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Activités minières : Le CGD tire la sonnette d’alarme sur les menaces sociales et environnementales

Publié le jeudi 4 juillet 2019 à 08h30min

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Activités minières : Le CGD tire la sonnette d’alarme sur les menaces sociales et environnementales

Au Burkina Faso, en dépit de l’installation des industries minières, l’orpaillage (encore appelé exploitation artisanale) occupe une place très importante et constitue une source de revenus pour bien de populations locales. Cependant, cette activité qui attire plus d’un million cinq cent mille individus (selon certaines estimations), a d’énormes conséquences nuisibles à l’homme et à l’environnement, avec des germes de déstabilisation sociale. Le Centre pour la gouvernance démocratique (CGD) a décidé de faire dans l’anticipation en allant à la sensibilisation des populations concernées par ces activités.

Le nombre de sites d’orpaillage sur le territoire national est, à ce jour, estimé à plus de 400. Selon des études, l’orpaillage engendre des activités génératrices de revenus, crée des emplois et contribue à la construction locale par divers investissements. « Jusqu’à ce jour, aucune autre étude n’a démenti que l’exploitation artisanale profite plus aux populations, que l’exploitation industrielle ; parce que l’investissement est direct », affirme le chargé de programme du CGD, Asseghna Anselme Somda, en comparaison aux mines industrielles.

Cependant, relève M. Somda, l’orpaillage comporte de nombreuses conséquences nuisibles à l’homme et à l’environnement. Outre l’insécurité à laquelle sont exposés les orpailleurs eux-mêmes (maladies, éboulements…), les sites miniers sont un concentré de divers maux tels que la déscolarisation et le travail des enfants, l’utilisation de produits chimiques (mercure, cyanure, acides…), la prolifération de la prostitution, la consommation d’alcools frelatés et de stupéfiants, la perte de terres cultivables, l’émergence de tensions sociales, la destruction de certaines cultures spécifiques aux régions et/ou arbres fruitiers propres à certaines zones… Ce qui est une réelle menace nationale voire une situation qualifiée d’explosive par certains observateurs.

La consommation de l’alcool frelaté, mise en exergue ici par les artistes-comédiens, est un b.a.ba en ces lieux

C’est certainement fort de ce contexte que le Centre pour la gouvernance démocratique (CGD) a décidé de faire dans l’anticipation, en prenant son bâton de pèlerin pour sensibiliser les populations des localités aurifères, sur les implications des activités minières. L’institution était, à cet effet, les vendredi et samedi, 28 et 29 juin 2019, dans les communes de Houndé et Boni, dans la province du Tuy, région des Hauts-Bassins, pour rencontrer les populations concernées. Cette province abrite, en plus d’une mine industrielle, plusieurs sites d’orpaillage qui drainent des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants venus de diverses localités du Burkina Faso.

Cette initiative du CGD entre dans le cadre de la mise en œuvre de son plan stratégique 2018-2022 sur la gouvernance des ressources minières au Burkina, avec l’appui de l’ambassade royale du Danemark et de l’ambassade de Suède. « Lorsque nous parlons de gouvernance des ressources minières, nous avons en ligne de mire, les questions de développement, de contenu local et d’impacts environnemental et social dans les activités minières », précise Asseghna Anselme Somda.

Pour avoir travaillé sur le Code minier au temps du Conseil national de la transition (CNT), en tant que président de la Commission des affaires sociales et du développement durable, c’est en homme averti donc que M. Somda a conduit ce périple et abordé avec ses interlocuteurs, les différents aspects liés à l’activité minière au Burkina. Et ce, en complicité avec l’ingénieur en eau, éco-toxicologue, David Moyenga, qui fut également rapporteur de ladite commission.

Pour mieux toucher la population-cible, les initiateurs de la tournée ont opté pour un canal de communication bien adapté : le théâtre-forum dont la pièce est centrée sur tous les contours de l’orpaillage au Burkina. De quoi mobiliser les populations de la ville de Houndé (sur la place du marché) et du village de Dossi, dans la commune de Boni. A chaque étape, les populations ont été à la fois spectatrices et actrices, les artistes-comédiens de l’atelier théâtre la Lumière ayant misé sur l’interaction entre la scène et le public. De véritables moments de sensibilisation, d’information et d’éducation des acteurs sur l’urgence à abandonner certaines pratiques telles que l’utilisation des produits chimiques, la déforestation, la consommation de la drogue et des alcools frelatés, la prostitution, la déscolarisation des enfants au profit des sites, etc.

C’est sur les conséquences sociales et environnementales que l’ingénieur en eau, éco-toxicologue (discipline qui étudie l’impact des activités industrielles sur l’environnement), David Moyenga, a axé son message en guise de commentaires sur la thématique, à la fin de chaque présentation de la pièce théâtrale. On en retient qu’outre la dévastation de la nature, l’utilisation des produits chimiques engendre de nombreuses maladies (telles que celles de la peau, les maladies respiratoires, oculaires, cancéreuses…), dont celles dites émergentes, rares. « Quand tout cela frappe des populations actives, il n’y a pas plus destructeur », estime M. Moyenga. D’où son appel à « faire en sorte que le boom minier ne devienne pas un boom sanitaire et social voire écologique pour le pays ».

Aux enjeux socio-environnementaux, des sentiments de frustration

« On ne peut pas comprendre que des Burkinabè soient chassés d’un lieu, parce que des expatriés sont venus pour exploiter l’or à côté. Vous voulez que les Burkinabè qui se battent sur ces sites pour avoir leur pitance fassent comment ? Ce qui est en train de se passer n’est pas bien et ça risque de créer des situations qu’on ne pourra pas gérer », se lâchent des orpailleurs rencontrés sur le site de Dossi, ce campement de circonstance qui s’étale à perte de vue.

David Moyenga, commentant ici les enseignements à tirer de la pièce théâtrale

En ces lieux, chacun y va de sa raison d’être sur les sites d’orpaillage. « Je suis ici pour préparer la rentrée scolaire. J’ai deux enfants, dont un doit faire la 3ème la rentrée prochaine. Ce n’est pas facile, mais on n’a pas le choix, si on ne veut pas voler », confie Issouf Guiro. C’est de la capitale, où réside sa famille, que celui-ci s’est retrouvé à aller de site en site. « Malgré tout ça, on est menacé de déguerpissement. Je ne sais pas où on va partir, si on nous chasse ici encore », explique-t-il, les yeux révulsés, le corps recouvert de poussière et une haleine qui dégage fortement la liqueur.

« Cela fait huit jours que je ne me suis pas douché. Je suis tout le temps dans le trou, je ne sors que pour manger et enlever parfois l’unique vêtement que je porte pour le rincer, le temps qu’il sèche et je redescends dans le trou ». En dépit de cette description sur les conditions de travail difficiles, Issouf Guiro affiche néanmoins un sourire qui, du reste, contraste avec son allure physique.

Y. D se présente comme un ancien homme de tenue, reconverti dans l’orpaillage depuis les années 86. Il est remonté contre l’exploitation de l’or de façon générale au Burkina. « Nos dirigeants n’aiment pas notre pays. Nous ne pouvons pas accuser les expatriés qui viennent ici exploiter industriellement l’or, ils font des efforts en respectant les clauses des contrats. Le problème, ce sont nos dirigeants. Nous avons échangé avec un responsable de mine, un Blanc (expatrié, ndlr), qui a dit qu’il ne comprend pas le Burkina ; que parce qu’avec deux mines industrielles, le pays devrait pouvoir s’en sortir. Alors qu’aujourd’hui, on est à une quinzaine de mines qui sont en exploitation. Allez-y comprendre ! Ça fait très mal. Et comme si cela ne suffisait pas, on vient nous chasser sur les sites d’orpaillage, nous qui cherchons notre pitance, sous prétexte que l‘espace que nous occupons appartient à la mine. Nous sommes à notre troisième site ici à Dossi et c’est sûr que nous ne sommes pas au bout de nos peinse, parce qu’il y a un avion qui plane chaque jour sur notre site pour faire de la surveillance. (…). Si tu abordes la question, on te déchire la gueule. Ça c’est clair. Moi, je vous parle ouvertement, parce que je n’ai plus rien à perdre, je suis au bord de ma tombe. Je le dis pour le bien de la postérité. Il faut que nos dirigeants se réveillent ; parce qu’il risque d’y avoir une grave crise dans ce pays. Voyez-vous, avec la situation sécuritaire au Nord, au Sahel et à l’Est, tous les orpailleurs ont migré dans cette zone. Du coup, il y a un problème d’espace qui se pose. Ces milliers de personnes qui sont arrivées ici ne savent rien faire que l’orpaillage et les sites représentent leur dernier espoir. Si les gens se rendent compte que le gouvernement a vendu tous les sites à des exploitants industriels et qu’ils ne peuvent plus espérer, on va vivre le pire dans ce pays. Ça, c’est clair ». Cette mise en garde de Y. D, d’un ton remonté, devrait interpeller nos dirigeants, pour une nouvelle vision dans la gestion de mines au Burkina Faso.

Une politique d’organisation pratique de l’orpaillage s’impose !

« Nous apprécions ces échanges avec le CGD, nous avons beaucoup appris. Nous sommes dans l’orpaillage depuis plusieurs années, mais il y a des choses qu’on ne maîtrisait pas. Avec ce qu’on vient d’écouter, on a beaucoup appris. Ce qui nous reste à faire, nous responsables au niveau des sites et qui avons des gens derrière nous, c’est de sensibiliser autour de nous. Ça y va de l’intérêt de tout le monde, à commencer par nous-mêmes », souligne Hamidou Sawadogo, chargé des questions environnementales au sein de l’organisation des orpailleurs de Houndé. C’est en cela également qu’il estime que l’Etat se doit d’organiser le secteur qui rapporte d’importantes devises, tant pour lui que pour les populations.

Le chargé de programme du CGD rappelle qu’il est impératif de tenir compte des générations futures dans les activités

« Il y a des comptoirs d’achat à tous les niveaux ; du site d’orpaillage aux frontières en passant par les communes aurifères. Pour sortir l’or d’une commune, il y a donc un dispositif à suivre. Alors, comment l’Etat peut-il organiser ainsi la vente de l’or issu de l’orpaillage et laisser les sites d’où provient l’or ? C’est paradoxal ! Les orpailleurs sont considérés comme des clandestins dans leur propre pays, alors que le produit de leur activité (l’or) est contrôlé par l’Etat », relève pour sa part Y. D, l’homme de tenue devenu orpailleur.

Les acteurs de l’atelier théâtre la Lumière ont su emballer leur public pour faire passer le message

C’est aussi la recommandation au niveau du CGD et sur ce volet, David Moyenga propose par exemple la mise en place de centres de traitement commun sur les sites pour éviter l’utilisation des produits chimiques, au gré de chacun. « S’il y a des centres techniques confinés et normés de traitement (une sorte de bassin), ça peut limiter au maximum les effets et risques de ces produits. Ce dispositif va permettre de récupérer les eaux utilisées pour les traiter, enlever la partie toxique, avant que les eaux ne puissent s’échapper au niveau de l’environnement », explique le spécialiste.

C’est également dans cette vision qu’Asseghna Anselme Somda, souhaite voir l’opérationnalisation du Fonds minier pour le développement (par les mines industrielles), disposition votée en juin 2015, pour permettre aux populations impactées par les activités minières de disposer de ressources pour la gestion des questions environnementales et sociales.

OHL

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