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Situation alimentaire : Pourquoi le Burkina Faso n’est pas en situation de crise ?

Publié le mercredi 24 août 2005 à 07h13min

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En dépit de la sécheresse et de l’invasion acridienne qui ont prévalu localement, la campagne agricole 2004/2005 au Burkina Faso a été déclarée excédentaire pour les céréales (de 435 014 tonnes). Cet excédent est en diminution de 1,4% sur la moyenne des 5 dernières années. Les rapports citent souvent qu’il est en baisse de 18% par rapport à l’année dernière, toutefois, cette comparaison est inappropriée (voir le point suivant).

La campagne agricole 2003/2004 au Burkina était une année de production record avec un excédent céréalier de 996 736 tonnes et qui a permis aux ménages et aux commerçants de constituer des reports de stocks sur la campagne 2004/2005 (observation confirmée par la mission conjointe de juin).

Outre les céréales, toujours en 2003/2004, la récolte record de coton (culture de rente) avec 535 367 tonnes produites ajoutée à celle des autres cultures vivrières (694 329 tonnes d’arachides, de haricots et de tubercules) et aux productions animales a constitué une source significative de revenu pour les familles.

Dès novembre 2004, le gouvernement et ses partenaires (notamment le PAM, la Croix-Rouge, CRS/CATHWELL, PDL/Oudalan, et d’autres programmes locaux de développement) ont débuté la mise en œuvre de mesures d’urgence. Ces mesures comprennent les ventes de céréales à prix social, l’approvisionnement de banques de céréale et la distribution de semences couplée à l’aide alimentaire dans une stratégie de "protection des semences". Plus de 24 000 tonnes auront été distribuées entre janvier et septembre, dont 19 500 tonnes entre juin et septembre (période de soudure).

Dans les zones affectées, accompagnant les actions du gouvernement, des organisations telles que le PAM, CRS/CATHWELL et AFRICARE ... ont également intensifié leurs programmes réguliers de développement s’appuyant sur les distributions d’aide alimentaire (alimentation scolaire, complémentation nutritionnelle, etc.). Plus de 9 000 tonnes auront été distribuées entre janvier et septembre.

Au total, 33 000 tonnes seront distribuées jusqu’à la prochaine récolte.

L’aide alimentaire disponible a globalement été ciblée vers les zones identifiées par l’évaluation CILSS/FAO/FEWSNET/PAM en octobre 2004 (12 provinces) et plus particulièrement les 7 provinces identifiées par les évaluations ultérieures en février, avril et juin comme étant les plus affectées (84% du total des distributions de vivres relatives à l’urgence).

Quelle est la situation au Burkina Faso

D’après les évaluations mentionnées ci-dessus (novembre, février, avril et juin), il existe des difficultés alimentaires associées à la fois à la disponibilité et à l’accessibilité aux aliments dans les zones les plus affectées (7 provinces).

Dans les départements les plus affectés de ces provinces, l’augmentation remarquée du prix des céréales et la diminution sensible du prix du bétail ont provoqué la réduction des termes d’échange. Par exemple en mi-juin, dans la province du Bam, 10 chèvres étaient nécessaires pour acheter 100 kg de mil tandis que trois mois plus tôt, le même sac pouvait être acheté avec 4 chèvres. Les termes de l’échange habituels dans ces zones pour le mois de juillet sont de 2 chèvres pour 100 kg de mil.

L’augmentation des prix des céréales pourrait avoir plusieurs causes : la baisse de production de la campagne passée suite à l’arrêt précoce des pluies et l’invasion acridienne, la sortie des céréales en direction des pays voisins et surtout côtiers où les prix sont restés élevés cette année, et la rétention des stocks par certains acteurs céréaliers.

Les prix du mil et du sorgho dans les zones affectées sont, comparativement aux 5 dernières années à la même époque, environ deux fois supérieurs. Toutefois, les prix du maïs ont commencé à décliner à partir de fin juillet, suivant les tendances saisonnières normales. Dans la partie nord du pays, la baisse des prix s’explique également par les ventes subventionnées, les aides alimentaires organisées par l’état et les partenaires, et les bonnes perspectives de la campagne agricole actuelle. Les prix du mil et du sorgho ne commencent pas habituellement à décliner avant août. Les prix atteindront leur niveau le plus faible après récolte en novembre et décembre.

La migration des familles et des animaux des zones affectées a commencé plus tôt que d’habitude (il s’agit de ménages agropastoraux et pastoraux) ; toutefois depuis que la saison pluvieuse s’est installée en juin, les autorités locales ont indiqué le retour des ménages concernés.

L’enquête ménage réalisée durant la mission conjointe de juin 2005 a mis en évidence un groupe de ménages consommant des céréales seulement une fois par jour, et des protéines animales, matières grasses/sucres seulement une fois tous les deux jours. Ces ménages dépendent fortement des marchés pour l’achat de céréales (Oudalan, Séno). Néanmoins, même dans les provinces les plus affectées il reste encore des ménages qui consomment toujours des céréales deux fois par jour, et dont la source est en grande partie leur propre production (Bam, Yatenga, Zondoma, Lorum) et des protéines animales et des matières grasses/sucres une fois tous les deux jours.

Par conséquent, au regard des points exposés plus haut, et conformément aux définitions de la sécurité alimentaire et des crises de sécurité alimentaire établies par le PNOCSUR (Plan National d’Organisation et de Coordination des Secours d’Urgence et de Réhabilitation), et étant donné que la campagne agricole était excédentaire, le gouvernement du Burkina Faso n’a pas déclaré un état d’urgence alimentaire mais a initié des distributions et des ventes à prix social dans les zones affectées tout en demandant à ses partenaires d’intensifier leurs programmes de développement.

Les estimations des besoins au Burkina Faso

Les évaluations citées précédemment n’avaient pas pour vocation d’établir une estimation des besoins. La seule étude ayant mis en évidence une population affectée (et pas nécessairement une population dans le besoin) a été faite par ladDirection générale des prévisions et statistiques agricoles (DGPSA) en novembre 2004 en réponse à l’invasion acridienne. Cette enquête a été menée dans les 8 provinces où les criquets ont été aperçus et montré que 491 056 personnes ont été affectées avec une perte totale de production estimée à 64 517 tonnes (soit 59 982 tonnes de céréales et 4 535 tonnes de niébé). Tandis que la région touchée par les criquets est une zone de déficit alimentaire chronique, aux populations en grande partie agropastorales et pastorales, cette perte correspond à une réduction atteignant 85% de la production moyenne des 5 dernières années. Selon l’étude VAM, l’agriculture compte pour 36% des revenus familiaux dans cette zone.

La mission conjointe menée en juin, a interviewé 94 ménages représentant 1 566 personnes. Cette enquête a indiqué qu’approximativement 48% des ménages souffraient d’un déficit alimentaire d’au moins 25% (par rapport à la norme de 2 100 Kcal) et que ces ménages se trouvaient en grande partie dans la région du Sahel et la province du Lorum dans la région du Nord. Toutefois, ce chiffre devrait être utilisé avec beaucoup de précautions puisque l’échantillon de l’enquête n’était ni représentatif ni aléatoire. Ce ne sont pas des chiffres officiels, et ils ne permettent pas de faire des extrapolations.

La malnutrition au Burkina Faso ?

Entre 1993 et 2003, les taux des enfants burkinabé souffrant de malnutrition aiguë et de malnutrition chronique sont passés respectivement de 13,3% à 18,3%, et de 29,4% à 38,7%. Pour ce qui est de la malnutrition aiguë, l’augmentation est probablement due au fait que les enquêtes ont été réalisées à différentes époques (après la récolte et en période de soudure), ce qui n’explique toutefois pas l’augmentation du taux de malnutrition chronique.

En même temps, la production agricole a également augmenté suivant un taux moyen de 6% par an (à un taux deux fois plus élevé que la croissance démographique). En réponse à cette situation apparemment contradictoire, la Banque mondiale, le PAM, l’UNICEF et l’IRD (l’Institut pour la Recherche et le Développement) sont en train de conduire une méta analyse des données disponibles afin de rechercher quels sont les facteurs corrélés à la malnutrition. L’analyse préliminaire des données disponibles n’indique pas que la diète est la cause primaire de la malnutrition, mais qu’elle est plus fortement liée a) à l’éducation des mères, b) aux mauvaises pratiques de sevrage, c) à un état de santé précaire des enfants, spécifiquement à la fréquence des fièvres (paludisme) et/ou des diarrhées dans les 2 semaines précédant l’enquête, et en lien avec ce dernier point, d) au manque d’accès à l’eau potable.

Y a-t-il eu une augmentation de la malnutrition et/ou de la mortalité due à la crise alimentaire ?

Au Burkina Faso, l’augmentation de la malnutrition des enfants pendant la période de soudure est prévisible. Cela est dû à un certain nombre de facteurs, non seulement la faible disponibilité de nourriture, mais aussi l’augmentation de maladies des voies respiratoires et diarrhéiques liées à la saison pluvieuse ainsi que l’accroissement des besoins alimentaires pour les travaux champêtres. Les enquêtes comparatives menées au Burkina Faso en 1993, 1998 et 2003 montrent que le taux de malnutrition aiguë (rapport poids/taille) peut varier de 13% en décembre après récolte, à 19% en juillet pendant la période de soudure.

L’enquête nutritionnelle la plus récente, conduite en novembre 2004 par la DGPSA, est basée sur la mesure du périmètre brachial. Ces résultats doivent eux aussi être utilisés avec précaution, car ils indiquent des tendances et non des taux absolus de malnutrition. A cette période, les taux de malnutrition dans les zones affectées étaient considérés comme modérément élevés et n’ont pas changé significativement jusqu’à juillet 2005. Il est important de noter que le mois de juillet en pleine période de soudure est considéré comme le mois où les taux de malnutrition devraient être les plus élevés, et novembre, après récolte, le mois où les taux devraient être à leur niveau le plus bas. Cette étude concluait que le statut nutritionnel n’est pas directement corrélé avec la production alimentaire.

En juin 2005, le PAM a compilé les taux de fréquentation des centres de santé dans les zones vulnérables, les a comparés avec les taux observés à la même période au cours des trois années précédentes. Une hausse très localisée des taux de malnutrition a ainsi été mise en évidence sur 29 centres de la région du Sahel, 8 ont enregistré des taux plus élevés de fréquentation d’enfants malnutris (rapport poids/âge), avec 30% à 90% d’augmentation) : 7 d’entre eux sont situés dans l’Oudalan, la province considérée comme la plus affectée (frontalière avec le Niger et le Mali).

La mission conjointe de juin 2005 a permis d’identifier un taux de malnutrition d’environ 17%, à partir de la mesure du périmètre brachial de 161 enfants comparable au taux de malnutrition observé dans ces zones en année "normale". Les entretiens avec 94 ménages représentant l’approximativement 1 566 personnes n’ont pas révélé d’augmentation de la mortalité (moins de 0,5 décès/10 000 personnes/jour). Encore une fois, ces chiffres doivent être utilisés avec précaution dans la mesure où l’échantillon d’enquête n’était ni représentatif ni aléatoire.

Le PAM, l’UNICEF et HKI (Hellen Keller International) prévoient de mener une enquête anthropométrique de nutrition en août dans les zones vulnérables. Les résultats qui seront publiés en septembre, seront comparés à ceux de l’enquête de juillet 2005 basée sur le périmètre brachial. Ces deux enquêtes devraient fournir des informations sur les valeurs absolues de la malnutrition et de la mortalité, et des tendances depuis novembre dernier .

Le phénomène de malnutrition est réel et reste une préoccupation dans toutes les régions indépendamment de la période d’évaluation (en période de soudure ou après la récolte).

Certaines régions sont plus affectées que d’autres mais les analyses des données n’établissent pas de lien direct entre le niveau de la production agricole et le taux de malnutrition au niveau régional. En fait, la plus forte prévalence de malnutrition a été observée dans les régions qui ont présenté les meilleurs taux de couverture des besoins alimentaires durant les dernières campagnes agricoles (à travers la production locale). L’aide alimentaire ne peut qu’être un complément d’une approche plus globale pour résoudre le problème d’insécurité alimentaire et de malnutrition au Burkina Faso.

D’après les indicateurs cités plus haut, si les ménages des zones affectées ont malgré tout réussi à faire face, c’est au prix de migrations et de décapitalisations, surtout dans les zones pastorales et agropastorales.

La situation alimentaire courante s’améliore toutefois sensiblement. L’amélioration des pâturages entraîne une reprise de la production animale dans les zones affectées la campagne agricole présente une bonne physionomie, et les nouveaux produits commencent à arriver sur les marchés : maïs frais, mil hâtif, tubercules, arachides et feuilles de niébé. Les bonnes perspectives de la campagne ont suscité la libération des stocks paysans et commerçants, et les prix des céréales ont amorcé une baisse sensible sur la plupart des marchés céréaliers.

Malgré ces bonnes perspectives alimentaires, la vigilance reste de mise jusqu’à l’accomplissement de la prochaine récolte. Les interventions ciblées en faveur des groupes les plus affectés dans les zones d’intervention demeurent donc toujours justifiées.

Ouagadougou, le 11/08/2005

Sidwaya

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