que ça se passe ainsi. Moi, j’aime qu’on me laisse libre de faire un bon travail.

Le plus difficile dans ce métier c’est quoi pour vous ?

La difficulté, c’est quand on n’arrive pas à parler le même langage sur le terrain.

Quel regard portez-vous sur le cinéma burkinabè aujourd’hui ? Est-ce que vous voyez une évolution (en général) de cet art ?

Dans mon franc-parler, je sais que ça ne va pas plaire. Mais le cinéma burkinabè présentement va à reculons et je n’ai pas froid aux yeux pour le dire. On produit beaucoup de films, mais cela ne signifie rien. Non seulement les acteurs jouent mal, mais les scenarios ne veulent rien dire. Idrissa Ouédraogo, paix à son âme, réalisait de bons films. Ses films, à l’époque, pouvaient voyager. Ses films pouvaient représenter le Burkina Faso et même l’Afrique à l’extérieur. Je peux citer d’autres réalisateurs aussi, notamment Gaston Kaboré, Adama Rouamba, Abdoulaye Dao et présentement Apolline Traoré.

Regardez, cela fait combien d’éditions du FESPACO, que le Burkina Faso a été incapable de se hisser au moins à la troisième marche. L’Etalon de bronze, ça fait combien d’éditions que le Burkina ne l’a pas remporté. Donc il y a quelque chose qui ne répond pas. Il faut que les réalisateurs soient conscients de ce recul parce qu’il ne s’agit pas de faire beaucoup de films. On peut faire peu et bien.

Prenons l’exemple sur le film de Kollo Sanou, Tassouma. Lui, il a travaillé avec trois réalisateurs qui étaient ses assistants et lui-même, il était le réalisateur principal. Le film jusqu’à demain, c’est un film d’actualité, c’est un film qui a fait le tour du monde. Je pense qu’il ne faut pas faire trop de films pour un résultat médiocre. Le problème ne réside pas dans le cinéma seulement, même aussi dans la musique, le problème existe. Moi j’ai 45 ans de carrière dans la musique et je joue en live.

Aujourd’hui il y a des artistes un peu partout qu’on considère comme de grands artistes mais moi, je les considère comme de petits artistes parce qu’ils ne jouent pas la musique. C’est la musique qui les joue. Moi, je joue la musique, la musique ne peut pas me jouer.

Pensez-vous que les acteurs sont bien accompagnés ?

Les acteurs ne sont pas bien accompagnés franchement. Le ministère de la Culture a du pain sur la planche. Il n’a pas assez de moyens et donc il faut faire appel à des partenaires. Pour cela, il faut faire de bons produits pour mériter l’accompagnement des partenaires.

M Soré a-t-il des projets ?

Oui, j’ai des projets pour le cinéma burkinabè. J’ai beaucoup d’écrits déposés actuellement et je suis toujours dans la patience. Parce qu’on dit que, « tant qu’il y a la vie, il y a de l’espoir » et j’espère pouvoir y parvenir un jour. Je suis en train de chercher de vrais promoteurs, de vrais partenaires et je pense que, de part certaines relations, j’en aurai.

Quel est votre meilleur souvenir du métier ?

Les meilleurs souvenirs dans ce métier, ce sont mes relations. Parce que quand je me déplace pour aller dans les pays voisins, la considération qu’on me donne là-bas est cent fois supérieure à celle qu’on me donne ici. C’est devenu comme un laisser-passer.

Quel est votre pire souvenir du métier ?

Les mauvais souvenirs, ce sont les coups bas. L’hypocrisie est de taille dans ce milieu. Les gens qui vous félicitent partout sont les mêmes qui sont en mesure de vous bloquer. J’en sais beaucoup, mais je ne citerai pas de nom. Et moi, je me fie à la volonté de Dieu. Quand Dieu décide quelque chose, quel que soit la force de l’homme, il ne peut pas l’empêcher. Il faut toujours chercher à mieux faire et pour cela, il faut du courage et de la persévérance.

Après une carrière comme la vôtre, quel est votre rapport à la scène ?

Jusque-là, je suis toujours sur la scène, puisqu’on vient de faire la suite du film de Kollo Sanou. Quelques années après, il est en train de faire le long métrage qui est titré Takami qui veut dire les braises. Je suis toujours sur la scène et sur le plan musical, je suis le chef d’orchestre du groupe Les Messagers, qui fait la une à Bobo-Dioulasso. C’est un orchestre de musiciens de différents groupes. Donc je suis toujours en activité des deux côtés.

Parlez-nous de votre carrière musicale ?

J’ai commencé la musique avec le groupe Volta jazz, dans les années 1973 jusqu’en 1979. Ensuite, j’ai été au Bénin où j’ai évolué dans un groupe là-bas, pour voir comment la musique se passait. Je suis revenu en 1982 où je jouais avec les Leopards, l’orchestre militaire où j’ai joué pendant longtemps. Étant dans l’orchestre les Léopards, j’ai créé un autre groupe TP Parade 7 qui a fait la une au niveau du Burkina Faso. Et après j’ai joué dans le collectif des anciens, et actuellement je suis dans le groupe Les messagers qui a été créé en 2013 et nous jouons au Bois d’ébène et au club SONABEL.

Quel est votre mot de fin ?

Pour terminer, je demanderai aux Burkinabè d’être toujours cléments et d’être beaucoup sensibles aux problèmes que traversent les artistes. Il faut beaucoup aider nos artistes. Parce que toutes les richesses peuvent finir un jour, mais la culture ne peut pas finir. Chaque ethnie au Burkina Faso a sa culture et il faut la valoriser, il faut la développer. Je crois que nous avons du pain sur la planche, parce qu’on a un ministère qui a de gros bagages mais qui n’a pas de gros moyens. Et j’aimerais qu’on aide les artistes à promouvoir leur culture et qu’on accorde une place de choix aux réalisateurs qui ont fait leurs preuves.

Propos recueillis par Romuald Dofini

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