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Crise humanitaire au Burkina : « Les populations doivent rester dans des conditions très difficiles ou partir », Steven Anderson du CICR

Publié le vendredi 13 septembre 2019 à 17h24min

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Crise humanitaire au Burkina : « Les populations doivent rester dans des conditions très difficiles ou partir », Steven Anderson du CICR

Plus de 500 000 personnes privées de soins de santé en raison des attaques armées, 1,2 million de personnes en situation d’insécurité alimentaire, près de 300 000 déplacés internes. Voilà quelques chiffres de la situation humanitaire au Burkina. Plusieurs milliers de personnes, dans les zones rurales, vivent désormais entre le marteau des groupes armées et l’enclume des aléas naturels, sans oublier l’absence des services sociaux de base. Comment vivent ces personnes affectées par les violences ? Réponse avec Steven Anderson, coordinateur communication du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), dans l’interview qu’il nous a accordée.

Lefaso.net : Les services sociaux sont absents dans ces certaines zones du Burkina Faso à cause des attaques armées. Comment vivent les populations dans ces zones ?

Steven Anderson : C’est vrai que c’est une situation particulièrement difficile pour les populations dans ces zones-là. Elles se sentent menacées et ont des difficultés pour accéder aux services de santé, à l’eau, parfois à leurs champs. Donc, la situation pour ces personnes est extrêmement délicate dans pas mal de régions, notamment dans le Sahel, dans le Centre-Nord, dans l’Est aussi. Souvent, elles doivent prendre une décision et faire un choix extrêmement difficile entre rester dans ces conditions qui sont très difficiles, ou partir. Mais partir, ça veut dire qu’elles doivent laisser derrière elles pratiquement tout ce qu’elles ont, et finalement se remettre à l’assistance humanitaire, qu’elles auront ou pas.

Quelle est la région qui concentre le plus de besoins humanitaires ?

Il y a un grand centre avec beaucoup de personnes déplacées, c’est à Djibo dans la région du Sahel ; mais tout ça est évidemment évolutif. Il y a aussi la région du Centre-Nord. Il y a des personnes déplacées dans d’autres régions, notamment au Nord et à l’Est. La zone géographique a plutôt tendance à s’étendre au gré des tensions et conflits armés.

Des communautés et des familles accueillent des déplacés internes dans plusieurs zones. Bénéficient-elles de l’appui du CICR ?

D’une manière générale, quand il y a des déplacements de populations, des communautés hôtes reçoivent ces personnes. C’est souvent mieux que les personnes déplacées se retrouvent chez d’autres familles que de se retrouver dans les camps. Ça représente également un poids pour ces familles. S’il y a une aide qui est apportée, des vivres ou d’autres biens essentiels, il ne faut pas les oublier. Aujourd’hui, on parle de presque 300 000 déplacés dans tout le pays.

Mais les ressources qu’a une organisation comme le CICR ne lui permettent pas de couvrir un si grand nombre de personnes. Ce qu’on a pu faire comme assistance est essentiellement concentrée dans la région du Sahel, à Djibo, et une partie du Nord aussi, pour 22 000 personnes. C’est un chiffre qui est évidemment inférieur au total ; du coup, on doit être sélectif par rapport aux personnes qui bénéficient de cette aide.

Quel est le rapport entre le changement climatique et la crise humanitaire actuelle ?

Le choc climatique est exacerbé par les conséquences des violences armées. Il y a des problèmes liés à l’accès à l’eau, à l’accès aux champs ; l’eau se raréfie à cause de situations de sécheresse. Et, du coup, les tensions autour des ressources s’accentuent entre les communautés. La violence armée touche souvent les mêmes régions qui sont le plus impactées par les effets du changement climatique, notamment la région du Nord, du Sahel. Ces régions sont particulièrement touchées par les effets cumulés du changement climatique et des conflits armés.

« Plus de 500 000 personnes privées de soins en raison des attaques armées ». Comment en est-on arrivé là ?

Je pense que l’un des problèmes principaux, c’est la fermeture des centres de santé. Approximativement un demi-million de personnes sont privées de soins de santé. Ce chiffre est dû à l’évolution très rapide de la situation depuis le début de l’année. Quand je parle de fermeture de centres de santé, il y en avait dix qui étaient fermés ou qui fonctionnaient à minima en début d’année. Mais aujourd’hui, on parle de 125. Soixante ont fermé leurs portes et soixante-cinq ne sont plus que partiellement opérationnels.

Comme ces centres de santé ne fonctionnent plus comme il se devrait, du fait que les agents de santé sont partis, on se retrouve dans une situation avec beaucoup de personnes qui n’ont plus accès aux soins de santé. Pourtant les femmes enceintes ont besoin d’accoucher dans des conditions décentes, des personnes âgées ont besoin de traitement.

Que faites-vous dans les zones qui n’ont plus de professionnels de la santé ?

C’est souvent plus difficile d’accéder à ces zones. Donc nous apportons un appui aux centres de santé qui accueillent les patients des localités dont les structures de santé ne fonctionnent plus. Mais on doit avoir des contacts avec des personnes qui peuvent nous donner l’état des lieux des zones, notamment les représentants des communautés, ce qui va nous permettre, si les conditions de sécurité le permettent de nouveau, de fournir l’assistance dans ces régions-là. C’est le rôle d’une organisation comme le CICR d’avoir accès aux zones qui sont dénuées des services sociaux.

Notre mandat, notre rôle, c’est de pouvoir aller partout où il y a des besoins humanitaires. C’est pourquoi c’est important que les gens comprennent notre rôle qui est un rôle strictement impartial, neutre et indépendant. Je souligne aussi que notre travail se fait conjointement avec la Croix-Rouge burkinabè, et ça c’est un gros avantage, parce que la Croix-Rouge burkinabè est très bien ancrée dans les communautés. Donc, ce partenariat avec eux est un grand avantage, pour pouvoir accéder à un maximum de personnes dans le besoin.

Quelles sont les stratégies du CICR pour répondre aux besoins humanitaires ?

L’une des stratégies, c’est évidemment la distribution de vivres. Mais on essaie aussi de faire de telle sorte que les populations puissent avoir de nouveau leurs moyens de subsistance. Il y a d’autres stratégies, notamment pour les populations nomades, qui consistent à vacciner le bétail. C’est quelque chose qui est extrêmement important. On l’a fait en début d’année. On a vacciné 70 000 têtes de bétail, mais c’est prévu qu’on le fasse de nouveau dans le Sahel, avant la fin de l’année. Là, on parle de 300 000 à 400 000 têtes de bétail. C’est essentiel pour ces communautés-là, étant donné que c’est leur principal moyen de subsistance.

Le CICR indique avoir distribué des vivres à 22 000 déplacés et fourni une aide médicale à 21 000 personnes au premier semestre de 2019. Comment agissez-vous sur le terrain, malgré les différentes attaques ?

Sur le terrain, nous devons, autant que possible, avoir de bonnes conditions de sécurité. Nous devons chercher à avoir des garanties de sécurité. La sécurité est un élément que nous prenons très au sérieux, sachant que s’il devrait y avoir un incident de sécurité, ça remettrait en question une partie du travail.

Quel est le degré de coordination entre le CICR et les autres organismes impliqués dans l’humanitaire ?

C’est un degré de coordination qui est important et nécessaire. Je mentionnais la Croix-Rouge burkinabè qui est un partenaire privilégié. On travaille conjointement avec d’autres organisations du Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.

Mais il y aussi d’autres organisations humanitaires internationales telles que les agences onusiennes, le HCR l’UNICEF, ou des ONG internationales avec lesquelles nous coordonnons les activités. Etant donné que c’est difficile pour une seule organisation d’avoir suffisamment de moyens pour pouvoir couvrir tous les besoins dans le pays, c’est important aussi d’avoir une bonne coordination par zone. Cela permet à une de couvrir une certaine zone et à l’autre, d’autres zones.

Au regard de la situation humanitaire actuelle, avez-vous des craintes pour l’avenir ?

Je pense qu’il y a des préoccupations. Ce qui est extrêmement notable, c’est la spirale de violence avec la dégradation de la situation humanitaire. Elle s’est surtout dégradée dans ces derniers mois. On n’a pas de boule de cristal, mais on espère que la situation va s’améliorer dans les mois qui viennent. Mais les nouvelles ne sont pas encourageantes dans ce sens. C’est pourquoi nous avons tiré la sonnette d’alarme. Il existe un soutien au niveau politique, mais c’est aussi important qu’il y ait un soutien plus important au niveau humanitaire.

« À cause de la violence, l’accès aux soins de santé est devenu une gageure dans certaines régions du Burkina Faso », a déclaré le président du CICR, Peter Maurer. Doit-on comprendre qu’il s’agit d’une sonnette d’alarme pour mobiliser la communauté internationale ?

C’est un élément, mais ce n’est pas le seul, Effectivement, le président Maurer a mis l’accent sur la question de l’accès aux soins de santé. Ce qui est une question qui n’avait jusqu’à présent pas eu, me semble-t-il, beaucoup de couverture médiatique. Il nous a semblé utile de pouvoir saisir l’opportunité de la visite du président pour mettre cette thématique à l’agenda. Mais ça ne veut pas dire que c’est le seul problème humanitaire.

Il y a aussi la sécurité alimentaire, le changement climatique et l’accès à l’eau. Il est aussi important de rappeler que c’est le travail du CICR de faire la promotion des règles qui sont applicables en situation de violence. C’est une promotion qu’on fait auprès de tous les porteurs d’armes. Il y a également la visite aux personnes qui sont détenues dans le cadre cette situation, et le rétablissement du contact familial entre des proches dispersés par les violences.

Quel votre message à l’endroit des hommes de médias et de toute la communauté burkinabè ?

Aux hommes de médias, c’est un message de partenariat. Nous avons la responsabilité conjointe de partager les préoccupations humanitaires. Je crois que c’est important que la population en général connaisse l’utilité du CICR et sa manière de travailler.

A l’endroit des porteurs d’armes ?

C’est un appel à ce qu’ils respectent le droit international humanitaire et qu’ils nous permettent de jouer notre rôle, dans l’impartialité et la neutralité.

Interview réalisée par
Edouard Kamboissoa Samboé
Lefaso.net

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