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Fermeture des frontières nigérianes : Des importateurs burkinabè affectés par la mesure

Publié le mercredi 9 octobre 2019 à 23h42min

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Fermeture des frontières nigérianes : Des importateurs burkinabè affectés par la mesure

Le Nigeria a décidé de fermer ses frontières avec quelques pays voisins afin de lutter contre la fraude et la contrebande en provenance du Niger et du Bénin et de protéger ses industries. La mesure n’est pas sans conséquences majeures sur le commerce de la sous-région ouest-africaine. Nous avons rencontré des commerçants burkinabè qui importent des produits du Nigeria. Ils se disent affectés par la mesure.

Parfait Nikiema est dans la coiffure féminine. Il est aussi vendeur de mèches et de produits d’entretien de mèches. Connu sous le nom de « Parfait design », le coiffeur chouchou des femmes importe ses produits du Nigeria. « Le jour de la fermeture des frontière, j’étais au Nigeria », explique Parfait design. Il a fait ses achats avant de constater que les frontières étaient fermées.

Il avait appris que la fermeture n’était que pour un mois, mais quelle ne fut sa surprise de constater qu’après plus d’un mois, aucune perspective d’ouverture de ces frontières ne se profile à l’horizon. « Nous n’avons pas assez d’informations là-dessus », déplore le coiffeur. Ses colis sont toujours au Nigeria et il espère qu’une issue heureuse sera trouvée pour qu’il puisse récupérer sa marchandise. M. Nikiema la valeur de son colis estime à environ 4 millions de F CFA. Il déplore la pénurie de produits à laquelle il fait face et le manque de fonds pour aller vers d’autres cieux pour se procurer des produits ou tenter de se reconvertir dans la commercialisation d’autres produits.

« Imaginez toute la somme et l’effort que tu as déployé pour aller acheter des produits sans pouvoir les amener. Alors qu’il faudra vendre pour pouvoir repartir commander à nouveau, même si ça sera ailleurs », déplore Parfait. Il est surtout convaincu que si l’on permettait au moins aux camions qui , de sortir du Nigeria, cela règlerait la situation qui, à l’état actuel, pénalise beaucoup de personnes.

Il estime aussi que la mesure n’arrange pas les Nigérians eux-mêmes et que la fermeture aurait entraîné une légère hausse des prix au Burkina Faso. « Ce sont ceux qui ont des stocks qui vendent présentement et les produits qu’on pouvait obtenir au Nigéria se raréfient », confie-t-il. Et ce problème de flambée des prix ne peut pas s’arrêter, même si les camions arrivaient à sortir parce que le coût du transport sera plus élevé qu’auparavant. « Même si les marchandises arrivaient, il faudrait augmenter un peu les prix, ou accepter de vendre à perte, mais ce serait déjà un grand soulagement que de pouvoir récupérer sa marchandise », explique-t-il.

Parfait Nikiema était fréquent au Nigeria chaque mois et raconte que si les frontières ne sont pas rouvertes, les importateurs seront obligés de se rabattre sur d’autres destinations pour raviver leurs activités commerciales. « On ne peut pas s’asseoir ou baisser les bras sous prétexte qu’on a perdu des millions. Il faut toujours explorer toutes les pistes possibles », dit le coiffeur, convaincu que l’Etat burkinabè ne peut rien face à cette fermeture. « Nous ne pouvons que prier Dieu pour que ces frontières puissent s’ouvrir à nouveau », conclut-il.

Parfait Nikiema alias Parfait désign.

Awa Compaoré alias Tantie Awa est aussi commerçante de mèches à Nabiyaar. Elle se demande quelle est la portée de la mesure, puisque les Nigérians eux-mêmes en pâtissent. A l’intérieur, leurs produits sont de plus en plus chers, et le marché extérieur qu’ils avaient, ils l’ont perdu, explique-t-elle. Tantie Awa a lancé sa commande à l’aide de son courtier sans être au parfum de la fermeture des frontières. Comme la marchandise tardait à venir, elle a voulu lancer une deuxième commande parce qu’elle commençait à être à cours de marchandises. Et c’est là que son fournisseur lui a demandé si elle n’était pas au courant de la fermeture des frontières et lui a conseillé de prendre patience jusqu’à ce que la situation s’améliore, en déclarant ceci : « Si tu mises tout ton argent sur l’achat de marchandises ici et que les frontières ne s’ouvrent pas, les pertes seront énormes ».

Cherchant à comprendre si sa première commande viendrait, elle fut stupéfaite de savoir que ce serait peine perdue si les frontières ne sont pas rouvertes. Elle s’indigne du fait que son courtier, d’origine burkinabè, ne lui ait rien dit à propos de la fermeture et pleure aujourd’hui une somme des 5 millions de FCFA qu’elle a engagée à l’achat de cette marchandise. « J’avais une autre somme là-bas que mon fournisseur a accepté de me renvoyer pour que je puisse commander ailleurs », confie Tantie Awa, qui ajoute : « Si je ne l’avais pas obtenue, ce serait grave pour moi parce que nous travaillons avec des prêts de la banque. La banque ne comprendra pas quand tu lui diras que ton argent est resté à l’étranger ». En plus de lui renvoyer son argent, le contact de Tantie Awa l’a aidée à commander ses produits au Ghana.

En dehors du Nigeria, Awa peut avoir aussi ses produits au Ghana, mais la préférence pour le Nigeria est justifiée : « Au Nigéria, les produits sortent plus rapidement et ont une qualité supérieure aux produits ghanéens ». Selon elle, le Nigeria a toutes les qualités possibles et tous les modèles à prix abordable, ce qui n’est pas le cas au Ghana. Actuellement, elle avoue souffrir des conséquences du manque de ses produits parce que son marché a connu un recul lié à cela et beaucoup de gens sont dans la même situation.

Innocent Ouédraogo vend des articles de beauté, exclusivement venus du Nigeria. En dehors du Nigeria, il se ravitaille aussi au Ghana comme les deux précédents interlocuteurs, mais le Nigeria fait faire de bonnes affaires. Tout comme d’autres commerçants, il a aussi des articles bloqués au Nigeria et qu’il ne peut faire sortir à cause des frontières fermées. La valeur de ces articles avoisine 6 millions de F CFA, dit-il. « Si les frontières ne s’ouvrent pas, ce n’est vraiment pas bien pour nous », déplore M. Ouédraogo, qui estime que quels que soient les obstacles, un commerçant ne doit jamais se décourager, au risque de mourir de chagrin.

« Ce qui reste là-bas, c’est de l’argent emprunté à des banques qu’il va falloir rembourser et continuer à explorer d’autres pistes », se résout-il. Sur le marché, Innocent note que plusieurs produits ont commencé à manquer et si la situation perdure, l’effet se ressentirait non seulement chez eux les commerçants, mais aussi chez la population qui en fait la demande. Il confie ne plus pouvoir faire le volume des ventes journalières qu’il faisait avant. Des commerçants venaient de la campagne ou d’autres villes pour se ravitailler chez eux, mais tout cela s’est arrêté.

« Avant, même si tu n’avais pas un produit, tu pouvais prendre chez un autre commerçant pour ton client », dit-il. Innocent estime que ce sont ces grands commerçants qui peuvent être leur espoir parce qu’ils peuvent aller chercher les produits en Chine ou ailleurs et pallier, un tant soit peu, la pénurie. Il estime que les Burkinabè qui ont leurs marchandises bloquées au Nigeria dépassent un millier et que si toutes ces marchandises restent ou se détériorent, le pays aurait perdu des milliards dans cette affaire, d’où l’urgence de prospecter plusieurs pistes pour sauver la situation.

Au grand marché de Ouagadougou appelé Rood-Woko, nous nous sommes rendu chez les commerçantes nigérianes, particulièrement, pour nous enquérir de la manière dont elles vivent cette situation. Beaucoup d’entre elles n’ont pas de marchandises bloquées au Nigeria. Cependant, elles souffrent autant que les Burkinabè de la mesure.

Une d’entre elles est plus que convaincue qu’elle trouvera d’autres solutions si les frontières ne sont pas rouvertes. « Il y a des vêtements de jeunes que des gens commercialisent ici et qui ne viennent pas de chez nous. Donc je peux aussi en vendre. Les articles commercialisables qu’on peut trouver ailleurs qu’au Nigeria sont pleins », martèle cette dame qui, visiblement, est convaincue de ce qu’elle affirme. Vivant avec sa famille de six membres à Ouagadougou, elle confie ne pas savoir faire autre chose que le commerce. « C’est là où je peux réussir le mieux et c’est dans le commerce que je nourris ma petite famille », dit-elle.

Aïssata vend diverses marchandises importées aussi du Nigeria. Contrairement aux autres, c’est la boutique de son mari qu’elle gère, mais elle s’y connaît très bien. Elle avoue être en manque de produits du fait de la fermeture des frontières nigérianes. Elle souhaite de tout cœur une solution à l’amiable parce qu’elle sait les avantages que les produits nigérians offrent par rapport aux produits d’autres pays.

Pr Taladidia Thiombiano

« Une politique économique ne peut pas s’évaluer en quelques semaines »

Quelques semaines après la fermeture des frontières nigérianes, le président nigérian Muhammadu Buhari a salué les retombées de la mesure qu’il a jugée positive pour l’économie nigériane. C’était devant une délégation de l’association nigériane pour la Chambre de commerce, de l’industrie, des mines et de l’agriculture (NACCIMA), le 21 septembre 2019. Il a signalé que la contrebande et la contrefaçon ont diminué considérablement en volume dans la plupart des principaux marchés nigérians et que les industries nigérianes commençaient à profiter des fruits de cette mesure.

Cette position est battue en brèche par le professeur d’économie à la retraite, Taladidia Thiombiano. « Même lorsqu’une politique économique est bénéfique pour une nation, il est impossible d’évaluer l’impact de cette politique en quelques semaines de mise en œuvre. Il faudrait quelques mois, voire des années », enseigne Pr Thiombiano. Pour lui, la contrebande, la contrefaçon et la fraude sont les principales motivations de la fermeture des frontières du Nigeria. Et il admet qu’une économie a toujours le droit de se protéger.

Il estime aussi que le cas nigérian n’est pas une mesure définitive mais plutôt temporaire, le temps peut-être de prendre un certain nombre de mesures de contrôle pour contrecarrer la contrebande et la fraude. Il explique qu’au marché de Cotonou, à Lomé et même au Niger, les échanges entre le Naira et franc CFA ne suivent pas toujours la règle normale. Et c’est de la spéculation, dit-il, des méthodes qui peuvent plomber une économie. Il suffit qu’un individu produise le Naira en grande quantité pour faire échouer toutes les mesures de politique économique que le pays va adopter.

Cependant, Pr Taladidia Thiombiano estime que le problème est plutôt interne. « Il faut que le Nigeria lui-même prenne des mesures radicales pour discipliner la population à l’intérieur avant de pouvoir réussir ce pari », affirme-t-il. Sinon, poursuit-il, « vous punissez inutilement un pays voisin et même vos concitoyens en fermant les frontières, alors qu’à l’interne, il n’y a aucune mesure contre les trafics d’armes et de drogue ; le trafic d’essence et de tout ce qui peut être trafiqué continuent ».

Les produits visés ne sont pas fabriqués au Bénin ni au Niger, selon le professeur, mais dans des pays comme la Chine et l’Inde où la main-d’œuvre est à très bon marché et qui ont tous les moyens pour fabriquer tous les types de produits possibles. Et si dans un pays, des produits contrefaits concurrencent les industries internes, ces industries peuvent se retrouver en situation de faillite (le cas de plusieurs industries africaines), suscitant le chômage qui va entraîner d’autres crises telles que les crises sociales, économiques ou financières.

En tous les cas, selon Pr Thiombiano, dans les faits, ce n’est pas après trois semaines qu’on peut évaluer l’impact d’une politique économique. Il faudrait attendre, selon lui, trois à quatre mois après, pour le court terme, et une année et plus pour le moyen terme.

Pour le Burkina Faso, le professeur trouve que les conséquences sur l’économie sont fonction de la quantité des produits que le pays échange avec le Nigeria. C’est certain que les acteurs de certaines filières seront spécialement très affectés, ce qui appelle l’Etat burkinabè à faire un diagnostic clair sur les effets sur l’ économie. La fermeture des frontières du Nigeria n’a pas d’effets que sur le Nigeria et ses voisins immédiats, mais sur tous les pays de la sous-région, à cause de la taille de l’économie nigériane.

Les autorités burkinabè ne se sont pas encore exprimées sur la fermeture des frontières nigérianes.

Etienne Lankoandé
Lefaso.net

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