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Steen Sonne Andersen, ambassadeur du Danemark au Burkina : « J’insiste sur l’importance de la sauvegarde de la cohésion nationale »

Publié le mardi 24 septembre 2019 à 13h42min

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Steen Sonne Andersen, ambassadeur du Danemark au Burkina : « J’insiste sur l’importance de la sauvegarde de la cohésion nationale »

Dans une interview exclusive accordée à Lefaso.net, le 19 septembre 2019, l’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Royaume du Danemark au Burkina Faso, Steen Sonne Andersen, 49 ans, s’est exprimé sur l’agenda diplomatique de son pays, la situation sécuritaire et les perspectives de coopération bilatérale.

Lefaso.net : Quel est le regard du peuple danois vis-à-vis du Burkina Faso ?

Steen Sonne Andersen : (Sourire). Les Danois sont des amis du Burkina Faso, quand bien même nombreux ne connaissent pas le Burkina Faso. J’ai travaillé plus de 8 ans au Burkina Faso comme coopérant. Je vois que beaucoup de choses ont changé. Ensuite, je suis rentré au Danemark comme conseiller technique en éducation, et point focal du Service conseil technique du ministère danois des Affaires étrangères. J’ai beaucoup aimé le Burkina Faso, et je pense que les Danois qui connaissent le Burkina Faso l’apprécient positivement, du fait de ses réalités très intéressantes. Je suis content d’être ici.

Est-ce votre maîtrise de l’Afrique qui vous a valu cette nomination au Burkina Faso ?

Evidemment non. On ne peut pas dire qu’on connaît l’Afrique, parce qu’on a vécu en Afrique. Même après des missions, on ne peut pas dire qu’on connaît l’Afrique ; cela prend du temps. Même si je connais la région, on a toujours une connaissance un peu superficielle. Je connais le Kenya, la Tanzanie… Même si on sait que les cultures de l’Afrique de l’Ouest sont plus variées, il faut être diplomate. Mais j’ai vécu en Tanzanie, et je connais plusieurs pays africains.

Mais je pense que je suis ici parce que j’aime l’Afrique, et aussi pour continuer la politique de coopération du Danemark. Le Danemark a une vieille tradition de coopération internationale avec l’Afrique depuis plus de 50 ans. Au Burkina Faso, nous intervenons dans plusieurs domaines, notamment les secteurs sociaux.

A titre personnel, quand je parle de l’Afrique, dans mon pays ou ailleurs, je précise toujours qu’il n’y a pas que des images négatives en Afrique. Il faut travailler à présenter l’Afrique aussi sous ses aspects positifs, à savoir la croissance, le développement, les progrès qui ont été faits dans les domaines sociaux comme l’éducation, la santé, l’eau potable, etc.

Il faut savoir faire des nuances. Dans les médias, on ne voit que des conflits, des crises humanitaires, etc. Mais je pense qu’il ne faut pas oublier les aspects positifs qu’il y a, surtout si on prend la comparaison relative du Burkina Faso. Ces 40 dernières années, il y a de gros progrès, même s’il y a des défis dans la situation sécuritaire.

Quelles sont les lignes directrices de la diplomatie danoise dans le monde, en particulier en Afrique ?

Le Danemark a plus de 50 ans de la coopération internationale, surtout en Afrique. On a commencé en 1962 en Tanzanie avec des coopératives agricoles. Surtout par une école technique sur agriculture. Mais en matière de soft power, le Danemark est un petit pays de six millions d’habitants.

En matière de relation bilatérale, comme le Danemark est si petit, il n’y a jamais un soupçon de jeu politique. C’est vrai que le Danemark a des politiques sur la sécurité ; c’est clair, tous les pays en ont aussi. Dans le commerce, les opportunités, le Danemark en a aussi.

En résumé, en matière de politique étrangère, nous intervenons dans la sécurité, le développement international, le commerce. On parle aussi de diplomatie économique, mais il faut dire qu’au Burkina Faso, il n’y a pas beaucoup d’intérêts commerciaux pour le Danemark. L’intérêt est plutôt contre la pauvreté, et nous voulons appuyer le gouvernement dans la situation difficile du Sahel.

Quelles étaient vos attentes, en tant que nouvel ambassadeur ?

Je pense pouvoir travailler avec le gouvernement du Burkina Faso, en tant que bon partenaire. C’est vraiment mon mandant issu du gouvernement du Danemark et de la reine du Danemark, en tant qu’ambassadeur ici. Il s’agit de continuer les efforts, en tant que partenariat sérieux pour le gouvernement burkinabè et la population. C’est aussi travailler avec les autres organisations multilatérales et bilatérales.

Le Danemark fait partie de l’Union européenne, et nous voulons, aux côtés d’autres organisations, voir comment être efficace et appuyer les investissements, notamment les structures sociales et le secteur privé. Pour nous, la bonne gouvernance reste une priorité et nous y travaillions avec le gouvernement et la société civile qui est aussi dynamique. Au Burkina Faso, la société civile est spéciale et énergique. Ce qui est une bonne chose.

Le Sahel est une région dans laquelle le Danemark reste présent. Comment comptez-vous poursuivre vos actions dans cette insécurité ?

Comme le dit le président du Faso lors de notre rencontre et lors du sommet de la CEDEAO, les défis sont énormes au Sahel. Je suis tout à fait d’accord avec les conclusions de ce sommet qui disent qu’il faut stabiliser, qu’il faut investir dans la résilience des communautés et résister aux terroristes. C’est aussi ma mission de trouver les voies et moyens pour collaborer avec les associations locales et les communautés.

En tant qu’économiste, pensez-vous qu’il y a un lien entre la pauvreté des régions et les groupes djihadistes ?

Oui, sans doute, pour parler plus en économiste. Dans un contexte plus général, c’est sûr. J’ai fait plus de deux à trois ans de recherche sur les causes de conflits dans une organisation multilatérale. C’est sûr qu’ils sont liés. Selon les projections des Objectifs de développement durable (ODD), la plupart des zones à pauvreté extrême concentrées en Afrique dans le Sahel sont liées à la fragilité des pays qui sont en situation de conflit.

La causalité montre que les pays avec des conflits engendrent la pauvreté et vice-versa. Ces zones n’attirent pas des investissements et des entreprises privées. Il y a des risques ; je parle surtout du niveau plus global, mais aussi du Sahel. C’est aussi mon mandat, c’est-à-dire faire en sorte que les ressources utilisées au Burkina Faso par l’ambassade du Danemark soient utiles et efficaces.

Nous avons maintenant des programmes de coopération d’environ 100 milliards de francs CFA. Nous sommes en train de développer le projet-programme pour la période 2021-2025, pour illustrer que nous sommes ici comme un partenaire à long terme. Cela permettra la mise en œuvre et les modalités pour l’atteinte de l’objectif global de prévenir les conflits. C’est mon objectif le plus important.


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Il faut choisir des secteurs d’activités clés. Pour être plus spécifique, nous appuyons les secteurs de l’eau depuis une quarantaine d’années, la gouvernance, l’agriculture, le développement du secteur privé et la gestion financière. A l’avenir, nous allons continuer à appuyer le secteur de l’eau. Mais surtout en prenant en compte que cet investissement ne reste pas à Ouagadougou.

Nous comptons travailler avec les partenaires. Nous le faisons à travers les OSC (Organisations de la société civile) qui sont dynamiques. Nous allons travailler avec des OSC locales pour toucher plusieurs personnes, pas seulement dans les villes, mais aussi dans plusieurs localités éloignées. Nous avons déjà travaillé par le passé avec des OSC dont je salue le dynamisme.

Nous pensons qu’il faut investir dans le développement et dans des domaines sociaux. Dans une recherche à laquelle j’ai participé, il a été dit que la pauvreté peut avoir un impact sur les conflits, tout comme la dégradation de l’environnement. Il s’agit de faire la résilience c’est-à-dire passer par le développement local, la sauvegarde de l’environnement, etc. Dans la résolution de conflits, nous mettons l’accent sur le développement et la résilience environnement-communauté.

Les chefs d’Etat ont appelé la communauté internationale à soutenir les forces du G5 Sahel. Quelle sera votre part ?

En termes de politique étrangère, c’est le leadership du président Roch Marc Christian Kaboré qui est au-devant. On ne peut pas le nier, pour la réussite de ce sommet. C’est important que les gouvernements de la sous-région veuillent se coaliser pour travailler ensemble. Le message de ce sommet était aussi important. Le Danemark n’est pas une puissance militaire. C’est bien vrai qu’on appuie le Mali, un peu à travers une contribution plus directe à la MINUSMA. On peut s’engager plus sur le plan multilatéral, mais ce sont beaucoup plus les investissements de développement qui sont notre force.

Selon vous, qu’est-ce qu’il faut faire pour neutraliser le terrorisme ?

Cibler les terroristes de façon individuelle, nous ne pouvons pas ; mais on peut travailler ensemble sur le plan de la prévention des conflits. Disons que dans la région sahélienne, la croissance démographique est vraiment un défi, la démographie est un défi. La croissance de la population dans la région saharienne, c’est quand même quelque chose ; le changement climatique sont de nouveaux défis.

Il y a la désertification dans cette région, c’est important. Il y a des dynamiques de société et des mouvements djihadistes qui viennent des autres pays. Pour investir dans la prévention des conflits, il faut apprécier ces facteurs-là. On peut investir dans l’agriculture plus résiliente au changement climatique, à l’approvisionnement de l’eau, des dynamiques de bonne gouvernance et des contrats sociaux pour rassurer la population.

Pour l’humanitaire, la sécurité et la gestion des déplacés internes, quel est votre plan ?

Nous sommes les grands bailleurs humanitaires sur le plan international, à travers le monde. Nous soutenons de plus en plus en ressources le Sahel. Avant, c’était des soutiens à la sécurité alimentaire en Somalie, en Ethiopie, mais aussi au Sahel, etc.

On verse des ressources au PAM au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Par le passé, il n’y avait pas d’intervention humanitaire vers le Sahel ; mais à présent, oui. Il faut aussi accompagner des investissements dans le développement, c’est essentiel.

Pour la sécurité alimentaire, il faut avoir le développement, il faut avoir un bon mécanisme, il faut avoir les structures efficaces, et cela sur le long terme. Pour le Danemark, il est plus important d’avoir des investissements de long terme. A court terme, il faut aider les déplacés ; mais en général, les ressources relatives au besoin ne sont jamais suffisantes.

Vous qui êtes investis au Sahel, comment faire pour redonner vie à l’agriculture ?

Je ne suis pas expert dans l’agriculture résiliente. Mais je pense que les choses changent trop vite. Il faut des appuis de la part du gouvernement, des associations et des partenaires. Il faut changer les pratiques culturales et adopter des méthodes de culture qui s’adaptent au changement climatique. Il faut investir dans la production de ressources en eau et la promotion de la cohabitation agriculteurs-éleveurs. Avec le changement climatique rapide, il faut des ressources en eau ; il faut de l’eau dans toutes les communes. Il faut toujours faire pour changer positivement. Nous sommes prêts à accompagner tout projet en ce sens.

Plusieurs services sociaux sont fermés dans des régions sous menace sécuritaire. Comment comptez-vous aider le gouvernement ?

Je connais les défis et j’ai rencontré les ministres des Finances et de l’Education. Nous avons toujours été engagés dans les services sociaux à travers les OSC et le gouvernement. Nous sommes prêts à accompagner le gouvernement dans ce sens.

Concernant l’égalité des genres, la santé, les droits sexuels et reproductifs de la jeunesse, que comptez-vous faire ?

Sur la question des femmes, la promotion socioéconomique, c’est valorisant pour les sociétés, l’économie et les pays. Les analystes conseillent d’utiliser tout le potentiel des femmes. Il faut utiliser les potentialités des femmes dans le marché et dans les services.

La question des droits des femmes est une politique de mon pays, tout comme les gouvernements autoproclamés féministes, pour donner un message sur l’égalité entre les gens. Je pense qu’on a à gagner en allant dans ce sens. C’est une valeur et il faut qu’on entre dans le dialogue avec ces valeurs. Au Burkina Faso, si on arrive à un taux élevé d’achèvement de l’école secondaire des filles, on aura la santé de toute la société.

Sur la question de l’emploi, le manque d’emploi de jeunesse est très important en Afrique et même en Europe. La jeunesse qui travaille définit un nouveau contrat social. C’est ainsi qu’on investit dans l’agriculture pour amener la jeunesse à gagner de l’emploi.

A combien se chiffre le soutien du Danemark au PNDES ?

Le budget courant est estimé à 100 milliards pour soutenir le Burkina Faso.

2020 est une année électorale au Burkina Faso. Quelles seront les formes de soutien du Danemark au pays ?

Je ne peux pas décrire les activités spécifiques, parce qu’ils ne pas encore programmés. Nous avons une allocation de ressources pour appuyer le gouvernement. Nous sommes prêts à soutenir la bonne gouvernance.

Quel est votre dernier message ?

J’insiste sur l’importance de sauvegarder les institutions nationales, de garder la cohésion nationale. Le Burkina Faso est un pays de paix depuis des décennies. Il y a beaucoup de résilience dans les familles, dans les communautés. Il faut passer cette situation d’insécurité et il faut le faire ensemble. Je me réjouis de travailler au Burkina Faso encore pour quatre ans et de pouvoir percevoir des développements positifs en matière de sécurité, de paix, etc. J’aime bien le Burkina Faso, je suis heureux d’être ici, il y a de la bonne humeur ici.

Interview réalisée par Edouard Kamboissoa Samboé
Mariam Sagnon (stagiaire)

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