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« Le gaspillage n’est pas une bonne chose, surtout dans ce mois de Ramadan », met en garde Imam Yacouba Tiemtoré

Publié le jeudi 16 mai 2019 à 23h00min

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« Le gaspillage n’est pas une bonne chose, surtout dans ce mois de Ramadan », met en garde Imam Yacouba Tiemtoré

En ce début de mois de Ramadan, nous sommes allés à la rencontre de Yacouba Tiemtoré, Imam de l’Association des élèves et étudiants musulmans du Burkina (AEEMB) et du Centre d’études, de recherches et de formation islamiques (CERFI) pour comprendre davantage les contours de cette période capitale pour le musulman. Prescriptions, interdits, rapport du musulman avec sa société…, Imam Tiemtoré au sujet du mois de Ramadan.

Lefaso.net : Quelle est l’appellation exacte qu’il faut avoir de ce mois de pénitence : jeûne, ramadan ou carême ?

Yacouba Tiemtoré : L’appellation exacte peut se faire par deux termes. C’est d’abord, par nature, un jeûne en tant qu’acte d’adoration et sa particularité est d’avoir lieu dans Ramadan qui est le neuvième mois de l’année hégirienne, l’année lunaire musulmane. Ce qui fait qu’on dit habituellement le « jeûne du Ramadan » ; c’est-à-dire le jeûne du mois de Ramadan.

Lefaso.net : De façon générale, comment conseillez-vous aux frères et sœurs d’entamer ce mois ?

Yacouba Tiemtoré : Merci de nous donner l’occasion de revenir sur un des aspects importants du jeûne : c’est l’état d’esprit dans lequel, on va aborder le mois de Ramadan. Avant même que le mois arrive, il y a une façon de l’accueillir. Imaginez quelqu’un qui pense déjà que Ramadan vient avec son lot de souffrances, de calvaires…, il risque de vivre ainsi le jeûne. Ce qui n’est pas du tout agréable.

Ce qu’il faut, c’est de l’accueillir comme une main tendue de Dieu, un moment de bonheur, de purification, pour nous permettre de nous racheter. Donc, c’est un moment privilégié de spiritualité où beaucoup de choses sont facilitées, où on doit déployer beaucoup d’efforts pour se faire de nouvelles bonnes habitudes, de nouvelles vertus. Donc, le Ramadan doit être accueilli dans la joie, la fierté, l’enthousiasme et l’engagement ; parce qu’on doit souhaiter ressortir du Ramadan libéré de nos multiples chaines spirituelles et avec un supplément de vertus.

Lefaso.net : Outre le dispositif psychologique, quelles sont les règles à observer dans ce mois de ramadan ?

Yacouba Tiemtoré : Après l’état d’esprit, et plain-pied dans le Ramadan, il s’agit de faire l’effort d’observer les règles du jeûne ; étant entendu que c’est un acte d’adoration, il a forcément ses règles. Ainsi, les piliers fondamentaux du jeûne, que tout musulman se doit de savoir, sont au nombre de deux. Le premier pilier est de prendre l’intention de jeûner effectivement tout le mois pour Allah. Le deuxième pilier, c’est de s’abstenir des éléments qui annulent le jeûne, et ce, approximativement du lever au coucher du soleil.

Ces éléments de base sont au nombre de trois : le fait de ne pas manger, de ne pas boire et de ne pas avoir des rapports intimes avec son conjoint légal (la règle de base étant même que le rapport sexuel hors mariage est formellement interdit, ndlr). C’est vraiment un minimum et d’autres obligations se greffent à ces principaux piliers.

Lefaso.net : Quelles sont les catégories de personnes astreintes au jeûne ?

Yacouba Tiemtoré : Pour ce qui concerne le jeûne du mois de ramadan, il est obligatoire pour tout musulman des deux sexes et pubère. Pour dire donc que pour l’enfant, le jeûne n’est pas en soi obligatoire. Il en est de même pour le voyageur (pour un voyage qui d’ordinaire entraine l’allégement des prières canoniques). Il faut être également bien portant, physiquement et mentalement. Ce qui signifie que les malades ne sont pas astreints au jeûne (s’il y a un élément objectif qui fait que le jeûne est une contre-indication). Les femmes indisposées sont également exemptées du jeûne.

Lefaso.net : La puberté correspond-elle à l’âge adulte dans la vie civile (dans le droit positif) ?

Yacouba Tiemtoré : Non, pas forcément. En droit positif, c’est en termes d’âge fixé par la loi, notamment le code des personnes et de la famille. En Islam, la logique est un peu différente : la puberté est définie par un niveau d’état physiologique que la personne a atteint. Pour la jeune fille par exemple, dès qu’elle constate ses premières menstrues, on dit qu’elle est pubère. Chez le garçon aussi, il y a des éléments physiologiques : première éjaculation, pousse des poils pubiens etc.

Lefaso.net : Il serait également prescrit de toujours prendre le repas matinal avant le jeûne (ne pas jeûner à jeûn) ! Qu’en est-il exactement de cette opinion ?

Yacouba Tiemtoré : Ce n’est pas une obligation stricte dans le sens où si on ne prend pas ce repas, le jeûne n’est pas valide. Cependant, c’est une recommandation forte du Prophète Mohammad (paix et salut sur lui !). Quand je parlais tantôt de règles minimales dans le jeûne, c’est justement pour dire que ce qui vient au-delà sont des éléments spirituels qui apportent un plus au jeûne. Font partie de ces éléments, ce repas matinal ou de fin de nuit (aussi petit soit-il). Ce peut même être de la simple boisson.

Le Prophète (paix et salut sur lui !) a dit de veiller à prendre ce repas-là ; parce qu’il s’y trouve une baraka (une bénédiction). Et puis entre nous, outre cet aspect spirituel, pour un jeûne qui va durer au moins douze heures, il est facile de comprendre l’importance de prendre quelque chose comme réserve pour le corps durant la journée. Donc, ce repas est une recommandation forte du Prophète (Paix et salut sur lui !).

Lefaso.net : En clair donc, celui qui n’a pas pu, pour une raison ou une autre, prendre ce repas matinal ne doit pas se dire que le jeûne ne vaut pas la peine !

Yacouba Tiemtoré : Effectivement, il ne doit pas se dire que son jeûne est gâté. Certains peuvent ne pas avoir compris cet élément de sorte que vous pouvez trouver des gens qui diront qu’ils n’ont pas jeûné, parce qu’ils ont raté l’heure du repas (ils n’ont pas mangé le Souhour).Alors que cela ne les dispense pas de jeûner.

Lefaso.net : Quels sont les actes que vous encouragez en ce mois de ramadan ?

Yacouba Tiemtoré : Rappelons les fondamentaux du jeûne : l’intention pure de jeûner pour Dieu et l’abstinence des actes ou pensées annulaires dont le trio : manger, boire et avoir un rapport sexuel. Tout ce qui va venir en plus, c’est tout cela qui fait aussi le sens du ramadan. Donc, il y a tout un lot d’actes qu’on posait ou observait habituellement qu’il faut chercher à améliorer (les prières, les aumônes, les bonnes attitudes et comportement, le partage, etc.).

Un autre aspect, c’est de mettre en place un programme pour essayer de se donner une certaine jeunesse spirituelle. Dans ce registre, il y a le Coran ; ce d’autant plus qu’entre le Coran et le Ramadan, il y a un intéressant lien (on nous enseigne par exemple que le mois de ramadan est celui au cours duquel, le Coran a été révélé).

D’où l’importance pour celui qui veut profiter pleinement du ramadan, de profiter du Coran ; mettre le Coran dans son programme (le lire chaque jour ; lecture individuelle ou collective, chercher à le comprendre, faire la méditation, participer à toute activité qui tourne autour du Coran…). Il faut donc replonger dans le Coran, qui répond au passage à beaucoup de nos problèmes existentiels. Le moment est propice pour cela.

Lefaso.net : Quels doivent être, au cours de ce mois, les rapports du musulman avec sa société, son entourage ?

Yacouba Tiemtoré : Les rapports habituellement recommandés : se comporter au mieux envers son entourage et de façon spécifique, il lui est demandé de faire montre d’une maitrise de soi au point que, selon un propos prophétique, « si quelqu’un t’insulte ou te cherche des histoires, contente-toi de dire : je jeûne… je jeûne... »

Si vous permettez, voilà aussi un aspect qui peut, et doit même, faire l’objet de recherches approfondies dans le Coran : le rapport du musulman avec son entourage, étant entendu que dans cet entourage, il y a des musulmans, des non-musulmans et d’autres créatures de Dieu. Prenons un exemple : vous avez des passages du Coran qui évoquent la guerre, la violence, etc., on est d’accord ! Mais pour être juste, il faut aussi noter ces multiples passages qui instruisent le musulman de bien se comporter, de bien parler aux gens, d’être in fine un modèle dans la société.

Donc, un musulman qui lit le Coran doit chercher à comprendre ces passages qui peuvent sembler contradictoires au premier abord surtout quand on les sort (et c’est malheureusement fréquent) de leur contexte de révélation. Donc, le mois de ramadan peut être mis à profit pour comprendre le sens réel de l’Islam, car on voit bien qu’il y a des gens, justement en ces temps de terrorisme, qui veulent donner un autre sens à l’islam ; sens dans lequel le commun des musulmans ne se reconnaît pas.

Lefaso.net : Parmi les vertus à cultiver par le musulman, on parle aussi de la « patience ». Que représente-t-elle dans la vie du fidèle ?

Yacouba Tiemtoré : Le mot « patience » est très souvent utilisé dans le sens de la résignation face à certaines difficultés ou avoir du discernement face à certaines situations. Mais, une autre dimension de la patience consiste à cultiver, à avoir cette énergie pour aller vers les actes d’obéissance pour rester sur notre trajectoire (le Siratoul Moustaqim ou la voie droite). Par exemple, il n’est pas facile de faire les cinq prières quotidiennes et correctement (il faut se lever tôt, respecter les moments prescrits, etc.) du point de vue de certains non-musulmans, c’est vraiment la mer à boire.

Tout cela entre dans le cadre de la patience. Il y a un adage chez nous qui dit que (littéralement) Dieu aime tous ceux qui sont patients. On peut vraiment s’étendre sur ce mot. Par exemple, la patience, c’est sûrement la première vertu du mariage ; parce que, quand au fil du temps les difficultés vont se poser au couple, c’est la patience qui va permettre de les surmonter et de préserver le lien marital.

Et c’est probablement ce défaut ou manque de patience-là qui fait que le taux de divorce est en croissance presqu’exponentielle ces derniers temps dans notre pays et probablement ailleurs aussi. Le jeûne nous amène donc à cultiver la patience. Il y a une culture à résister aux passions inhérentes à notre nature humaine. Bref, la patience est un chemin d’or et elle est assurément une vertu cardinale de notre religion.

Lefaso.net : Quelles sont les grandes étapes du mois de ramadan ?

Yacouba Tiemtoré : Traditionnellement, le mois est divisé en trois décades. La première décade, c’est le commencement du jeûne et le Prophète qualifie cette décade de Miséricorde. La deuxième décade est placée sous le signe du pardon divin et il s’y trouve, au passage, cet important souvenir : la Bataille de Badr ayant eu lieu le 17 Ramadan de l’an II hégirien et ayant constitué un grand tournant de l’histoire de l’Islam.

La troisième décade, vue comme synonyme d’affranchissement de l’Enfer, est celle où se trouvent vraiment plusieurs temps forts, dont la très fameuse et extraordinaire nuit du Destin (leylatoul qadr), l’aumône de la rupture (Zakat El Fitr) et, bien entendu, les préparatifs de la fête de fin Ramadan.

Lefaso.net : Le jeûneur qui, à un moment donné de la journée, a bu ou manger par inattention doit-il rompre, poursuivre et/ou rattraper ?

Yacouba Tiemtoré : Effectivement, quand cette situation arrive, la miséricorde divine veut que vous poursuiviez le jeûne. Quelqu’un qui, au cours de la journée, se retrouve en train de manger ou boire, il arrête immédiatement de manger ou boire et continue son jeûne normalement comme si de rien n’était. A partir du moment où c’est par oubli, il poursuit donc et il n’a pas à rembourser ou rattraper quoi que ce soit.

Lefaso.net : Le mois de ramadan est une période de partage, de rationalisation... Mais, la réalité aujourd’hui est qu’on se retrouve à la rupture avec le plein de mets, frôlant même le gaspillage. Que pouvez-vous dire à ce sujet ?

Yacouba Tiemtoré : Effectivement, sur ce point-là, il y a beaucoup à dire. Quand on regarde l’état de notre communauté, le constat n’est pas reluisant. De l’extérieur, certains mêmes estiment que Ramadan, c’est le moment où les affaires sont plus florissantes dans les grandes enseignes ou alimentations par exemple. Ce qui peut être un peu problématique ; parce qu’on devrait consommer logiquement moins, le nombre de repas quotidiens ayant aussi diminué par exemple.

Il faut dire que la rationalisation est avant tout une bonne chose pour le corps humain. Mais, vous verrez des gens manger en abondance le soir venu, comme s’ils pensaient rattraper ce qu’ils ont raté pendant la journée. Or, d’un point de vue médical (je parle sous réserve des spécialistes de la santé), accumuler ponctuellement la nourriture n’est pas conseillé pour l’organisme. En islam, c’est un principe qui est établi avant même que la science n’en parle, depuis donc quatorze siècles.

Tenez ce récit historique où il nous est dit qu’un roi Egyptien avait envoyé au prophète Mohammad (paix et salut sur lui !), en plus de divers cadeaux, un médecin pour s’occuper de la santé des musulmans. Notre médecin, arrivé à Médine, entend le propos suivant tenu par le prophète (paix et salut sur lui !) : « Nous, musulmans, sommes un peuple qui ne mangeons que lorsque nous avons faim et lorsque nous mangeons nous ne nous rassasions pas » et il (médecin) conclut qu’il n’a plus grand- chose à donner à un peuple qui vit ainsi et que sa mission serait terminée…

Par ailleurs, le Coran qualifie les gaspilleurs de « frères des démons ». Donc, un musulman ne saurait gaspiller quoi que ce soit, ne parlons pas de nourriture. On fait juste ce qu’il faut. On peut faire plus, mais dans la perspective d’en donner aux nécessiteux par exemple. Ce n’est pas forcément utile de remplir sa table chaque jour du mois de ramadan.

Le gaspillage n’est pas une bonne chose, surtout dans ce mois de ramadan où l’on doit apprendre à davantage partager. Dieu seul sait combien sont-ils, ces gens qui n’arrivent pas à avoir le minimum de repas quotidien. Et le prophète (paix et salut sur lui !) de nous dire : « L’être humain n’a autant rempli un récipient aussi pire que son ventre »

Lefaso.net : Votre message à l’ensemble des frères et sœurs musulmans ?

Yacouba Tiemtoré : Il nous faut prendre conscience vraiment de la brièveté de ce mois et, par suite, nous y investir pleinement. Il faut voir le Ramadan comme une école pour qu’au sortir de ce mois, on soit encore meilleur en décrochant le diplôme de la piété comme finalité assignée à ce jeûne. Il faut donc intégrer de nouvelles vertus, faire davantage du Coran un compagnon, faire plus de méditation, davantage d’aumônes (partage, solidarité…). Il faut chercher à améliorer ses rapports avec ses parents, son entourage (voisin, amis, etc.), faire la paix avec sa société, en un mot, bien se comporter ...car autrement, nos turpitudes individuelles comme collectives pourraient expliquer, au moins en partie, les dures épreuves que nous vivons comme le péril sécuritaire de ces derniers temps.

Un autre aspect très important est qu’il faut profiter de ce mois pour invoquer abondamment Dieu ; parce que c’est une période vraiment exceptionnelle. Dieu exauce systématiquement les vœux dans certaines conditions et à certaines périodes. Dans le mois de ramadan, les conditions sont assouplies (les démons sont enchaînés). Donc, il faut en profiter pour avancer résolument vers Dieu avant que lesdits démons, désenchainés au sortir de ce mois et probablement plus que jamais déchainés, relancent l’assaut contre nous.

Evoquons et invoquons abondamment Dieu et ayons la conviction que si nous invoquons Dieu sincèrement, au sortir de ce mois, nous verrons que nos vœux ont été exaucés. Je crois qu’il est possible que, nous les musulmans n’invoquons pas suffisamment au regard de l’état actuel de la communauté des musulmans. C’est donc un rappel et une invite aux musulmans, de revenir sur les invocations, les prières au milieu de la nuit, quand il pleut, pendant les prosternations (Soujoud), etc. Ce sont là quelques moments privilégiés pour les invocations.

Qu’Allah agrée notre jeûne, fasse de nous des gens de bien et puisse-t-il améliorer l’état de notre pays sur tous ses défis. Amine !

Interview réalisée par Oumar L. Ouédraogo
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