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Béatrice Damiba au masterclass de l’ISCOM : « Sur le plan professionnel, être femme ne doit pas être considéré comme une faveur ou un inconvénient »

Publié le mardi 11 juin 2019 à 22h25min

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Béatrice Damiba au masterclass de l’ISCOM : « Sur le plan professionnel, être femme ne doit pas être considéré comme une faveur ou un inconvénient »

Personnalité marquante du monde des médias et de la communication de notre pays, Béatrice Damiba est une femme dont le parcours et le palmarès rendraient ‘’jaloux’’ plus d’un tant ils sont impressionnants. Passée par le collège Notre Dame de Kologh-Naaba où elle obtint son baccalauréat série littéraire, elle choisit de faire le journalisme dont elle apprend les fondamentaux à l’Université de Strasbourg (France). Devenant ainsi l’une des premières femmes du Burkina à avoir un parcours universitaires dans le domaine. De sa carrière bien fournie, Béatrice Damiba en a parlée à cœur ouvert avec les étudiants de l’Institut Supérieur de la Communication et du Multimédia (ISCOM) au cours d’un masterclass le 5 juin 2019. Synthèse.

Quel est votre parcours et comment se sont déroulés vos débuts dans le métier ?

Après mon Baccalauréat série A obtenu au Collège Notre Dame de Kologh-Naaba, j’ai voulu faire le journalisme. Un grand-frère voulait que je fasse autre chose avant d’aller au journalisme mais j’ai décidé de le faire directement. C’est à l’Université de Strasbourg en France que j’ai été formée au métier.
Après ma maîtrise, je me rappelle que j’ai été invité à rentrer au plus vite au pays parce qu’un poste m’attendait au sein de la fonction publique. Lorsque je suis rentrée, j’ai été affectée à la presse d’Etat où il y avait le Bulletin quotidien (BQ) et Carrefour africain. Il n’y avait pas de quotidien public, à part l’Observateur, journal privé, pour parler de presse écrite. C’est donc sur recommandation du président de la République que nous avons travaillé à la création de Sidwaya en 1984. J’en ai d’ailleurs été le rédacteur en chef.

Au temps du « Bulletin quotidien » et du « Carrefour africain », nous travaillions avec des moyens rudimentaires. Nous rédigions les articles à la main, qui étaient ensuite saisis par les secrétaires pour ensuite passer l’imprimerie etc. Autant de choses qui faisaient que souvent la périodicité des parutions des journaux n’était pas respectée. On n’avait pas grand-chose, mais nous travaillions toujours avec amour. Nous sommes venus au journalisme par vocation, par passion.

Avez-vous rencontré des difficultés lors de vos débuts dans le métier ?

Des problèmes et des difficultés, j’en ai eu pas mal. C’était à une époque assez lointaine de notre pays. L’époque du parti unique, où tout était dicté, où la censure sévissait et où la liberté de la presse n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui. J’étais dans une rédaction étatique, et à l’époque on ne pouvait toujours pas faire de commentaire sur telle ou telle actualité. Mêmes les discours des ministres, on devait les retranscrire sans omettre la moindre la virgule, on ne devait pas porter de critique etc. Et tout cela m’a conduite à avoir quelques dissensions avec le ministre de l’information et même avec d’autres membres du gouvernement de l’époque, car je voulais pratiquer le journalisme comme on me l’avait appris à l’université et cela ne leur convenait pas toujours. J’ai souvent été menacée, mais je suis toujours là. Il faut dire que j’ai été aussi soutenue par des aînés, qui m’ont même défendues car certains, même s’ils ne le faisaient pas, reconnaissaient que je travaillais selon les règles de l’art.

Quels souvenirs marquants gardez-vous de cette période ?

Je me souviens que nous avions travaillé sur un numéro spécial de « Carrefour africain » en 1980 pour les 20 ans de l’indépendance du pays. Nous ne disposions pas cependant de l’équipement nécessaire pour une impression à la hauteur de l’évènement, nous avons donc tenu à envoyer les papiers sur Abidjan pour impression. Le numéro nous été livré la veille du coup d’Etat de Saye Zerbo. L’enthousiasme dans lequel nous étions est retombé car le journal n’a bien évidemment pas été distribué.

Ensuite, sous la révolution, il y avait un ministre qui voulait me faire licencier. Mais malheureusement pour lui et heureusement pour moi, cela n’a pas abouti. Le président Sankara a formellement refusé car il ne trouvait pas de raison valable à ce qu’on me sanctionne parce que j’étais critique. Il faut souligner qu’il aimait bien mes articles critiques sur le fonctionnement des choses et il n’hésitait pas à m’appeler directement pour m’encourager.

Quand on sait que les femmes journalistes n’étaient pas nombreuses, comment étaient vos rapports avec vos collègues et confrères hommes ?

C’est une question qui m’a souvent été posée. Mais je n’ai pratiquement pas eu de problèmes dans le cadre du métier avec mes collègues ou mes confrères. Cela est sans doute dû à ma personnalité. Il faut souligner que je suis venue au métier avec un diplôme universitaire ; et dans le temps ce n’était pas commun, surtout pour une femme. Dans mes débuts, nous n’étions que trois à avoir un tel niveau à la rédaction. Au fil du temps j’ai su et pu décanter certaines situations. Ce qui a imposé du respect de la part de mes pairs et de mes collègues. Une femme doit avoir de la personnalité et arriver à se faire respecter. Ainsi elle ne pourra pas avoir de problèmes avec l’entourage masculin. Sur le plan professionnel, le côté féminin ne doit pas être considéré comme une faveur ou un inconvénient.

Quelle est votre appréciation de l’évolution du journalisme tel que vous l’avez connu et tel qu’il est pratiqué maintenant ?

Selon moi, la pratique du journalisme dans notre pays a connu une grande évolution. Les journalistes ont beaucoup plus de marges de manœuvre que par le passé. Il existe aussi une réelle liberté de la presse pour peu que les règles et l’éthique soient respectées. Cependant en journalisme comme dans tout métier l’excellence est perpétuellement recherchée mais jamais atteinte. Il y a toujours des insuffisances. D’où l’importance de se faire bien former, de respecter les règles et la déontologie du métier. Quant au contenu, je trouve que les journalistes ne se donnent plus la peine de fouiller, d’aller à la source de l’information avant de produire. Il y a une certaine paresse intellectuelle qui s’est installée. Et à vouloir aller très vite on dit n’importe quoi sans prendre le soin de vérifier au préalable.

Votre avis sur l’impact des réseaux sociaux dans la pratique du journalisme et plus largement sur l’avènement du numérique dans le métier ?

On s’est toujours torturé l’esprit à force de réfléchir sur la problématique de la régulation des réseaux sociaux. Je pense que le problème ne se résume pas seulement à notre pays mais il est plutôt mondial. Ils sont nombreux ceux qui laissent entendre que les réseaux sociaux sont des zones de non-droit. Selon moi, il faudrait une éducation de masse de sorte à ce que les gens sachent que liberté et démocratie ne permettent pas tout, il y a des garde-fous. Nous, en tant que pionniers, comptons énormément sur la nouvelle génération pour redonner ses lettres de noblesse à notre métier en marquant la différence avec l’amateurisme. Je dis souvent à mes étudiants lors de mes cours qu’il faut réinventer le journalisme. Il faut un nouveau de type de journalisme. Cependant, il arrive à certains journalistes de se servir des réseaux sociaux comme source d’information. Ce qui est dangereux. Du coup, ils véhiculent souvent des informations erronées. Pour ma part, je n’ai très pas une très bonne perception des réseaux sociaux.

Quant au numérique, c’est une révolution a deux faces comme tout progrès. Une face avec tous les bons côtés (opportunités, mobilité, avantages…) et une autre face avec les côtés néfastes (inconvénients, paradoxes…). Pour ma part, il faut toujours relativiser lorsque l’on parle de numérique et y aller en essayant d’améliorer les aspects.

Que pensez-vous des médias en ligne ?

Je trouve très bien qu’il en existe. Par le passé pour avoir un journal, il fallait forcement la version papier. Maintenant même ceux de la presse écrite ont une version en ligne. C’est dire qu’ils permettent une diffusion aisée et plus large de l’information.

De votre temps, le CSC était un peu perçu comme un ‘’gendarme’’ du fait les sanctions qu’il infligeait aux médias. Quel en est votre avis ?

Quand un travail est bien fait il est à féliciter. D’ailleurs les Galian sont là pour récompenser et encourager les journalistes à toujours exceller. Par contre, quand un travail est mauvais, il faut faire des remontrances de sorte à corriger. On ne peut pas tout le temps caresser dans le sens des poils. On a toujours besoin de gendarme, je ne vois pas le mal à être gendarme mais je refuse que le CSC soit vu de la sorte. Le CSC est plutôt un accompagnateur, une institution qui accompagne, conseille et éduque les médias. On voyait dans les remontrances des solutions pédagogiques pour palier certains manquements. On ne frappait pas parce qu’il fallait frapper. Le CSC fait également office de tampon. Il permet de trouver des solutions à l’amiable, non contentieuses, pour les médias quant aux les litiges entre médias et particuliers, institutions et médias etc.

Quelles appréciations des difficultés que rencontre l’application de la carte de presse et de la convention collective ?

C’est vrai qu’ils ont représenté mes toutes premières luttes et mes toutes premières victoires lorsque je suis arrivée en 2008 au CSC, mais depuis mon départ je n’ai plus trop de regard là-dessus. Je pense que la carte de presse était depuis des décennies réclamée et lorsqu’elle est arrivée, certains pensaient qu’il fallait juste faire la photo et c’est tout. Non ! Il y a des conditions et des exigences à remplir et je pense que c’est cela qui a fait que beaucoup n’ont pas voulu se soumettre. La carte de presse venait assainir le milieu du journalisme. Mais je ne sais pas trop où elle en est maintenant.

Concernant la convention collective, le CSC avait facilité les négociations de cette convention sans pour autant en être signataire. Les patrons de presse, les journalistes avaient tous un rôle à jouer. Mais les uns et les autres n’ont pas totalement su jouer leur rôle. Ils avaient tout à y gagner.

Vous êtes présidente de l’association Convergence, quelles sont les stratégies mises en place pour lutter contre la piraterie ?

De mon passage à la présidence du Conseil Supérieur de la Communication (CSC) il m’a été donné de constater qu’il y a pas mal de difficultés à faire respecter les droits à la création. L’idée m’est donc venue de créer cette association pour dans un premier soutenir et valoriser les créations et les créateurs et dans un second temps pour lutter contre toutes les formes de piratages dont ils sont victimes, mais aussi défendre leurs droits. Pour un créateur, les droits d’auteur représentent son seul salaire. Il doit vivre de cela. Mais malheureusement cela est mal ou pas du tout appliqué dans nos pays. Ainsi par cette association nous essayons de faire valoir les droits des créateurs tout en les formant ou en les aidant à prendre connaissance de leurs droits et en luttant bien évidemment contre le piratage.

Vous avez été ministre de l’environnement sous la révolution. Comment avez-vous donc vécu le coup d’Etat de 1987 ?

Je suis une partisane de la non-violence, et le coup d’Etat m’a énormément ulcéré. Mais de ma position de l’époque je l’avais vu venir, et cela ne m’a pas surprise. De mon humble avis, c’était un duel à l’issu duquel un survit et un, malheureusement, meurt. C’était l’un ou l’autre. Ça aurait pu être Sankara qui triomphe de Blaise, mais l’histoire à voulu que ce soit le contraire.

Qu’est-ce qui a motivé votre reconduction dans le gouvernement qui a suivi ?

Lire la suite sur http://www.iscom-bf.net/spip.php?article38

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