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Burkina : « La pièce maîtresse dans la lutte contre l’extrémisme violent, c’est la population », selon Mahamoudou Savadogo, expert des questions d’extrémisme violent

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Publié le mardi 2 juillet 2019 à 23h25min

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Burkina : « La pièce maîtresse dans la lutte contre l’extrémisme violent, c’est la population »,  selon Mahamoudou Savadogo, expert des questions d’extrémisme violent

L’extrémisme violent a pris des proportions inquiétantes au Burkina Faso, surtout dans ses parties Nord et Est. Les efforts de l’État burkinabè semblent vains. Mahamoudou Savadogo, gendarme à la retraite et consultant sur les questions d’extrémisme violent au Sahel, pense que l’une des meilleures stratégies dans la lutte contre le terrorisme, serait d’impliquer la population. Dans cette interview qu’il nous a accordée, il déplore les pratiques qui éloignent les populations des forces de défense et de sécurité parce que, dit-il, « dans cette guerre asymétrique, la pièce maîtresse, c’est la population ».

Lefaso.net : Pouvez-vous vous présenter plus amplement à nos lecteurs ?

Mahamoudou Savadogo : Je suis Mahamoudou Savadogo, chercheur au Carrefour d’études et de recherche-action pour la démocratie et le développement qui est un centre basé à l’université Gaston-Berger du Sénégal. Je suis aussi consultant sur les questions d’extrémisme violent au Sahel et gendarme à la retraite. Je peux vous dire que je possède deux casquettes qui sont complémentaires, celle de chercheur et celle de spécialiste de la gestion des risques. La gestion du risque consiste à faire l’analyse des risques sécuritaires au profit des organisations internationales et des ONG.

Quelle est la différence entre le terrorisme au Burkina Faso et celui rencontré en Occident ?

Il y a une différence nette entre le terrorisme que l’on rencontre ici et celui exercé en Occident. Le terrorisme rencontré par exemple au Burkina se base sur les communautés pour atteindre ses objectifs. Et c’est un type de terrorisme qui est assez hybride. Hybride pourquoi ? Parce qu’il est à cheval entre le terrorisme classique (qui consiste à commettre des attentats) et le grand banditisme. Pour le cas du Burkina, jusqu’à une récente date, le terrorisme a ciblé les symboles de l’État, les forces de défense et de sécurité.

Celui rencontré en Occident est plus idéologique, c’est-à-dire qu’il est motivé par des croyances religieuses ou dogmatiques, à l’opposé de celui rencontré ici. Voilà pourquoi les attaques faites en Europe par exemple sont tout de suite revendiquées alors que celles faites au Burkina Faso le sont très rarement. Leur point de similitude se situe au niveau de leurs objectifs : déstabiliser le pays, s’en prendre au mode de gouvernance et surtout une volonté de changer l’ordre étatique établi.

Quels sont les origines des groupes terroristes qui opèrent au Burkina ?

Il y avait des prémices du terrorisme bien avant 2015. Mais c’est à partir de 2015 qu’il s’est manifesté avec comme figure de proue Malam Dicko, créateur d’Ansarul Islam. Au départ, il était essentiellement localisé dans le Soum avant de s’étendre progressivement dans le Sahel avec l’aide de Hamadou Kouffa, créateur de la katiba du Macina, son mentor. Je peux même dire que c’est Malam Dicko qui a ouvert la brèche à la pénétration des autres groupes terroristes étrangers comme le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et l’État islamique au grand Sahara (EIGS). Il a favorisé leur implantation et il a aussi permis à ces groupes de se servir du Burkina dans un premier temps comme une base de repli pour échapper aux frappes maliennes.

Vous les avez scindés en deux groupes terroristes. Dites-nous-en davantage et quel est leur lien aujourd’hui avec Ansaroul de Malam Dicko ?

Je les ai scindés en deux parce qu’ils n’évoluent pas sur le même terrain. L’État islamique au grand Sahara (EIGS) évolue dans l’Oudalan et dans l’Est, alors que le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) évolue dans le Nord et au Sahel. Ansaroul, après la mort de Malam Dicko, s’est disloqué et une partie a rejoint l’EIGS, l’autre partie a rejoint le GSIM. Ce qu’il faut noter pour le cas du Burkina, c’est qu’autour de ces deux grands groupes, gravitent de petits groupes locaux de trafiquants de drogue, d’armes et de cigarettes et de trafiquants d’or. Ces petits groupes maîtrisent très bien le terrain et les communautés et peuvent facilement se fondre à l’intérieur de ces communautés. Ce qui leur permet d’être plus rapides et efficaces que nos Forces de défense et de sécurité (FDS).

Qu’est-ce qui différencie ces deux grands groupes ?

Ce qui différencie ces groupes, c’est leurs caractéristiques et le mode opératoire. Le GSIM a un mode opératoire qui est basé sur le harcèlement des symboles de l’État, les attaques par les mines et les enlèvements ; tandis que l’EIGS se caractérise par la violence. C’est-à-dire que, eux, ils font rarement d’otages, ils communiquent très peu et s’acharnent contre les populations. Le GSIM évite la population et se sert même d’elle pour mener son combat. Voilà pourquoi jusqu’en 2018, la population n’était pas inquiétée parce que cette zone était occupée par le GSIM qui ne vise que les symboles de l’État, les FDS et l’administration dans le Sahel et le Nord.

Maintenant, il y a l’hypothèse selon laquelle l’État islamique serait redescendu un peu vers le Sahel et le Centre-Nord, voilà pourquoi le mode opératoire et les cibles ont changé. L’autre hypothèse qui explique pourquoi les populations sont devenues des cibles et pourquoi les attaques sont de plus en plus violentes, c’est le fait qu’il y a deux phénomènes qui n’ont pas encore été réglés, Yirgou et Arbinda. On a l’impression que cela a fait basculer une partie de la population de ces villages qui ont été victimes dans l’autre camp ; ou bien c’est une manière pour ces populations de se faire justice puisque jusqu’à présent, l’État n’arrive pas à situer les responsabilités.

Qu’est-ce qui a facilité la pénétration rapide de ce phénomène au Burkina Faso ?

Il y a d’abord l’instabilité sociopolitique que vit le Burkina depuis l’insurrection populaire de 2014. Un pays déstabilisé est un pays assez faible et en proie à toutes les menaces. Le deuxième point est l’apparition d’un groupe terroriste local qui a aussi accéléré les choses parce qu’ils ont vu une brèche dans laquelle ils se sont engouffrés. Si vous voulez, Malam est l’élément précurseur qui a préparé le terrain pour ces différents groupes. Ce sont ces éléments qui ont favorisé, à mon avis, l’accentuation du phénomène. À cela, il faut ajouter le goût inachevé de l’insurrection qui a créé beaucoup de mécontents et de frustrations liées aux injustices. Et comme dans ces zones il y avait déjà l’absence de l’État, il était clair que beaucoup de facteurs soient favorables à la pénétration du phénomène.

À votre avis, quelles sont les motivations réelles de ces groupes terroristes ?

Dans un premier temps, on dirait que leur motivation est essentiellement économique parce que le Burkina Faso occupe une place stratégique à l’intérieur même de l’Afrique de l’Ouest. Vous êtes à 45 minutes ou à une heure de vol de toutes les capitales de l’Afrique de l’Ouest lorsque vous êtes au Burkina. Et aussi, le Burkina est une plaque tournante de tous les commerces transnationaux et un couloir de trafic de munitions, d’armes et de drogue, des côtes vers le Sahel ou le Sahara. Donc si le Burkina est déstabilisé, c’est une porte ouverte pour tout ce trafic.

Cela permet de fluidifier tout ce trafic. Ça, c’est la stratégie économique. Ensuite, il y a de la récupération. Vous voyez que ces groupes se basent sur un certain nombre d’injustices, un certain nombre de frustrations des populations pour pouvoir avoir des adeptes. Il y a donc certains facteurs liés à des minorités qui sont brimées ou à certaines populations qui sont frustrées par l’absence de l’État dans leurs zones. C’est le cas de l’Est et du Sahel qui sont les régions les plus menacées.

Quel est le bilan, à ce jour, des attaques terroristes dans notre pays ?

Dans la compilation des données, on a remarqué que le nombre des attaques et le nombre de provinces et de régions touchées augmentent chaque année. Les attaques se multiplient chaque année presque par trois. En reprenant, il y a eu en 2016, 37 incidents sécuritaires environ, 94 en 2017, 310 incidents en 2018 et 335 de janvier à mai 2019.

Le nombre de provinces touchées a également progressé, passant de cinq provinces en 2016 à douze en 2017, puis seize provinces en 2018 et 2019. Ce qui est un mauvais indicateur pour le Burkina et sa stabilité. C’est cela qui nous interpelle en tant que chercheur à chercher à comprendre pourquoi, de façon fulgurante, les attaques augmentent. Cela atteste aussi que la stratégie mise en place par l’État n’est pas adaptée et qu’il faut la réadapter.

L’opération Otapuanu a presque réussi à libérer l’Est ; pourquoi Ndofu peine à réussir sa mission ?

Il y a plusieurs facteurs qui peuvent justifier le fait que cette opération peine à connaître un succès. Un mois à peine après l’opération Otapuanu, ils ont enchaîné avec l’opération Ndofu. Dans un premier temps les hommes, sont éprouvés par la fatigue et leur matériel aussi. Mais c’est un point que l’on peut négliger par rapport au résultat.

Le plus grand facteur qui peut justifier le fait que Ndofu peine à réussir sa mission, c’est l’enracinement du phénomène dans les zones du Nord, du Sahel et du Centre-Nord. Dans ces zones, les terroristes ont pris quatre ans pour s’implanter. Ce n’est pas en un mois qu’ils partiront. Les populations sont habituées à vivre avec le phénomène et y sont plus ancrées qu’à l’Est. Sans oublier que les deux phénomènes de Yirgou et d’Arbinda ont beaucoup joué sur le fait que les populations sont beaucoup plus réticentes à collaborer avec les forces de défense et de sécurité.

Les injustices qui ne sont pas réparées, qui ne reçoivent pas une suite judiciaire favorable créent tellement de frustrations qui peuvent faire basculer toute une population dans le camp des groupes terroristes. Regardez ce qui s’est passé à Ogossagou au Mali. Après Ogossagou, on a eu un autre en réplique au massacre d’ogossagou. Il faut craindre la même chose pour le Burkina si rien n’est fait.

À votre avis, quelles sont les défaillances du système de sécurité et de défense national ?

Pour moi, les failles de notre système de sécurité et de défense, c’est essentiellement le manque de stratégie, le manque d’anticipation et surtout le manque de renseignement. Dans une lutte asymétrique, le renseignement est la pièce maîtresse. Et qui a le renseignement ? C’est la population. Donc la pièce maîtresse, c’est la population. Alors qu’on a l’impression que cette population a peur des forces de défense et de sécurité ; c’est pourquoi elle ne collabore pas avec elles. Cela ne nous permet pas de prendre des mesures pour anticiper les actions des groupes terroristes.

En matière de terrorisme, lorsque l’acte est déjà posé, tout ce que vous allez entreprendre après l’acte est considéré comme un échec parce que l’objectif est déjà atteint. La plupart du temps, ils ne viennent pas pour repartir vivants. Si vous le tuez avant l’acte, d’accord ; sinon votre action n’aurait pas eu d’impact. Voilà pourquoi il faut arriver à anticiper leurs actions et il n’y a que l’aide de la population pour y arriver.

Il y en a qui parlent d’exactions des forces de défense et de sécurité. Pensez-vous qu’ils disent vrai ?

Là également, je préfère ne rien à dire parce qu’il n’y a pas de preuves. Mais ce qu’il faut souligner, c’est que nos forces de défense et de sécurité doivent se mettre en tête que dans une lutte asymétrique, le renseignement est la pièce maîtresse et il faut collaborer avec celui qui le détient. Donc s’il y a des exactions commises sur la population, cela confirme pourquoi la population ne collabore pas avec elles et pourquoi les résultats ne sont pas satisfaisants. Quand ils vont commencer à prendre en compte la population dans leur stratégie de lutte, ils verront que la donne va changer. Les groupes terroristes eux-mêmes l’on comprit. Ils savent comment obtenir des populations des informations nécessaires. Mais entre nos FDS et les populations, il y a un fossé, un écart. Personne ne tente d’explorer l’univers de l’autre pour essayer de gagner sa confiance.

Vous soutenez que le dialogue interreligieux se fragilise et surtout celui intra-religieux. Expliquez-nous votre position.

Je pars du principe que le Burkina Faso est un pays de paix où les religions ont tendance à se tolérer. Aucune religion ne domine l’autre. Et moi, j’attire surtout l’attention de ne pas dormir sur nos lauriers, sur ces acquis, parce qu’à l’intérieur même des religions, il y a des tensions palpables, il y a une montée du rigorisme dans toutes les religions, sans distinction.

Aussi bien chez les chrétiens que chez les musulmans, chaque communauté a tendance à se replier sur elle-même parce qu’elle pense que le danger vient de l’extérieur. Et si toutefois ces courants rigoristes arrivent à prendre le dessus sur les courants modérés, le dialogue religieux va voler en éclat parce que ça n’aura même plus de sens. C’est dans ce sens que je soutiens qu’il va falloir que nos leaders religieux et coutumiers se réveillent pour continuer à alimenter cette flamme afin qu’elle ne s’éteigne pas.

D’aucuns accusent certains anciens dignitaires du régime Compaoré d’être des complices des terroristes. Quel est votre point de vue ?

Il n’y a pas de preuves que c’est l’ancien régime qui est derrière tous ces mouvements. Pour moi, en tant que scientifique, je préfère chercher les facteurs qui ont occasionné le phénomène plutôt que d’indexer ou de jeter l’anathème sur une personne ou sur une entité. Vous avez vu tout de suite que l’on a dit que c’est l’ancien régime et ensuite on accuse aussi la France. Cela est trop facile. Nous avons un facteur endogène avec des problèmes bien connus et je pense qu’il faut le résoudre aussi de façon endogène. Il ne faut pas chercher de boucs émissaires.

Il faut prendre le temps de faire une analyse profonde et envisager des solutions justes et sans complaisance. Il faut surtout voir quelle est notre part de responsabilité, quelle est celle du gouvernement actuel. Nous avons tous chacun une part de responsabilité. Nous avons eu quatre ans (2015 à 2019) avant de voir des opérations de grande envergure. Vous pensez qu’ils n’ont pas une part de responsabilité ?

Et jusqu’à présent, il n’y a toujours pas une stratégie pour lutter contre l’extrémisme violent. On est en train de piétiner sur place. Il faut comprendre que ce qui se passe au Sahel est différent de ce qui se passe à l’Est. Ce ne sont pas les mêmes problèmes et donc il ne faut pas appliquer les mêmes solutions. Et c’est parce que ce n’est pas le même phénomène qu’au Sahel, il n’y a pas de résultat avec la même solution appliquée à l’Est. À un problème asymétrique, il faut une solution asymétrique.

Blaise Compaoré a tendu la main au président Roch Kaboré, depuis Abidjan. Pour vous, quel choix serait judicieux : accepter ou refuser ?

Ça, ce sont des questions politiques ou diplomatiques que je ne peux juger. Mais si je vais me prononcer, je pense que dans la recherche de solution, le fait qu’il était au pouvoir depuis des années, s’il propose ses services, moi je ne trouve pas d’inconvénient à ce qu’on accepte ses services, d’autant plus que c’est aussi un Burkinabè. De là-bas, il peut bien nous aider, on n’est pas obligé d’organiser son retour tout de suite. En fonction des résultats, ça peut même faciliter son retour.

Le président du Faso a déclaré plusieurs fois ne pas chercher à négocier avec ces terroristes qui endeuillent les populations. Était-il opportun de tenir de tels propos publiquement ?

Toujours une question politique et moi je ne pense pas avoir des conseils à donner à un président sur ses choix politico-diplomatiques. Mais si vous voulez toujours mon petit point de vue, je pense qu’il ne faut écarter aucune solution pour ramener la stabilité, l’unité et la paix au Burkina Faso.

Est-ce que le gouvernement fait suffisamment d’efforts à l’endroit des déplacés internes ?

Le gouvernement fait des efforts, les ONG également travaillent nuit et jour pour épauler le gouvernement à ce niveau. Mais lorsqu’on est déplacé, on est plus dans son biotope, et généralement ce sont des camps à problèmes parce que la sécurité n’y est pas. Étant donné que les forces de sécurité sont sur plusieurs fronts, ces camps ne pourront pas être très bien sécurisés. Sans oublier que des terroristes peuvent profiter s’introduire parmi ces réfugiés et y effectuer des recrutements. Pour l’instant, il est difficile de faire un bilan de la gestion humanitaire de l’État mais je sais que l’État est épaulé dans cette gestion par les ONG qui font aussi un excellent travail.

L’État pouvait faire mieux certes, parce que dans ce pays où tout est prioritaire, on se rend malheureusement compte qu’il n’y a pas de stratégie. S’il y avait une stratégie, on devait prévoir, dans cette lutte, qu’il y aura des déplacés internes et préparer cela. Il y a aussi la grogne sociale qui rend les choses difficiles et ne permet pas au gouvernement de pouvoir s’investir dans beaucoup de domaines. Tout compte fait, c’est de la responsabilité de l’État de donner une réponse énergique à tout cela.

Quelles sont les conséquences que vous connaissez des attentats terroristes depuis 2015 ?

Sur le plan humanitaire, on a des déplacés internes, on a des écoles fermées, des fonctionnaires qui ne peuvent plus servir et des zones entièrement hors du contrôle de l’État. Sur le plan économique, la région de l’Est est une zone de trafic international parce qu’elle fait frontière avec quatre à cinq pays.

Le trafic international n’est plus aussi dense dans cette zone à cause de l’insécurité. Ensuite, il y a le secteur de l’orpaillage dans cette région. Les prospections sont arrêtées, mettant ainsi fin à tout espoir d’ouverture d’autres mines qui vont créer de l’emploi. À cela s’ajoute le fait que toutes les concessions de chasse sont fermées à l’Est qui est très riche en ressources fauniques.

Il y a alors beaucoup d’emplois qui sont perdus à ce niveau ainsi que les milliards de F CFA que la chasse faisait entrer dans le pays. Les conséquences sont vraiment énormes et désastreuses pour le Burkina Faso et on est aussi en train de perdre malheureusement notre jeunesse. Qu’il s’agisse des FDS ou des populations, la plupart des victimes sont des jeunes. La production agricole va baisser considérablement parce qu’il y aura des zones où on ne pourra pas cultiver et certaines où il n’y aura plus de bras valides à cause de l’insécurité. La situation est assez critique et il va falloir des mesures fortes pour que l’on ne sombre pas davantage.

Que pensez-vous du G5-Sahel ?

Pour moi, le G5-Sahel est une organisation de trop qu’on n’aurait pas dû créer. J’ai toujours dit dans mes interventions que le G5-Sahel est assez lourd et pas adapté au contexte actuel dans la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent. Il n’y a pas que les cinq pays seulement qui sont touchés par le terrorisme. Est-ce que si les autres pays côtiers sont attaqués, il faudra créer une autre force qui va englober tous ces pays ou bien il aurait fallu aller avec la force de la CEDEAO ? Voilà ma question, d’autant plus qu’on ne voit vraiment pas des résultats palpables de cette force conjointe sur le terrain. Sans oublier que chaque président composant le G5-Sahel a un agenda personnel dont la priorité n’est pas la sécurité.

L’année passée, pour le président malien, c’était de gagner les élections. Bientôt, chez nous aussi, ça sera la même chose. Donc, ça ne permet pas d’asseoir une meilleure organisation. Pour ma part, on aurait pu activer la force conjointe de la CEDEAO, pour laquelle on n’avait pas besoin d’autant d’efforts. Ce serait moins cher et plus pratique.

Est-ce que le gouvernement maîtrise la situation comme il le prétend ?

Lorsqu’on observe l’évolution de la situation, on constate que le nombre d’incidents sécuritaires se multiplie par trois d’une année à l’autre. L’État semble ne pas maîtriser la situation. Nous voyons que l’étau se resserre même autour de Ouagadougou, avec des déplacés qui arrivent dans cette ville. Tout ça, ce sont des indicateurs qui montrent que de plus en plus, la situation est hors contrôle. L’année dernière, on ne pouvait même pas s’imaginer que le Centre-Nord allait être touché ! Maintenant, on est à 100 kilomètres de Ouagadougou. Ça va être difficile de convaincre quiconque que l’État maîtrise la situation.

Qu’est-ce qui est à craindre pour l’avenir ?

Moi je crains surtout des tensions ou des guerres intercommunautaires. Parce que nous allons entrer bientôt dans la phase des élections législatives et présidentielles où beaucoup d’intérêts sont en jeu. À mon avis, si on ne commence pas à désamorcer certaines tensions et à contrôler certaines structures comme les groupes d’autodéfense, on risque de basculer dans une crise sociopolitique qui peut être pire que la tension que nous vivons actuellement. Il va falloir que l’État prenne des mesures d’anticipation pour que cela n’arrive pas.

Et moi je pense que toute la classe politique est interpellée, aussi bien les partis au pouvoir que l’opposition, parce qu’on a l’impression que ce qui intéresse le débat politique actuel, ce sont les élections. On est fier de dire que c’est la première fois que des Burkinabè de l’étranger vont voter. Nous avons mis des milliards pour aller en France, en Italie, à New York et je ne sais où encore, pour mettre les Burkinabè dans les conditions pour voter, mais ça pourrait être la première fois aussi que des Burkinabè de l’intérieur ne vont pas voter et je ne sais pas quelle est la pire des situations. Ne pas faire voter ceux de l’extérieur ou bien ceux de l’intérieur et bizarrement, même l’opposition semble se contenter de la situation. Moi particulièrement, cela m’inquiète.

Quelles solutions proposez-vous à l’État burkinabé pour lutter efficacement contre le phénomène ?

Nous sommes face à un problème endogène, il faut une solution endogène. Même s’il n’exclut pas des réponses exogènes, celles-ci viendront en appui aux solutions endogènes. Voilà pourquoi il faut d’abord faire un diagnostic clair de la situation sécuritaire et y apporter des solutions adaptées. En plus des solutions que j’ai proposées plus haut, on a des facteurs traditionnels de résilience qui sont propres à nos communautés.

Il y a la chefferie traditionnelle, il y a le dialogue interreligieux et il y a aussi le sentiment d’appartenance à un même peuple qui est le « burkindlim ». Je suis sûr que si on arrive à activer les leviers de ces facteurs de nos communautés, on aurait gagné 60 à 70% la lutte contre le terrorisme. Et après viendra une réorganisation et surtout la bonne gouvernance, parce que tous ces problèmes, c’est l’absence de l’État et la mauvaise gouvernance qui sont à l’origine.

Les zones attaquées sont des zones considérées comme des purgatoires par les fonctionnaires burkinabè et faut œuvrer à changer cela. Si vous remarquez, pendant la Révolution d’octobre 1983, c’est sur cette identité nationale que Thomas Sankara s’est basé pour construire sa révolution. Ce qu’il a appelé la construction par le bas. Cette solution peut être appliquée par tout le monde, chacun à son niveau, en communauté ou en famille avec ses enfants, il nous faut un objectif commun, un intérêt commun.

Sur le plan militaire, je pense que la stratégie voudrait qu’on prenne en compte les populations surtout celle des zones attaquées. Il faut que la collaboration civilo-militaire soit la pièce maîtresse de toute guerre et de tout combat contre l’extrémisme violent. Et aussi, il faut se mettre dans la tête qu’il s’agit d’une lutte de longue haleine. Il ne faut pas s’attendre à des résultats immédiats. Nous avons l’exemple palpable du Mali. Ça a débuté en 2012 et jusqu’en 2019, cela se poursuit sans perspectives claires. Et ce qu’il faut dire à ceux qui prennent les décisions, mieux vaut pas de réponse qu’une mauvaise réponse dans la lutte contre l’extrémisme violent.

Lorsqu’il n’y a pas de réponse, il y a un phénomène de résilience des communautés qui arrivent à résoudre le problème en interne. Mais lorsqu’il y a une mauvaise réponse, cela peut faire basculer le reste de la population.

Enfin, il faut restaurer l’autorité de l’État par des mesures fortes, des mesures qui fâchent, et n’avoir qu’une seule parole. Lorsqu’on veut faire plaisir afin de protéger ses intérêts, c’est difficile de pouvoir prendre ces mesures. Comme on aime à le dire, il faut creuser l’abcès et c’est l’État seul qui a les moyens de le faire.

Je prends l’exemple clair des groupes d’autodéfense. Dans un pays, il est inadmissible que le monopole de la violence physique soit partagé avec un groupe de personnes. L’État ne peut pas attribuer ce rôle régalien à quelqu’un d’autre. C’est inadmissible et non-négociable. C’est le principe du contrat social et chacun doit le respecter. Et il sera difficile de le demander aux citoyens si l’État lui-même ne respecter pas ce contrat.

Avez-vous déjà fait l’objet d’une menace quelconque ?

Je n’ai pas fait l’objet de menace jusqu’à présent et j’espère surtout ne pas être confronté à ce problème. Moi, je fais juste des recherches scientifiques que je mets à la disposition de qui veut bien les prendre et je tente d’être le plus objectif possible dans mes recherches. Mais même si cela dérange, ça ne m’arrêtera pas dans ma détermination à apporter ma contribution pour le pays.

Mon objectif, c’est d’aider les populations à comprendre le phénomène et donner ma contribution à la recherche d’une solution adéquate au problème que vit le pays. Mon plus grand espoir est de voir que mon pays sorte très rapidement de cette spirale, parce que tant que le Burkina ne sera pas en paix, aucun fils ne peut penser à son avenir. L’épanouissement se construit dans la paix d’abord.

Propos recueillis par Etienne Lankoandé
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