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“Un hôpital dans une forêt classée dans un pays désertique, est une modernisation régressive” selon Touorizou Hervé Somé

Publié le dimanche 26 mai 2019 à 12h57min

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“Un hôpital dans une forêt classée dans un pays désertique, est une modernisation régressive” selon Touorizou Hervé Somé

En 1993, si ma mémoire ne me joue pas des tours, a été introduit au secondaire dans nos curricula au Burkina - Faso, l’enseignement environnemental. L’ avait- on fait pour “manger” l’argent des bailleurs de fonds ou croyait- on un tant soit peu que l’ environnement est le socle qui soutient le monde, hommes comme femmes, vieux comme enfants, végétaux comme animaux, en parfaite symbiose avec le règne mineral, la vie en un mot ?

Je crois toujours que ce fut l’une des initiatives les plus heureuses du régime en son temps. Aujour’ hui, inspiré par ce même élan visionnaire qui a été de sensibiliser tous les jeunes aux problèmes environnementaux qui concernent tous, je suis “Foret Klassée de Kua” (FKK). Je vais justifier l’acronyme” FKK plus tard.

Le gouvernement fait fausse route sur la route Kua

Le gouvernement devrait être gêné par cette affaire ridicule de vouloir détruire une forêt classée pour un arbre (l’hôpital dont on n’est même pas sûr de l’ ombrage). Quel que soit le bout par lequel on essaie de défendre le gouvernement ou par lequel il orchestre sa propre défense, à moins d’ être un inconscient ou un malhonnête invétéré, ce dossier est très faible et n’est pas défendable. Le meilleur avocat du monde ne saurait défendre un dossier vide, hors la collusion institutionnelle.

Je ne suis qu’ un littéraire de la “série Ane”, mais j’ ai appris par mon professeur de Biologie, Bakyono Lazare, qu’ une forêt classée, c’ est du sérieux. On n’ a même pas le droit d’y déplacer un caillou, à plus forte raison, récolter une termitière ou du miel. Une forêt classée, c’ est comme du scellé en matière judiciaire. Elle doit rester en l’état, sauf si c’ est pour l’ améliorer par des méthodes de conservation éprouvées par les professionnels de l’ environnement que n’ importe qui n’est pas.

Des pays comme le Kenya, la Tanzanie ou le Botswana doivent leur avancée en développement grâce, en partie, aux efforts de sauvegarde de leur environnement. Quand on ne peut pas construire l’environnement, on ne le détruit point. Après avoir ravagé tous les espaces verts de Ouaga, on veut maintenant s’ en prendre à d’autres contrées. Détruire une forêt classée au nom d’ un hôpital n’est pas une vision heureuse. Cela procède d’une modernisation de mauvais aloi. C’est régressif. “Weogho yaa Viim”, que cela soit sur le plan psychosomatique ou spirituel ou autre. La Forêt Klassée de Kua ne doit pas être déclassée, même pas pour un hôpital, surtout que toute ville où serait construit cet hôpital servirait toujours le même Burkina, et la même sous-r égion, même si je souhaite de tout coeur que l’ hôpital revienne bel et bien à Bobo.

Ces 16 hectares valent déja 16 hôpitaux où l’ on l’on ccontinuera de mourir pour un simple scanner qui ne cesse de tomber en panne. Dire que l’ on va y planter un hôpital ne suffira pas pour commettre ce crime de plus, meme si le mot hôpital ne manqué pas de séduire une masse qui ne sait à quel saint se vouer pour ses soins primaires. Quel que soit l’ endroit où cet hôpital sera construit (si c’ est sur la base d’ une enquête de commodo et incommodo sincère) la distance ne saurait être trop longue pour les patients. Un malade est un patient, si patient que ceux qui ont les moyens traversent même les frontières pour aller se soigner, et au Ghana, et à la PISAM à Abidjan, et au Maroc , et en Tunisie ; et en Europe ou aux Etats-Unis pour les môgô les plus puissants.

Attention au nez du chameau dans la tente

Disons non au nez du chameau qui veut entrer par effraction dans la tente. Une fois le museau du chameau dans la tente, bientôt tout le corps du chameau dans la tente, et bonjour les dégâts !. Pourquoi ne doit -on pas bricoler avec la forêt classée de Kua ? Si ça ne se voit pas encore, voilà ! Pour aucune autre raison que la forêt de Kua est ce qu’ elle est et doit rester ce qu’ elle doit être : une forêt déjà classée. Point barre.

Si le gouvernement veut se faire respecter, qu’ il respecte les textes de la res publica, la chose publique. L’ incivisme de nos populations, aussi déplorable qu’ il puisse être, est fonctionnel à bien des égards, car obéissant à un besoin de survie qui s’ exprime mal. Tous, nous le déplorons et nous subissons de plein fouet ses effets pervers à bien des égards ; il en va de meme de l’incivisme gouvernemental, qui , lui, est plus que dysfonctionnel. Le Faso est la forme républicaine de notre bien à tous, les morts, les vivants, comme ceux qui vont naître.

Que ceux qui ont vu dans l’acte hautement civique des forestiers de deterrer les bornes délimitant cet infâme “ 16 hectares" s’ abreuvent à la déontologie du forestier, aimeur de la vie, car il il n’y a pas de vie sans environnement. On tue des forestiers chaque année. Ils meurent parce qu’ ils croient à quelque chose de plus grand qu’ eux- mêmes, leur famille, leur village. Ils croient en l’ avenir. Et il n’y a pas d’ avenir sans une vision durable de l’ environnement. Ce pays est notre pays mais il n’ est pas la propriété individuelle d’une génération. Nous l’avons oublié trop souvent. Il nous a été confié, la durée de notre petite vie. Au moins, que le sacrifice de nos vaillants forestiers qui n’ ont pas eu tort d’ embrasser cette noble carrière ne soit pas en vain. Venir détruire un demi- siècle d’ efforts de conservation est irresponsible. Se taire devant l’ignominie l’est encore plus.

Un ex-ministre de l’environnement à féliciter

J’ai été particulièrement fier d’un grand- frère que je connais particulièrement. J’ ai nommé le Dr. Gbaanè Fidèle Hien, l’ un de nos meilleurs paysagistes en Afrique (ceux qui me connaissent savent que par tempérament, je suis nul en fausses éloges, n’ayant pas la fausseté hypocritement baptisée de souplesse pour manier la brosse à reluire , et croyant au dire vrai) descendre dans l’arène pour exprimer son ressenti. Il est objectivement du côté de ceux qui ont le pouvoir intellectuel ou symbolique, un des privilégiés de notre système bureaucratique, moi y compris, mais côté subjectif, il est avec la majorité sur ce point. Il a été à l’ école, a été ministre (de l’ environnement) de la république sous le gouvernement “ protocolaire” et député par la suite. Il prouve par là qu’ il a toujours été fidèle à sa profession (de foi) qui est de contribuer du mieux qu’ il peut à l’équilibre de l’ éco- système.

Déjà, de façon très bête, on a terrassé tous les caïlcédrats de Bobo, véritable pare- brise contre nos endémies —devenues pandémies malgré nos hôpitaux— comme la méningite, pour ne citer que celle-ci. Faut- il encore s’ attaquer à la petite forêt (de surcroit classée qui nous reste, parmi d’autres, toutes ayant été entameés d’ une façon ou d’ une autre ?) Qu’ est-ce qui se passe ? Nos autorités auraient - elles besoin de cour de biologie niveau 6ème pour comprendre que l’ oxygène (pour ne parler que de l’ oxygène), c’est nos forêts qui produisent ca ? La Russie qui a la plus grande superficie de forêts au monde n’ ose même pas jouer avec cette richesse difficilement renouvelable.

Je suis Forêt Klassée de Kua (FKK), pour imiter le staccato de ma colère, à l’ image d’un AK47 en temps réel. Ceux qui demandent au gouvernement d’avoir du nerf pour s’ imposer doivent savoir une chose. On ne peut réellement avoir du nerf que quand on a la légitimité avec soi (je ne parle même pas de la légalité qu’ il n’ a pas sur ce dossier malgré les contorsions parce que ‘ une forêt classée, c’ est le droit qui parle ici et nous sommes en état de droit. Primauté donc à la loi). Sérieusement, le gouvernement va s’opposer à quoi, même s’il avait ce nerf[sic} ? Et le meilleur nerf à avoir dans le cas d’ espèce, c’est refuser le don qui commanderait à l’assassinat de notre forêt de Kwa, et de toute autre forêt, la destruction programmée et inconsidérée de la forêt de Kwa n’étant que le prelude macabre, s’il y avait injonction.

Même vivant hors de mon pays, je n’ oublierai jamais que cette forêt m’a nourri et m’a permis de ne pas abandonner l’école quand j’ étais jeté en plein Bobo à ma seconde sans tuteur. Bref. C’ est dire que l’ hôpital n’est pas le seul lieu où l’ on va quand on est grabataire, pire, à l’article de la mort, car pour beaucoup, la forêt soigne aussi bien, sinon mieux, que nos hôpitaux modernes où nos braves médecins et infirmiers sont impuissants parce que démunis du strict nécessaire.

Toute ma sympathie à ces hommes et femmes de bonne volonté qui n’en peuvent mais. Si la condition de la construction d’un hospital doit être assortie de ce diktat de ne construire cet hospital que sur les 16 hectares de notre précieuse forêt, ce n’ est donc pas d’un hôpital véritable pour nous qu’ il s’agit, mais plutot d’ un Veau d’ Or à la Nabuchodonosor que les burkinabè ne peuvent adorer ; auquel cas, le Professeur Bado, député de la nation, devra leur dire où mettre leur hôpital, comme ce qu’ il a su dire sans prendre de gants à une électrice qui lui réclamait un gadget lors de sa campagne électorale à Koudougou.

Si le choix du site est vraiment une conditionnalité chinoise, on peut avoir au moins le courage de dire non, merci. On aime bien les dons. Quand ils sont là, on est content. Mais quand ils viennent comme un corsage de force, et quand ils s’en vont parce qu’ on a eu assez de courage et de dignité de dire non, on devient libéré, donc plus heureux, pour paraphraser le chanteur pédagogue Francis Bebey. Mais une question finale pour fermer ma grogne.

L’ hôpital est- il pour le gouvernement ou pour les populations ?

Un gouvernement qui veut prendre des décisions illégitimes et illégales, illicites même, mal mûries car n’ ayant pas pris en compte les intérêts du plus grand nombre, et surtout de l’avenir, trouvera devant lui le peuple conscient qui est son mandant. Moralement, que peut- il faire ? C’est ainsi que l’ autorité de l’ état s’effrite parce que l’ état lui- même ne veut pas respecter ses propres textes. Il est clair que le gouvernement veut opérer un passage en force. Finalement, cet hôpital, c’ est pour lui ou c’est pour les populations ? Si c’est pour les populations, il est clair qu’on n’en veut pas sur ce site, même si on brûle d’envie d’avoir un hôpital.

Les gens ont un minimum de jugeote et savent faire ce que l’on appelle l’analyse du coût- bénéfice de toute entreprise. On perd trop au change avec cet hôpital sur ce site pré-cité. Donc, c’est bon mais c’est pas arrivé. Le Burkina n’appartient pas seulement à nous les vivants d’aujourd’ hui, on ne le dira jamais assez. Pensons à nos arrière- petits- fils qui viendront dans 50 ans et à leurs rejetons. Avec cet entêtement, il ne s’ agit plus de la simple question d’hôpital. Qu’ on nous dise véritablement ce que l’ on vise. Parceller sur le long terme la FKK comme on a parcellé entre copains le verger de plus de 120 manguiers de Mr. Yameogo à Koudougou ? Quels sont les enjeux cachés mais réels ici ?

Il apparaît en filigrane que la ruée sur l’ or de Kua, pardon, sur la forêt de Kua est une bataille symbolique, une nouvelle forme de déprédation et de dépossesion pour quelque chose qu’ on croit caché mais que tout le monde voit venir. Parce que depuis, nous avons appris à voir très clair dans le goudron, dans le mazout même ! La citoyenneté devrait se conjuguer au quotidien. Etre citoyen, ce n’ est pas attendre tous les 5 ans pour aller voter un maire, un député ou un president qui, le plus souvent, changent très peu de choses dans le vécu quotifien du citoyen lamda. La citoyenneté se réalise par le devoir de veille au quotidien qu’ exerce ce citoyen lamda sur les affaires publiques qui affectent au plus haut point son bonheur.

Les Burkinabè aspirent à une démocratie à coquille pleine. La rage jusque- là contenue contre l’attitude incompréhensible du gouvernement est un indicateur sérieux de cette aspiration. Que ceux qui voient dans le refus de la forêt de Kua de servir de cheval de Troie pour nous fourguer le désert bon marché et “à fond la caisse” un quelconque incivisme se ravisent. L’incivisme, c’ est signer un chèque en blanc à nos autorités qui sont là parce nos voix en ont ainsi décidé. Le refus de Kwa d’ être la porte d’entrée officielle du désert dans notre pays est la plus haute expression du civisme. Kwa n’ est qu’ un test (miniature) pour quelque chose de terrible qu’on veut nous imposer. Si on accepte Kwa, on a accepté cet “à- venir” pas du tout reluisant.

“Weogho yaa Viim” : La Foret Classée de Kwa ne doit pas être déclassée, même pas pour un hôpital. Elle est déjà un hôpital universel qui ne doit rien à un hôpital universitairel qui pâlit en grandeur devant le premier : Pour les malades aussi bien que pour ceux qui ne le sont pas encore et qui ont mille chances de ne jamais l’être grâce à la vertu éprouvée de l’ éco-système.

L’ environnement n’ est pas un adversaire qu’ il faut conquérir pour un pseudo- développement qui n’ induira pas un mieux- vivre. Nous refusons cette conception matérielle du développement qui n’ est que leurre et qui ne porte que malheur. Revisitons les savoirs indigènes pour être plus circonspects dans notre relation à l’écologie. Disons non à ce précédent très dangereux dans un front arc- en- ciel, au- delà de nos “ partis- âneries” car la meilleure famille, le meilleur village, le meilleur parti, c’est l’ environnement. Il serait tout à l’honneur du gouvernement de faire machine -arrière avant un certain point de non-retour car beaucoup d’ entre nous ne supporterons pas un tel projet qui n’est pas sage. Et nous allons faire valoir notre droit à l’action citoyenne s’ il n’a pas l’humilité de battre sa coulpe et de faire machine- arrière.

Touorizou Hervé Somé, MBA, Ph.D.
Maître de Conférences (Associate Professor)
Sociologie de l’Éducation/ Éducation Internationale Comparée
Ripon College, Ripon, Wisconsin
Email : burkindi@gmail.com

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