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Issa Sanou, danseur contemporain : « Au départ, ce n’était pas une vocation »

Publié le mardi 20 août 2019 à 15h00min

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Issa Sanou, danseur contemporain : « Au départ, ce n’était pas une vocation »

Il est Burkinabè mais réside en France. Il est artiste danseur et chorégraphe. Issa Sanou, puisqu’il s’agit de lui, est le directeur artistique de la Compagnie Sanou-Ka-Sanu. Il est également le porteur d’un projet qui s’intitule « Vacances artistiques professionnelles pour ados et jeunes (VAPAJ) ». Dans cette interview qu’il nous a accordée le vendredi 16 août 2019, le danseur comptemporain nous parle de son métier et de ses projets.

Lefaso.net : Veuillez vous présenter à nos lecteurs

Issa Sanou : Je suis Issa Sanou, artiste chorégraphe, danseur et acrobate. Je fais de la danse contemporaine tout comme je fais de la danse traditionnelle. Je suis danseur des compagnies Herve-Koubi et de « Faso danse théâtre ». Je suis aussi chorégraphe et directeur artistique de la compagnie Sanou-Ka-Sanu. Je suis également le directeur des Vacances artistiques professionnelles pour ado et jeunes (VAPAJ). Je réside en France depuis près de 10 ans. Les compagnies avec lesquelles je travaille sont toutes presqu’à l’extérieur du pays. La compagnie Faso Danse Théâtre a un pied au Burkina et un pied en Europe. La compagnie Hervé-Koubi est vraiment basée en France.

Depuis combien de temps pratiquez-vous la danse ?

Je suis danseur ça fait un peu longtemps. Je dirais que professionnellement, cela fait plus de 10 ans. Il y a plein de trucs dans la danse. Avant d’être danseur contemporain, je suis danseur traditionnel.

Quelle est la différence entre la danse contemporaine et la danse traditionnelle ?

La danse contemporaine est une danse qui s’inspire d’un autre style. C’est une danse de création. La danse contemporaine, c’est une danse actuelle. Pourtant, les danses traditionnelles sont de nos terroirs. Ce sont des danses qui viennent de chez nous. Ce sont les danses qui existaient bien avant. Mais on peut s’inspirer de la danse traditionnelle pour faire un spectacle de danse contemporaine.

Vous avez parlé des VAPAJ dans votre présentation ; qu’est-ce que les VAPAJ ?

Les Vacances artistiques professionnelles pour ados et jeunes (VAPAJ) est un projet de formation et de création artistiques et culturelles qui se déroule chaque été à Bobo-Dioulasso. VAPAJ est une session de formation et de création qui dure un mois. Il est composé de deux semaines de formation, deux semaines de création. C’est un projet qui est nécessaire pour notre pays. C’est un projet d’échanges culturels, de rencontre, de création d’emplois. Il y a plein de choses qui se trouvent dans ce projet. Cette année, c’était la 4e édition.

Vous dansez en solo ou avec d’autres personnes ?

Je ne danse pas vraiment en solo. Mais, j’ai commencé mon propre spectacle avec un solo. Il s’intitule « Baara ». Sinon je ne danse pas toujours en solo. Avant ma création, j’ai travaillé avec les gens, avec des compagnies. Même après ma propre création, je continue de travailler avec les gens. Le dernier spectacle que j’ai fait, c’est « Kirina », avec la compagnie Faso Danse Théâtre. On a même joué aux Recréâtrales ici. C’est un spectacle qui tourne un peu dans le monde. Avec la compagnie Herve-Koubi, j’ai fait pas mal de spectacles, notamment « Ce que le jour doit à la nuit », et « Les nuits barbares » qui est le dernier spectacle dans lequel j’ai dansé avec Hervé-Koubi.

Vous avez combien de créations aujourd’hui ?

J’ai créé jusque-là un spectacle qui s’intitule « Baara ».

Avez-vous déjà gagné des prix au cours de votre carrière ?

Oui, j’ai déjà gagné plusieurs prix au cours de ma carrière. J’ai gagné deux fois de suite le 2e prix en Ballet moderne au Festival des arts et du spectacle au secondaire (2006 et 2007) ; en 2007 encore, j’ai gagné le 1er prix en poésie au même festival. En 2008, j’ai gagné le 2e prix en création chorégraphique à la Semaine nationale de la culture.

J’ai aussi gagné, la même année, le 1er prix en faits historiques au Festival des arts et de la culture (Burkina Faso), ainsi que le 1er prix en poésie au Salon international du livre et de la littérature orale. En 2009, j’ai eu le 2e prix en poésie à Talents de jeunes du RAJS. En 2010, c’était le 1er prix au Festival international de danse contemporaine d’Alger. J’ai eu en 2011 le prix d’honneur au Festival de danse contemporaine de Ramallah. Enfin, en 2015, j’ai eu le premier prix au concours chorégraphique « Simply the Best » avec mon spectacle « Baara ».

Parlez-nous de votre spectacle « Baara » …

Baara est l’intitulé d’un spectacle que j’ai créé. Baara veut dire le travail. C’est un cri de révolte, qui revendique la place que la danse, et l’art en général, mérite. Je le danse en solo, parce que ça parle un peu de ma vie, de ce que j’ai vécu, de mes périodes de début. Ça parle des difficultés que j’ai traversées au cours de ma vie avant d’être là où je suis aujourd’hui.

Ce sont des choses que j’ai entendues qui m’ont fait mal. Comme c’est moi qui les ai vécues, c’est pour cela que je l’ai voulu en solo. Ce sont des choses telles que les mépris que les gens avaient envers moi, envers le métier que j’exerce qui est la danse. Par exemple, une fois j’ai demandé aux amis du quartier de venir voir mon spectacle, parce que je jouais à l’Institut français (à l’époque, c’était le Centre culturel français à Bobo). Ils m’ont dit : « On n’est pas allé regarder le concert de Molare, ce n’est pas toi on va regarder. »

Là, ça fait mal, ça veut dire que s’ils ne sont pas allés regarder Molare, lui qui jette de l’argent, ce n’est pas un moins que rien comme moi qu’ils vont aller regarder. Ça m’a blessé. Donc, je me suis dit que s’ils pensent que la danse n’est pas un métier, et que je ne suis qu’un moins que rien, je vais leur prouver en retour que je vaux quelque chose. Donc c’est là j’ai pris l’initiative de créer le spectacle « Baara ».

A présent, qu’en est-il du jugement des gens par rapport à ce que vous faites ?

C’est vraiment difficile. Quand tu es au début, tu n’as rien. Déjà, tu dépends de quelqu’un. Souvent tu te lèves, tu ne sais pas comment tu vas manger. Donc quand les gens voient tout cela, ils voient que tu perds ton temps pour rien. Alors que quand tu as des entrées, des revenus, et que tu fais de merveilleuses choses dans le pays et à l’étranger, les gens commencent à te considérer, à te respecter.

Aujourd’hui, les gens me respectent, m’encouragent et sont avec moi. C’est mieux aujourd’hui qu’avant. Actuellement, il y a un autre regard. Je suis perçu un peu comme celui qui a réussi, même si pour moi je ne suis pas encore arrivé, car il y a plein d’étapes à franchir, il y a plein de choses à faire. Aujourd’hui, je le vis facilement. Je n’ai pas baissé les bras. J’ai continué malgré leur mépris, malgré leur jugement. Je suis allé de l’avant. Je me suis forgé. J’ai appris beaucoup de choses et j’ai appris aussi à garder la tête sur les épaules. J’ai eu la chance d’intégrer de grandes compagnies qui m’ont fait tourner un peu partout dans le monde. Quand on voit cela, on ne peut pas juger négativement le métier.

A peu près 15 ans de carrière, d’où vient votre amour pour la danse ?

Je ne dirais pas que j’ai choisi d’être danseur, même si on dit souvent qu’on choisit son métier. Je dirais que je suis tombé dedans. Au départ, ce n’était pas une vocation. Ça m’est tombé dessus ; et du coup, au fil des années, au fur et à mesure que je me forme et que j’apprends des choses, j’ai commencé à m’attacher à la chose, à prendre la chose au sérieux. A cela aussi s’ajoute cette sensation que j’ai quand je suis en spectacle.

Quand je danse, je n’ai pas de souci, je suis dans un autre monde. Quels que soit les problèmes spécifiques, quand je danse, j’oublie tout. Je danse dans le vide. Il n’y a pas de problème. Je voyage dans l’imaginaire, et ça ne m’apporte que du bonheur. Et en dansant, en faisant des spectacles, on partage ce bonheur avec le public. Donc c’est ça qui fait que j’arrive à tenir. Je suis passionné de ce métier qui est la danse.

En dehors des jugements des gens, quelles autres difficultés rencontrez-vous dans l’exercice de votre métier ?

C’est vrai qu’on vit à l’étranger, mais on pense toujours à notre pays. On veut créer des projets de développement dans notre chère patrie. Mais au Burkina ici, quand on amène des projets à réaliser, on n’est pas vraiment entendu par les autorités. On n’est pas soutenu par les autorités. Donc, ça fait que pour mettre en place un projet, c’est difficile. Je prends l’exemple sur VAPAJ qui est un projet de développement, qui est bien pour la population et pour le pays, que ça soit économiquement ou socialement.

Il est à sa 4e édition, le ministère de la Culture, qui est censé être l’acteur principal, le partenaire principal de ce projet, ne prend pas la peine d’étudier le dossier. Ce sont des problèmes vraiment qui nous bloquent, qui nous empêchent d’avancer. Si on n’a pas le courage et d’autres soutiens, et qu’on enlève toujours l’argent dans sa propre poche pour réaliser les projets, à un certain moment, il n’y aura plus d’argent dans la poche et il n’y aura plus la force, que ça soit physique ou mentale, de continuer les projets.

Outre votre projet de création, avez -vous d’autres projets ?

Je viens de finir, en juin, un projet de création avec des enfants en situation de handicap. Des enfants handicapés moteurs, qui sont en fauteuil roulant, j’essaie de les amener à danser même si le corps ne bouge pas. Souvent, ce sont les yeux qui bougent. Là je viens de finir avec VAPAJ. Il faut que je me ressaisisse et que je prenne les choses en main.

J’ai d’autres projets à venir, pour l’année prochaine. Je ne vais plus me baser sur les projets d’éducation artistique et culturelle dans le milieu scolaire. J’ai un autre projet en vue avec des amis, l’un comédien et l’autre musicien. C’est une autre création qui est en train de s’écrire. Ce n’est pas encore tout à fait coordonné mais je pense que d’ici-là, on va essayer de mettre quelque chose en place pour pouvoir y arriver. Ça sera un projet avec plus de texte.

J’ai aussi un autre projet qui s’intitule « Mousow Anw Dambé » (la femme notre dignité). Ce spectacle est en cours et c’est un spectacle qui rend hommage à la femme. Pour moi, la femme est le centre de l’univers. La femme, elle est tout, elle est là. Déjà dans la journée, à la maison, s’il n’y a pas la femme, il y a beaucoup de problèmes. La femme, c’est elle qui se lève tôt, c’est elle qui se couche tard. Elle est la source de toutes les solutions, elle résout tous les problèmes de la famille, des enfants, même du chef de famille. Pour moi, la femme, c’est elle le chef de famille et non l’homme. C’est pour valoriser la femme sur un plateau d’or. C’est ça un peu l’idée de ma prochaine création qui est en cours.

Vivez-vous de votre art ?

Oui, je n’ai pas un autre métier à part ça. C’est avec ça que je paie mes factures, que je paie mon loyer. C’est avec ça que je viens au Burkina pendant les vacances, et je réalise mes projets. Je n’ai pas un autre métier à côté. Même si je sais faire plein de choses, mais depuis près de 10 ans, c’est ce que je fais comme métier. C’est là ma source de revenu. Je vis pleinement de mon art.

Quelles sont vos relations avec les autres artistes danseurs ?

J’ai une bonne relation avec les autres artistes, que ça soit avec mes collaborateurs ou les autres. J’ai de bonnes relations. Ce qui fait que quand j’organise mes projets comme VAPAJ, il y a mes autres collaborateurs qui viennent me soutenir. Il y a notamment le chorégraphe Hervé Koubi, il y a Serge Aimé, il y a Ahmed Sora, il y a Jean Robert Kiki et autres. Tous ces danseurs, ce sont des gens qui me soutiennent dans mes projets. Si le courant ne passait pas, si la relation n’était pas bonne, je pense qu’ils n’allaient jamais décider de me soutenir. Il y a aussi mes aînés, sans oublier les artistes de ma génération et les petits-frères qui sont aussi là.

Si vous étiez aujourd’hui en face du ministre de la Culture, que lui diriez-vous ?

Je dirai au ministre simplement d’essayer de détendre l’atmosphère et d’essayer d’écouter les artistes et de regarder leurs projets, les analyser, pas seulement de rester au bureau. Je pense qu’il le fait, mais après il y a certaines choses aussi qui se bloquent au niveau du service. Il y a plein de beaux projets qui passent inaperçus, plein de dossiers qui restent en suspension au niveau du ministère, et plein d’accords qui sont donnés mais non honorés.

Même pour avoir un rendez-vous avec le ministre, c’est compliqué. Moi-même par exemple, ça fait quatre ans que j’organise VAPAJ, mais ça fait presque deux ans que j’essaie d’avoir une audience avec le ministre, mais impossible. Jusqu’à là où je vous parle, c’est impossible. J’ai tout tenté, je suis allé plusieurs fois là-bas, remplir les formulaires. S’il ne donne pas l’accès aux artistes de venir le voir, de venir échanger avec lui, comment il va connaître leurs soucis ? Comment il va savoir qui a de beaux projets, qui a quoi dans la tête ? Il faut ouvrir les portes pour entendre les artistes.

Souvent, on n’a pas besoin d’aider financièrement ou matériellement. Car souvent en échangeant, en écoutant, on peut avoir des idées, même si après on n’est pas capable de lui fournir peut être de l’argent ou du matériel, on peut lui fournir des idées innovateurs. La communication, c’est vraiment le meilleur moyen de changer les choses, de faire avancer sur une bonne direction.

Interview réalisée par Dimitri OUEDRAOGO
et Korotoumou Djilla (stagiaire)
Lefaso.net

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